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Stéphane Olivesi et Anne-Claude Ambroise-Rendu (dir.), Patrimoines et patrimonialisation. Les inventions du capital historique (xixe-xxie siècles)

Presses universitaires de Grenoble, 2021, 350 p.
Nicolas Meynen
Référence(s) :

Stéphane Olivesi et Anne-Claude Ambroise-Rendu (dir.), Patrimoines et patrimonialisation. Les inventions du capital historique (xixe-xxie siècles), Presses universitaires de Grenoble, 2021, 350 p.

Texte intégral

1Stéphane Olivesi et Anne-Claude Ambroise-Rendu entreprennent d’apporter un regard nouveau sur l’histoire des processus de patrimonialisation en révélant les mécanismes, les acteurs en présence, les jeux de pouvoir, les résistances et les controverses intrinsèques, d’ordre politique, économique et social. Le titre ne dit pas la richesse du contenu, qui dépasse les simples actes du séminaire (Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines [CHCSC], 2017-2020) qui en est à l’origine. La part belle est faite aux « nouveaux » objets du patrimoine culturel, y compris immatériel. Les deux directeurs réunissent quatorze contributions, chacune constituant une longue étude à part entière, présentées en autant de chapitres organisés au sein de trois grandes parties structurantes : les enjeux publics et les jeux politiques ; la mise en visibilité économique, symbolique et sociale ; la patrimonialisation des biens symboliques et des pratiques culturelles. La multiplicité des regards disciplinaires fait la richesse de cet ouvrage.

2Dans un exercice d’analyse fine des processus de patrimonialisation, les auteurs (dont il eût été éclairant d’avoir une petite biographie) développent des approches d’anthropologue (Philippe Le Guern), de juriste (Line Touzeau-Mouflard), de sociologues (Hugues Bonnefon, Elsa Martin), de chercheurs en sciences de l’information et de la communication (Philippe Blanchet, Stéphane Olivesi), d’économistes (Laurent Dalmas, Vincent Geronimi), d’iconographe (Xavier Nerrière) ou d’historiens (Steve Hagimont, Adama Djigo, Sophie-Anne Leterrier, Anna Trespeuch-Berthelot, Arnaud Baudérot, Stéphanie-Emmanuelle Louis). Leurs objets d’étude ne sont pas issus d’un patrimoine déjà reconnu mais d’un patrimoine créé comme tel, dont ils questionnent le processus de reconnaissance et de patrimonialisation, que la raison historique ne peut ignorer, sous l’angle des dynamiques mises en œuvre, de la diversité des acteurs et des enjeux mémoriels, culturels, politiques et économiques qui s’y rattachent. Il s’agit de saisir, à travers leur mise en récit, les formes de capital historique qui leur sont attribuées, y compris quand il ne demeure que des traces, résultantes naturelles du processus finissant d’une pratique ou d’une occultation. Le mode de questionnement adopté ne conduit pas à aborder les rapports entre patrimoine et tourisme de manière systématique.

3Le milieu viticole permet à S. Olivesi de montrer que le retour au passé est un capital historique qui rend acceptable l’innovation et conditionne la valorisation marchande du vin produit. Dans le domaine de l’élevage ovin, Ph. Le Guern observe que la patrimonialisation d’une race peut servir les ambitions historiques d’une région, tout en apportant des valeurs rassurantes de terroir, de proximité, d’authenticité et de respect de l’environnement à des consommateurs en quête de produits locaux et d’enracinement identitaire. À ce jeu de classement au gré de contingences pouvant ignorer l’intérêt collectif, le risque est d’induire une dépréciation du capital historique et de conduire à des résistances à la muséification, ce que décrit A. Baudérot à propos de la musique rock. À propos du mouvement situationniste, A. Trespeuch-Berthelot constate que la patrimonialisation peut infléchir les représentations collectives, en réévaluant des archives, nourrissant ainsi le processus de révision mémorielle. L’auteur montre aussi qu’avec le temps, les résistances à la patrimonialisation s’essoufflent et que les mues des représentations font entrer des idées avant-gardistes dans la typologie du patrimoine intellectuel. Protéger ne doit pas conduire à une sur-patrimonialisation sclérosante, comme le rappelle Ph. Blanchet dans son analyse des effets du politique sur les langues « régionales », mais à une dynamisation des pratiques et des usages.

4La mise en récit peut s’avérer compliquée quand il ne reste que des traces, témoignant d’une pratique mourante ou d’une occultation. C’est le cas du patrimoine culturel immatériel quand il est confronté à des phénomènes d’obsolescence et d’oubli. La disparition du réseau de sens dans lequel s’inscrit l’objet amène ainsi A-S. Leterrier à questionner la rétivité des chansons ouvrières à la patrimonialisation. L’approche du patrimoine culturel investi symboliquement, et souvent perçu de manières diverses, conduit à révéler les ressources mobilisables et donc choisies par les acteurs. S.-E. Louis montre ainsi le rôle de la communauté cinéphile dans l’accélération du processus de patrimonialisation, que les collectivités ont investi à leur tour. Le jeu des pouvoirs est souvent complexe, comme le révèle S. Hagimont dans le cadre du projet de création d’un parc national dans l’Ariège, où les opposants ne rejettent pas la protection de la nature mais le fait d’une politique « d’en haut ». La relocalisation des décisions en matière d’aménagement de la montagne, satisfaisante à l’égard des revendications, induit le désengagement financier de l’État et, par conséquent, une conformation aux besoins du marché. E. Martin, en abordant la fabrique du classement de la cité épiscopale d’Albi au patrimoine mondial, caractérise également le jeu des acteurs publics et privés et révèle que l’attractivité du territoire ne satisfait pas de manière induite les besoins plus élémentaires d’une grande partie de la population. La conservation du patrimoine, aux yeux des promoteurs, peut ainsi passer au second plan, après des intérêts privés et la recherche d’attractivité d’un territoire. Dans sa description de la fabrique du patrimoine archéologique, H. Bonnefon montre combien les prescriptions juridiques établies par le Code du patrimoine rencontrent d’obstacles et de pressions chez les aménageurs. Si le patrimoine cristallise de nombreuses tensions et résistances, L. Touzeau-Mouflard dresse quant à elle un constat d’ambivalence en matière de droit, la patrimonialisation se réalisant dans ou en dehors du droit alors que celui-ci est indispensable aux mesures de protection. La question de l’ambivalence est reprise par X. Nerrière mais cette fois à propos de la collection de photographies rassemblées par le Centre d’histoire du travail de Nantes. La création de ce patrimoine va de pair avec la reconnaissance des groupes sociaux qui en sont les producteurs et les dépositaires, par une mise en évidence de leur invisibilité.

5Comme le rappellent S. Olivesi et A-C. Ambroise-Rendu en introduction, le rôle des historiens dans le processus de légitimation des « nouveaux » patrimoines est de garantir le maintien d’une réflectivité technique en considérant la distance de l’objet au passé et en se tenant à bonne distance des acteurs. Leur regard doit donc opérer une série de déplacements, d’ordre économique, sociopolitique, ethnologique ou anthropologique, afin d’analyser l’instrumentalisation du mode opératoire de sélection, d’appropriation et de légitimation, mais aussi d’exclusion, ainsi que les effets recherchés pour la société.

6La valorisation marchande est finalement l’aboutissement de la chaîne de patrimonialisation, qui débute, comme nous le savons, par la mise en valeur symbolique de biens, de marchandises, de lieux et de pratiques érigés en patrimoine, et passe par l’affirmation identitaire qui forge l’unité d’une communauté malgré les dissensions et les travers d’un passé parfois lourd. L. Dalmas et V. Geronimi abordent le lien réel, souvent tabou, entre patrimoine et économie, l’entreprenariat du patrimoine engendrant des logiques de marketing à des fins de développement économique. Ils évaluent les conditions de soutenabilité du tourisme patrimonial tout en pointant la tension entre valorisation et préservation. En matière de promotion du patrimoine culturel – qui nécessite des structures, des ressources culturelles, du personnel compétent et des moyens financiers –, le Sénégal demeure dépendant des subventions de la coopération internationale et des conditionnalités qui s’y rattachent. A. Djigo fait état de cette situation, dont il explore les répercussions sur les politiques de conservation du patrimoine national, l’élaboration des projets culturels, la gestion des budgets et le fonctionnement des institutions.

7Le patrimoine, lieu d’exercice de nombreux pouvoirs, est devenu, plus que jamais, un atout distinctif dans une communauté conformée aux besoins du marché en quête de repères.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Meynen, « Stéphane Olivesi et Anne-Claude Ambroise-Rendu (dir.), Patrimoines et patrimonialisation. Les inventions du capital historique (xixe-xxie siècles) »Mondes du Tourisme [En ligne], 20 | 2021, mis en ligne le 15 décembre 2021, consulté le 15 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/tourisme/4267 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tourisme.4267

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Auteur

Nicolas Meynen

Maître de conférences - Histoire et civilisations
Histoire de l’architecture et du patrimoine
Université Toulouse - Jean Jaurès
nicolas.meynen[at]univ-tlse2.fr

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