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Zoe Leonard. Al Río/To the River. 15 octobre 2022 - 29 janvier 2023, Musée d’Art Moderne, Paris

Commissaires d’exposition : Jessica Castex et Olivia Gaultier-Jeanroy, assistées de Margot Koutsomitis
Cléa Fortuné

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Texte intégral

Fig. 1. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

  • 1 Photographe étatsunienne de renommée internationale, Zoe Leonard est née en 1961 à Liberty (New Yor (...)

1L’exposition Al río/To the River se compose de près de 500 tirages argentiques, principalement en noir et blanc, affichés dans de grandes salles aux murs blancs du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, dans un cadre très sobre. Les photos, sans légende ni cadre – seul un panneau à l’entrée de l’exposition explique le projet de l’artiste –, ont pour sujet le fleuve Río Bravo/Rio Grande qui sépare le Mexique des États-Unis sur près de 2 000 kilomètres (Fig. 1). De 2016 à 2020 (sous l’administration Trump), Zoe Leonard1 a longé les villes sœurs de Ciudad Juarez (Chihuahua)/El Paso (Texas) jusqu’au golfe du Mexique pour mener un travail d’investigation du point de vue d’une personne en mouvement. L’exposition se compose, entre autres, de séries de photos où le spectateur regarde un même objet pris à différents instants, retraçant ainsi ses variations et les déplacements de la photographe. On peut voir par exemple un cliché de files de voiture attendant de passer le poste-frontière que l’on aperçoit au loin dans un premier temps, suivi d’autres photographies où le point d’entrée se rapproche, le véhicule étant finalement sur le point de passer du côté étatsunien (Fig. 2).

2À travers une forme de relevé photographique qui semble lointainement inspiré des surveys du XIXe siècle, Zoe Leonard met en image les recherches menées par les sociologues et ethnographes à la frontière États-Unis/Mexique, articulant ainsi les disciplines. Elle communique visuellement les expériences de la frontière méconnues du public, favorisant ainsi une compréhension plus large de la vie frontalière autre que par le seul prisme de la question sécuritaire. La photographie de l’artiste sert de support d’information et d’outil de recherche, qui vient alimenter les réflexions sociologiques, historiques et géographiques quant à l’évolution de l’espace frontalier et les représentations qui façonnent nos perceptions de la frontière.

Fig. 2. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

3Grâce au médium photographique, Zoe Leonard invite le spectateur à se projeter dans le quotidien de la frontière et révèle les identités multiples du fleuve. L’une d’entre elles est celle du fleuve comme frontière : la photographe expose le paysage riverain, à travers le bâti et les infrastructures qui prolifèrent (pont, barrages, barrières). Ce fleuve-frontière permet la régulation du passage des marchandises, la circulation des personnes et des véhicules (Fig. 3).

Fig. 3. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

  • 2 C.J. Alvarez. « Une brève histoire du fleuve ». Catalogue trilingue en deux volumes publié par le M (...)

4Une autre identité du fleuve est celle d’un espace militarisé. Le projet s’étant déroulé sous la présidence de Donald Trump et son durcissement de la sécurité frontalière, des séries de clichés montrent la surveillance à la frontière à travers les remplacements de portions de barrières (Fig. 4), les réverbères faisant office de tour de surveillance, ou encore des voitures de la patrouille frontalière immobiles qui font face au Mexique pour s’assurer que des migrants ne traversent pas de manière irrégulière. Elle documente également la mise en place en janvier 2019 des Protocoles de Protection des Migrants, aussi appelés Remain in Mexico, qui ont compliqué les procédures de demandes d’asile. Des milliers de demandeurs – venant principalement d’Amérique centrale – se sont en effet retrouvés bloqués du côté mexicain de la frontière. En attendant que leur demande soit prise en compte, alors que la capacité des centres d’accueil de migrants étaient saturés, ces personnes ont trouvé refuge dans des tentes que Zoe Leonard photographie depuis le côté étatsunien (Fig. 5). Une autre série d’une trentaine de clichés représente un hélicoptère survolant le fleuve pour surveiller les passages clandestins (Fig. 6), et démontre l’omniprésence de la sécurité étatsunienne pour surveiller le fleuve-frontière. Ceci entre en contraste avec les paysages naturels et majestueux des chaînes de montagnes, presque infranchissables. Ces photos permettent à l’artiste de dénoncer la fonction politique imposée à cet élément naturel qu’est le fleuve2.

Fig. 4. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

Fig. 5. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

Fig. 6. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

  • 3 Zoe Leonard, Communiqué de presse du Musée d’Art Moderne de Paris, 2022.

5Enfin, Zoe Leonard donne à voir une identité du fleuve trop souvent négligée : un espace de vie et de loisirs, mais aussi un écosystème environnemental, loin du stéréotype de la frontière comme zone dangereuse – une image souvent représentée dans les médias. Elle photographie ainsi des familles qui se baignent dans le Río Bravo (Fig. 7), ou encore un cowboy se baladant à cheval le long du fleuve. Ses clichés de vols d’oiseaux, de la flore locale (Fig. 8) comme les cactus hedgehog (parmi les seules photos en couleur) et du Rio Grande/Bravo en mouvement (Fig. 9) rendent compte de « [l]a nature changeante du fleuve – qui déborde périodiquement, change de cours et creuse de nouveaux canaux – », ce qui « est en contradiction avec la fonction politique qu’on lui demande d’accomplir »3.

Fig. 7. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

Fig. 8. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

Fig. 9. Zoe Leonard El Rio / The River | MAMVP | ©Pierre Antoine 2022

6Ainsi, l’exposition Al río/To the River « donne lieu à une méditation visuelle sur le temps du fleuve – son temps géologique, son temps historique et son temps présent ». En déambulant de salle en salle, le spectateur voit le fleuve comme un témoin de l’évolution des politiques sécuritaires à la frontière, mais il le voit avant tout comme un espace de vie au quotidien.

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Notes

1 Photographe étatsunienne de renommée internationale, Zoe Leonard est née en 1961 à Liberty (New York). Son travail a notamment fait l’objet d’une rétrospective au Whitney Museum en 2018.

2 C.J. Alvarez. « Une brève histoire du fleuve ». Catalogue trilingue en deux volumes publié par le Mudam Luxembourg et Hatje Cantz, 2022, p. 9.

3 Zoe Leonard, Communiqué de presse du Musée d’Art Moderne de Paris, 2022.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cléa Fortuné, « Zoe Leonard. Al Río/To the River. 15 octobre 2022 - 29 janvier 2023, Musée d’Art Moderne, Paris »Transatlantica [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 26 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/20910 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transatlantica.20910

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Auteur

Cléa Fortuné

Université Sorbonne Nouvelle

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