Carmine Pinto, Il brigante e il generale. La guerra di Carmine Crocco e Emilio Pallavicini di Priola
Carmine Pinto, Il brigante e il generale. La guerra di Carmine Crocco e Emilio Pallavicini di Priola, Rome – Bari, Laterza, 2022, 260 p.
Texte intégral
1Après le succès de son ouvrage La guerra per il Mezzogiorno. Italiani, borbonici e briganti, 1860-1870, publié chez Laterza en 2019, Carmine Pinto se penche ici sur le destin croisé de deux protagonistes majeurs du conflit qui a profondément marqué les débuts du Royaume d’Italie : le brigand Carmine Crocco (1830-1905), qui fut le chef de bande le plus célèbre dans le royaume après 1860, et le militaire piémontais Emilio Pallavicini di Priola (1823-1901), qui mena d’une main de fer les opérations spéciales contre le brigandage méridional. Le ton narratif et les nombreuses illustrations qui agrémentent le récit de leurs « vies parallèles » ne doivent pas induire le lecteur en erreur sur la nature de l’ouvrage : loin d’être une histoire romancée et encore moins hagiographique du brigandage, dans le sillage de la récente invention du mythe du brigand justicier et redresseur de torts, il s’agit d’un exposé scientifique rigoureux et très bien documenté, qui donne à voir de l’intérieur la guerre civile au long cours qui a ensanglanté l’Italie post-unitaire.
2C. Pinto dresse un portrait sans complaisance des brigands : il dépeint des criminels sanguinaires et sans véritable idéologie, qui pour sortir du monde des paysans anonymes se mirent au service des notables et aristocrates bourboniens afin de déstabiliser l’État italien, mais surtout pour acquérir un prestige personnel fondé sur la violence et la terreur. Il affirme clairement : « Non c’era nessuna rivoluzione sociale, il brigantaggio non era un movimento rivoluzionario » (p. 79) ; Crocco quant à lui avait choisi le drapeau des Bourbons par opportunisme. Il est montré à la fois comme « l’opposto del guerrigliero legittimista » (p. 83) et comme le seul vrai chef du brigandage bourbonien. À travers le cas exemplaire de Crocco, l’auteur explique comment des délinquants, dans le contexte particulier de l’ex-Royaume de Naples, ont réussi à devenir des « seigneurs de la guerre » avec un empire criminel basé sur la peur, l’intimidation, le pillage et la corruption. C. Pinto n’hésite pas à employer le lexique généralement utilisé pour décrire la mafia, lorsqu’il détaille le fonctionnement du « cartel » de Crocco, dont les victimes n’étaient jamais les aristocrates ou les puissants propriétaires terriens, mais les « petites et moyennes entreprises » ; il exerçait sa cruauté sur la population par le biais de séquestrations et de viols, loin de l’image d’un bienfaiteur défenseur du peuple. Malgré son mépris pour les militaires à la solde du roi François II, notamment le général carliste José Borjes, chargé de la reconquête du Royaume des Deux-Siciles, Crocco bénéficia de la protection des chefs des Bourbons et de la famille royale, qui ne voulut jamais risquer de s’impliquer en personne dans la guerre contre les « Italiens ». Après la répression contre sa bande qui aboutit à sa dissolution, il trouva refuge à Rome à partir de 1864, et ne fut incarcéré qu’en 1867 dans la forteresse de Paliano, puis à Avellino après la prise de Rome en 1870. Bien que condamné à mort lors de son procès en 1872, sa peine fut transformée en prison à perpétuité par grâce royale et il vécut jusqu’à l’âge de 75 ans dans la prison de Portoferraio, où il reçut la visite de criminologues et rédigea ses mémoires – jugés mensongers – avec l’aide du capitaine de l’armée Eugenio Massa. C’est justement contre le mythe du « brigand révolutionnaire », du « brigand patriote » ou du « bandit d’honneur » véhiculé par la légende que C. Pinto dresse son portrait antiromantique du « premier des brigands », un assassin qui ordonna avec une férocité sans pitié des milliers de crimes et qui s’était avant tout battu pour l’argent et le pouvoir.
3Ce qui fait tout l’intérêt de l’ouvrage, c’est que son principal adversaire, Emilio Pallavicini, n’est lui non plus jamais présenté comme un héros idéalisé au service de la « juste cause » unitaire. L’auteur montre bien que le commandant des bersagliers, qui s’était illustré dans la bataille de San Martino en 1859, puis qui avait été envoyé arrêter Garibaldi dans l’Aspromonte en 1862, fut habile et victorieux dans la guerre contre le brigandage avant tout grâce à son caractère déterminé et impitoyable, et grâce à sa capacité à mener des opérations irrégulières sans lésiner sur les moyens. C. Pinto insiste sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une guerre entre armées qui se reconnaissaient et se respectaient. Pallavicini interprétait le brigandage comme le résultat d’une convergence temporaire entre intérêts différents – des aristocrates et des bandits, des notables et des paysans – réunis contre l’ennemi du moment, pour satisfaire leurs aspirations politiques, leurs vengeances, leurs intérêts, pour s’enrichir ou tout simplement survivre. Pour le combattre, il défendit la nécessité de mesures extraordinaires, tout en admettant que le Mezzogiorno se trouvait dans une situation de militarisation « inconcevable en plein XIXe siècle ». C’est grâce à la convergence entre les unitaires méridionaux et les hauts commandements militaires qu’il put mettre en œuvre sa doctrine de la « persécution incessante » et que fut légitimée une guerre différente de la compétition civilisée : « propose di ordinare una gestione caotica, e soprattutto sdegnosa, della guerra al brigantaggio » (p. 145). Malgré le triomphe du général, qui réussit à anéantir le brigandage politique et les bandes de Crocco, puis à arrêter tous les derniers chefs en activité, la guerre contre les brigands n’eut jamais une place d’honneur dans la mémoire nationale. Comme l’explique C. Pinto, « era una guerra che nessuno ricordava con orgoglio quando iniziò la monumentalizzazione del Risorgimento » (p. 209) ; c’était une « guerre sale », sans charge de cavalerie, sans ennemis respectés, ni dates et lieux glorieux ; c’était une guerre du Risorgimento sans Risorgimento, gagnée et sitôt oubliée. C’est pourquoi, malgré tous les honneurs militaires reçus, Pallavicini termina sa carrière en disgrâce à cause de son « style militaire et gascon », qui suscitait des disputes et des rancœurs ; sa médaille de l’ordre de Saint-Maurice n’avait pas été suffisante pour le faire entrer dans le Panthéon du Risorgimento.
4C’est tout le mérite de cet ouvrage d’en expliquer les raisons, tout en étoffant la nouvelle interprétation de la révolte méridionale comme une guerre civile entachée de violences et de conflits non conventionnels perpétrés par chaque « camp », qui a fracturé durablement la péninsule italienne.
Pour citer cet article
Référence papier
Laura Fournier-Finocchiaro, « Carmine Pinto, Il brigante e il generale. La guerra di Carmine Crocco e Emilio Pallavicini di Priola », Transalpina, 26 | 2023, 210-212.
Référence électronique
Laura Fournier-Finocchiaro, « Carmine Pinto, Il brigante e il generale. La guerra di Carmine Crocco e Emilio Pallavicini di Priola », Transalpina [En ligne], 26 | 2023, mis en ligne le 19 septembre 2023, consulté le 25 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/transalpina/4120 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transalpina.4120
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