Navigation – Plan du site

AccueilNuméros1Actualité de la rechercheHistoriographies de la Révolution...

Actualité de la recherche

Historiographies de la Révolution américaine (America2026)

Université Jean Moulin Lyon 3, 14 et 15 octobre 2022
Caroline Laplace

Entrées d’index

Haut de page

Notes de l’auteur

Lien vers le programme de l’événement : https://www.america2026.eu/event/Lyon

Texte intégral

1Au mois d’octobre 2022 s’est tenu le colloque international « Historiographies de la Révolution américaine » (« Historiographies of the American Revolution ») à l’université Jean Moulin Lyon 3 le vendredi 14, et à l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon le samedi 15. Organisé par les professeurs Steven Sarson (université Jean Moulin Lyon 3) et Agnès Delahaye (université Lumière Lyon 2) avec l’aide de l’Institut d’études transtextuelles et transculturelles de Lyon (EA 4186), du laboratoire Triangle (UMR 5206), de l’American Philosophical Society et du Omohundro Institute, ce colloque s’est appliqué à l’étude des questions méthodologiques et politiques émergentes au sein de l’historiographie contemporaine de la révolution américaine ; parmi ces questions figure celle de la place occupée par la révolution en tant que récit fondateur des États-Unis et du libéralisme occidental. Il émergea, à travers des panels se focalisant sur des études de cas et des conférences plénières, une grande variété de perspectives d’études des héritages culturels, politiques et philosophiques de l’indépendance américaine.

2Ce colloque s’inscrit dans le programme collaboratif America2026 qui, en vue du futur 250e anniversaire de l’indépendance américaine, organise événements et publications visant à étudier et analyser les multiples ramifications de ce moment historique à travers un réseau de perspectives émanant de chercheurs des deux côtés de l’Atlantique. Il s’agit ici du quatrième événement organisé par le projet, les premiers s’étant déroulés à Aix-en-Provence, Paris et Munich.

3Le premier panel du colloque s’est concentré sur les perspectives localistes des autorités émergentes durant la période révolutionnaire. Dans sa communication intitulée « The People’s Pouvoir Constituant: Revolutionary Print Culture and the 1776 Pennsylvania State Convention », Angel Luke O’Donnell (King’s College London) définit le « pouvoir constituant » par le prisme des constitutions des États, en prenant comme exemple principal la constitution provisionnelle de Pennsylvanie de 1776. En effet, cette constitution, mais également d’autres, rédigées durant la même période, peut être approchée comme base de compréhension de ce qui deviendrait plus tard la Constitution fédérale. Le concept de transparence vis-à-vis du regard public (scrutiny) non seulement au sein du processus constitutionnel, mais aussi dans ses pourtours (la liberté de la presse, le droit de pétition) est apparu comme un élément clé de l’élaboration de ces constitutions provisionnelles, si bien qu’il fut délibérément communiqué auprès du peuple grâce à une large diffusion par la presse. L’étude du cas de la constitution de la Pennsylvanie, de ses révisions jusqu’à sa version définitive, révèle ainsi sa rédaction et sa mise en application comme des processus distincts et dynamiques de négociation entre gouverneurs et gouvernés, le tout dans un exercice de performance de la légitimité politique visant à instaurer (ou restaurer) un ordre gouvernant après la guerre d’indépendance. Dans un monde où la Constitution américaine est d’abord comprise par ses citoyens à travers celle de leur État, une approche localiste du « pouvoir constituant » apparait alors cruciale pour l’étude et analyse du constitutionnalisme américain.

4L’importance de la reconnaissance de l’autorité locale à l’ère de l’indépendance figure également au centre de la communication de Donald Johnson (North Dakota State University), intitulée « Committees, Councils and Congresses: Constructing Local Authority in Revolutionary America, 1775–1776 ». S’intéressant plus particulièrement à l’échelle plus restreinte des comités révolutionnaires dans les villes et comtés, Donald Johnson a insisté sur le rôle non négligeable joué par ces comités dans l’effort révolutionnaire depuis leur émergence à la fin de 1774, ceux-ci étant en effet les principaux acteurs de diffusion des idées, de recrutement et d’organisation militaire au début du conflit, et ce des mois avant que le Congrès continental ne leur apporte un soutien officiel. Comment s’exerçaient ces autorités locales au fur et à mesure de la période ? Pour répondre à cette question, Johnson a décrit une intensification du pouvoir politique exercé sur les populations locales, à mesure que les comités endossaient des tâches que seul un organisme gouvernemental légitime se verrait légalement en droit d’exercer, telles que le prélèvement d’impôts, la saisie de biens privés ou encore la conscription ou l’emprisonnement de personnes suspectées de nuire à l’effort révolutionnaire. Cette escalade autoritaire soulève alors une deuxième question, à savoir la régulation de ces comités par les autorités supérieures des conventions provisionnelles et du Congrès continental. Ces comités locaux ayant dû s’organiser sans l’appui du Congrès, celui-ci pouvait difficilement asseoir une autorité trop forte, qui plus est durant une période préconstitutionnelle. En outre, les membres du Congrès continental, issus d’une certaine élite, ne reflétaient pas la composition plus diverse de ces comités locaux si nécessaires à la poursuite de l’effort indépendantiste. Il n’est pas surprenant de constater l’émergence des conventions constitutionnelles des États à l’issue de l’automne 1776, dans l’optique de délimiter et contrôler les pouvoirs de ces comités révolutionnaires locaux. Nous retrouvons ici la question de la légitimité au centre de la construction de l’autorité constitutionnelle telle que déjà évoquée dans la première communication.

5L’apport de l’historiographie récente de la guerre d’indépendance américaine, mais aussi celle de la Révolution française a été souligné lors de la discussion suivant le panel, où la question de la politique populaire est plus amplement considérée sans ignorer les considérations idéologiques, plus macroscopiques, mais également plus fermement ancrées dans la tradition historiographique. C’est d’ailleurs dans une volonté de remettre en question des approches historiographiques plus traditionalistes que Serena Zabin (Carleton College, MN) a débuté la première session plénière de cette journée avec la communication intitulée « Gender and the American Revolution ». Cette communication a proposé une autre problématisation du récit du progrès, en replaçant ici la notion de genre au cœur même de la construction de la citoyenneté à l’aube de la république plutôt que de la limiter à un simple critère d’évaluation des résultats (positifs comme négatifs) de la révolution. En s’appuyant sur l’exemple du New Jersey, qui de 1776 à 1807 accordait le droit de vote aux femmes sans distinction basée sur leur couleur de peau, le constat dressé est celui d’une conscience réelle du rôle des femmes au sein de cette nouvelle nation et la lutte livrée pour l’acquérir. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater l’absence de l’emploi de termes ou pronoms genrés dans la Constitution de 1787, là où ses versions précédentes faisaient figurer le mot « sexe » dans la clause des trois cinquièmes de l’article premier. De cette observation découlent plusieurs conclusions : il y a tout d’abord celle d’une volonté consciente d’utiliser un langage neutre, ce qui n’alignerait donc pas la séparation entre citoyenneté et non-citoyenneté sur celle du genre ; en revanche, une séparation est bien instaurée dans ce même article, et il s’agit de celle tracée par l’esclavage qui, s’il n’est jamais nommé explicitement, est bien au cœur de la deuxième section de l’article premier de la Constitution visant à établir les bornes de la représentation politique.

6Comment expliquer alors l’intention délibérée de retirer le droit de vote aux femmes du New Jersey en 1807 ou même l’inaccessibilité totale à ce droit dans les autres états ? Comment était défini le concept même de citoyenneté à l’époque ? Les réponses à ces questions convergent en la publication du dictionnaire de Noah Webster en 1828, qui définissait la citoyenneté par l’association à certains privilèges, notamment le vote. Cette même définition s’inscrit, au début du xixe siècle, dans un mouvement réactionnaire visant délibérément à exclure les femmes de cette définition, et ce en dépit d’une Constitution au langage volontairement neutre.

7La question du langage est au cœur des considérations historiographiques explorées durant cette première journée, et la discussion faisant suite à cette session plénière a mis en exergue l’interchangeabilité ambigüe entre les mots « citoyen » (citizen), « habitant » (inhabitant) et « peuple » (people) dans les textes et débats de l’ère postrévolutionnaire. La première communication du second panel s’est ainsi tout naturellement insérée au sein de ces considérations. Intitulée « From “Citizens of America” to “the People of the United States”: George Washington’s Rhetoric and the Meaning of America », cette communication de Leslie Tassery (université Jean Moulin Lyon 3) a exploré l’évolution de la rhétorique de George Washington et de sa conception langagière de la citoyenneté au fil des années. Si en apparence les termes « citoyens américains » ou « citoyens de l’Amérique » (American citizens) et « le peuple des États-Unis » (the people of the United States) paraissent interchangeables dans le langage de l’époque, il apparait vite que cela n’est pas le cas dans les discours et correspondances de Washington. La transition entre certains termes spécifiques employés pour désigner la future nation et ses habitants est tout aussi relative à la période qu’au contexte géographique. Il apparait en effet une distinction entre la rhétorique washingtonienne destinée à ses concitoyens et celle adressée à l’étranger. Sur le territoire, l’adjectif « américain » est très vite remplacé par « continental », là où les termes « Amérique/américain » persistent dans ses communications internationales. Le premier cas dénoterait une volonté de renforcer un sentiment d’unité à l’intérieur de cette jeune nation, le second une volonté de définir cette nation par l’évocation d’un ensemble de valeurs et principes. À noter également qu’une fois les colonies déclarées indépendantes, Washington remplace le mot « colonies » par « états » (states). De même, l’expression « citoyens américains/de l’Amérique » disparait au profit de « peuple des États-Unis » une fois la révolution achevée : selon Washington, la révolution marque le dernier moment où ces citoyens américains étaient réellement « américains » ; le « citoyen américain », celui s’étant battu pour l’indépendance, précède donc celui des États-Unis, qui lui habite une nation à part entière, avec sa propre Constitution et ses institutions républicaines. L’effort collectif d’une révolution construite sur un ensemble de principes communs devient donc une base de définition de cette nouvelle nation, sans perdre de vue l’objectif d’insérer ladite nation au sein d’un contexte international où elle saurait prouver sa légitimité par son exemplarité.

8Le regard que Washington et ses contemporains portaient sur la révolution marque le début d’un examen rétrospectif de la période, examen qui perdure encore aujourd’hui.

9La question du langage et de la rhétorique était également au cœur de la communication suivante, donnée par Michael Hattem (Yale-New Haven Teachers Institute) et ayant pour titre « The Contested Memory of the American Revolution as a National Origins Myth ». Si la révolution occupe toujours aujourd’hui une place considérable au sein de la mémoire collective, cela peut aussi s’expliquer par les parallèles entre son récit et celui du monomythe tel que défini par Joseph Campbell, faisant du conflit et de la naissance de la république un cadre convaincant pour une histoire des origines des États-Unis (origin story).

10Un des enjeux de la mémoire de la révolution américaine repose également sur l’interprétation des rhétoriques de ses documents fondateurs. La tension persistante entre les interprétations de la Déclaration d’Indépendance et de la Constitution peut ainsi être vue comme un fil conducteur de l’interprétation et la représentation de la révolution au fil des époques. Lequel de ces documents est le plus dépositaire des valeurs et principes dits « fondateurs » de la nation ? Quels sont ces mêmes principes ? Il s’agit là de questions aux enjeux historiographiques dont les propositions de réponses successives nous renseignent sur la construction (contestée) du souvenir de cette « origin story ». Les tensions (et parfois même oppositions) entre la déclaration et la Constitution, entre liberté et égalité, démocratie et république, rébellion et allégeance, sont au cœur de cette mémoire contestée, que ce fût au temps de la jeune république, durant l’essor du mouvement abolitionniste dans les années 1830, ou encore dans la rhétorique de Lincoln dans son fameux discours à Gettysburg. Loin de créer un consensus sur la question de la liberté et de l’égalité, ce même discours a finalement lui aussi été absorbé dans ce processus d’interprétation du souvenir de l’origine de la nation. Au xxe siècle persiste la lecture conservatrice de la Constitution comme un document protégeant les libertés individuelles contre un gouvernement fédéral capable de tyrannie, une vision contestée par une approche progressiste du document, insistant sur l’égalité comme principe fondateur. Ainsi, si la révolution américaine constitue un point d’origine dans la construction de la mémoire collective américaine, un point d’ancrage censé offrir un panorama clair des principes fondateurs de la nation, la définition exacte de ces principes est quant à elle encore loin de faire consensus.

11S’il est difficile, voire impossible, de nier la place occupée par la révolution dans la construction mythologique de l’histoire des États-Unis, force est de constater que la recherche académique actuelle a tendance à revoir à la baisse son impact véritable sur l’ordre social et politique du xviiie siècle. C’est là l’objet d’étude de la seconde session plénière, consacrée à une conférence de Trevor Burnard (Wilberforce Institute), intitulée « Recent Historiography of the American Revolution ». En s’appuyant sur un très large corpus d’articles publiés de 2012 à nos jours, Burnard a dressé le constat d’une historiographie contemporaine considérant en effet la révolution comme étape d’un long processus évolutif déjà en marche plutôt qu’un point de rupture décisif et proprement révolutionnaire. En opposition complète avec la vision autrefois paradigmatique de Gordon Wood qui présentait la révolution comme une expérience radicale de la démocratie, les académiciens actuels tels qu’Alan Taylor, Michael McDonnell, ou Serena Zabin la présentent plutôt comme inscrite dans une continuité où les élites constituées d’hommes blancs maintiennent leur statut dominant, où l’esclavage perdure en tant qu’institution fondamentale et où les populations indigènes continuent d’être dépossédées de leurs terres, faisant des États-Unis une nation impérialiste au même titre que la Grande-Bretagne. Les conséquences de la révolution, lorsqu’elles sont relevées, sont décrites comme profondément négatives : Taylor décrit ainsi une accélération de l’expansion colonialiste vers l’Ouest et donc de la migration forcée des populations indigènes, mais présente également la guerre comme un désastre matériel, économique et humain.

  • 1 Le terme « néo-impérialiste » devant ici être compris comme l’étude de la Révolution sous la perspe (...)

12L’historiographie contemporaine présente alors une lecture néo-impérialiste de la révolution (en continuité avec l’école impériale (imperial school) des historiens du xxe siècle)1, replaçant les États-Unis dans un plus large contexte international et dans un processus impérialiste au sein duquel la révolution ne serait plus un point final à la période coloniale ou le point de départ des États-Unis, mais un événement parmi d’autres inscrits dans un flux mondial en constante évolution. La vision exceptionnaliste de la révolution est donc largement contestée, malgré une pluralité des paradigmes relevée par Patrick Spero au sein de l’historiographie actuelle.

13Néanmoins, et comme démontré par la communication de Michael Hattem, il demeure impossible de traiter la révolution comme un événement parmi tant d’autres dans l’histoire américaine. En dépit des considérations historiographiques décrites précédemment, la révolution demeure une période ancrée dans la pensée mythologique américaine à laquelle s’attache un besoin d’y trouver les éléments transformatifs radicaux qui permettraient de définir ses principes fondateurs. Elle demeure, en dehors des efforts pour la séparer des interprétations grandiloquentes du passé, un élément central du discours civique américain.

14La lecture de la révolution à travers une perspective la replaçant dans une continuité impérialiste est au cœur de l’argumentation de Jack P. Greene (John Hopkins University), pour la dernière session plénière de la première journée. Sous le titre « Perpetuating Settler Ascendancy: Empire and Nation Building in the British Empire and the United States », cette communication s’inscrit dans son travail sur un recueil d’essais se focalisant sur les « ascendances de colons » (settler ascendancies) et leur rôle prépondérant dans la construction et le développement des sociétés anglo-saxonnes du monde atlantique entre le xviie et le xviiie siècle. La force de développement de ces ascendances repose sur la fervente protection de leurs intérêts, aussi bien dans le rapport de négociation perpétuel avec l’état métropolitain que dans leurs attitudes d’exclusion des populations locales ne correspondant pas à la culture britannique ainsi perpétuée.

15Le terme « ascendance » (ascendancy) choisi par Greene est habituellement utilisé pour désigner la gouvernance politique d’une minorité de propriétaires protestants en Irlande entre la Glorieuse Révolution et l’Acte d’Union de 1800, mais s’étend ici pour désigner les administrations politiques instaurées, développées et dominées par les colons britanniques sur le continent américain à partir de la création de la colonie de Virginie. Selon Greene, ce sont ces ascendances, et non pas l’état métropolitain ou même le système commercial de l’Empire, qui constituent la force principale de l’expansion impérialiste britannique. Si les tensions entre les ascendances locales et l’Angleterre n’étaient pas exclusives à l’Amérique, c’est bien là que treize colonies s’estimèrent suffisamment fortes politiquement et militairement pour s’unir et entrer en conflit direct avec l’état métropolitain, jusqu’à obtenir l’indépendance totale. De cette indépendance est née une nation qui représentait non pas une rupture avec la culture impérialiste britannique, mais au contraire une nouvelle étape au sein d’une même continuité, où la perpétuation des ascendances se retrouveraient garantie par un état gouvernant dédié à la protection (administrative comme militaire) des intérêts des colons et à l’expansion des territoires administrés, et ce à un niveau jusqu’alors rarement atteint par le passé sous la domination britannique.

16L’étude de l’historiographie récente replaçant la révolution américaine dans un contexte incluant sa dimension internationale (notamment en la reliant avec le contexte britannique) est un des enjeux soulevés par Greene durant cette session plénière, repris dès le premier panel de la seconde journée. Dans sa communication « Historiographical Advances on the British Radical Background to the American Revolution », Frédéric Herrmann (université Lumière Lyon 2) s’est concentré sur la Glorieuse Révolution de 1688 et ses impacts sur la mémoire collective des Américains durant la période prérévolutionnaire. Si les résultats de cette révolution britannique axée sur le compromis plutôt que sur une réelle forme de radicalité ont été précédemment discutés, les dernières décennies ont vu des historiens aussi bien britanniques qu’américains la replacer dans une perspective où son impact transformatif sur les populations des colonies outre-Atlantique serait plus manifeste : Tim Harris a notamment mis en avant l’existence bien réelle d’une culture politique populaire, à l’échelle des comtés et municipalités qui, s’ils ne disposaient pas de la même force instigatrice que les élites, avaient bel et bien des attentes menant à des actions politiques. Cette dimension populaire ne serait pas à observer seulement dans un contexte immédiat et local, mais bien dans une géographie et une temporalité plus étendues, jusqu’aux colonies qui déclareraient leur indépendance durant leur propre révolution moins d’un siècle plus tard à travers une action politique structurée et au moins partiellement alimentée par une culture politique héritée de 1688.

17L’absorption des codes politiques et culturels britanniques par les acteurs de la révolution américaine transparait également dans l’iconographie de l’époque. Florence Petroff (université de La Rochelle) s’est ainsi penchée sur un cas bien spécifique par l’étude des impressions satiriques réalisées par Paul Revere caricaturant les institutions politiques britanniques. En analysant son Cabinet Junto diffusé en 1774, Petroff a mis en évidence la claire connaissance d’un langage politique hérité de l’Angleterre. N’étant pas artiste lui-même, il était à la fois aisé et pertinent pour Revere de copier des images préexistantes et connues du public. En adaptant le ton aux messages qu’il souhaitait diffuser, Revere utilisait alors une palette de symboles propre au langage satirique anglais dont il savait qu’il résonnerait auprès des habitants des colonies. Parmi ces éléments communément répandus figurait l’imagerie des complots instigués par une élite (souvent écossaise) visant à déstabiliser le gouvernement pour détruire les droits constitutionnels et asseoir le pouvoir du roi. Indépendamment du crédit réel accordé à ces théories par les habitants des colonies, ce langage pictural et politique leur demeurait familier, et constituait ainsi un moyen efficace de répandre une critique acerbe du gouvernement britannique et de mobiliser la population contre lui.

18Les perspectives européennes étaient également au centre de la dernière conférence plénière du colloque, donnée par Bertrand Van Ruymbeke (université Paris 8). Sous le titre « Anticolonialism in the Era of the American Revolution: an Essay Contest at the Académie de Lyon in the 1780s », cette dernière communication s’est intéressée au concours d’essais ouvert par l’abbé Raynal en 1780 à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon sur la question suivante : « la découverte de l’Amérique a-t-elle été utile ou nuisible au genre humain ? S’il en résulte des biens, quels sont les moyens de les conserver et de les accroître ? Si elle a produit des maux, quels sont les moyens d’y remédier ? ». Si le concours a été reporté et reformulé par trois fois (en 1785, 1787 et 1789), aucun gagnant n’a obtenu le prix. Malgré ce résultat, ce concours demeure révélateur des préoccupations contemporaines concernant le colonialisme. Parmi les réponses proposées, ces préoccupations se sont déclinées en plusieurs problématiques telles que la traite des esclaves, la violence à l’encontre des populations indigènes ou encore l’escalade des conflits entre puissances coloniales, décriées dans la majorité des propositions envoyées à l’Académie. Ce sentiment anticolonialiste, bien que répandu au sein des élites intellectuelles européennes, se retrouve confronté au paradoxe de la célébration du mouvement indépendantiste des colonies américaines, perçu comme une expansion de la liberté, hors toute considération pour la destruction et relocalisation des peuples amérindiens. Ce concours offre ainsi une collection d’écrits reflétant les réflexions de l’époque dans une Europe qui voit en l’Amérique un terrain idéal sur lequel projeter ses préoccupations philosophiques.

19Par ses thèmes abordés, la haute qualité des communications, et les questions historiographies soulevées lors des discussions échangées au cours de ces deux journées réunissant des perspectives de chaque côté de l’Atlantique, ce colloque ainsi que les précédents événements organisés par le programme America2026 augurent d’excellentes perspectives pour les rencontres à suivre sur les quatre prochaines années.

Haut de page

Notes

1 Le terme « néo-impérialiste » devant ici être compris comme l’étude de la Révolution sous la perspective des liens entre colonies et régions sous domination britannique, et non pas comme idéologie politique.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Laplace, « Historiographies de la Révolution américaine (America2026) »Transatlantica [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 26 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/21176 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transatlantica.21176

Haut de page

Auteur

Caroline Laplace

Université Jean Moulin Lyon 3

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search