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Trans'Arts

L’Art de James Cameron, 4 avril 2024 - 5 janvier 2025, Cinémathèque française, Paris

Commissariat : Kim Butts et Matthieu Orléan
Gaspard Delon

Texte intégral

  • 1 On citera, parmi les ouvrages universitaires disponibles sur le cinéaste : Adam Barkman et Antonio (...)

1L’exposition « L’Art de James Cameron » à la Cinémathèque française rassemble plus de 300 œuvres, dont 280 originales et 250 de la main du cinéaste, complétées par une trentaine d’accessoires. Son objectif consiste à mettre en lumière le dessin comme jalon fondamental du processus de création d’un réalisateur plus spontanément associé à la démesure, aux médiations technologiques et au feu d’artifice numérique1. Ce faisant, Cameron se voit conférer une forme d’authenticité artistique qui parachève sa consécration institutionnelle.

  • 2 Voir David M. Lubin, Titanic, Londres : BFI Modern Classics, 1999.

2Dans cette optique, la scénographie invite à traverser six espaces principaux : « 1. Rêver les yeux grands ouverts », consacré à la jeunesse du cinéaste, à sa culture artistique et à sa formation largement autodidacte au dessin ; « 2. La machine humaine », centré sur les corps artificiels ; « 3. Explorer l’inconnu », sur le thème du voyage spatial et de l’exploration des profondeurs ; « 4. Titanic : remonter le temps », qui consacre logiquement à cette œuvre singulière un espace à la fois central et quelque peu détaché2 ; « 5. Créatures : humains et aliens », qui fait pendant au deuxième espace ; « 6. Les mondes indomptés », dédié au péril nucléaire et à la question écologique. Le parcours n’est pas strictement chronologique, même si la progression d’ensemble évolue globalement des premiers coups de crayons jusqu’à Avatar, ménageant dans ses parties intermédiaires des temps d’arrêt pour les deux Terminator, Aliens et Abyss.

  • 3 Voir Sean French, The Terminator, Londres : BFI Film Classics, 2021.

3Le grand intérêt de l’exposition réside donc dans la présentation de dessins exécutés par Cameron en personne, qui témoignent de ses talents graphiques et de la précision de son inspiration, beaucoup de ces esquisses préfigurant étroitement les personnages, décors et situations des films, voire les trucages à employer au moyen de croquis explicatifs. Ces documents et archives pouvant parfois prétendre au statut d’œuvres à part entière éclairent la temporalité propre au développement des projets cinématographiques, et l’on voit se matérialiser à l’écran diverses ébauches élaborées plusieurs années ou décennies auparavant (voir les requins aériens à l’origine des Banshees d’Avatar). L’image se fait radicalement matricielle dans le cas de Terminator, qui prend sa source dans un cauchemar dessiné figurant un robot rampant dévoré par les flammes, image qui laissera trace dans le long métrage3.

4Les aspects les moins attendus de cette exposition concernent les productions de jeunesse de Cameron (crayon, pastel, techniques mixtes), qui évoquent sa culture visuelle de teenager (SF, heroic fantasy, horreur), son appropriation de l’imagerie pop et des univers de BD, puis ses premiers pas dans l’industrie comme affichiste, décorateur et peintre sur verre. Le film non réalisé Xenogenesis (1977-1979) a également droit à plusieurs éclairages, tandis que le méconnu Piranha 2 (1981), désavoué par son auteur, n’apparaît qu’à travers son affiche de lancement (True Lies, 1994, brille également par son absence). Agrémentée d’entretiens filmés, l’exposition présente aussi, par l’intermédiaire d’un mur virtuel, une chronologie des innovations techniques dont le déploiement est laissé à l’appréciation des visiteurs.

  • 4 Séance disponible en ligne : https://youtube.com/watch?v=xX-gmSNnElc

5Dans un contexte où l’obtention de droits à la diffusion muséale pour les œuvres hollywoodiennes récentes se heurte à des obstacles majeurs, on peut comprendre l’envie de la Cinémathèque française de collaborer avec la Avatar Alliance Foundation, dont est issue la commissaire principale, ainsi qu’avec Cameron lui-même, associé au projet et invité pour une masterclass le 4 avril 20244. On soulignera toutefois plusieurs des conséquences induites par ce type d’approche.

6En premier lieu, c’est l’exaltation de la figure de l’auteur qui se fait remarquer. Célébré comme artiste de génie, Cameron est érigé en nouveau Léonard (voir l’homme de Vitruve dans une version cyborg agrandie à l’échelle du mur), dont chaque esquisse découlerait d’une vision cohérente à l’échelle de sa carrière. D’une façon révélatrice, la première salle est conçue autour d’une construction en volume déployant les motifs d’un tableau d’inspiration surréaliste au demeurant modeste, aménagement permettant d’inscrire Cameron dans le sillage d’une valorisante modernité artistique. Une installation ultérieure montre une photographie de l’adolescent après qu’il a réalisé, au moyen d’ustensiles du quotidien, un engin submersible témoignant de son attirance précoce pour les profondeurs. Était-il nécessaire d’aller aussi loin dans la révérence ?

  • 5 On peut signaler l’ouvrage restituant les entretiens réalisés par le cinéaste avec Guillermo del To (...)
  • 6 Pour une approche de l’esthétique de Cameron replacée dans le paysage hollywoodien, voir par exempl (...)

7Une fois son statut de director établi au terme de la première étape, Cameron semble évoluer de façon très autarcique, et ses œuvres se développer en dialogue avec elles-mêmes plutôt qu’au contact d’une diversité hollywoodienne et audiovisuelle des années 1980 à 2020 que l’on aurait aimé voir davantage évoquée, aux prises avec une concurrence, un contexte industriel et des normes professionnelles assez peu restitués5. Ce défaut de comparaison et de perspective en dehors du strict parcours individuel se double d’une utilisation paradoxalement peu précautionneuse des extraits de films, volontiers manipulés ou remontés afin de mieux correspondre aux origines graphiques mises en regard. Cameron dessinateur démiurge en vient presque à éclipser Cameron metteur en scène6, directeur d’acteurs, monteur, sans parler du Cameron capitaine d’industrie, dont il n’est guère question.

  • 7 Tech Noir. L’Art de James Cameron, préface et avant-propos de Costa-Gavras et Guillermo Del Toro, P (...)

8La proximité intrinsèque du dispositif muséal avec son objet génère en outre, à plusieurs reprises, des analyses un brin convenues : « L’incroyable niveau de détail apporté par Cameron à ses créatures n’est pas toujours immédiatement visible pour le spectateur. Cependant, si ces créatures s’enracinent malgré tout dans notre mémoire, c’est parce qu’elles sont crédibles. En traitant ces créatures comme de véritables êtres vivants, Cameron s’assure que ses inventions sont suffisamment puissantes pour s’immiscer dans nos rêves et nos cauchemars. » Plus encore, l’accompagnement didactique de l’exposition est souvent confié à Cameron en personne, soit par le biais des notices explicatives associées aux œuvres et constituées de citations directes (ces dernières, dans leur version intégrale, constituent la trame principale du catalogue7), soit dans le cadre de vidéos intégrées au parcours. Il en découle des commentaires évoquant parfois davantage la complicité du supplément DVD que la mise en perspective historique ou l’enquête génétique (« Et pour peupler ces planètes, il nous a aussi fallu plein d’aliens vraiment cool », rapporte un cartel), commentaires dont la modestie n’est pas le trait saillant (« Je pense toujours avec un coup d’avance »).

9Autre conséquence, l’omniprésence du cinéaste tend plus d’une fois, sans doute de manière involontaire, à amoindrir l’apport des collaborateurs cités, dont le rôle semble principalement consister à prolonger les directives du maestro. L’éminent spécialiste des effets spéciaux Stan Winston ne manque pas de confesser combien le cinéaste, dans le cadre de leur travail en commun, fournissait aux membres du studio chargé des trucages l’essentiel des intuitions et des solutions pratiques. Si le clou du parcours réside sans nul doute dans le nu crayonné de Rose (Kate Winslet) intégré au récit visuel de Titanic et daté du 14 avril 1912, le sentiment de supériorité exprimé par le cinéaste perce en ce moment crucial de l’exposition : « Quand il a fallu créer le dessin de Rose qui est au cœur de l’intrigue de Titanic, l’équipe de décorateurs a tenté de le faire mais le résultat était sans âme. Je me suis dit que c’était le moment de mettre à profit tout ce temps que j’avais passé à faire du dessin de modèle vivant. » L’équivalence établie entre Cameron et le personnage de Jack complète le portrait amorcé dans la première salle, celui d’un artiste ayant dû recourir à des travaux alimentaires et gravir les échelons à la seule force de son talent.

  • 8 Plusieurs des films de Cameron ont fait l’objet d’ouvrages dédiés à leur confection visuelle. Voir (...)

10À cet égard, les derniers espaces semblent plus en peine de mettre en relief l’empreinte d’un cinéaste dont l’inspiration court le risque de la dilution au sein d’un appareil productif en constante expansion8. Évoquant la végétation douce, colorée et interactive de Pandora, l’espace vide sur lequel se referme le parcours ne donne pas l’impression d’un jaillissement créatif comparable aux premières années. Peut-être cette difficulté explique-t-elle l’avant-dernière station consacrée aux enjeux écologiques, qui relance le discours en déplaçant les enjeux. Au motif qu’il a mis en images le péril atomique depuis les années 1970 (plusieurs dessins incisifs sur ce thème) puis dans Terminator 2 et qu’il a imaginé, pour Avatar, un écosystème menacé de destruction, le réalisateur se voit doté d’une sorte de légitimité et de magistère moral : « Cameron, qui milite activement pour la préservation de l’environnement, nous rappelle, par cette métaphore, que nous ne sommes pas séparés du monde naturel, et que nous dépendons de lui pour notre survie. » Dans quelle mesure cette attention relève-t-elle également d’un air du temps ou de conventions génériques, voire de stéréotypes, propres à la SF contemporaine ? Seul un élargissement de la focale aurait permis de situer pleinement, sur ce terrain, la part d’originalité du cinéaste, et de s’affranchir d’une tonalité quelque peu hagiographique.

11On ne pourra manquer de noter, pour finir, la position calendaire occupée par cette exposition de neuf mois (4 avril 2024 - 5 janvier 2025), entre les sorties du deuxième volet (décembre 2022) et du troisième volet (décembre 2025) de la saga Avatar, position offrant à la franchise une visibilité non négligeable dans l’espace francilien (voir le beau visage de Na’vi utilisé pour la communication de l’événement). On n’occultera pas non plus le hiatus suscité par l’insertion sur un écran du parcours de plusieurs entretiens de Cameron à caractère publicitaire (« un voyage aux confins de l’excellence ») au profit de la marque d’horlogerie Rolex, partenaire du cinéaste et mécène de l’exposition. Si « L’Art de James Cameron » a pour grand mérite de rappeler la centralité d’un cinéma à la fois populaire, spectaculaire, inventif, réflexif et puissamment évocateur, si cette exposition enrichit de façon éloquente et sous un angle parfois intimiste la connaissance d’une figure hollywoodienne incontournable, on aurait aimé que les très belles pièces rassemblées soient mises au service d’une discussion moins verrouillée, émancipée de certains accents promotionnels et plus ouverte sur l’art et la culture des quarante dernières années.

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Notes

1 On citera, parmi les ouvrages universitaires disponibles sur le cinéaste : Adam Barkman et Antonio Sanna (dir.), A Critical Companion to James Cameron, Lanham, Lexington Books, 2018 ; Alexandra Keller, James Cameron, Abingdon, Routledge Film Guidebook, 2014.

2 Voir David M. Lubin, Titanic, Londres : BFI Modern Classics, 1999.

3 Voir Sean French, The Terminator, Londres : BFI Film Classics, 2021.

4 Séance disponible en ligne : https://youtube.com/watch?v=xX-gmSNnElc

5 On peut signaler l’ouvrage restituant les entretiens réalisés par le cinéaste avec Guillermo del Toro, George Lucas, Christopher Nolan, Arnold Schwarzenegger, Ridley Scott et Steven Spielberg : James Cameron. Histoire de la science-fiction, Paris, Mana Books, 2019.

6 Pour une approche de l’esthétique de Cameron replacée dans le paysage hollywoodien, voir par exemple Pierre Berthomieu, Hollywood. Le Temps des mutants, Pertuis, Rouge Profond, 2013, notamment chap. 3 et 11.

7 Tech Noir. L’Art de James Cameron, préface et avant-propos de Costa-Gavras et Guillermo Del Toro, Paris, Huginn & Muninn, 2024.

8 Plusieurs des films de Cameron ont fait l’objet d’ouvrages dédiés à leur confection visuelle. Voir par exemple le récent : Tara Bennett, Tout l’art de Avatar. La Voie de l’eau, Paris, Huginn & Muninn, 2022.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gaspard Delon, « L’Art de James Cameron, 4 avril 2024 - 5 janvier 2025, Cinémathèque française, Paris »Transatlantica [En ligne], 2 | 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/23709 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134gd

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Auteur

Gaspard Delon

Université Paris Cité

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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