1Au terme de dix années d’occupation alliée (1945-1955), le statut international de l’Autriche changea. Le 26 octobre 1955, le Parlement autrichien adopta en effet la loi constitutionnelle sur la neutralité perpétuelle. Cette décision souveraine et unilatérale de l’État autrichien est néanmoins à mettre en relation avec le contexte du début de la Guerre froide. La signature du Traité d’État du 15 mai 1955, synonyme de retour de la souveraineté autrichienne, fut précédée de longues négociations, dont le Mémorandum de Moscou constitua une étape clé, bien qu’il fût dénué de tout caractère juridique contraignant. Dans cet accord conclu en avril 1955 avec les dirigeants soviétiques, la délégation autrichienne s’engagea à adopter une neutralité suivant le modèle suisse.

2La neutralité permanente adoptée par l’Autriche en octobre 1955 présenta très vite ses spécificités par rapport au modèle suisse. Dès 1955, l’Autriche signala, par son adhésion aux Nations unies, que sa pratique de la neutralité n’excluait pas une appartenance à une telle organisation internationale, alors que la Suisse ne franchit ce pas qu’en 2002. Cet engagement à l’international, tout comme la participation de forces autrichiennes à des missions de maintien de la paix, constituèrent très vite un élément essentiel de la politique de neutralité développée par la Seconde République d’Autriche.

3Ce travail de recherche présente les différents défis auxquels fit face la Seconde République d’Autriche et le rôle que joua la neutralité au sein des considérations stratégiques autrichiennes de 1955 à nos jours. L’accent est mis sur la traduction concrète de la neutralité dans le domaine de la défense, c’est-à-dire l’ensemble des moyens mis en place pour défendre la neutralité et le territoire autrichiens. La démarche est diachronique, car la politique de sécurité et de défense, tout comme l’interprétation juridique et politique de la neutralité, évoluèrent au gré de l’évolution du contexte international.

4Pour chaque époque sont exposés les principales caractéristiques de la neutralité, ses délimitations juridiques, son interprétation politique et l’usage diplomatique qui en a été fait, ainsi que la traduction de la politique de neutralité dans le domaine de la défense. L’attachement de la population autrichienne à la neutralité et son rôle comme élément constitutif de l’identité nationale autrichienne sont également interrogés, tout comme la dimension mythique peu à peu acquise par la neutralité.

5L’approche est résolument pluridisciplinaire, à la croisée des études germaniques, de l’histoire, du droit, des sciences politiques et des études de sécurité. Le corpus utilisé pour réaliser ce travail de recherche est composé de plusieurs types de documents. Les textes juridiques régissant le droit de la neutralité et les dispositions dans le domaine de la défense, des documents d’archives ainsi que des entretiens menés avec des acteurs du champ diplomatique et militaire constituent les principales sources de ce travail.

6La première partie de la thèse porte sur la période allant de 1955 à la fin des années 1960. Elle expose tout d’abord les fondements juridiques et le statut de la neutralité autrichienne, ainsi que les droits et les devoirs qui y sont associés. Ensuite sont présentés les différents défis auxquels fit face la Seconde République, liés notamment à l’insurrection hongroise de 1956 et au printemps de Prague de 1968. Ces crises, à proximité immédiate de l’Autriche, constituèrent des tests pratiques pour la neutralité et la préparation militaire autrichiennes. La mise au point progressive d’une politique de sécurité et de défense, dont la neutralité constituait le point d’orgue, est un axe fondamental de cette partie.

7La deuxième partie de ce travail de recherche se concentre sur les années 1970 et les années 1980, en suivant trois axes majeurs, qui correspondent aux principales considérations stratégiques autrichiennes et aux réactualisations des potentialités de la neutralité. Cette période, souvent désignée par “ère Kreisky”, du nom du chancelier de l’époque, place l’internationalisation et les moyens diplomatiques au cœur de la politique de neutralité autrichienne. Un autre chapitre présente en détail le développement de nouveaux concepts de défense et le rôle de la Bundesheer. À partir des années 1980, la politique d’intégration européenne constitue une nouvelle priorité stratégique, ce qui pose la question de la compatibilité de la neutralité permanente avec l’appartenance aux Communautés européennes.

8La dernière partie de ce travail est consacrée à la période postérieure à la fin de la Guerre froide et à l’entrée officielle de l’Autriche dans l’Union européenne. Y sont présentés l’évolution des défis de sécurité et les derniers développements de la politique de défense autrichienne. Les coopérations internationales en matière de défense et les risques de tension entre solidarité européenne et neutralité autrichienne sont également exposés.