L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie en Chine, 1895-1918
Texte intégral
1L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, les deux grandes puissances germaniques du continent européen, sont alliées depuis 1879. N'ayant ni l'une ni l'autre de tradition coloniale forte hors d'Europe, toutes deux tentent de s'imposer dans l'arène mondiale. Dans le cas de l'Allemagne, cette politique coloniale, dont la montée en puissance correspond à la mise en place de la politique personnelle de Guillaume II, lui permet rapidement d'acquérir des territoires importants, en Afrique puis dans l'océan Pacifique. La période "impériale" de la politique austro-hongroise correspond quant à elle à l'arrivée au ministère commun des Affaires étrangères d'Agenor Gołuchowski (1896-1906).
2Allemagne et Autriche-Hongrie s'appuient sur des traités bilatéraux qui sont notamment le résultat de la rivalité austro-prussienne, afin d'obtenir en Chine un statut similaire aux autres grandes puissances occidentales. Ces traités leur octroient notamment la clause de la nation la plus favorisée, ainsi que le privilège de l'extraterritorialité pour les citoyens des différents Etats signataires. Ces deux clauses, cruciales, forment la base de tout impérialisme étranger en Chine.
3En cette fin de XIXe siècle, la Chine est l'une des dernières frontières coloniales. Après plusieurs décennies d'affaissement, après aussi les défaites militaires successives face au Royaume- Uni et à la France, un ultime revers dans la guerre sino-japonaise (1894-1895) semble donner le signal de la curée. C'est l'Allemagne qui le donne, en occupant puis en obtenant à bail le territoire de la baie de Jiaozhou, en 1897-1898. Elle avait déjà, à la fin de l'année 1895, négocié l'obtention de deux concessions dans les ports ouverts de Hankou et de Tianjin. L'Autriche-Hongrie, elle, avait déjà renforcé sa présence depuis 1897. En 1899, elle conçoit le plan d'obtenir son propre territoire de type Jiaozhou en Chine afin de tenir son rang de grande puissance européenne. Celui-ci, contrarié par la guerre des Boxers, n'est jamais mis à exécution.
4Les deux puissances, néanmoins, envoient un détachement de marins à Beijing, en 1898, pour protéger les légations étrangères ; elles deux participent à la répression des Boxers, en 1900- 1901 ; toutes deux enfin maintiennent, à la suite de cette guerre, des postes militaires en Chine du Nord, le long du chemin de fer Beijing-Shanhaiguan. L'Autriche-Hongrie, à cette occasion, s'octroie sa propre concession à Tianjin en 1900-1902.
5En 1861, c'est l'Allemagne qui donne l'impulsion à la conclusion d'une série de traités bilatéraux impérialistes avec la Chine ; en 1897-1898, c'est l'Allemagne encore qui provoque l'octroi de territoires à bail ; c'est aussi elle qui, en obtenant deux concessions en 1895, donnent à ce système le caractère microcolonial et national qu'il dut maintenir jusqu'à la Seconde Guerre mondiale ; c'est elle enfin qui mène le plus large nombre d'expéditions punitives lors de la guerre des Boxers. L'Autriche-Hongrie, elle, tente de maintenir son rang, dans un rapport difficile à son allié européen. Cette dernière, cependant, ne parvient pas à rentabiliser l'investissement financier et humain de cette aventure lointaine. L'Allemagne, elle, capitalise sur le prestige de sa victoire contre la France en 1871 et sur son savoir-faire militaire afin d'obtenir des sympathies, d'établir son influence et d'approfondir son impérialisme informel.
6Cet impérialisme informel de chacun des deux alliés, après cette première période de mise en œuvre (1895-1914), est directement mis à l'épreuve par la Première Guerre mondiale. Le commerce austro-hongrois en Chine est immédiatement anéanti, sa concession bénéficie surtout de l'exil des sociétés des Empires centraux vers les territoires aux mains allemandes et austro- hongroises, et elle doit maintenir une position défensive face aux efforts de guerre secrète des puissances de l'Entente.
7L'Allemagne fait de la Chine la base et la plaque tournante de la guerre secrète en Asie et se maintient bien au-delà de la capitulation de Qingdao (1914), après un combat sans espoir de victoire. Ses efforts de guerre secrète, massifs, coûteux, culminent durant l'année 1915. Ils concernent aussi bien le soutien aux indépendantistes indiens et vietnamiens, à certains politiques chinois dont Sun Yat-Sen, le prêche du jihad mondial, le renseignement et le sabotage des infrastructures militaires de l'Entente, que l'aide à l'évasion et au retour en Europe des réfugiés des camps sibériens. Il s'agit de constituer une menace sérieuse, sous la forme de terrorisme ou de guérillas, de harceler l'ennemi et de l'obliger à mobiliser hors d'Europe les ressources nécessaires à la pacification. L’Allemagne y réussit, et maintient même ses efforts en Chine jusqu'à l'armistice en 1918.
Pour citer cet article
Référence électronique
Mathieu Gotteland, « L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie en Chine, 1895-1918 », Trajectoires [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 20 juin 2022, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/trajectoires/7817 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trajectoires.7817
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