1Cet ouvrage nous propose, par le biais d’œuvres d’art, une approche historique de l’Italie de la fin du XV^e et du début du XVI^e siècle, époque où elle se présente comme une mosaïque de seigneuries, de villes indépendantes, de fières républiques, d’États grands et petits, toujours prêts à absorber les pays voisins ou en danger de se faire phagocyter par d’autres, époque qui voit aussi changer de statut certains membres du « peuple gras » qui, de riches marchands ou d’audacieux condottieri, s’ennoblissent en achetant, à des prix exorbitants, des titres à l’empereur. Lors de leur ascension politique, les principi novissimi engagent une véritable guerre, faite non pas d’armes, ni de négociations diplomatiques, mais bien d’expositions artistiques et culturelles. Au centre du volume campe donc l’idée de la committenza artistique comme forme de propaganda. De Laurent le Magnifique à Pandolfo Petrucci, cet essai analyse les rapports que ces seigneurs entretiennent avec les artistes entre 1395 et 1530. Ces derniers doivent exalter les qualités de leurs committenti, célébrer leurs origines mythiques, bref, donner une légitimité à leur administration du pouvoir.

2Nous assistons, surtout à partir de la deuxième moitié du XV^e siècle, à l’édification de nouvelles demeures princières, d’églises et de couvents, à la multiplication des fresques et des sculptures et à la naissance de précieuses bibliothèques. Les architectes se mêlent aux musiciens, aux peintres et aux lettrés qui animent la cour de façon permanente, sans parler du nombre d’artisans qui collaborent à l’exaltation du pouvoir durant les apparitions publiques du seigneur. La lecture des pages dédiées à la République de Venise permet d’apprécier davantage l’envergure de la mission des artistes dans les États princiers à cette époque. Dans la Serenissima, nous constatons la présence d’un art conservateur, impersonnel, le doge lui-même étant soumis à une stricte réglementation dans ses choix artistiques. La célébration des individus ne trouve place que dans les monuments funéraires et non dans l’espace public..

3L’ouvrage se compose de deux parties suivies d’un appareil critique comprenant une bibliographie commentée et un index détaillé des noms. Dans la première partie, les historiens offrent une vue d’ensemble de la littérature de la célébration et de la musique. La langue vulgaire devient une arme pour affirmer l’identité locale, étroitement liée à la figure du prince ; de même, la musique, définie comme instrumentum regni, participe de la caractérisation de l’image du seigneur chrétien, représenté en lutte contre les infidèles. De plus, la contribution de F. Somaini, avec ses cartes des États principaux et des États mineurs, des alliés et des suzerains, des Républiques et des domaines du Saint Siège, attire notre attention sur la composition géopolitique de l’Italie, entre alliances éphémères et politiques d’équilibre. Le « sistema di Stati », qui se maintient après la faillite de la Ligue Italique en 1455, s’affiche, à travers les « mappe » publiées dans l’ouvrage, comme une évidence.

4La deuxième partie aborde le lien entre art et politique par régions : les différentes contributions présentent un État, son prince et son programme artistique de célébration. Elles examinent l’histoire des familles qui prennent le pouvoir dans les villes italiennes, à travers l’expression artistique qui s’y développe. Toutes les contributions insistent sur l’idée de légitimation et de glorification de ces nouveaux seigneurs. L’édification de la statue d’Albert d’Este, sur la façade de la cathédrale de Ferrare, confirme l’acceptation, de la part de la commune, de la domination estense. L’extension de la ville opérée par Hercule d’Este, peu après la défaite infligée par Venise en 1484, se veut le miroir d’une nouvelle naissance de Ferrare, prête à résister à de nouvelles attaques et à accueillir, avec faste, de nouveaux grands alliés. À Mantoue, « La rencontre » entre le marquis Ludovic et le nouveau cardinal François, son fils, peinte par Mantegna dans la Chambre des Époux, illustre le système de relations politiques des Gonzague, par la présence d’une foule de personnages reconnaissables. Les exemples se multiplient. Nos yeux se posent sur de grands chefs-d’œuvre, de Tintoret à Raphaël. Cependant, en dépit d’un langage artistique spécifique, il ne s’agit pas d’un essai d’histoire de l’art, mais assurément d’histoire de la Renaissance italienne tout court. D’autre part, nous ressentons par moments un certain regret, une envie de voir pousser un peu plus loin l’analyse des magnifiques tableaux et des édifices, des statues et des monuments, parfois seulement évoqués dans ces pages, car chacun d’entre eux cache, au-delà d’un premier degré purement artistique, une signification seconde, politique et stratégique, se faisant ainsi, à travers un langage autre, message politique.