1Alors que le premier semestre de 2023 a été marqué par une forte mobilisation intersyndicale contre une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale visant à allonger la durée des cotisations et à reculer l’âge légal de départ à la retraite, cet ouvrage, qui propose une réflexion sur l’état du syndicalisme français, est le bienvenu. Si de nombreux travaux ont été conduits sur les défis syndicaux, que ce soit en explorant des questions transversales (la syndicalisation des jeunes, des femmes, des précaires) ou en proposant des monographies d’organisations syndicales, cette contribution offre un état des lieux panoramique très utile. Elle part du fossé entre une situation et une ambition : d’une part, une crise de légitimité des organisations syndicales qui se traduirait par leur incapacité à représenter le monde du travail ainsi qu’en témoigne, entre autres, la baisse continue du taux de syndicalisation ; d’autre part, les missions de ces organisations qui seraient celle de défendre les travailleurs et les travailleuses mais aussi celle de peser sur les orientations et le devenir des sociétés contemporaines. L’auteur, Jean-Marie Pernot, assume dès l’introduction de son ouvrage un parti pris, qu’il qualifie lui-même de « normatif » (p. 9) et « engagé » (p. 12), qui consiste à imaginer « le syndicalisme d’après ». Pour ce chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), très fin connaisseur et observateur du monde syndical, il s’agit ainsi d’élaborer des propositions susceptibles de redonner aux organisations syndicales leur « puissance d’agir » (p. 8). Pour cela, il structure son ouvrage autour de trois enjeux : le répertoire revendicatif, le répertoire de l’action collective, les rapports de force entre organisations. Pour chacun d’entre eux, il dresse l’inventaire de la situation avant de proposer des pistes de revitalisation qui permettraient le développement d’un syndicalisme à la hauteur des enjeux qu’il lui fixe : agir pour l’émancipation au travail.

2La première partie porte sur le cahier revendicatif syndical. À côté des préoccupations classiques en matière de rémunération, d’organisation ou encore de temps de travail, l’auteur pointe l’émergence d’enjeux plus (ou moins) récents, et notamment l’égalité professionnelle (femmes/hommes), la transition écologique ou les effets de la numérisation du travail sur le contenu et le sens de l’activité. Plutôt qu’une contraction des sujets à débattre et à défendre, il montre leur extension vers ces nouveaux domaines et invite les organisations syndicales à s’en saisir, en tant qu’actrices de la transformation de la société en général – qui ne se limite pas à l’espace social du travail. Cet élargissement du répertoire revendicatif constitue selon l’auteur un moyen de lutter contre la perte d’influence syndicale, qu’il objective par des indicateurs comme le taux de participation aux élections professionnelles ou d’adhésion syndicale, tout en rappelant que le taux de couverture conventionnelle est toujours très élevé. Cela constitue pour lui une stratégie de reconquête des voix, de l’influence et d’une légitimité pour représenter les travailleurs et les travailleuses dans leur diversité.

3La deuxième partie analyse le répertoire de l’action collective des organisations syndicales. L’auteur pointe les dangers d’une forte institutionnalisation du syndicalisme, qui se traduit par un temps croissant consacré à siéger dans des instances (d’entreprises, sectorielles ou interprofessionnelles) dont l’agenda est largement dicté par les employeurs. Parmi ces dangers, sont plus particulièrement mis en exergue ceux liés au développement de la régulation du travail au niveau de l’entreprise (plutôt que de la branche) qui conduit à segmenter les collectifs de travail. Il appelle par conséquent à renouer avec une organisation institutionnelle fondée sur la chaîne de valeur (l’ensemble des travailleurs et travailleuses concourent à produire une même chose) plutôt que sur l’entreprise – rappelant ainsi un syndicalisme historiquement fondé sur le métier plutôt que sur l’industrie (l’entreprise). Il invite également à construire une unité de mobilisation avec les autres acteurs du mouvement social en utilisant à nouveau l’ensemble de la palette d’actions : négociations, concertations mais aussi grèves et manifestations.

4La dernière partie aborde la question des divisions syndicales, en se centrant plus particulièrement sur les positions de deux organisations : la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et la Confédération générale du travail (CGT). En retraçant une histoire des stratégies et des rapprochements entre elles deux et avec les autres, l’auteur montre que les confédérations syndicales – c’est-à-dire les organisations syndicales au niveau national – parviennent à échéance régulière à faire front commun mais de manière ponctuelle. Si l’ouvrage a été publié juste avant la séquence de début 2023 sur la réforme des retraites, celle-ci montre qu’il est effectivement possible que les centrales syndicales se mobilisent ensemble lorsque l’enjeu l’exige, en portant des revendications et des mobilisations communes. L’auteur pointe cependant les limites de cette unité de circonstance qui se construit au gré des réformes et des périls, qu’il s’agisse, en vrac, de la gestion de la crise financière, de la montée de l’extrême droite ou du dérèglement climatique. Il appelle au contraire à la construction d’une unité syndicale large, solide et durable, qui repose sur des revendications et des stratégies communes. Si cette unité syndicale est très souvent réalisée au sein des entreprises ou au niveau européen – ce sur quoi l’auteur explique ne pas avoir le temps de se pencher –, elle est effectivement plus ponctuelle au niveau national, bien que ces stratégies d’union se soient aussi développées avec des acteurs de la société civile (collectifs « Plus jamais ça » et « Pacte du pouvoir de vivre » qui regroupent organisations syndicales et associations). Il souhaite ainsi que les deux grandes organisations syndicales, et plus particulièrement la CGT, revoient leur structuration interne et leurs postures de manière à construire conjointement un rapport de force favorable au travail. La conclusion propose de fonder cette unité autour d’une ligne directrice, celle de la lutte pour la reconnaissance du travail et des travailleurs.