1Issu d’une recherche collective pluridisciplinaire, à laquelle ont participé des historiens, des sociologues, des juristes, des économistes et des gestionnaires, cet ouvrage interroge les déterminants de la rémunération du travail (salaires, normes, conventions, etc.) du xix^e siècle à nos jours, en France comme dans les espaces coloniaux. La rémunération du travail s’inscrivant dans le régime salarial de type occidental, trois composantes principales sont mises en exergue : le salaire proprement dit, les avantages non monétaires liés à l’emploi et les prestations indirectes et socialisées. À partir de ce triptyque heuristique, le volume, d’une part, s’attache à rendre compte des politiques de rémunération en s’intéressant aussi bien aux débats auxquels elles ont donné lieu qu’à leur mise en pratique (première partie) ; d’autre part, il restitue des études de cas sur les manières de construire le « prix du travail » dans des contextes et des conjonctures diverses (deuxième partie) ; enfin, un glossaire composé de cinquante-cinq entrées offre un éclairage historico-juridique sur la conception et l’usage de plusieurs dizaines de termes et expressions (troisième partie).

3Partant de ce cadre conceptuel caractérisant la détermination du salaire et largement centrée sur les sources du droit, la seconde partie de l’ouvrage s’ouvre à l’étude de terrains spécifiques dont la diversité (en matière de branches, de métiers, de territoires) apporte autant de richesse que de complexification pour dégager une lecture partagée du phénomène. Jean-Pierre Le Crom s’intéresse d’abord au « prix du travail » dans les colonies françaises d’exploitation. En s’appuyant sur une vaste enquête menée par une équipe de juristes et portant sur la genèse du droit colonial du travail, il souligne la difficulté à se saisir d’une notion éminemment occidentale, alors que dans les espaces coloniaux, le mouvement de salarisation est très minoritaire et qu’une panoplie de dispositifs juridiques et administratifs (décrets, arrêtés, circulaires, etc.) a construit au fil des années un véritable Code du travail parallèle destiné aux populations « autochtones », tout en mêlant des mesures protectrices et répressives (du droit à la ration alimentaire aux sanctions pénales en cas de rupture du contrat de travail, sanctions qui rendent poreuses les frontières entre travail libre et travail forcé). En instaurant une égalité en droit, la conférence de Brazzaville de 1944 constituerait un tournant dans l’histoire salariale des territoires de l’Empire.

4La reconstruction minutieuse des salaires des professeurs depuis 1802, faite dans le chapitre suivant par Yves Verneuil, se situe sur un tout autre versant de l’histoire des rémunérations. L’auteur montre que l’oscillation historique entre logique de grade et logique de fonction ne profite pas vraiment à la valorisation des rémunérations, notamment par rapport aux autres fonctionnaires de l’Éducation nationale. Dans un autre registre, celui des rémunérations portuaires entre le xix^e et le xx^e siècle, Michel Pigenet souligne que, derrière la grande variété des normes et des pratiques (du rôle des intermittents à celui des primes et des prestations sociales), les dockers ont toujours occupé une place enviable au sein du monde ouvrier français. La rémunération ouvrière, en outre, révèle des enjeux identitaires et politiques majeurs. En suivant les cycles de lutte chez Renault depuis les années 1950, tels que les sources syndicales (notamment celles de la Confédération générale du travail [CGT]) les révèlent, Alain Viguier met ainsi en évidence la relation conflictuelle entre logiques organisationnelles et logiques statutaires comme dans le cas des grèves des ouvriers spécialisés (OS) après 1968.

5Ces études de cas dessinent un paysage pluriel des modes de rémunération et de leur régulation, comme en témoigne l’empilement de dispositions opérant aujourd’hui encore dans la gestion du personnel (chapitre de Claire Edey Gamassou) ou dans le droit du travail (chapitre de Pierre-Yves Verkindt) et ce, compte tenu des tensions internes à ces domaines spécifiques (voir les débats sur les minima conventionnels ou sur l’individualisation des rémunérations).

6Pour faciliter la lecture de cet ouvrage composite, le choix de rédiger un glossaire à visée pédagogique apparaît pertinent. D’autant que ce dernier entend non seulement expliciter le vaste vocabulaire du monde des salaires, mais aussi combler certains aspects que les chapitres n’ont soit pas traités du tout, soit de manière partielle seulement. C’est le cas, par exemple, du salaire socialisé, auquel le glossaire consacre plusieurs notices (cotisations, assurances, prestations sociales), des formes d’incitation au travail (primes, bonus, dispositifs d’intéressement) ou encore des formes « invisibles » de rémunération en termes symboliques (bénévolat) ou fiscaux (travail illégal).

7Finalement, si certaines thématiques – comme celle de l’affirmation du principe « à travail égal, salaire égal » pour les femmes et les travailleurs migrants ou celle de l’accès aux droits sociaux des travailleurs coloniaux – auraient pu faire l’objet d’une étude ad hoc pour favoriser le décentrement de l’analyse des conceptions du salaire et des politiques salariales, il ne reste pas moins que cet ouvrage collectif pose les bases d’une mise au jour historiographique et d’un dialogue entre les disciplines qui sont les bienvenus. Il saura sans doute inspirer d’autres recherches dans le futur.