1Cette thèse porte sur l’étude de l’appréhension d’un mot d’ordre politique, diffusé au niveau européen, à savoir la lutte contre les « sorties scolaires précoces » (« early school leaving »). Ce travail de recherche s’intéresse à la formulation et diffusion du problème à travers l’analyse de documents politiques français et allemands matérialisant sa mise à l’agenda à différents niveaux de l’action éducative. Il est aussi question dans cette partie portant sur l’analyse de discours tenu par les décideurs politiques français et allemands de voir de quelle manière les formulations de la Commission Européenne sont reprises, réarrangées, diffusées par deux pays dont les institutions sont prises dans les dynamiques de la « méthode ouverte de coordination » ; un instrument visant à la coordination et l’uniformisation des politiques publiques sociales, de santé ou encore d’éducation des pays membres. L’indicateur « early school leaving » est dans ce contexte un outil de comparaison et de concurrence visant l’émulation et la diffusion de « bonnes pratiques » afin d’atteindre un seuil de performance défini par les instances européennes auxquelles ces mêmes pays participent également. Il ne s’agit donc pas de penser le souhait vers plus de « standardisation » (Desrosières, 2014) d’un point de vue uniquement top-down, mais plutôt comme des mouvements de va-et-vient entre les institutions politiques et éducatives à différents niveaux de l’action publique. Il s’agit également d’examiner ce que font les acteurs de terrain des « recommandations » ou injonctions visant à guider leur pratique. Le concept analytique de « structure d’opportunité » permet d’analyser les données issues de l’analyse de discours et de la recherche ethnographique en cela qu’il inclut « différents niveaux et différents moments » en interaction permanente (Walther and al., 2016) : Les discours cadrant les perceptions et les expériences vécues, le contexte institutionnel et organisationnel qui fournit un schéma directeur pour le travail dans les institutions éducatives et les interactions sur le terrain.

2Dans cette perspective, la recherche consiste également en une enquête concernant les perceptions qu’ont ces acteurs (principaux, enseignants, personnels non enseignants) de ce problème construit dans les termes du projet européen d’une « Europe de la connaissance » « compétitive », « performante économiquement » et socialement « plus cohésive ». En cela, la recherche souhaite discuter le point de vue selon lequel les acteurs de l’école auraient un rôle déterminant à jouer. Dans quelle mesure ces derniers, pris dans leur diversité, perçoivent-ils leur responsabilité quant à la lutte contre les « sorties précoces » ou encore leur capacité concrète pour peser face aux problèmes et difficultés diverses et variées qui peuvent influer négativement sur une trajectoire éducative ? Quelle légitimité accordent-ils à ce nouveau combat, à la lumière de la nature historiquement sélective des systèmes éducatifs allemands (Bade-Wurtemberg) et français, et des récents discours qui s’alarment aujourd’hui de la « massification » de l’enseignement supérieur ?

3La diversification croissante des professionnels œuvrant au sein d’un même espace, mais dotés de capacités d’influence différentes, la force des injonctions contradictoires ainsi que la différentialisation des paysages éducatifs locaux (boom du privé, phénomènes de ségrégation, création de nouvelles structures parallèlement à la conservation des anciennes) sont des phénomènes communs rencontrés par la France et l’Allemagne certes dans des temps et des dimensions différents, mais producteurs de puissants mécanismes de dissociation.

4Cette thèse tente de saisir les tenants et les aboutissants de ce combat au nom d’une meilleure « égalité des chances » à et par l’école, et de la perception qu’en ont ceux en charge de la réaliser. À l’aune de cette année 2020 (l’horizon repris par la « Stratégie Europe 2020 » dans la continuation de la Stratégie de Lisbonne), cette thèse permet également de discuter l’influence de l’Union européenne sur les agendas nationaux, régionaux et locaux traitant d’éducation –jusqu’à ceux, parfois, des principaux. Elle propose une lecture interactive de la traduction de ce mot d’ordre mettant en lumière les filtres de nature structurelle, institutionnelle et individuelle mobilisés dans les discours et les usages. Enfin, cette thèse invite en conclusion à considérer urgemment la question éducative dans ses dimensions sociopolitiques. À l’heure de l’urgence climatique, de persistance des inégalités de classe et d’origine, de l’homogénéisation sociale de la classe politique, le « décrochage», qu’il soit des élèves ou des professionnels, peut être interprété comme un signal fort pour les décideurs politiques de ne pas voir dans cette question le seul problème de l’incompétence de l’école.