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Whistler : l’effet papillon, 24 mai - 22 septembre 2024, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Commissariat général et scientifique : Laura Valette et Florence Calame-Levert ; commissariat associé : Sylvain Amic et Jean-Baptiste Chantoiseau
Dina D. Eikeland

Texte intégral

1Plutôt qu’être une exposition sur l’artiste américain James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), dont la dernière et unique rétrospective en France s’est tenue au Musée d’Orsay en 1995, Whistler : l’effet papillon, présentée au Musée des Beaux-Arts de Rouen du 24 mai au 22 septembre 2024, se voulait la démonstration du phénomène artistique auquel l’artiste américain a prêté son nom : le whistlérisme. L’exposition à Rouen proposait de faire l’état de ce phénomène, dont l’ampleur et la diffusion à l’échelle internationale restent aujourd’hui peu connues du public français. Bien qu’il passe toute sa vie en Europe, Whistler est aujourd’hui très connu aux États-Unis, notamment grâce à l’influence qu’il a exercée sur l’art américain, dont a témoigné l’exposition After Whistler : the artist and his influence on American painting tenue au High Museum of Art à Atlanta et au Detroit Institute of Arts en 2004.

2Initié par Sylvain Amic alors qu’il était directeur de la Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie, Whistler : l’effet papillon a ensuite été porté par les compétences de ses deux commissaires, associant expertise sur le sujet traité et connaissances approfondies des collections du Musée de Beaux-Arts de Rouen : Laura Valette, docteure en histoire de l’art et autrice d’une thèse soutenue en 2020 sur le whistlérisme, et Florence Calame-Levert, conservatrice en cheffe du patrimoine en charge des collections d’art moderne et contemporain au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Bénéficiant du label 150 ans de l’impressionnisme, décerné par le Musée d’Orsay, l’exposition accueillait vingt-cinq prêts du musée parisien, dont le chef-d’œuvre de Whistler Arrangement en gris et noir N° 1 : Portrait de la mère de l’artiste (1871). Ainsi intégrée dans une année riche en occasions de redécouvrir l’impressionnisme en France, l’exposition à Rouen faisait le pari de nous présenter un autre paysage artistique qui, bien que proche des recherches picturales de l’impressionnisme, a érigé le singularisme esthétique de Whistler au rang de nouveau modèle à suivre.

3Arrêtons-nous un instant sur l’intitulé de l’exposition. Le premier titre – le nom de Whistler – semble à tort annoncer que l’exposition se consacrait uniquement sur l’œuvre de cet artiste. En revanche, le sous-titre – l’effet papillon – invite à plusieurs lectures possibles dénotant la complexité d’un sujet qui cherchait à dépasser le cadre traditionnel de l’exposition monographique. Il fait d’abord référence au monogramme qu’employait Whistler pour signer ses œuvres qui, par l’entremêlement et la stylisation de ses initiales « J.M.W. », reprenait les traits d’un papillon aux ailes déployées. Ensuite, la référence au papillon repose sur la volonté qu’avait Whistler d’associer sa recherche picturale aux qualités habituellement attribuées à cet animal : la légèreté, la délicatesse et la translucidité des couleurs. En effet, caractérisée par l’association d’une palette réduite, d’une matière picturale fine et d’un traitement délicat du sujet, la peinture de Whistler cherchait à rendre sensible l’évanescence des choses.

4Le sous-titre suggère également l’ampleur du phénomène culturel qu’était le whistlérisme sans se limiter à l’œuvre de Whistler ou à sa fascination pour les qualités du papillon. L’adjectivation par apposition du mot « papillon » suppose en effet que c’est « l’effet » qui était le véritable sujet de l’exposition. L’effet qu’a eu l’art de Whistler sur les artistes et les critiques de son époque certes, mais aussi l’effet des arts du Japon, de la musique, des arts décoratifs ou de la peinture de l’âge d’or espagnol sur son développement artistique. Autrement dit, la formule « l’effet papillon » semblerait témoigner de l’ambition des commissaires d’exposition d’intégrer l’art de Whistler dans l’actualité de la recherche en histoire de l’art en France. Les notions de circulations transnationales de modèles artistiques et de dialogue entre les arts étaient sous-jacentes tout au long du parcours.

5Si le remploi de l’analogie entre le papillon, la peinture de Whistler et le whistlérisme dans le titre de l’exposition était difficilement saisissable pour celles et ceux qui découvraient l’artiste pour la première fois, « l’effet papillon » n’en était pas moins un constant du parcours d’exposition. « Le papillon a pour équivalent poétique l’éventail » pouvions-nous lire dès l’entrée dans la première salle. Tel un leitmotiv, l’éventail était ainsi présent dans chaque salle de l’exposition. Sept éventails étaient exposés en tout, dont six avec des impressions de poèmes de Stéphane Mallarmé (1842-1898), ami et collaborateur de Whistler. Parallèlement à ce constant muséographique, le parcours thématique développant les notions de circulations de modèles artistiques, de sociabilité des artistes et de quête d’une matière picturale légère « à la Whistler » permettait de suivre le propos de l’exposition à plusieurs niveaux de lecture. En effet, la volonté de rester cohérent avec l’idée de la sensibilité whistlérienne rendue intelligible par le couple papillon/éventail, autant par le choix de certains objets exposés que par la rédaction des textes accompagnant le parcours, créait un cadre pédagogique généreux, où s’entremêlait l’effet poétique de la répétition et la découverte de la complexité sociale et artistique dont relevait la mode du whistlérisme au tournant du xxe siècle.

6La centralité de l’éventail et les multiples variations poétiques et picturales qu’il inspire étaient présentées d’emblée dans la première salle de l’exposition. De dimensions restreintes, elle accueillait le portrait inachevé de Whistler Rouge et noir : l’éventail (1891-1896), montrant une femme debout, baignant dans une ambiance délicate de tons rouges et châtains. Le titre du portrait et sa juxtaposition avec l’un des éventails de Mallarmé nous indiquaient cependant son véritable sujet – l’évanescence des choses représentée par l’éventail dans la main droite de la femme – tout comme nous le rappelait la citation de Baudelaire apposée sur le mur en face : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art ».

7La deuxième salle, la plus grande de l’exposition, se consacrait à la diffusion du modèle whistlérien auprès d’artistes européens et américains durant la seconde moitié du xixe siècle. Démontrant la grande fascination qu’a opéré l’art de Whistler sur les artistes du tournant du siècle, la salle nous mettait face à une véritable galerie de portraits féminins . Nous y voyions notamment les œuvres de plusieurs artistes femmes adeptes du whistlérisme. Par exemple, Symphonie en blanc (1908) d’Andrée Karpelès (1885-1956) (fig. 1), inspirée directement de l’œuvre éponyme de Whistler, la Petite Fille au mouchoir blanc (vers 1890) d’Olga Boznańska (1865-1940) et Le Chapeau à fleurs (vers 1908) de Romaine Brooks (1874-1970). À la revalorisation des artistes femmes s’associait l’ambition de montrer la grande diversité d’artistes whistlériens unis par leur utilisation commune d’une matière picturale légère, d’une palette restreinte et d’un traitement raffiné du sujet.

Fig. 1. Andrée Karpelès, Symphonie en blanc

Fig. 1. Andrée Karpelès, Symphonie en blanc

© Musée des Beaux-Arts de Nantes. Crédit photographique : Cécile Clos.

  • 1 Les conditions particulières de la donation d’Étienne Moreau Nélaton en 1906 font que cette œuvre n (...)

8Plutôt que de donner un titre à chaque salle de l’exposition, les commissaires avaient choisi d’introduire chaque nouvel espace par une citation. Venant des personnes qui ont connu Whistler, inspirées de son art ou qui se sont intéressées aux mêmes sujets que lui, celles-ci nous plongeaient d’emblée dans l’ambiance de chaque salle. Par exemple, dans la troisième salle, consacrée à la personnalité de Whistler et à la diffusion de son image, encore une citation de Baudelaire – cette fois sur le dandysme – nous invitait à nous saisir de ce personnage hors du commun. D’abord, une très grande reproduction en papier peint de Hommage à Delacroix (1864) de Henri Fantin-Latour (1836-1904)1, où Whistler figure débout au milieu, nous accueillait dans la salle. Ensuite, de part et d’autre de la porte étaient exposées plusieurs photographies et portraits de Whistler, dont le Portrait de James McNeil Whistler (1897) de Giovanni Boldini (1842-1931) (fig. 2), prêté par le Brooklyn Museum à New York. Même l’objet devenu le symbole du dandysme de Whistler, sa canne en bambou, y était exposé. Au milieu de la salle, au-dessus d’un meuble pour s’assoir en forme d’hexagone, s’élevait une vitrine dans laquelle se trouvait cette tige de bambou gracile et délicate (fig. 3). Prêté par le Isabella Steward Gardner Museum à Boston, l’« appuie-main de bambou en guise de canne » (Blanche 64) n’avait jamais auparavant été exposé en France.

9Au Musée des Beaux-Arts de Rouen, le nombre et la taille des salles d’exposition ne semblaient pas en complète harmonie avec la quantité et la diversité des œuvres à exposer. Pour contourner ce défi, le musée avait fait réaliser un décor ressemblant à un intérieur de salon de la Belle Époque afin de visuellement compartimenter les espaces d’exposition. Parfois associé à un changement de couleur des murs, ce décor pouvait occuper un ou deux côtés d’une salle, permettant ainsi de subtilement rajouter de nouveaux éléments sur la carrière de Whistler au propos central. Par exemple, une série de neuf eaux-fortes prêtées par la Bibliothèque nationale de France, issue du séjour vénitien de Whistler en 1879, était exposée dans la salle consacrée à son dandysme (fig. 4). Le changement de couleur de cimaise et le changement des éléments du décor permettaient de nous signaler visuellement qu’il s’agissait d’un propos complémentaire, voire d’un récit dans le récit. L’outil scénographique imaginé par Maud Ribault encadrait également le parcours enfant. Les enfants étaient invités, comme dans une chasse aux papillons, à chercher le monogramme de Whistler imprimé sur des rideaux dressés à l’intérieur des panneaux de bas-lambris, derrière lesquels se dévoilaient de petits dialogues conçus par Emmanuel Guibert (scénario) et Marc Boutavant (dessins).

Fig. 2. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. À gauche, le portrait de Boldini Portrait de James McNeil Whistler (1897)

Fig. 2. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. À gauche, le portrait de Boldini Portrait de James McNeil Whistler (1897)

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

Fig. 3. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Au milieu se dresse la canne en bambou de Whistler.

Fig. 3. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Au milieu se dresse la canne en bambou de Whistler.

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

Fig. 4. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Séjour vénitien de Whistler. Derrière les rideaux dans les panneaux de bas-lambris se cachait le parcours enfant.

Fig. 4. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Séjour vénitien de Whistler. Derrière les rideaux dans les panneaux de bas-lambris se cachait le parcours enfant.

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

10Comme l’exposition portait une attention particulière aux réseaux d’amitié dans lesquels Whistler évoluait et occupait une place centrale, la quatrième salle du parcours se consacrait aux deux espaces de sociabilité particulièrement importants dans le développement de ses visions artistiques et dans la diffusion de son art : les salons mondains de Stéphane Mallarmé – connus sous le nom « les mardis de Mallarmé » – et le cercle d’artistes rassemblés rassemblé par Jacques-Émile Blanche (1861-1942) à Dieppe à la Belle Époque. S’arrêter sur le personnage de Blanche, « l’ami de Proust certes, mais aussi l’ami de tous » (Du côté 14), donnait l’occasion au Musée des Beaux-Arts de Rouen de montrer de très belles œuvres de sa collection, comme George Moore (1889-1890) et Étude pour le portrait de Stéphane Mallarmé et de ses amis de la Revue Indépendante (1889), toutes deux peintes par Blanche, et le Portrait de Jacques-Émile Blanche (1886) de John Singer Sargent (1856-1925).

  • 2 Le vêtement et les accessoires féminins y occupaient un rôle central. Une étude récente de Damien D (...)

11Deux salles de l’exposition revenaient sur les sources d’inspiration diverses ayant influencé la peinture de Whistler : les arts du Japon, les arts décoratifs et la peinture de Velázquez. En effet, Whistler collectionnait l’art venu de l’Extrême-Orient et s’inspirait de l’art japonais, ainsi que le montre son œuvre Harmonie en couleur chair et rouge (vers 1869), prêtée par le Museum of Fine Arts à Boston. Or, plus que constater la fascination de Whistler pour le japonisme, les commissaires ont voulu présenter la manière dont il s’intégrait dans ce phénomène très en vogue durant la seconde moitié du xixe siècle. Un assemblage d’œuvres de petites dimensions – au milieu duquel se trouvait l’œuvre de Whistler La Note rouge : la sieste (1884) – mettait ainsi en avant le japonisme vu à travers la figure féminine (Delille)2. Y étaient également exposés des portraits monochromes bleus créés par Paul Burty Haviland (1880-1950) représentant le modèle Florence Peterson vêtue d’un kimono fleuri (fig. 5). La pose de la femme et l’esthétique japonisante de l’ensemble entraient en écho avec l’œuvre de Whistler Symphonie en blanc n° 2 : la petite fille blanche (1864) (fig. 6), exposée dans la même salle. De l’autre côté de la salle, une vitrine montrant des objets d’art décoratif à motifs japonisants mettaient davantage en perspective le caractère global du japonisme (fig. 7).

12Quoique Whistler ne soit jamais allé à Madrid, il reste pendant toute sa carrière un grand admirateur de la peinture du Siècle d’or espagnol qu’il découvre en Angleterre. Dans la petite salle dédiée à sa filiation avec l’art de Velázquez, nous pouvions voir une série de portraits, certains de grandes dimensions, dont la réserve chromatique et le fond aérien témoignent de la prédilection de Whistler pour l’art du Siècle d’or espagnol. À leurs côtés étaient exposés Jean-Jacques Henner (1829-1905), William Merritt Chase (1849-1916) et Eugène Carrière (1849-1906).

Fig. 5. Haviland, Paul Burty, Florence Peterson allongée, en kimono à fleurs, ca. 1909

Fig. 5. Haviland, Paul Burty, Florence Peterson allongée, en kimono à fleurs, ca. 1909

Fonds Paul Burty Haviland, PHO1993-1-80, Paris, musée d'Orsay.

© Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Fig. 6. Whistler, James Abbott McNeill, Symphony in White, No. 2: The Little White Girl, 1864

Fig. 6. Whistler, James Abbott McNeill, Symphony in White, No. 2: The Little White Girl, 1864

Huile sur toile, 765 x 511 mm

© Tate Britain

Fig. 7. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Salle dédiée au japonisme montrant une vitrine avec des objets d’arts décoratifs.

Fig. 7. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Salle dédiée au japonisme montrant une vitrine avec des objets d’arts décoratifs.

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

13Deux salles se consacraient ensuite à la réception de l’œuvre de Whistler après sa mort en 1903. Entre 1904 et 1905, la publication de plusieurs ouvrages, l’organisation d’expositions rétrospectives et la planification d’un monument en son honneur se recoupent, consolidant l’image d’un peintre chef de file de l’art moderne. De petites dimensions, la salle était dominée par l’œuvre en bronze d’Auguste Rodin (1840-1917) Torse de la Muse nue (1906-1907), élément de son monument à Whistler resté inachevé (fig. 8). Si cette salle mettait l’accent sur les hommages à Whistler après sa disparition, la suivante était consacrée à la postérité de son plus grand chef-d’œuvre, Arrangement en gris et noir N° 1 : Portrait de la mère de l’artiste (1871) (fig. 9). S’il est considéré comme une « icône américaine » (McDonald), maintes fois reprise dans l’histoire de l’art comme dans la culture populaire américaine (Valance 2017, 114-143), l’exposition de Rouen mettait plutôt en valeur sa réception française suivant l’acquisition qu’en fait l’État français en 1891. Entrée au Musée du Luxembourg, elle inspire des artistes tels que Paul Leroy (1860-1942), Henry Lerolle (1848-1929) et Aristide Maillol (1861-1944), tous exposés dans cette salle.

Fig. 8. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Auguste Rodin, Torse de la Muse nue, 1906-1907.

Fig. 8. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Auguste Rodin, Torse de la Muse nue, 1906-1907.

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

Fig. 9. Whistler James Abbott Mac Neil, 1804-1881, Arrangement en gris et noir n° 1, ou la mère de l'artiste, 1871

Fig. 9. Whistler James Abbott Mac Neil, 1804-1881, Arrangement en gris et noir n° 1, ou la mère de l'artiste, 1871

Paris, musée d'Orsay

© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean Schormans.

  • 3 Hélène Valance développe la mode pour ce genre initié par la peinture de Whistler dans plusieurs ou (...)
  • 4 Cité dans le catalogue de l’exposition (Valette et Calame-Levert 5).

14La dernière salle de l’exposition s’arrêtait notamment sur les nocturnes et les paysages urbains londoniens de Whistler. Par l’assemblage d’une série d’œuvres représentant le smog de la capitale anglaise – tels que Gris et argent : le quai de Chelsea (vers 1864-1868) de Whistler (fig. 10), Le Parlement de Londres (1903) de Claude Monet (1840-1926) et Londres, la lumière sous la nuit (1896) de Charles Lacoste (1870-1959) – ou les effets lumineux des grandes villes européennes, l’exposition nous offrait une traduction en images de la citation d’Oscar Wilde (1854-1900) imprimée sur l’un des murs de la salle : « À présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. […] Ils n’existèrent qu’au jour où l’art les inventa ». Ici, c’était une peinture qui tend vers l’imperceptible, voire une peinture faite d’agencements de lignes, de couleurs et de formes qui se revendique comme « anti-vision »3 qui était mise à l’honneur. L’œuvre Light Red over Black (1957) de Mark Rothko (1903-1970) (fig. 11) accrochée à la toute fin de l’exposition ouvrait le thème de l’imperceptible vers une autre génération de l’art américain – celle de l’expressionnisme abstrait. Dépassant le cadre strict de la thématique de « l’effet papillon », il permettant néanmoins de rendre sensible l’énoncé du critique d’art Pierre Schneider (1925-2013) à propos de Whistler : « Si Monet était le père de l’abstraction lyrique, alors Whistler était assurément sa mère »4.

Fig. 10. James McNeill Whistler, Grey and Silver: Chelsea Wharf, ca. 1864-1968

Fig. 10. James McNeill Whistler, Grey and Silver: Chelsea Wharf, ca. 1864-1968

Huile sur toile, 61 x 46 cm, National Gallery of Art, Washington, Widener Collection, 1942.9.99.

Fig. 11. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Mark Rothko, Light Red over Black (1957) et la palette de Whistler.

Fig. 11. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Mark Rothko, Light Red over Black (1957) et la palette de Whistler.

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

15Tout au long du parcours, divers dispositifs de médiation étaient à notre disposition afin d’approfondir notre expérience sensorielle des œuvres exposées. Dénotant l’ambition d’offrir une expérience allant au-delà de la frontalité habituelle entre regardeur et œuvre, ces dispositifs proposaient de nous plonger dans l’ambiance de l’univers artistique et social de Whistler par le toucher des étoffes, les parfums des intérieurs des salons mondains et l’écoute de la musique de la Belle Époque. Dans la première grande salle de l’exposition, presque exclusivement composée de portraits de femmes, nous étions ainsi invités à toucher des échantillons de tissus, comme la soie ou la dentelle. De même, la salle consacrée aux salons littéraires était aménagée avec une petite table au milieu, sur laquelle étaient posés de petits bocaux, des feuilles et des crayons (fig. 12). Invités à sentir, à ressentir et à écrire, nous pouvions faire part de nos souvenirs sur les feuilles mises à notre disposition. À ces différents outils de médiation s’associait parfois une dimension ludique. Par exemple, dans la salle consacrée au dandysme de Whistler était accroché un miroir face auquel nous étions invités à nous déguiser en dandy de la Belle Époque en nous servant de petits masques représentant des stéréotypes de la période.

Fig. 12. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Salle dédiée aux salons littéraires : au milieu se trouve la table avec les bocaux où les visiteurs étaient invités à écrire leurs émotions après avoir senti leur contenu.

Fig. 12. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Salle dédiée aux salons littéraires : au milieu se trouve la table avec les bocaux où les visiteurs étaient invités à écrire leurs émotions après avoir senti leur contenu.

Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

16Ainsi qu’en témoignent les titres des œuvres de Whistler, la musique occupait une place centrale dans sa production artistique. Le choix des titres tels que Symphonie, Arrangement et Nocturne dénotait une familiarité avec l’univers de la musique et jouait sur le syncrétisme entre harmonies musicales et harmonies colorées. Dans un effort de transmettre l’amour de Whistler pour la musique, le parcours muséographique s’accompagnait d’un « récit sonore poétique » réalisé par Musair et accessible via un code QR à l’entrée de l’exposition. S’il a été difficile d’intégrer des dispositifs sonores dans les salles d’exposition, absents à deux exceptions près, le parcours sonore disponible en ligne cherchait en revanche à ajouter une dimension immersive supplémentaire à l’exposition. Ainsi, le premier accompagnement sonore, nommé « prélude à Whistler », nous faisait écouter une voix off nous expliquant que « Whistler, comme Mallarmé, comme Debussy, avaient l’art de signifier l’évanescence des choses, la disparition du temps ». En toile de fond s’apercevait un autre prélude, celui de l’Après-midi d’un faune, fameux morceaux de Claude Debussy (1862-1918) composé entre 1892 et 1894 d’après le poème éponyme de Stéphane Mallarmé.

17En conclusion, l’exposition Whistler : l’effet papillon présentée au Musée des Beaux-Arts de Rouen faisait preuve d’une grande densité du propos scientifique tout en offrant des dispositifs de médiation et d’immersion divers. Accompagnée d’un catalogue rassemblant vingt-et-un articles de seize auteur.e.s, l’exposition constitue un nouveau jalon dans la recherche française sur l’œuvre de Whistler, dont la carrière d’artiste a été partagée entre la France, l’Angleterre et les États-Unis.

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Bibliographie

Du côté de chez Jacques-Émile Blanche. Un salon à la Belle Époque. (cat. exp. Paris, Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, 11 octobre 2012 – 27 janvier 2013). Paris : Skira Flammarion, 2012.

BLANCHE, Jacques-Émile. Propos de peintre. 1919. Paris : Éditions Séguier, 2013.

DELILLE, Damien. « Un japonisme patrimonial. Aux origines des collections de vêtements du Japon en France ». InSitu [En ligne], n° 52 | 2024. doi.org/10.4000/insitu.40384.

MCDONALD Margaret, dir. Whistler’s Mother: An American Icon. Londres : Lund Humphries, 2003.

VALANCE, Hélène. « Lost Horizons. Nocturnes and the Crisis of Images at the Turn of the Twentieth Century ». Night Vision. Nocturnes in American Art, 1860-1960. Dir. Joachim Homann. Munich : Prestel Verlag, 2015, p. 11-19.

VALANCE, Hélène. « Rematriating James McNeill Whistler : The Circulation of Arrangement in Grey and Black No. 1 : Portrait of the Artist’s Mother ». Circulation. Dir. François Brunet. Chicago : University of Chicago Press, 2017, p. 114-143.

VALANCE, Hélène. Nocturne: Night in American Art, 1890-1917. New Haven : Yale University Press, 2018.

VALETTE, Laura, et Florence CALAME-LEVERT, éd. Whistler : l’effet papillon. Milan : Silvana Editoriale, 2024.

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Notes

1 Les conditions particulières de la donation d’Étienne Moreau Nélaton en 1906 font que cette œuvre ne peut pas être prêtée, ni même être sortie, de son musée, aujourd’hui le Musée d’Orsay.

2 Le vêtement et les accessoires féminins y occupaient un rôle central. Une étude récente de Damien Delille nous livre une histoire de la patrimonialisation des textiles et de la mode japonais durant la seconde moitié du xixe siècle. (Delille).

3 Hélène Valance développe la mode pour ce genre initié par la peinture de Whistler dans plusieurs ouvrages (Valance 2015, 11-19 : Valance 2018).

4 Cité dans le catalogue de l’exposition (Valette et Calame-Levert 5).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Andrée Karpelès, Symphonie en blanc
Crédits © Musée des Beaux-Arts de Nantes. Crédit photographique : Cécile Clos.
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Fig. 2. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. À gauche, le portrait de Boldini Portrait de James McNeil Whistler (1897)
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 119k
Titre Fig. 3. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Au milieu se dresse la canne en bambou de Whistler.
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 111k
Titre Fig. 4. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Séjour vénitien de Whistler. Derrière les rideaux dans les panneaux de bas-lambris se cachait le parcours enfant.
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 116k
Titre Fig. 5. Haviland, Paul Burty, Florence Peterson allongée, en kimono à fleurs, ca. 1909
Légende Fonds Paul Burty Haviland, PHO1993-1-80, Paris, musée d'Orsay.
Crédits © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 544k
Titre Fig. 6. Whistler, James Abbott McNeill, Symphony in White, No. 2: The Little White Girl, 1864
Légende Huile sur toile, 765 x 511 mm
Crédits © Tate Britain
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 989k
Titre Fig. 7. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Salle dédiée au japonisme montrant une vitrine avec des objets d’arts décoratifs.
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-7.jpg
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Titre Fig. 8. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Auguste Rodin, Torse de la Muse nue, 1906-1907.
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-8.jpg
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Titre Fig. 9. Whistler James Abbott Mac Neil, 1804-1881, Arrangement en gris et noir n° 1, ou la mère de l'artiste, 1871
Légende Paris, musée d'Orsay
Crédits © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean Schormans.
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-9.jpg
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Titre Fig. 10. James McNeill Whistler, Grey and Silver: Chelsea Wharf, ca. 1864-1968
Légende Huile sur toile, 61 x 46 cm, National Gallery of Art, Washington, Widener Collection, 1942.9.99.
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Fig. 11. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Mark Rothko, Light Red over Black (1957) et la palette de Whistler.
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 105k
Titre Fig. 12. Vue d’installation de l’exposition Whistler, l’effet papillon, 2024. Salle dédiée aux salons littéraires : au milieu se trouve la table avec les bocaux où les visiteurs étaient invités à écrire leurs émotions après avoir senti leur contenu.
Crédits Crédit photographique : Y. Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie
URL http://journals.openedition.org/transatlantica/docannexe/image/23749/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Dina D. Eikeland, « Whistler : l’effet papillon, 24 mai - 22 septembre 2024, Musée des Beaux-Arts, Rouen »Transatlantica [En ligne], 2 | 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/23749 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134gj

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Auteur

Dina D. Eikeland

Chargée d’études et de recherche à l’Institut national d’histoire de l’art

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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