Journée d'étude : « New Face(s) of Conservatism »
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1Cette journée d’étude sur le conservatisme était coorganisée par trois doctorants, Pierre Mourier (Université Lyon 2, Triangle), Maxime Dafaure (Université Gustave Eiffel, LISAA), et Gabriel Solans (Université Paris Cité, LARCA). Elle visait à s’interroger sur les perspectives du conservatisme étasunien contemporain — et par extension, celles du Parti républicain. La pertinence d’un tel projet, organisé à la veille de l’élection présidentielle américaine, n’aura naturellement échappé à aucun des participants. Mais au-delà d’une actualité américaine brûlante, la justesse de cette journée d’étude était à lire à la lumière des transformations profondes que connaît actuellement le conservatisme américain. En effet, ce dernier est en pleine recomposition — phénomène à la fois mis en lumière et accéléré par Donald Trump depuis 2016. D’aucuns diraient que cette recomposition est telle qu’elle n’a de conservatrice que le nom (Never Trumpers). À ce titre, la journée d’étude visait à présenter un état des lieux (non-exhaustif) de ce conservatisme. Un second objectif était de proposer des analyses permettant de rendre compte des transformations du Parti républicain et du mouvement conservateur ainsi que des stratégies, tactiques et idéologies qui les sous-tendent. La journée d’étude était structurée en trois axes aux problématiques diverses mais complémentaires, sur lesquelles nous nous proposons de revenir.
Axe 1 – Enjeux et perspectives du Parti républicain
2À bien des égards, le Parti républicain est aujourd’hui en pleine mutation, que cette dernière soit idéologique, stratégique ou tactique. De fait, le Parti républicain des années 2020 peut encore difficilement être considéré comme le « parti de Ronald Reagan » — un épithète dont il a longtemps été affublé. Le premier axe de la journée d’étude visait ainsi à affiner la compréhension de l’actuelle mue du Parti républicain en en analysant les ressorts et en mettant en lumière les points saillants. Et ce, afin de mieux en saisir les perspectives futures. Notons que si le titre de l’axe évoquait les perspectives du Parti républicain, les communications ont en fait principalement porté sur les stratégies et évolutions du mouvement conservateur. À n’en pas douter, cette porosité sémantique est révélatrice de l’identification grandissante de l’un avec l’autre — ce qui, historiquement, n’a pas toujours été le cas. Quoi qu’il en soit, la variété des problématiques soulevées par les trois communications témoignent de la dimension innovatrice d’un mouvement conservateur capable de se renouveler sur bien des aspects.
3Intitulée « The Role of Capitol Ministries in Promoting Conservative Discourse and Ideology in the United States and Brazil », la communication de Jéssica da Silva Duarte et Joanildo Burity (Universidade Federal de Pernambuco) consistait en une étude de cas de Capitol Ministries. Lancée en 1996 par Ralph Drollinger, cette organisation à but non-lucratif cherche à fonder des ministères dans les cinquante assemblées législatives américaines afin d’encourager l’évangélisation des élus. La communication de da Silva Duarte et Burity a ainsi permis de souligner la capacité d’innovation organisationnelle dont est capable le mouvement conservateur. Si les tentatives d’influence de la part des lobbys ou think tanks sont déjà bien connues, l’exemple de Capitol Ministries permettait d’approfondir les recherches menées sur ces organisations qui cherchent à influencer l’agenda politique de façon plus oblique encore, via « l’éducation » des élites politiques. Il va sans dire que cette éducation est rarement apolitique et vise en réalité la promotion de certaines politiques — en l’occurrence, nationalistes chrétiennes. Par ailleurs, la présentation de da Silva Duarte et Burity a mis en avant une caractéristique plus originale de Capitol Ministries, à savoir son implantation massive en Amérique du Sud, notamment au Brésil — avec les mêmes objectifs en tête. La discussion s’est notamment concentrée sur cette dernière dimension, qui souligne la vitalité organisationnelle d’un mouvement capable de tirer profit de la mondialisation pour promouvoir son programme politique au-delà des États-Unis, alors même qu’il s’oppose de plus en plus à cette mondialisation.
4La deuxième intervention a permis d’étudier le dynamisme du mouvement conservateur en s’intéressant plus spécifiquement à ses innovations rhétoriques. La communication de David Poyol (Sorbonne Nouvelle, CREW) portait, en effet, sur « l’antiwokisme comme rhétorique républicaine : échecs, conséquences et implications pour le parti et les entreprises ». Poyol a ainsi rappelé comment le terme de « wokisme » — notion originellement progressiste — avait été coopté par les conservateurs pour en faire une arme politique. Le terme n’ayant aucune définition clairement établie, il est, en effet, utilisé pour fustiger tout ce qui répulse les conservateurs : droits LGBT, lutte anti-raciste, politiques d’inclusion… A ce titre, l’usage de « wokisme » se rapproche de celui qui a historiquement été fait de « communiste ». Cela souligne combien cette innovation rhétorique n’est finalement que l’itération la plus moderne d’une pratique plus ancienne au sein du mouvement : l’amalgame. Cela dit, Poyol a également montré comment cette rhétorique avait aussi été invoquée pour s’attaquer à certaines entreprises dites « wokes » — l’exemple-phare étant l’offensive de Ron DeSantis contre Disneyland en Floride. La communication a ainsi permis de mettre en lumière une dynamique dépassant la dimension rhétorique — à savoir la mue idéologique du conservatisme et son abandon progressif du libre-marché et de la dérégulation au profit d’un rôle accru de l’Etat. Poyol a finalement conclu sur l’idée que la notion de wokisme était aujourd’hui délaissée par les conservateurs car elle serait un cheval de bataille perdant lors des élections. Cette conclusion a toutefois pu être contestée lors de la discussion. A, en effet, été émis l’hypothèse que cet abandon tiendrait plus à la victoire des idées sous-entendues par l’anti-wokisme au sein du mouvement et du parti qu’à un désintérêt des électeurs pour les guerres culturelles. Il est d’ailleurs significatif que certains alliés du mouvement MAGA, tel Elon Musk, persistent à utiliser le terme. Si échec il y a, ce serait alors davantage celui de DeSantis que de l’anti-wokisme en général.
5En outre, en rappelant les régulations imposées à certaines entreprises par les élus conservateurs au nom de l’anti-wokisme, Poyol a mis en avant le processus de reformulation doctrinale dans lequel est actuellement engagé le conservatisme. Ce renouveau idéologique représentait le cœur de la présentation de Jean-Baptiste Velut (Sorbonne Nouvelle, CREW) : « Quand le conservatisme américain repense la mondialisation ». Cette communication cherchait à exposer la vision de la mondialisation portée par le conservatisme trumpiste et à en expliciter les racines (idéologiques, géopolitiques…). S’il est ici impossible de revenir sur chacune de ces causes, la communication a permis de souligner plusieurs éléments révélateurs de l’importance de ce renouvellement idéologique. Elle a ainsi mis en évidence l’écart grandissant entre un conservatisme pro-business promouvant le libre-échange et l’hyper-mondialisation et un conservatisme trumpiste défendant le protectionnisme économique. À cet égard, Velut a aussi souligné combien cette branche du conservatisme pouvait transcender les clivages partisans et s’accorder avec les critiques anti/altermondialistes formulées par la gauche américaine. C’est dire combien le conservatisme trumpiste diverge des doctrines conservatrices traditionnelles. Finalement, Velut a aussi mis en exergue les nombreuses incohérences et tensions entre les principes protectionnistes (tels que pensés par Robert Lighthizer ou Peter Navarro) et leur mise en œuvre politique par Donald Trump. Si cette instabilité est consubstantielle à Trump, elle pourrait aussi être lue comme un signe que la reformulation doctrinale du mouvement est encore loin d’être finalisée.
Axe 2 – Nouveaux médias, nouvelles stratégies de communication
6Si le premier axe s’intéressait à la mue du Parti républicain et du mouvement conservateur en général, le deuxième axe se focalisait sur l’objet plus spécialisé des médias conservateurs. Plus spécifiquement, l’accent était mis sur les transformations contemporaines de médias conservateurs depuis les années 1990, et l’influence réciproque exercée par les sphères médiatiques et politiques l’une sur l’autre. À bien des égards, les communications données lors de cet axe permettaient de rendre compte des évolutions du mouvement présentées en première partie de journée.
7En premier lieu, la présentation d’A. J. Bauer (University of Alabama) — « Complicating Determinism: Political Economy, Contingency, and Right-Wing Media » — a permis de poser les bases théoriques permettant de mieux penser l’instrumentalisation des médias par les conservateurs. Bauer s’oppose, en effet, à l’idée d’un hyper-déterminisme économique comme facteur d’explication de la prolifération des médias conservateurs. Si une analyse des facteurs économiques (concentration des médias, structures financières et régulatoires, principe de maximisation des profits…) est toujours pertinente, ces facteurs ne peuvent en aucune façon constituer une fin en soi. Ils n’impliquent, en effet, pas nécessairement l’émergence de médias conservateurs. De fait, il convient de considérer les structures économiques au prisme de facteurs socio-politiques, tels que les pratiques socio-professionnelles, la dominance de certaines idéologies, les régulations gouvernementales… C’est en effet cette combinaison de facteurs qui ouvre (ou ferme), à chaque instant donné, un certain nombre de potentialités d’action (action possibilities). Ces dernières peuvent alors être saisies ou non par des activistes dans la poursuite de leurs objectifs politiques. Concernant les conservateurs américains, Bauer a rappelé que c’est la politique libérale d’équilibre idéologique dans les médias (Fairness Doctrine) qui a fourni les conditions d’émergence d’un réseau médiatique conservateur. Mécontents de cet équilibre qui servait en réalité à propager le discours libéral dominant, les conservateurs ont, en effet, cherché à exploiter les tensions du système médiatique pour promouvoir une idéologie antagoniste (oppositional ideology). Outre les soubassements théoriques qu’elle fournissait, cette communication était donc particulièrement pertinente en ce qu’elle invitait à s’intéresser plus finement à l’agentivité des activistes conservateurs en contexte — plutôt qu’à se limiter aux données économiques.
8Cette attention portée aux activistes a d’ailleurs été mise à l’honneur lors des présentations de deux autres intervenants, avec tout d’abord Sébastien Mort (Université de Lorraine, CREM) et sa communication intitulée « Résurgence du conservatisme étasunien, acte 2 : la radio comme catalyseur du “conservatisme autoritaire” ». Abordant la question des talk shows tels que ceux animés par Rush Limbaugh dans les années 1990, la communication se focalisait sur la manière dont ces programmes radios ont participé à la normalisation d’un conservatisme aux tendances autoritaires. À plusieurs égards, la présentation de Mort a pu faire écho à celle de Bauer, notamment en rappelant que l’émergence de ces talk shows avait résulté de l’exploitation par les conservateurs de certains changements technologiques (passage des modulations radiophoniques AM à FM, généralisation de la transmission satellite…) et régulatoires (abrogation de la Fairness Doctrine) dans le système médiatique. Cela dit, la communication était davantage focalisée sur la rhétorique employée dans ces talk shows. En l’occurrence, Mort soulignait combien ces derniers recourent à l’hyperbole, l’invective, la calomnie, pour non pas édifier l’auditoire mais l’indigner. Cette rhétorique de l’indignation (moral outrage) sert alors à convoquer un « ennemi absolu » (cf. Carl Schmitt et l’absolute enmity) qui est exclu de la sphère politique — et donc délégitimé — et qui doit être détruit car représentant une menace fondamentale pour les États-Unis. Il va sans dire que l’ennemi est presque toujours incarné par les Démocrates/Progressistes — que cela soit comme un concept vague ou à travers des représentants symboliques (Obama, Planned Parenthood) — mais aussi par certains Républicains modérés. En opposant ainsi un exogroupe menaçant à un endogroupe considéré comme légitime, ces talk shows ont donc repris à leur compte une des caractéristiques même de l’autoritarisme. Leur grande popularité leur a ensuite permis de normaliser ce conservatisme autoritaire. Cette conclusion est d’autant plus pertinente lorsqu’elle est mise en relation avec la rhétorique trumpiste depuis 2016. En effet, les campagnes électorales de Donald Trump reposent sur ce même registre apocalyptique appelant à battre à tout prix l’ennemi démocrate au risque de voir la nation s’effondrer totalement. Que même un ancien président utilise une telle rhétorique témoigne bien de la réussite de ces programmes à infuser cet éthos autoritaire au sein du mouvement conservateur.
9Intitulée « US Conservative Culture Going Viral », la présentation d’Aurore Portet (Sciences Po Lyon, Triangle) portait sur un phénomène plus moderne : la culture visuelle du conservatisme à travers l’usage de mèmes sur Truth Social. L’objectif de cette recherche était de déterminer si Truth Social sert de hub collaboratif aux conservateurs pour affûter leur guerre de l’image ou s’il sert plutôt de refuge en ligne coupé des luttes partisanes. Notons que cette présentation se voulait expérimentale et s’est focalisée sur la micro-analyse de plusieurs mèmes. Du fait de l’opacité de Truth Social et de la paucité des données publiques, il est, en effet, difficile de tirer des conclusions générales. La communication a toutefois apporté un certain nombre d’éclairages concernant les développements contemporains du mouvement conservateur et de son rapport aux médias. Portet a notamment mis en exergue l’idée que les mèmes partagés sur Truth Social n’ont bien souvent plus grand-chose de subversif, usés qu’ils sont par la répétition et la saturation. Truth Social s’apparenterait alors davantage à un espace communautaire visant à renforcer les liens de sociabilité entre membres. Cette idée a représenté le cœur de la discussion ayant suivi la communication. En effet, cet appauvrissement pourrait être vu non pas comme un signe d’un affaiblissement du conservatisme, mais plutôt comme un signe de sa solidification. Alors que les mèmes avaient d’abord été la caractéristique presque exclusive d’une minorité dite « alt-right » sur des forums tels que 4chan, leur appropriation par les utilisateurs plus âgés de Truth Social pourrait témoigner d’une dissipation du mouvement alt-right au sein du mouvement MAGA. Par ailleurs, Portet a pu souligner que, lorsque cette subculture avait fait irruption dans l’espace public lors de l’assaut du Capitol le 6 janvier 2021, ces visuels n’étaient pas apparus comme totalement inconnus aux yeux du grand public. Si la culture du mème est un phénomène relativement récent et appelle à davantage de recherche, cette visibilité pourrait être un signe supplémentaire d’une certaine sédimentation du mouvement trumpiste au sein du paysage politique américain.
Axe 3 – Le conservatisme au Congrès
10Le troisième et dernier axe de la journée d’étude était centré sur la question du conservatisme au sein du Congrès. Plus spécifiquement, l’accent était mis sur les stratégies d’action employées par les élus conservateurs et l’impact qu’elles ont sur les pratiques institutionnelles. La présentation d’Annis Ghemires (Université Paris Nanterre, ISP) portait ainsi sur la « polarisation politique, [les] transformations institutionnelles et [le] déclin de la civilité à la Chambre des représentants états-unienne depuis les années 1970 ». Cette étude visait à mettre en avant les facteurs expliquant le passage d’une institution marquée par la civilité et la délibération bipartisane (Textbook Congress, années 1940-1970) à un Congrès désormais miné par la polarisation et la violation des normes institutionnelles (impeachments, censures...). Ghemires a rappelé que, pour une part, ce déclin de la civilité s’expliquait par l’homogénéisation idéologique des partis — et donc leur polarisation croissante — ainsi que par l’action des élites partisanes qui ont accéléré la centralisation des institutions aux dépens des commissions parlementaires, autrefois plus indépendantes. Cette présentation permettait ainsi d’approfondir la recherche déjà menée au sujet des effets de la polarisation sur les institutions. Ghemires a toutefois aussi mis en exergue d’autres causes moins bien étudiées. La première est la polarisation des employés parlementaires eux-mêmes (congressional staffers) dont les interactions bipartisanes sont de plus en plus limitées. Ces remarques avaient le mérite d’inclure dans l’étude de la polarisation ces figures qui gravitent autour des élus mais qui ne reçoivent pas toujours l’attention qu’elles mériteraient eu égard au rôle-clé qu’elles jouent au Congrès. Finalement, Ghemires a souligné le rôle joué par la montée de la violence politique, qui participe à créer un climat de défiance au sein de l’institution. Ces remarques étaient d’autant plus pertinentes qu’elles permettaient de dépasser une vision des effets de la violence politique limitée aux simples politiciens (voir notamment les tentatives d’assassinat contre Donald Trump) pour mettre en lumière ses effets jusqu’aux institutions elles-mêmes.
11Touchant également à la question de la polarisation, la deuxième présentation était davantage focalisée sur les divisions internes au sein du Parti républicain et l’impact de ces luttes sur le Président de la Chambre des représentants (Speaker). Présentée par Agnès Trouillet (Université Paris Nanterre, CREA), la communication s’intitulait « “Speakered,” or the evolution of the GOP as translated in the repeated attacks by ultraconservatives on the Speaker position » et consistait en une histoire de l’évolution de la position de Speaker depuis John Boehner (2011-2015) jusqu’à Mike Johnson (2023-). S’il est ici impossible de revenir sur la présidence des quatre Républicains ayant rempli cette fonction depuis 2011, rappelons l’accent placé par Trouillet sur la motion de destitution du Speaker (motion to vacate the chair). Ressuscitée par le House Freedom Caucus en 2015, cette procédure permet à un représentant de demander un vote de la Chambre en vue de la destitution. De fait, la menace d’un recours à cette procédure a été instrumentalisée — et même utilisée avec succès contre Kevin McCarthy — par la frange droite du Parti républicain pour maintenir une pression maximale sur le Speaker, le but affiché étant l’adoption ou la mise au débat de politiques soutenues par le House Freedom Caucus. Cette stratégie a eu pour effet de fragiliser le Speaker — fonction traditionnellement très puissante — en le plaçant dans une position précaire et en le forçant à s’adapter à la frange radicale de son parti aux dépens de l’idéal même de compromis. En cela, la présentation de Trouillet apportait un éclairage supplémentaire sur le déclin de la civilité tel que présenté par Ghemires. Trouillet souligne cependant combien cette stratégie a paradoxalement aussi forcé les Speakers républicains à travailler davantage avec le parti minoritaire démocrate pour créer des majorités ad hoc visant à assurer la continuité de l’État (vote du budget fédéral, plafond de la dette). Plus largement, la communication a permis de mettre en lumière les luttes factionnelles qui déchirent actuellement le Parti républicain, sous l’effet d’une version du conservatisme rejetant tout compromis et faisant peu de cas des normes institutionnelles. Dans la mesure où cette frange, liée à Donald Trump, est probablement appelée à exercer de plus en plus d’influence, ces remarques étaient éclairantes.
12La journée d’étude s’est terminée avec la présentation d’Alix Meyer (Université Clermont Auvergne, CHEC), qui a pu apporter un certain nombre de réponses à des questions soulevées par les deux communications précédentes. Intitulée « “The Uniparty” ou les paradoxes de la polarisation à la Chambre des représentants », cette présentation se concentrait sur la théorie défendue par certains conservateurs selon laquelle il y aurait un parti unique (uniparty) au Congrès. Coopté par Steve Bannon en 2017, le terme « uniparty » désigne l’existence supposée d’une alliance entre Démocrates et Républicains modérés visant au maintien du statu quo politique. En étudiant la répartition des voix à l’occasion de quatre votes sur le financement de l’État fédéral, Meyer a déterminé que ce sont paradoxalement les conservateurs qui permettent l’existence de ce prétendu parti unique ou, du moins, de coalitions ad hoc entre Démocrates et Républicains. En effet, en divisant la majorité, la frange conservatrice pousse les Républicains modérés à s’allier, par opportunisme politique, aux Démocrates sur des votes-clés pour assurer le bon fonctionnement de l’institution. En cela, Meyer faisait écho aux conclusions proposées par Trouillet tout en proposant une résolution à ce comportement paradoxal. La construction de ce « parti unique » viserait, en effet, non pas l’obtention de victoires immédiates, mais plutôt le contrôle du Parti républicain. L’objectif des élus les plus radicaux serait ainsi d’homogénéiser le parti pour le rendre encore plus conservateur. Les défaites législatives à court terme pourraient ainsi entraîner des victoires à plus long terme, dans la mesure où la capacité d’influence d’un parti se mesure selon deux facteurs : la polarisation extra-partisane et l’homogénéité intra-partisane. À cet égard, la présentation a, elle aussi, permis de mieux mettre en lumière les divisions factionnelles propres au Parti républicain et ainsi de nuancer l’idée selon laquelle le parti serait déjà unifié autour d’une conception trumpiste du conservatisme. La communication a ainsi souligné le besoin d’en apprendre davantage sur cette faction MAGA, ses modes d’action et son influence. Cela est d’autant plus vrai que Meyer a souligné que si les opposants aux coalitions bipartites à la Chambre étaient souvent les plus conservateurs (House Freedom Caucus), le critère idéologique n’était pas un facteur d’explication suffisant. Il faudrait également prendre en compte un facteur attitudinal quant au respect à avoir face au parti et aux institutions — facteur encore peu étudié mais somme toute assez cohérent avec la méfiance trumpiste envers les institutions démocratiques.
13Cette journée d’étude aura ainsi été l’occasion de mettre en avant la richesse de la recherche sur le conservatisme étasunien contemporain. Comme démontré tout au long de la journée, cette diversité concerne aussi bien les objets d’étude que les angles d’analyse pouvant être utilisés. Si synthétiser cette variété en quelques lignes de conclusion serait trop réducteur, à tout le moins soulignons que ces différentes recherches s’accordent sur l’importante recomposition actuellement à l’œuvre à l’intérieur du mouvement conservateur et du Parti républicain. Que cette mue soit idéologique, stratégique ou même rhétorique, elle témoigne d’un mouvement vigoureux, capable de s’adapter à un monde changeant, d’en tirer avantage, et d’y imprimer sa marque. Ainsi, la journée d’étude aura brillamment justifié son intitulé et la mise en avant des nouveaux visages du conservatisme. Finalement, aussi riche que cette journée ait pu être, elle n’aurait su être exhaustive. À ce titre, elle s’est conclue par une ouverture sur d’autres sujets, notions ou clés d’analyse potentiels du conservatisme. Nous les listons ci-après au bénéfice des chercheurs souhaitant approfondir la recherche sur le conservatisme : influenceurs conservateurs, environnement, déficit budgétaire, genre, think tanks, immigration, complotisme, milieux d’affaires/finance, professionnalisation, matérialisme historique, politique étrangère.
Pour citer cet article
Référence électronique
Quentin Peuron, « Journée d'étude : « New Face(s) of Conservatism » », Transatlantica [En ligne], 2 | 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/24222 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134gy
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