La Scène et l’Amphithéâtre : sociologie et histoire de la discipline des études théâtrales en France et dans les deux Allemagnes (1945-2000)
Texte intégral
1Cette thèse porte sur l’histoire de la discipline des études théâtrales (Theaterwissenschaft) en France et dans les deux Allemagnes, de 1945 jusqu’au début des années 2000. Elle interroge les conditions historiques et sociales qui permettent de comprendre son apparition et son développement dans les différents contextes qu’elle a traversés, et ce malgré les oppositions structurales qui séparent longtemps le champ artistique et le champ universitaire. Mon hypothèse principale est que la constitution de cette discipline s’organise justement à la jonction des champs universitaire et théâtral, et au croisement de logiques locales, nationales et internationales. Pour intégrer ces différents niveaux d’analyse, ma démarche a combiné l’approche comparative et l’histoire croisée à partir des méthodes de la sociologie historique. La première partie, de l’immédiat après-guerre jusqu’au milieu des années 1960, s’intéresse à la genèse et/ou au renouveau de la discipline à travers l’étude comparée des différentes formes d’hybridation entre champs universitaire et théâtral en Allemagne de l’Ouest, en Allemagne de l’Est et en France. La seconde partie interroge l’expansion de la discipline au cours des années 1950 et 1960 en prenant pour objet les processus d’internationalisation et de politisation qui affectent simultanément universités et théâtres dans le contexte de la guerre froide. Enfin, l’accélération du mouvement d’institutionnalisation de la discipline des années 1970 jusqu’au début des années 2000 permet d’analyser, en France comme en Allemagne, la persistance des tensions entre l’histoire initiale des études théâtrales, marquée par une volonté réformatrice, et son intégration accrue au sein de l’ordre disciplinaire, lui-même en voie de transformation.
2Plusieurs résultats émergent d’une telle recherche. Premièrement, elle éclaire l’histoire des études théâtrales sous un jour nouveau, en mettant en lumière la porosité de cette discipline « interstitielle » vis-à-vis des conjonctures théâtrales et universitaires. Contre le régime de la « science normale » et l’impératif d’autonomie sur lequel il repose, cohabitent en effet au sein des études théâtrales enjeux scientifiques, enjeux esthétiques et enjeux politiques, qui ont été et restent encore largement homologues les uns des autres. La dimension transnationale de la discipline des études théâtrales a également été soulignée, à deux niveaux : d’une part à travers l’influence des modèles universitaires et disciplinaires étrangers – qui voit le poids de l’organisation des universités allemandes progressivement supplanté par le modèle anglo-américain, tandis que le projet soviétique est balayé après la chute de l’URSS – et d’autre part grâce au poids d’institutions transnationales comme la Fédération internationale pour la recherche théâtrale, qui contribuent à donner forme aux études théâtrales à l’échelle internationale. Tout au long de cette histoire, les études théâtrales portent les marques de cette histoire universitaire plus large, puisqu’elles oscillent – sans jamais trancher – entre l’idéal humboldtien de la recherche désintéressée et le modèle professionnel états-unien. Prendre pour objet les études théâtrales permet alors de s’intéresser à un enjeu central pour la sociologie et l’histoire récentes des universités : la multiplication des nouvelles disciplines, en particulier les studies. Ces disciplines sont difficiles à saisir, en particulier car elles font aujourd’hui l’objet de nombreuses polémiques ou encore car les nouvelles modalités d’organisation disciplinaire sur lesquelles elles reposent construisent des frontières mouvantes. Afin de contourner ce problème, mon travail a pris pour objet les caractéristiques communes qu’elles partagent en interrogeant les notions d’interdisciplinarité et de professionnalisation – toutes deux polysémiques et à haute teneur idéologique. Plutôt que du remplacement de l’ordre disciplinaire par un autre, la situation instable des études théâtrales témoigne ainsi de la coprésence actuelle de principes contradictoires d’organisation et de hiérarchisation des disciplines. Enfin, ce travail offre un regard décalé sur l’histoire du théâtre. En prenant la mesure de l’importance du processus d’internationalisation du champ théâtral au cours de la période et en soulignant ses effets profonds sur les différents contextes nationaux, il démontre les nombreux gains heuristiques d’une histoire transnationale du théâtre, attentive à la fois aux institutions internationales qui se développent tout au long du XXème siècle (comme l’Institut international du théâtre) et à la carrière d’artistes qui se joue en grande partie à cette échelle (comme celles de Bertolt Brecht ou d’Erwin Piscator).
Pour citer cet article
Référence électronique
Quentin Fondu, « La Scène et l’Amphithéâtre : sociologie et histoire de la discipline des études théâtrales en France et dans les deux Allemagnes (1945-2000) », Trajectoires [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 20 juin 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/trajectoires/7803 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trajectoires.7803
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