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Hollywood Transatlantique. Traversées visuelles, culturelles et sociales dans les films biographiques de William Dieterle (1936-1942)

Thèse de doctorat en études cinématographiques soutenue le 24 septembre 2021 à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Claire Demoulin

Texte intégral

1Cette recherche se consacre à un corpus de films biographiques réalisés par le cinéaste émigré allemand William Dieterle à Hollywood, entre 1936 et 1942. Elle interroge les relations qui se sont nouées, à cette occasion, entre le fonctionnement des studios où travaillait le réalisateur, un contexte historique particulier marqué par la migration germanique à Hollywood et le genre cinématographique biographique qui évolue pendant cette période.

2Parce que cette série de films intervient dans un contexte d’exil et de crises politiques, l’étude donne à voir la place centrale qu’y occupe la migration, ses médiateurs et ses réseaux d’émigrés. Elle met en relief les transferts culturels et les processus d’hybridations culturelles produisant le syncrétisme des référents européens et américains. Face aux injonctions éditées par la censure, la question centrale de cette recherche vise les interactions entre le cinéma et la société, à examiner les relations qui se nouent entre des univers sociaux et la fabrique de ces films, autant pour le regard qu’ils portent sur les mutations de la période, que pour les modes d’intervention qu’ils constituent.

3La première partie, qui porte davantage sur les personnes et leurs interactions, situe le rôle de Dieterle dans l’émergence, l’usage et les fonctions d’une nouvelle écriture de l’histoire par la biographie filmée dans le cinéma classique hollywoodien. Il s’agit d’articuler une lecture sociologique (la constitution de réseaux d’émigrés répartissant des artistes réfugiés autour des projets de Dieterle) à une lecture esthétique (des fictions qui apparaissent conditionnées par la marque et les formes de l’exil). Ce croisement montre, en retour, comment le genre se structure et s’exprime dans l’expérience du déracinement. Cette écriture biographique repose sur l’établissement de "correspondances temporelles" qui emploient les analogies assumant différentes fonctions. Nous en relevons trois types : analogies de situation, analogies discursives et analogies de personnalité. Il s’agit notamment de contourner la censure, d’édifier des contre-modèles ou encore de prendre position contre les fascismes.

4La seconde partie, se resserrant plus spécifiquement sur les thèmes des films, interroge le choix et le traitement privilégiés de personnalités scientifiques allemandes (Ehrlich, Reuter). Ces protagonistes sont porteurs de valeurs humanistes, universelles et sont les étendards d’une vision du "progrès". Si cet engouement pour les sujets scientifiques est singulièrement lié à un moment de popularisation de la science moderne, cette tendance à la pédagogie cinématographique renvoie également aux mutations sociales et sanitaires américaines de la période. Cependant, le cinéma apparaît ici pleinement révélateur des tensions de son temps, exposant les ambivalences entre les contenus visés, la syphilis par exemple, et la pudibonderie américaine. Ce qui fait polémique aux États-Unis se retrouve mis en relief dans ces films par le regard d’artistes émigrés allemands qui préfigurent les débats à venir. L’exploitation de la thématique scientifique, travaillée conjointement par Hollywood et des artistes émigrés, conduit alors à ériger les savants en héros de guerre. « Scientific soldiers », les personnages de Pasteur, Ehrlich ou Nightingale sont façonnés par un contexte de mobilisation culturelle et véhiculent un message militaire autant que sacrificiel. Ce faisant, l’opération transporte ce corpus dans une bataille culturelle, en miroir, entre les films de l’Allemagne nazie et ces biographies hollywoodiennes. Car ici, le progrès humain, les découvertes scientifiques, sont des actes créateurs, par lesquels un esprit visionnaire, entraîné à voir autrement, transforme le regard porté par d'autres sur le monde et in fine le monde lui-même. Cette quête du bien commun et au nom du bien commun dessine une collusion transatlantique au sens plein du terme, c’est-à-dire une entente non ouverte, car elle contourne la censure, au détriment d’un tiers, car elle désigne l’ennemi du moment, un ennemi raciste et nationaliste, et défend un modèle occidental progressiste, libéral et démocratique face à la menace nazie.

5La troisième partie expose plus précisément les types de discours sur les films et précise les modes d’adresse de ces films en direction des spectateurs américains. Donner forme à un dispositif de prise de parole revient, chez Dieterle, à mettre ses spectateurs face à face, regard-caméra, avec le danger qui menace leur propre démocratie. Celle-ci est devenue la valeur refuge et le type de progrès (politique) à défendre et à exalter. La transition qui pousse Dieterle à retenir des sujets exclusivement américains fait du réalisateur le conteur du passé de l’Amérique et invite à questionner le positionnement identitaire d’un émigré face au syncrétisme de référents culturels qui façonne le récit national américain. Après avoir retracé des biographies individuelles, étendards de valeurs universelles quoiqu’européennes, Dieterle conclut son cycle en déplaçant son point d’appui pour réaliser une biographie de la nation américaine par le biais de la musique de jazz. En s’entourant de ses réseaux et notamment de Brecht, d’Adorno et d’Horkheimer, il entend adresser, par l’histoire des constituants du jazz, une réflexion articulant Amérique, démocratie, crise sociale et minorité.

6À travers le cycle des biographies filmées de William Dieterle (1936-1942), cette thèse met au jour le rapport existant entre évolutions formelles et mutations sociales dans l’Amérique de l’avant-guerre. En ce sens, elle prend les traits d’une histoire enchevêtrée du culturel, du cinéma et du social, d’une histoire de subjectivités individuelles enchâssées dans des évolutions collectives, d’une histoire qui se condense dans un registre d’écriture – le biographique – qui magnifie à Hollywood des personnalités – Pasteur, Zola, Ehrlich, Webster, Johnson et bien d’autres – devenant alors des figures de l’histoire publique contée par l’Amérique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Demoulin, « Hollywood Transatlantique. Traversées visuelles, culturelles et sociales dans les films biographiques de William Dieterle (1936-1942) »Trajectoires [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 20 juin 2022, consulté le 17 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/trajectoires/7868 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trajectoires.7868

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