Une photographie de la culture chinoise de la plage

1Questionner « ce que les Chinois font, et comment ils le font, en tant que touristes ou usagers de la plage, en explorant la dimension corporelle de leurs pratiques » (p. 13), tel est l’objectif de l’« ouvrage de photographies commentées » écrit par Christophe Guibert et Benjamin Taunay (2021) et intitulé Les chinois à la plage en Chine.

2Tout l’intérêt de ce livre de 172 pages tient à son originalité, à la fois dans sa thématique et dans la perspective adoptée. Les auteurs souhaitent en effet rendre visible, à travers 90 photographies, comment ces pratiques balnéaires révèlent d’une part des logiques sociétales chinoises et d’autre part le développement d’une culture touristique mondiale, avec la diffusion et l’hybridation de modèles et de pratiques. Pour cela, l’ouvrage est structuré en six chapitres, abordant chacun une thématique : postures corporelles, mise en scène, jeu, normes, techniques et pratiques du surf. Sont ainsi esquissés des enjeux politiques – la plage étant décrite moins comme un espace de libertés et de « relâchement contrôlé de l’auto-contrôle » (pour reprendre l’expression de Norbert Elias) que comme un domaine d’extension des logiques de surveillance et de contrôle par les autorités – et sociétaux – avec les valorisations sociales des pratiques touristiques.

3Mais c’est bien la description de techniques du corps – qu’il s’agisse d’être capable de faire du surf, de savoir nager, ou simplement de s’allonger sur la plage – et de leurs apprentissages – l’usage important des bouées par les adultes (p. 117) étant significatif de ce processus – qui est au cœur de l’ouvrage. L’utilisation du « facekini », une cagoule de bain en tissu, est la manifestation la plus emblématique de ce thème rapportée par l’enquête (lui consacrant une place importante : dix photographies, un extrait d’entretien et la page de couverture). Envisagé par les auteurs comme l’expression de normes sociales – ce masque est essentiellement porté par des femmes âgées – et culturelles – la blancheur de la peau est un canon esthétique puissant en Chine –, ce phénomène, apparu à Qingdao au milieu des années 2000, est pourtant encore « assez largement circonscrit » (p. 82), « les porteuses de facekini, très visibles, n’en sont pas moins relativement minoritaires » (p. 85). Le caractère marginal de ce vêtement semble être confirmé par l’extrait d’entretien avec la première surfeuse professionnelle chinoise qui dit le trouver « vraiment horrible et terrifiant » (p. 137). Il est, au final, compliqué pour le lecteur de savoir de quoi le facekini est alors le masque.

4La difficulté, la singularité et l’originalité de l’exercice scientifique de cet ouvrage peuvent aussi en partie expliquer les trois principaux regrets que l’on peut formuler sur le fond et la forme.

6Cela est en lien étroit avec la deuxième critique. Les photographies étant au cœur du dispositif, la place des textes se limite, logiquement, et au-delà de l’introduction et de la conclusion, à des légendes commentées. On peut toutefois déplorer que les paragraphes présentant chacun des chapitres ne soient pas plus conséquents et ne permettent pas de mieux conduire, encadrer théoriquement ou comparer les observations des différentes thématiques (comme l’y autoriserait la citation précédente). Le fait que les références bibliographiques soient mentionnées à titre indicatif, et non pas citées, accentue cet aspect. De même, le lecteur peut se demander pourquoi les extraits d’entretiens proposés en encarts – et qui permettent de saisir certaines des raisons des manières de faire ainsi exposées – ne sont pas utilisés systématiquement pour chaque chapitre. Un accompagnement textuel renforcé aurait permis d’apporter des clés de compréhension plus substantielles aux logiques culturelles rapportées, d’indiquer leur caractère représentatif ou exemplaire et de formuler des hypothèses interprétatives – les auteurs remarquant eux-mêmes que « les pratiques de la plage et les usages sociaux du corps ne peuvent être généralisés à l’échelle de la Chine » (p. 100). Les deux auteurs ayant beaucoup publié sur cette thématique, cela aurait pu s’effectuer par la mobilisation de précédents travaux (stratégie d’ailleurs utilisée une fois en fin d’ouvrage).

7Le troisième regret relève des logiques éditoriales et tient aux petites dimensions du livre. Il est dommage que son format ne soit pas plus conséquent afin de mettre en valeur les photographies, leur donner l’espace qu’elles méritent, en tout cas plus en adéquation avec le projet. À ce titre, ce livre doit aussi être apprécié comme une incitation à créer une collection, papier et/ou numérique, d’ouvrages scientifiques spécialisés dans les enquêtes photographiques.