1Après avoir peiné à y être acceptée, l’histoire environnementale connaît un très fort développement dans le monde académique français depuis les années 1990 (Locher et Quenet, 2009), comme l’illustrent la collection « L’environnement a une histoire » chez Champ Vallon ou la collection « Histoire environnementale » aux Éditions de la Sorbonne. L’ouvrage de Steve Hagimont est une œuvre importante pour comprendre l’influence du tourisme dans ce vaste domaine. Steve Hagimont, maître de conférences à l’Université Paris-Saclay (Versailles-Saint-Quentin), est également coordinateur du comité scientifique du Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale (RUCHE).

2Aujourd’hui, les critiques sont fortes s’agissant de la dimension environnementale du tourisme : honte de prendre l’avion, pollutions, surtourisme… Steve Hagimont (2020), dans une chronique pour Mondes du tourisme, avait même utilisé l’expression de « désastre écologique », reprenant dans leur globalité les développements des sciences de la Vie, de la Terre et du Climat pour sonder le champ du tourisme.

4L’analyse touristique réalisée par Steve Hagimont débute au milieu du xviii^e siècle. L’auteur estime que la nouveauté vient de la diffusion des pratiques et des intérêts « paysagers et prophylactiques ». C’est la création de ce marché qui modifie l’échelle de ces activités. L’existence d’archives sur les personnages illustres (l’intendant Antoine Mégret D’Étigny à Luchon, par exemple, avec le duc de Richelieu dans les années 1760) et les institutions (Société royale de Médecine, créée en 1778) fait que le rôle de ces élites est mieux connu dans l’aménagement des sites (l’auteur s’attarde sur Luchon et Ax). L’ouvrage ne se limite toutefois pas aux actes d’administrateurs. Il s’attache également à comprendre l’implication des populations locales, en particulier les notables (les médecins par exemple). Le jeu d’acteurs, entre public et privé, local et extérieur, est bien appréhendé et, plus qu’une opposition, Steve Hagimont démontre la co-construction de l’exploitation et de la marchandisation de la nature dès le xviii^e siècle.

5La disponibilité des archives limite la connaissance de l’origine sociale et géographique de la clientèle de stations thermales et montagnardes, de l’hébergement, des services disponibles, jusqu’au milieu du xix^e siècle. Sans surprise, la communication privilégiée par les grandes stations touristiques biaise la vision que le chercheur ou la chercheuse peut avoir de l’évolution touristique historique des Pyrénées. La « reine des Pyrénées », Luchon, bénéficie de nombreuses pages (en particulier dans le chapitre 2), mais Steve Hagimont compense cette préférence en abordant également les stations de l’Ariège et en faisant des comparaisons avec d’autres stations en France (Aix, Vichy, Vittel, Évian…). Le thermalisme joue dans les Pyrénées un rôle majeur, à travers les guides touristiques et les services (présence des médecins, des casinos, des demi-mondaines…), qui se professionnalisent au cours du xix^e siècle.

6L’enracinement d’un écosystème touristique modifie l’appréhension des espaces, devenus des territoires. Ainsi, la proximité de la frontière donne à ces lieux un aspect marginalisé propice à la préservation face à l’uniformité sociale. Les associations excursionnistes viennent enrichir l’inventaire des coutumes et des monuments (notamment de la part des Français vis-à-vis des Pyrénées espagnoles). Les regards s’avèrent inquiets des transformations des environnements montagnards avec la chasse touristique, mais aussi des droits d’usage des communautés locales (dénonciation du pastoralisme, préjudiciable à la forêt selon les étrangers au pays, mais qui sera encouragé, quelques décennies plus tard, pour préserver la forêt et les paysages). Les rôles de l’État et de ses administrations sont finement analysés.

7L’État s’installe plus systématiquement dans le quotidien des Français au xx^e siècle. Alors que le tourisme thermal évolue vers une dimension médicale, les Pyrénées sont désormais perçues comme recélant un potentiel favorable à l’exploitation de l’hydroélectricité et de la neige hivernale. Les deux activités se font concurrence pour s’approprier les espaces. Les sociétés locales sont particulièrement actives dans les stratégies formulées par les États (français et espagnols). Steve Hagimont prend notamment les exemples des stations Superbagnères et Font-Romeu, qui transforment la neige en marchandise. Les Pyrénées françaises ne peuvent toutefois pas suivre l’emballement alpin, alors que quelques cas espagnols et andorrans, comme Baquiera, Candanchú, Astún, Formigal, Cerler et Pas de la Case-Grau Roig, parviennent à industrialiser la neige.

8Les années 1970 correspondent à un bousculement du modèle d’aménagement prométhéen que le monde occidental connaissait au xx^e siècle. Les projets d’extension des sports d’hiver, jusqu’alors promus comme le seul avenir de la montagne, devenus des miroirs aux alouettes avec des implantations sur des zones d’enneigement trop faibles, sont contraints par de nouveaux dispositifs législatifs dévolus à la protection de l’environnement (indemnité spéciale montagne pour les agriculteurs en 1972, schéma d’orientation et d’aménagement des massifs réalisé pour les Pyrénées en 1978, arrêtés de protection des oiseaux et des habitats issus des directives européennes de 1979 et 1992, loi Montagne en 1985). Les populations locales refusent toutefois d’être « les Irokois [sic] de la France » (p. 313), attitude conduisant à l’enlisement puis à l’abandon du projet de parc national en Ariège, pour lui préférer un parc naturel régional tout en s’appropriant de manière plus diffuse les principes environnementaux. L’auteur explore, à travers cet exemple, les enjeux pour les différentes populations : État (avec l’intéressant décorticage de la stratégie du préfet), administrations, notables locaux, éleveurs, militants écologistes, qui obligent à dépasser les intentions trop souvent formulées avec bienveillance (Michaud, 2016).

9Steve Hagimont s’interroge sur l’évolution de cet espace hybride, mêlant nature et culture dans une forme de symbiose, réelle ou fantasmée. En procédant à une explication de la stratification des différentes visions successives, l’ouvrage Pyrénées. Une histoire environnementale du tourisme démontre incontestablement la place centrale du tourisme dans l’économie « verte ». À l’image de l’ouvrage d’Elsa Devienne (2020) sur l’histoire environnementale des plages de Los Angeles, cette histoire environnementale permet d’ouvrir le débat au-delà des seuls acteurs pro- et anti-touristiques, avec la volonté de comparer les évolutions avec d’autres territoires (pour Elsa Devienne, il s’agissait des côtes Est et Ouest des États-Unis ; pour Steve Hagimont, il s’agit des Pyrénées et des Alpes). Elle participe de ce décentrement promu par l’histoire mondiale depuis les années 2000 (Baecque et Ion, 2018), bien que, dans le cas du tourisme, elle reste encore logiquement associée à l’imaginaire occidental. Elle n’empêche pas quelques partis pris, à l’image de cette conclusion où l’auteur livre son sentiment inquiet sur l’avenir de l’activité dans cette région. Pour Steve Hagimont, qui a pourtant démontré la capacité des acteurs à renouveler sans cesse les attraits des Pyrénées, même (et surtout) en temps de crise, tourisme et protection de la nature sont aujourd’hui à la croisée des chemins, au point de se demander (objet du dernier paragraphe de la conclusion, écrite durant la crise sanitaire de 2020) si tous ces héritages ne vont pas, pour reprendre la chanson d’Alex Beaupain, terminer sous une « poussière lente ».