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Mobilités touristiques

Date limite de soumission : 31 août 2023

Numéro coordonné par :

  • Étienne Faugier, maître de conférences en histoire, Université Lumière Lyon 2, Laboratoire d’études rurales

  • Léopold Lucas, maître de conférences en géographie, Université du Littoral Côte d’Opale, Laboratoire TVES

Alors que les pratiques semblent non seulement retrouver leur niveau d’avant pandémie du Covid-19, mais plus encore ne pas avoir changées, les sphères médiatique et scientifique insistent sur l’idée d’une crise en se focalisant sur les excès et inconvénients du tourisme. Ce sont plus largement les mobilités, « concrètes » (Roche, 2005) ou sociales (Merllie et Prévot, 1991), qui sont remises en cause. Il est question de « surtourisme », facilité notamment par les moyens de transport massifiés, et de tensions sociales entre touristes et locaux autour des ressources (eau, espace, par exemple). Devenue une notion clé des sciences sociales depuis une vingtaine d’années et le mobility turn (Sheller et Urry, 2006), la « mobilité » émerge aussi, dorénavant, comme une thématique centrale du débat public. Ce sont bien toutes les dimensions du système de mobilité – c’est-à-dire les valeurs sociales, les conditions (géographiques, économiques, politiques, sociales) et les technologies – qui font l’objet de controverses.

L’objectif de cet appel à communications est précisément de réinterroger les mobilités touristiques, dans une perspective contemporaine ou historique, que ce soit en abordant les techniques et technologies mobilisées, le contrôle des déplacements (passage des frontières, surveillance des traces numériques, etc.), l’évolution des accessibilités ou les inégalités d’accès, l’hybridation avec d’autres formes de mobilité (loisir, travail, migration, etc.), l’évolution des valeurs morales associées aux modes de transport (par exemple, l’émergence du flygskam, cette honte de prendre l’avion, le tourisme comme facteur de différenciation sociale…), etc. Prendre au sérieux la mobilité comme pratique nécessite de saisir l’expérience qui peut en être faite par les individus tout autant que les conditions de possibilité qui l’informent.

L’expérience d’une mobilité touristique renvoie tout d’abord à une pratique de lieux. John Urry (2000) avait en effet très justement souligné que la mobilité, loin de procéder à une déterritorialisation, implique des infrastructures spécifiques fortement intégrées, qui forment autant de nœuds et orchestrent de nouvelles formes de vie sociale (gares, hôtels, aéroports, etc.). Or, l’expérience des moyens et des lieux de la mobilité par les touristes a peu été abordée (Johnson, 2010 ; Larsen, 2001 ; Mondou et Taunay, 2016 ; Scuttari, 2021). Pourtant, ces espaces – à la fois les véhicules et les infrastructures donc – constituent un aspect essentiel de la mobilité touristique, et ce à double titre. Ils peuvent tout d’abord être l’objet d’une pratique touristique en eux-mêmes – on pense par exemple à une croisière ou à un trajet dans l’Orient-Express. Mais ils sont aussi, plus communément, les moyens de déplacement ou les lieux de passage – de plus en plus sophistiqués, confortables et complexes à habiter (par ex. les aéroports) –, où les individus passent un temps important et qui occupent une place stratégique dans le séjour. Ces espaces ne sont plus seulement des lieux de transit, des non-lieux, mais des lieux d’interactions et d’expériences. Le concept d’expérience (Decroly, 2015) nous autorise en effet à appréhender la signification individuelle d’une pratique, sa dimension émotionnelle, affective (Bissell, 2010 ; Jensen et al., 2015) : ce n’est évidemment pas la même chose de dormir à même le sol dans un aéroport bloqué par une éruption volcanique que d’attendre son vol dans le lounge d’une compagnie aérienne, ou encore d’attendre un taxi collectif au bord de la route que de réserver un VTC sur une application. Mais ce concept permet également d’aborder la pratique touristique des transports comme une expérimentation qui ne va pas de soi, (potentiellement) problématique, et qui nécessite la mobilisation de connaissances et de compétences. Gérer la combinaison de plusieurs modes de transports est une affaire complexe, qui nécessite un savoir-faire. Les mobilités touristiques révèlent le pouvoir d’action des individus (Lucas, 2018), qui relève pleinement d’apprentissages ou de motilité (Kaufmann, 2008 ; Lofgren, 2008 ; Gaugue, 2012) dont il faut poursuivre et développer l’analyse.

Cet appel à communications invite donc à envisager l’expérience touristique des espaces de la mobilité : comment ces lieux sont-ils pensés, construits ? Ont-ils évolué avec le temps ? Comment sont-ils habités par les touristes, aujourd’hui comme hier (par exemple la pratique d’une gare par les touristes fin XIXe) ? Quelles pratiques ces derniers réalisent-ils pendant cette mobilité ? Comment les individus gèrent-ils la plurimodalité des transports ? Quel sens donnent-ils au mode de transport utilisé (la remise en cause de l’avion en raison du réchauffement climatique montre que ce choix peut également revêtir une considération politique) ? Il convient pour cela de saisir les différentes dimensions de cette pratique : interactions sociales, arbitrages économiques, discours et postures politiques, considérations légales, aspects technologiques, etc. Les propositions qui développeraient l’investigation de cette expérience des mobilités touristiques par les femmes (Ueckmann, 2020), dans des régions du monde non occidentales (Mondou et Taunay, 2016 ; Roy et Hannam, 2013) ou à d’autres époques (Llinares, 2009) sont tout particulièrement encouragées.

Cette expérience de la mobilité touristique est aussi une pratique plurimodale. Or, les recherches se concentrent bien souvent sur un seul mode de transport, avec par exemple un intérêt tout particulier des historiens pour le chemin de fer (Blancheton et Marchi, 2011 ; Conlin et Bird, 2014 ; Mettetal, 2022) et l’automobile (Harp, 2008 ; Butler et Hannam, 2012 ; Faugier, 2013 ; Vilar-Rodriguez et Vallejo-Pousada, 2021). On a, d’une certaine façon, et pour des considérations heuristiques, segmenté la mobilité touristique pour en isoler des étapes et faire comme si elles fonctionnaient de façon autonome, indépendante (Bertho-Lavenir, 1999 ; Gay et Mondou, 2018). Or, dans la pratique, un touriste va emprunter plusieurs moyens de locomotion : la mobilité touristique repose sur l’usage d’une succession de modes de transport. Mathieu Flonneau (2012) soulignait à juste titre la nécessité d’appréhender le lien entre transport et tourisme dans une perspective plurimodale. C’est donc l’articulation de ces différentes façons de se déplacer au cours d’un trajet touristique, de même que sa prise en compte ou non par les opérateurs de transport concernés (s’inscrivent-ils dans une logique de concertation ou de compétition ?), qu’il convient de saisir pour envisager le trajet dans son ensemble. Saisir l’intermodalité de la mobilité touristique reste un défi de connaissance, que cet appel à communications invite à relever.

Cette approche permet d’esquisser un certain nombre d’autres questions de recherche à explorer : comment cette expérience de la mobilité touristique a-t-elle été informée par les opérateurs (entreprises, associations, clubs) du transport ? Comment les professionnels du tourisme (agences de voyage, complexes hôteliers, éditeurs de guides touristiques) ont-ils appréhendé l’expérience mobilitaire ? Dans la poursuite des travaux engagés récemment pour parvenir à une histoire des transports et des mobilités (Baldasseroni et al., 2022 ; Guigueno et Flonneau, 2009), une autre ambition de ce numéro de Mondes du tourisme est d’inciter les chercheurs à (re)questionner les sources (guides touristiques, récits de voyages, revues des associations de transport, documents officiels ou archives d’entreprises) à la lumière de ce tournant mobilitaire.

Cette perspective de l’expérience est également une porte d’entrée pour analyser les liens entre mobilités touristiques et mobilités sociales. On peut faire l’hypothèse que la mobilité touristique participe à l’acquisition de ressources sociales, culturelles et pratiques. Ces ressources prennent des formes sociales variées, qui peuvent ou non soutenir des mobilités sociales. Quelles sont les conditions sociales de transformation de ces ressources en capitaux ? Dans quelle mesure ces ressources peuvent-elles être mobilisées pour une ascension sociale ? Lorsque c’est le cas, comment celles-ci s’articulent-elles avec les autres dimensions d’une trajectoire sociale ascendante ? Il s’agit de penser les différentes formes de capital engagées lors des mobilités touristiques : quels choix touristiques (durée, destination, modes de transport privilégiés, activités culturelles envisagées, etc.) pour quels budgets ? Quelles mobilités touristiques pour les nouvelles classes sociales émergentes en Asie et surtout en Afrique (Cousin et Réau, 2009 ; Despres, 2017) ? À l’opposé, quelles mobilités sociales pour les sociétés réceptrices de mobilités touristiques (l’économie présentielle) ? Quid des individus contraints de se déplacer pour alimenter l’industrie touristique en main d’œuvre (Jeux olympiques, Coupes du monde, etc.) ou encore devant quitter le territoire pour laisser la place aux touristes (Bidet et al., 2023) ? Enfin, comment l’insertion socio-spatiale des touristes s’effectue-t-elle au sein des territoires et des sociétés ?

Les propositions d’articles sont attendues pour le 31 août 2023, sous la forme d’un résumé de 300 mots envoyé aux coordinateurs du numéro (etienne.faugier@univ-lyon2.fr ; leopold.lucas@univ-littoral.fr). Un séminaire de recherche sera organisé à l’automne (novembre 2023) avec les auteurs des articles retenus (informations données le 17 juillet). Une première version de l’article sera attendue en mars 2024 (voir Consignes aux auteurs) pour une publication du numéro fin 2024.

Bibliographie

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Jennifer Bidet, Hugo Bréant, Amélie Grysole, Anton Perdoncin, Liza Terrazzoni et Simeng Wang (dir.), Se (dé)placer : mobilités sociales et migrations, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2023.

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