• 1 Pour une synthèse récente sur ces productions théoriques, cf. Jouanna, 2013.
• 2 Hotman, 1574 : 60 ; Bèze, 1575 : 69–70.
• 3 Hotman, 1574 : 103–104.

1 Alors que le 16^e siècle apparaît en France comme une période particulièrement féconde pour les réflexions relatives à l’étendue des droits du Prince et aux formes institutionnelles sur lesquelles celui-ci doit s’appuyer1, il est frappant de constater l’absence presque complète de référence à l’organisation politico-institutionnelle de l’Empire allemand dans ces débats. Ainsi, si l’on s’attache à deux des textes les plus critiques de la pratique du pouvoir royal français après la Saint-Barthélemy, la Gaule Françoise de François Hotman (1574) et le traité Du Droit des magistrats sur leurs subjets de Théodore de Bèze (1575), on n’y trouve que trois mentions discrètes à l’Empire. Encore s’agit-il, dans deux cas, d’une simple évocation du mode d’élection des empereurs2 et, dans le troisième, d’une vague mise en correspondance des pratiques institutionnelles allemandes avec l’idéal aristotélicien de régime mixte3.

• 4 Un recensement à finalité fiscale, conduit en 1575, rapporte, prévôté par prévôté, le nombre de feu (...)

4 Il en va autrement dans les duchés de Lorraine et de Bar. L’État ducal, dont la population est francophone à 90 %4, comprend également des territoires germanophones dans la partie septentrionale du duché de Lorraine ; il s’agit principalement de ce que le pouvoir ducal appelle le bailliage d’Allemagne, dont le siège est la ville de Walderfangen, ou Vaudrevange en langue romane (aujourd’hui Wallerfangen, dans le Land de Sarre). L’existence de territoires germanophones soumis à l’autorité ducale implique la présence à la cour de Nancy d’un personnel maîtrisant l’allemand, qu’il s’agisse de nobles du bailliage détenant des offices auliques (Fersing, 2017 : 676–677) ou de secrétaires de la chancellerie spécialement pourvus de cet office en raison de leurs compétences linguistiques (Fersing, 2017 : 595–596). Du reste, les duchés appartiennent officiellement à l’Empire, même s’ils ont obtenu un statut spécifique par le traité de Nuremberg du 26 août 1542, qui leur reconnaît l’indépendance judiciaire – c’est-à-dire l’impossibilité d’appeler des sentences des tribunaux ducaux devant la chambre impériale de Spire – et modère leur participation aux finances impériales à hauteur des deux tiers de la contribution d’un électeur (Duvernoy, 1933 ; Fersing, 2017 : 45–48). Enfin, la proximité géographique du cœur de l’Empire explique que des savants allemands séjournent régulièrement en territoire ducal, dans un cadre universitaire (Fersing, 2017 : 197–200) ou non (Cullière, 2013).

• 5 Département de la Meuse, arrondissement de Commercy et canton éponyme.

5 Ces caractères ont valu aux pays de la couronne ducale de Lorraine d’être qualifiés de territoires d’entre-deux (Jalabert, 2013), influencés aussi bien par le modèle royal français que par l’Empire allemand. Cela se vérifie sur le plan de la connaissance des institutions des deux ensembles et des usages politiques qui en sont faits, comme en témoigne le document qui nous intéresse ici. Il s’agit d’une requête présentée au duc par la noblesse du bailliage de Saint-Mihiel5 à la suite d’une réforme des institutions judiciaires locales ayant eu lieu quelques années plus tôt, par laquelle le pouvoir ducal a substitué à l’ancienne institution des Grands Jours de Barrois, juridiction aristocratique et collégiale, un tribunal composé de juristes gagés par le Prince (I). L’opposition des gentilshommes sammiellois est d’abord motivée par leur conception de la place que doit tenir le second ordre dans le service du Prince et par la crainte d’y être progressivement remplacés par des hommes nouveaux, préférés en raison de leur maîtrise du droit savant. Il est cependant intéressant de noter que cette évolution redoutée, que les auteurs interprètent comme le résultat de la trop grande influence dont les gens de robe disposent auprès du Prince, est vue comme un dévoiement des institutions lorraines dans le sens des usages français (II). A contrario, les nobles du bailliage de Saint-Mihiel regardent les institutions impériales allemandes comme un modèle de contrôle du Prince par les États et de partage des responsabilités entre noblesse d’extraction et gens de robe, ce qui les conduit à en faire une source d’inspiration afin de proposer au duc une réforme alternative pour le système judiciaire de leur bailliage (III).

• 6 Ce syntagme désigne la partie septentrionale du duché, qui relève formellement de l’Empire, tandis (...)
• 7 Pour le style de 1449, Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 289 et B 914 ; celui de 14 (...)

6Au milieu du 16^e siècle, le système judiciaire du duché de Bar repose, pour l’essentiel, sur l’ordre juridictionnel conçu par les comtes de Bar avant l’union personnelle entre les deux couronnes lorraines en 1480. La justice souveraine y est rendue, pour ce qui est du Barrois non-mouvant6, par une juridiction connue sous le nom de Grands Jours de Barrois, établie à Saint-Mihiel, qui s’est séparée de la cour du comte à la fin du 13^e siècle (Bouyer, 2014 : 503) et a acquis une compétence générale en matière d’appels interjetés des tribunaux bailliagers dans le courant du 14^e siècle (Bouyer, 2014 : 521–522). Cette juridiction, qui siège deux fois par an au début du 15^e siècle, est un tribunal aristocratique de pairs, où sont convoqués tous les vassaux du Prince, assistés par quelques hommes de robe, pour juger les affaires inscrites au rôle. Au 15^e siècle, l’institution s’est professionnalisée, avec l’adoption de styles7 – c’est-à-dire de procédures formalisées pour l’instruction et le jugement des affaires – et l’augmentation de la proportion de juristes en son sein (Bouyer, 2014 : 504–505) ; la cour reste cependant pour le second ordre barrois un outil de contrôle du pouvoir princier, autant qu’une source de rétributions symboliques, à la manière des Assises de l’Ancienne Chevalerie de Lorraine, dans le duché voisin (Motta, 2012 : 108–122).

• 8 Cette ordonnance a été éditée dans Ibid. : t. I, 386–399.
• 9 Ibid. : t. I, 388–390.
• 10 Ibid. : t. I, 388.
• 11 Les Rosières n’ont pas bénéficié de lettres patentes d’anoblissement connues provenant de la chance (...)

7 Cette architecture juridictionnelle est profondément transformée par l’ordonnance du 8 octobre 1571, qui institue à Saint-Mihiel un « siège permanent & perpétuel » pour connaître les appels du Barrois non-mouvant8. La nouvelle cour doit siéger au moins tous les trois mois et davantage si nécessaire9 ; elle est composée d’un président, de quatre conseillers, d’un greffier et de deux huissiers, tous gagés par le duc et qui ont l’obligation de résider à Saint‑Mihiel10. Le profil des hommes pourvus des offices nouvellement créés permet de prendre la mesure de la rupture que constitue l’établissement de la cour de Saint-Mihiel : sur les cinq hommes, quatre sont diplômés en droit et quatre sont des anoblis ; un seul, Antoine de Rosières, peut se prévaloir d’une noblesse plus ancienne11, mais il est bien intégré au monde de la robe ducale par des liens familiaux, comme le sont également les quatre autres officiers.

• 12 Nous empruntons cette notion à Jean-Philippe Genet, qui l’entend comme l’ensemble des individus cap (...)
• 13 B 681, n° 40, « Responce de monseigneur Sur la Remonstrance a luy faictes par les gentilzhommes et (...)
• 14 Ibid., f°1.

8Les propriétés sociales des officiers accédant aux nouvelles magistratures rendent manifeste l’un des principaux effets politiques de l’ordonnance de 1571, à savoir l’éviction de la noblesse de la participation aux jugements de dernière instance. Une telle offensive contre l’un de ses plus considérables privilèges conduit la noblesse du Barrois non-mouvant à adresser au pouvoir ducal une protestation prenant la forme de griefs adoptés par les députés de la noblesse lors des États du bailliage de Saint-Mihiel, en mai 1579. Ce délai de près de huit ans peut étonner, mais il tient à l’évolution du mode de représentation de la société politique12 lorraine, qui prend de plus en plus la forme, au 16^e siècle, de sessions des États Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, réunis à Nancy, plutôt que d’États de bailliage (Lapointe, 2015 : 17–20). Or, les États Généraux sont dominés par l’Ancienne Chevalerie de Lorraine, une aristocratie fermée définie au milieu du 15^e siècle (Motta, 2012 : 57–102, 122–139), peu intéressée aux affaires barroises, aussi les gentilshommes sammiellois préfèrent-ils recourir aux États de bailliage pour présenter au Prince, entre autres griefs, une protestation relative à l’ordonnance de 1571. Le duc y répond sèchement, en ordonnant à propos de la nouvelle cour « de la maintenir et co[n]server en son integrité13 », ce qui conduit les députés du second ordre à lui faire parvenir en décembre un mémoire de vingt-neuf pages manuscrites, d’une écriture serrée, destiné à « esclaircir plus distinctement a Son Altesse14 » leur doléance relative à la justice. Un tel document, rare dans l’espace lorrain, offre un moyen d’approcher les représentations des gentilshommes de la région et d’identifier leurs objectifs politiques ainsi que les modèles qui les leur ont suggérés et les stratégies qu’ils déploient pour les atteindre.

• 17 Ibid., f°4.
• 18 Ibid., f°4 v.

11 Outre cette hostilité aux « subtilitez » du droit universitaire, les gentilshommes estiment que le juge doit avoir une autorité personnelle, dans la mesure où « la justice est d’autant plus respectee qu’elle est administree par gens dignes et signalez17 » et que son efficacité est déterminée « par lapparence aussy bien que par la capacité de ceulx qui l’exercent18 ». Cette conception, bien faite pour appuyer les revendications de la noblesse barroise, correspond à une idée largement répandue dans les sociétés de la première modernité, que Christophe Blanquie propose de désigner comme la théorie de l’inhérence : à la dignité d’un office doit correspondre la dignité de la personne qui en est pourvue, de sorte que celle-ci puisse exercer sa mission sans avoir à se prévaloir de sa fonction (Blanquie, 2001 : 284–291).

• 19 B 681, n° 40, « Trois requestes […] », non folioté, f°4 v.
• 20 Ibid., f°2.
• 21 Ibid., f°10 v et 11.
• 22 Ibid., f°14.
• 23 Ibid., f°15 v. Pour rappel, les épices sont des droits perçus par les magistrats auprès des justici (...)
• 24 Il s’agit d’un vin sucré et épicé, dont l’invention est attribuée à Hippocrate, de qui en provient (...)
• 25 Ibid., f°12 v.

12 A contrario, la réforme de 1571, en confiant la justice souveraine à un corps uniquement composé de gradués en droit, paraît aux gentilshommes n’avoir pu être conçue que par « ceulx qui n’y apportent que leur interest particulier, du tout distinct voire entierement contraire au bien public19 », contrairement aux nobles, dont l’intérêt est « conjoinct avec celluy du public20 ». Ceux-là sont les gens de robe, qui veulent « faire des proces pour f[ai]re des amandes21 » et qui obtiennent du duc des mesures favorables par « surprises et Importunitez22 ». Les gentilshommes les décrivent comme cupides, levant des épices deux fois supérieures à celles que pratiquaient les nobles lorsque fonctionnaient les Grands Jours de Saint-Mihiel23, ivrognes, tenant des banquets où coule l’hypocras24, irrespectueux des ordonnances ducales, essayant d’étendre leur juridiction au premier degré alors que leur cour n’est conçue que pour l’appel25. Les gentilshommes leur prêtent encore la pratique de comploter entre eux pour accroître leurs revenus :

• 28 Ibid., f°2 v.
• 29 Ibid., f°3.
• 30 Ibid., f°5.

15Les lois anciennes sont bonnes parce qu’elles sont anciennes et comme les nobles sont les gardiens « des anciens Statutz de noz peres et des premieres loix28 » – « d’autant que lantiquicté approchoit de plus pres de la divinité29 » –, le Prince aurait été bien inspiré de prendre leur avis avant de réformer l’organisation juridictionnelle du Barrois non-mouvant. Au contraire, en confiant imprudemment la justice à des juristes savants, le duc ne peut que préparer une ruineuse prolifération des procédures judiciaires, tandis que, les gentilshommes évincés de cette mission qui leur revient de nature, « la vertu demeureroit frustree de son loyer30 ».

• 31 Ibid., f°4. Sur le degré de véracité de cette affirmation, Autrand, 1981 : 167–201.
• 32 B 681, n° 40, « Trois requestes […] », non folioté, f°4.
• 33 Ibid.

16 Les auteurs de la remontrance estiment qu’avec la réforme de 1571, le duc Charles III expose ses états à connaître la même altération de la justice que celle qu’a connue le royaume de France. Les gentilshommes sammiellois proposent en effet une interprétation de l’histoire politique du puissant voisin occidental : le royaume disposait au 14^e siècle d’institutions équilibrées, lorsque les conseillers au parlement de Paris étaient dans leur majorité « des gentilzhomes quilz appelloient laiz, s’appellant lors Clerz les gens de robe longue31 », ce qui dura « jusques a ce que les Estatz faictz venaulx, La noblesse estimant la chose indigne, ou peult estre espuisee d’argent par occasion des guerres32 » cessa sa participation aux institutions judiciaires. Les gentilshommes ajoutent que « la grace de ce bon Dieu et la prudence du Roy et de son Conseil sont bien à implorer pour le Restablissement de l’ancienne observance et bon ordre qui jadis y estoit33 ».

• 34 Ibid., f°2 v.
• 35 Ibid.

17Conscients qu’il leur serait difficile d’obtenir le retour à la situation antérieure à 1571, les auteurs de la remontrance avancent que « sil y avoit de lincommodité, lon y pouvoit remedier34 » sans « recourir d’une extremité à l’autre, et de se brusler pour ne se noyer35 » et proposent donc au duc une juridiction alternative à la cour fraîchement installée à Saint‑Mihiel.

• 36 Ibid., f°2.
• 37 Ibid. Le terme « souveraine » est rayé dans le texte d’origine.

18 En dépit de leur confiance dans l’excellence des lois anciennes, les gentilshommes du bailliage de Saint-Mihiel reconnaissent qu’« il y avoit de la confusion, beaucoup de fraiz bien grands et ung bien lent effect de la justice esperee par voz sujectz en lordre qui y estoit auparavant suivy36 » et qu’en conséquence, « L’establissement de la Court souveraine des haultz Jours de Sainct Mihiel sembloit bien estre requis pour le soulagement du public37 ». De la nécessité d’établir une cour permanente ne découlait cependant pas, dans l’esprit des auteurs de cette requête, que celle-ci dût être entièrement composée de gens de robe.

• 38 Ibid., f°3 v.

19 Les gentilshommes proposent donc au duc une voie d’institutionnalisation de la justice distincte de la vieille juridiction aristocratique des pairs, devenue de leur propre aveu insatisfaisante, mais susceptible de conserver au second ordre sa prééminence en matière de justice. Leur source d’inspiration est « lallemagne, Dont il semble que les coustumes de voz pays ayent pris leur premiere Origine38 ». L’Empire apparaît sous la plume des gentilshommes comme un modèle de contrôle du pouvoir du Prince (ici, l’empereur) par les États (ici, la Diète d’Empire) et de mise en valeur des vertus de la noblesse :

• 40 Duchhardt, 2013 : § 4–5.

20Une telle présentation de la Chambre de justice impériale est conforme aux dispositions de l’ordonnance de création de la cour en 1495, rappelées ensuite en 1507 et 1521, mais elle ne correspond plus à la réalité socio-institutionnelle de cette juridiction, puisque la parité entre nobles et juristes parmi les assesseurs a été supprimée au milieu des années 1550, faute de nobles qualifiés désireux de servir40.

• 42 Dans le livre des comptes du trésorier général de Lorraine rendu pour l’année 1585, 600 francs sont (...)
• 43 Ces quelques comptages ont été faits au moyen de la base de données réunissant des notices portant (...)

23À l’évidence, la proposition des gentilshommes n’a pas convaincu le Prince puisque celui-ci ne revient pas sur sa réponse du mois de mai et ne procède à aucune modification de l’ordre juridictionnel du Barrois non-mouvant. Une telle attitude correspond à la ligne politique adoptée par Charles III, qui s’efforce à partir de la décennie 1560 de réduire les prérogatives traditionnelles de la noblesse d’extraction, au risque de dégrader ses relations avec celle-ci. Ce risque est en partie réduit par l’extension rapide de la cour de Lorraine, dont le nombre d’offices auliques double entre 1570 et la fin des années 1580 (Fersing, 2017 : 829–832), ce qui permet au duc de s’assurer de la fidélité de plusieurs dizaines de nobles influents à l’échelle locale. Au cours de la décennie 1590, la pérennisation de la fiscalité ducale (Fersing, 2014) et la formation d’une armée au service du Prince (Fersing, 2019) renversent le rapport de force, privant les nobles de moyens de pression efficaces sur le pouvoir ducal. La cour de Saint-Mihiel est dans ce contexte maintenue sans modification majeure jusqu’à l’occupation française, en 1633. Un office de conseiller supplémentaire est créé en 1601 et le profil des officiers pourvus au « parlement de Saint-Mihiel » – l’expression apparaît à la fin du 16^e siècle42 et devient ensuite de plus en plus fréquente – reste inchangé : sur les 31 présidents et conseillers qui se succèdent entre 1571 et 1633, 17 sont titulaires d’un diplôme de droit (onze licenciés et six docteurs) et 25 sont des anoblis (neuf bénéficiaires de lettres patentes d’anoblissement et seize descendants d’anoblis)43. Dans les territoires concernés, cela implique une transformation considérable des rôles respectifs des nobles et du prince : les premiers ont été entièrement évincés de l’administration de la justice et ne conservent comme rôle politique que leur influence aux États, tandis que le second peut désormais à loisir nommer et révoquer les juges de dernière instance et déterminer entièrement les conditions dans lesquelles ils rendent la justice.

• 44 Ce faisant, les nobles auraient d’ailleurs reproduit leurs succès du 15^e siècle. Christophe Rivière (...)

25Inacceptable pour le duc, cette proposition révèle cependant la possibilité d’une trajectoire politique alternative pour les duchés de Lorraine et de Bar, qui aurait pu se concrétiser si la noblesse d’extraction avait su conserver la force politique qui était la sienne : celle d’une étatisation accrue de la société des duchés, mais sous contrôle nobiliaire via les États Généraux44. La noblesse apparaît ainsi sous un jour un peu différent de l’image qui a longtemps été la sienne dans l’historiographie française, comme un groupe rétif à l’étatisation et finalement écrasé par celle-ci, ou précocement domestiqué par l’extension de la société de cour, selon le modèle éliassien. A contrario, les gentilshommes du bailliage de Saint-Mihiel font preuve à travers la requête de décembre 1579 d’une inventivité institutionnelle certaine, appuyée sur une connaissance des usages des pays voisins et bien faite pour limiter efficacement les droits du Prince. Si les entreprises de ce type ne sont pas parvenues à imposer la noblesse organisée en assemblées d’États comme un acteur politique incontournable en France, malgré quelques tentatives en ce sens comme l’assemblée de 1651 (Constant, 1989 : 284–290), une telle évolution joue un rôle central dans l’Empire, où la noblesse, dominant les diètes territoriales protégées par le pouvoir impérial, limite réellement le pouvoir des Princes (Duhamelle, 1999 : 150–155). De ce point de vue, l’État ducal lorrain fournit l’exemple d’une trajectoire politico-institutionnelle intermédiaire entre la monarchie française, réputée absolue, et le système impérial germanique dans lequel la noblesse participe activement au développement de l’État territorial, mais à son propre profit.