1En France, entre 2000 et 2019, le nombre annuel de déclarations préalables à l’embauche (DPAE) concernant des contrats à durée déterminée (CDD) de moins d’un mois a été multiplié par 2,7 là où les déclarations concernant un emploi plus durable ne l’étaient que par un facteur de 1,2 (données de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale-Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, Acoss-Urssaf1). Cette très forte poussée des CDD de moins d’un mois (contrats courts, désormais CC dans la suite du texte) a donné lieu à des explications diverses (Bornstein, Perdrizet, 2019). Celles-ci mettent particulièrement en cause le CDD d’usage (Berche et al., 2011), qui permet de déroger au droit commun, et/ou des règles d’assurance chômage jugées trop favorables à l’emploi discontinu (Cahuc, Prost, 2015). Ces deux aspects seraient notamment à l’origine de l’augmentation de la réembauche2 (Benghalem, 2016), un phénomène tenu pour essentiel dans la montée des CC. Ils ont en commun de correspondre à des pratiques de gestion de l’emploi liées à un environnement réglementaire réputé trop accommodant.
2Mais une augmentation du nombre d’embauches en CC peut aussi intervenir dans le cadre de modalités normales de recours au CDD telles que les remplacements temporaires, les surcroîts d’activité ponctuels ou saisonniers ou les délais de recrutements de personnels permanents. Le remplacement d’un salarié absent est, de fait, le principal motif de recours aux CC (Rémy, 2019) et le développement de l’emploi salarié permanent détermine une augmentation normale du besoin en remplacements temporaires par simple effet d’échelle. Si, de surcroît, la structure de l’emploi permanent se transforme avec des profils de travailleurs et/ou des conditions de travail entraînant plus d’absences (motifs de santé, familiaux et autres), un effet de structure s’ajoute à l’effet d’échelle. Enfin, partant d’une répartition de l’activité économique entre des secteurs diversement utilisateurs de CC, une recomposition sectorielle de l’activité influence le nombre agrégé d’embauches en CC. Par ailleurs, même quand les pratiques contribuent à la montée des CC, elles peuvent avoir bien d’autres ressorts que l’exploitation de dispositions réglementaires trop accommodantes. Outre le remplacement de salariés absents, les CC permettent aux entreprises d’ajuster leur main-d’œuvre aux variations d’activité conjoncturelles ou saisonnières et peuvent préfigurer la création d’emplois permanents (Lagarenne, Lamarche, 2008).
3Or, au-delà de la réglementation du CDD et de l’indemnisation chômage, les caractéristiques socio-économiques de la France se sont considérablement transformées en quarante ans, dans un sens pouvant expliquer un recours accru aux CC. Ces transformations sont d’abord démographiques : le vieillissement a augmenté les besoins en services de soin et changé la structure par âges de la population salariée ; la féminisation de cette population a modifié les conditions de gestion de l’emploi. Mais elles sont aussi plus directement économiques avec l’affirmation de logiques post-industrielles (Cohen, 2006). Le secteur concurrentiel, désormais financiarisé et intégré au reste du monde, a vu une partie de son appareil productif s’implanter ailleurs (Demmou, 2010). Les entreprises industrielles qui ont gardé des sites de production en France ont trouvé un levier de réduction de leurs coûts en externalisant des activités longtemps intégrées (Ceci-renaud, 2016) : le processus a notamment alimenté la croissance des services aux entreprises. Ces mouvements ont été accompagnés par une politique d’allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, favorable aux activités et aux organisations intenses en emploi peu qualifié, notamment dans le tertiaire (Carbonnier et al., 2016). L’emploi marchand s’est polarisé avec un affaissement de la part des emplois de qualification intermédiaire (Peugny, 2018). Côté emploi non marchand, le financement des services publics s’est resserré (Gouardo, Lenglart, 2019) ; les conditions d’emploi de la fonction publique ont subi une dégradation relative (Audier et al., 2015) et le recours à des agents contractuels s’est banalisé (Peyrin, 2019). Dans une économie tertiarisée, les gains de productivité ont impliqué une intensification du travail (Askenazy et al., 2019) qui a pu contribuer à la hausse des absences au travail (Inan, 2013).
- 3 Le rôle d’une possible substitution, dans les pratiques des employeurs, du CDD court à l’intérim n (...)
4Toutes ces tendances correspondent à des transformations quantitatives et qualitatives de l’emploi ; il s’agit ici, à travers un prisme sectoriel, d’en étudier les répercussions sur les embauches en CC. L’objectif est en particulier de confronter le rôle de ces transformations à celui des ajustements réglementaires intervenus ces vingt dernières années. Outre les ajustements concernant le CDD d’usage (CDDU), on étudie ici les dispositions d’assurance chômage le plus souvent suspectées d’avoir alimenté la montée des CC3.
5L’étude couvre la période 2000-2019 et mobilise des statistiques Acoss-Urssaf (salariés du régime général) de stocks d’emploi (c’est-à-dire les effectifs à une date donnée) et de flux de DPAE (encadré 1), ventilées par secteurs d’activité4. Il s’agit des mêmes statistiques que celles exploitées, sur la période 2000-2010, par Kathleen Berche et ses coauteurs (2011). Le développement proposé ici consiste en des décompositions de l’évolution des DPAE en CC et vise à saisir une combinaison d’effets d’échelle et de structure de l’emploi d’une part, un effet de recomposition sectorielle de l’embauche d’autre part. Il s’agit aussi de documenter le rôle des fluctuations de l’activité dans le recours aux CC. Pour cela, les décompositions tiennent compte de la chronique conjoncturelle de la période, marquée notamment par la récession de 2008-2009 et la crise de la zone euro autour de l’année 2013.
Encadré 1
Sources et méthodes
La déclaration préalable à l’embauche (DPAE) est une démarche administrative préalable à l’emploi d’un salarié relevant du régime général de la Sécurité sociale. Elle décrit les modalités d’une intention d’emploi et non celles des conditions d’emploi constatées rétrospectivement. Les informations de durée (déterminée ou non, supérieure ou non à un mois) enregistrées peu avant l’embauche ne correspondent pas nécessairement à ce qui sera finalement accompli : un CDD prévu pour durer moins d’un mois peut se prolonger au-delà, voire se muer en contrat à durée indéterminée (CDI). Cet aspect distingue les DPAE des mouvements de main-d’œuvre qui sont des enregistrements a posteriori. C’est ainsi qu’en 2010, pour 12,5 M de DPAE en CC (18 M en 2019), on enregistrait seulement 6,8 M de CDD arrivés à terme en moins d’un mois (16,8 M en 2019)5. Cet usage du CC comme première marche d’une période d’emploi plus longue implique qu’une part des DPAE en CC alimente des créations d’emplois (progression du stock) et pas seulement une rotation sur des emplois en nombre inchangé. Il s’agit d’une première raison de contextualiser les flux de DPAE en CC : leur augmentation n’a pas la même signification lorsque le stock d’emploi augmente que lorsqu’il diminue. Cette première lecture insiste sur une relation d’antécédence, l’augmentation du flux contribuant à celle du stock. Dans la mesure où une embauche en CC peut aussi correspondre au remplacement d’un salarié absent, une augmentation du flux de DPAE en CC au cours d’une année peut inversement résulter d’une hausse du stock d’emploi en début d’année par rapport à l’année précédente : la progression du stock détermine normalement celle du flux (effet d’échelle). Comme on souhaite insister sur ce second lien, les flux de DPAE d’une année donnée sont mis en rapport avec le stock d’emploi du début de la même année : on calcule ainsi un taux d’embauche. Une hausse de taux d’embauche entre deux années peut ainsi alternativement refléter une hausse de la rotation sur un stock figé de postes de travail ou une dynamique de création d’emplois.
Jusqu’en 2014, les CDDU ne sont pas repérés en tant que tels dans les DPAE. Dans leur étude, Kathleen Berche et ses coauteurs (2011) approchent les activités « à CDDU » par les codes Nace6, les conventions collectives ou les codes juridiques figurant dans le décret autorisant le dispositif. L’analyse des embauches DADS (déclaration annuelle de données sociales) 2014 de ces activités (Marie, Jaouen, 2015, p. 129) a toutefois révélé que le recours aux CDDU était loin d’être systématique dans les secteurs qui l’autorisent (tableau 1). Il n’est cependant pas assuré que cela ait une valeur rétrospective dans la mesure où le constat est occasionné par la mise en place éphémère d’une majoration de cotisation chômage sur les CDDU entre mi-2013 et fin 2017. Dans la présente étude, les activités distinguées par K. Berche et ses coauteurs (2011) sont donc reprises telles quelles en première partie.
6La suite de l’article comporte deux parties correspondant à un partage de l’analyse de part et d’autre de l’année 2011. Ce partage tient à des changements dans le niveau de détail sectoriel de l’information statistique mobilisée. Entre 2000 et 2011 (première partie), on reprend les regroupements privilégiés par Kathleen Berche et ses coauteurs (2011) dans le cadre d’une analyse centrée sur le rôle du CDDU. Cela rend certes les décompositions proposées tributaires des choix de ces auteurs, mais permet une comparaison directe avec une étude de référence sur la question des CC. Le réexamen proposé conduit à relativiser le rôle du CDDU en mettant en évidence deux modalités de recours au CC, défensive ou expansive selon la dynamique de l’emploi sectoriel, et quatre tendances plus structurelles, liées aux transformations socio-économiques mentionnées ci-dessus. Pour la période 2011-2019 (seconde partie), l’analyse utilise des regroupements plus courants et mieux adaptés aux interprétations tirées de la première partie. L’attention se déplace du CDDU aux règles générales d’assurance chômage, qui connaissent sur la période des ajustements tenus pour importants dans l’analyse du recours au CC. Suivant la même approche qu’en première partie, l’analyse confirme le rôle globalement secondaire des ajustements réglementaires par rapport à celui des évolutions quantitatives et qualitatives de l’emploi sur la période.
- 7 Les stocks d’emploi de fin d’année n (2000) et de début d’année n + 1 (2001) sont identiques.
- 8 Un document de travail rédigé par O. Baguelin, intitulé « La montée des CDD de moins d’un mois dep (...)
7Entre début 20017 et 2011, le stock d’emploi salarié du régime général est passé de 16,2 M à 17,1 M et le nombre de DPAE de 13,8 M à 20,7 M : le taux d’embauche est donc passé de 0,85 à 1,21. Au sein de ces DPAE, la part de CDD est passée de 75 % à 84 % et, parmi ces CDD, celle des CC de 64 % à 76 %. Ces évolutions conduisent à décomposer l’augmentation du nombre de DPAE en CC, + 6,6 M en dix ans, entre : 8 % tenant à l’augmentation de l’emploi, 51 % à celle du taux d’embauche, 16 % à un recours accru aux CDD et 25 % à une part accrue de CC parmi ces CDD (voir l’encadré 2 pour la méthodologie employée8). Cette décomposition globale suggère donc un effet d’échelle (hausse de remplacements courts imputable à la hausse de l’emploi permanent) d’une ampleur limitée (8 %), l’augmentation du nombre de DPAE en CC tenant majoritairement à la hausse du taux d’embauche. Lorsqu’on entre dans le détail cependant, les ressorts de la montée des CC apparaissent très variés selon le secteur d’activité et la conjoncture (tableau 1). Quantifier systématiquement le rôle de l’évolution du stock d’emploi de part et d’autre de la récession de 2009 fait apparaître deux logiques de recours aux CC : expansive ou défensive. Le regroupement de secteurs d’activité selon leur profil de contributions (évolution de l’emploi, du taux d’embauche, de la part de CDD et, parmi ceux-ci, de CC) permet de repérer des tendances socio-économiques de fond qui bousculent le clivage privilégié par Kathleen Berche et ses coauteurs (2011) entre activités autorisant ou non le CDDU.
Encadré 2
Décomposition de l’évolution des embauches en CC
L’estimation de l’effet d’échelle part d’une décomposition du nombre de DPAE en CC (nc) en quatre termes : l’emploi en début de période (N), le taux d’embauche (DPAE/emploi : e = n/N), le recours aux embauches en CDD (d = nd/n), l’intensité des embauches en CDD en contrats de moins d’un mois (c = nc/nd). Le flux de DPAE en CC peut en effet s’écrire :
En notant x0 et x1 les valeurs initiale et finale d’une variable générique x et ∆ x = x1 – x0, on obtient, en évolutions :
La même expression en logarithmes donne :
On a bien une décomposition additive de l’évolution du flux annuel de DPAE en CC. La contribution du terme x ∈ {c,d,e,N} à l’évolution de nc est ainsi mesurée par :
Deux commentaires doivent être apportés concernant cet exercice de décomposition. Premièrement, l’interprétation de l’évolution du taux d’embauche (∆e/e0) dépend de la tendance du stock d’emploi entre le début et la fin de la période. Jointe à un stock d’emploi stagnant ou décroissant, une augmentation des embauches traduit celle de la rotation sur l’emploi existant, donc une baisse de durée moyenne des périodes d’emploi. Jointe à un stock d’emploi croissant, l’augmentation des embauches accompagne des créations d’emploi. L’interprétation des évolutions de taux d’embauche n’est donc pas univoque et doit être contextualisée. Le second commentaire concerne l’interprétation de l’évolution de la part de CC parmi les DPAE en CDD. La répartition sous-jacente des DPAE par durées d’intention d’emploi intervient à travers deux termes : l’évolution du taux d’embauche (∆e/e0) et celle du nombre de DPAE en CC par CDD (∆c/c0). À stock d’emploi donné ou orienté à la baisse, une augmentation du taux d’embauche (∆e > 0) correspond à une hausse de la rotation, donc à un raccourcissement de la durée moyenne des intentions d’emploi. Ce raccourcissement peut intervenir sans glissement de durées des intentions d’emploi de part et d’autre du seuil d’un mois (∆c = 0) : les périodes d’emploi sont plus courtes mais la répartition des durées d’intentions d’emploi en CDD de part et d’autre du seuil d’un mois reste inchangée. Une augmentation de la part de CC parmi les DPAE en CDD (∆c > 0) à taux d’embauche et stock d’emploi donnés (∆e = 0 et ∆N = 0) renvoie à une polarisation des durées d’intention d’emploi : plus de CC et des intentions d’emploi de plus d’un mois (en CDD de plus d’un mois ou en CDI) de plus longue durée, mais moins de CDD de durée intermédiaire.
8Cinq activités illustrent l’utilisation des CC dans une logique défensive de l’emploi au plus juste : la publicité, l’enquête-sondage, le déménagement, la manutention portuaire et l’administration publique ; soit quatre autorisant le CDDU et une régie par le droit commun (emploi de droit privé des administrations publiques). Ces activités se distinguent par la baisse de leur emploi entre début 2001 et 2011, accompagnée d’une augmentation des DPAE en CC sur la même période. L’augmentation du taux d’embauche a toujours, pour ces activités, une contribution importante, exclusivement interprétable comme une accélération de la rotation. En décomposant l’évolution de part et d’autre de la crise de 2009 (tableau 1, cellules grisées), le secteur de la publicité excepté, les activités à CDDU pour lesquelles s’observe un recul de l’emploi l’enregistrent avant la récession (contribution de l’emploi nulle sur 2009-2011) et se distinguent déjà début 2001 par un fort taux d’embauche. On observe donc sur la période 2001-2011 l’intensification d’une flexibilité déjà installée : c’est un mouvement structurel ici. Le cas des agences de publicité (Nace 7311Z) est particulier : le recul de l’emploi y est imputable à la récession. Il progresse en effet jusqu’à fin 2008 (contribution de l’emploi positive entre 2001 et 2009) avant de brutalement se tasser sur les deux années suivantes (contribution négative entre 2009 et 2011). Le taux d’embauche des agences de publicité est, en 2000, inférieur à la moyenne des activités autorisant le CDDU, mais connaît l’augmentation la plus forte de toutes entre 2001 et 2009. L’emploi y a donc certes cru jusqu’à la fin 2008, mais en se flexibilisant très fortement, ce qui explique l’ampleur de son tassement lors de la récession, parmi les deux plus forts sur l’ensemble des activités.
Tableau 1 – Décomposition de l’évolution du nombre de DPAE en CC de part et d’autre de la récession
Lecture : hors intérim, on comptait début 2001 environ 16,1 millions d’emplois dans le secteur privé non agricole ; entre 2001 et 2009, le nombre nc de DPAE en CC augmente d’environ 4,8 millions ; l’augmentation de l’emploi (N) contribue pour 14 % à cette hausse, celle du taux d’embauche (e) pour 35 %, celle de la part de CDD dans les DPAE (d) pour 22 % et celle de la part de CC parmi les DPAE en CDD (c), pour 30 %. Précision : dans certains cas (notamment lorsque le nombre de DPAE en CC varie très faiblement), la décomposition débouche sur des contributions dont l’ampleur excessive n’a pas de signification. Seul le signe de la contribution est alors reporté, >> 0 pour une contribution positive, << 0 pour une contribution négative.
Champ : France entière.
Source : Acoss-Urssaf ; calculs de l’auteur ; * DADS, calculs Acoss-Urssaf (Marie, Jaouen, 2015).
9L’emploi de droit privé des administrations publiques (Nace 84) concerne principalement les organismes de sécurité sociale obligatoire. Comme celui des agences de publicité, son recul intervient essentiellement à partir de 2009 alors qu’il ne s’était replié que très faiblement avant cette date. La contribution de l’emploi à la montée des CC est quasi nulle sur 2001-2009 mais négative sur 2009-2011. Il ne s’agit pas du reflet d’une vague de titularisations d’agents contractuels – le plan Sauvadet n’intervient qu’en 2012 – qui représenterait une substitution d’un emploi statutaire à un emploi dans le public sous contrat de droit privé. Les DPAE en CC ont presque doublé entre 2001 et 2009, ce qui se traduit par un bond du taux d’embauche avant la récession. En 2011, ce taux dépasse celui observé dans la restauration qui autorise le CDDU. L’emploi sous contrat de droit privé des administrations publiques étant très majoritairement en CDD, l’évolution de la part de CDD ne joue aucun rôle. La part de CC dans les DPAE en CDD reste quant à elle contenue. Le bond du taux d’embauche correspond donc essentiellement à un raccourcissement de tous les CDD. On trouve donc au sein des administrations publiques une gestion de l’emploi contractuel comparable à celle des agences de publicité : une logique d’emploi au plus juste.
10Les autres secteurs d’activité ont vu leur emploi progresser entre début 2001 et 2011. Cela modifie l’interprétation d’une augmentation du taux d’embauche qui peut donc accompagner des créations d’emploi et non pas seulement une hausse de la rotation sur un stock figé de postes de travail. Au regard de la décomposition proposée dans le tableau 1, les activités conjuguant hausse de l’emploi et du taux d’embauche doivent être considérées dans cette perspective. De façon générale, l’évolution de l’embauche en CC des activités dont l’emploi progresse peut s’interpréter à l’aune d’une économie tertiarisée (tableau 2). Cela concerne le développement d’activités à produit occasionnel (spectacle, cinéma, audiovisuel, organisation de foires et de salons professionnels), d’activités répondant au vieillissement de la population (santé humaine, hébergement médico-social, aide à domicile), d’activités de services aux entreprises (services de gestion, de propreté, de sécurité, liés à l’emploi) ou d’activités de la sphère présentielle (commerce, hôtellerie, restauration, enseignement, activités sportives, récréatives et de loisirs). Les ensembles sectoriels concernés représentent des volumes d’emploi croissants (tableau 1).
Tableau 2 – Principaux résultats de l’analyse
Source : auteur.
11Le premier groupe d’activités pour lesquelles l’emploi est en expansion – dites à produit occasionnel (tableau 2) – rassemble de petits secteurs (moins de 75 000 emplois début 2001) qui autorisent le CDDU. Jusqu’à la récession de 2009, l’augmentation du taux d’embauche en CC a une composante expansive ; à partir de 2009, elle renvoie à une pure rotation de personnels sur un nombre figé d’emplois. Au sein de ces activités à produit occasionnel, le spectacle, le cinéma et l’audiovisuel ont en commun de pouvoir s’appuyer sur le régime de l’intermittence du spectacle (annexes VIII et X du règlement de l’assurance chômage), ce qui n’est pas le cas de l’organisation de foires. L’analyse conduit à distinguer le cas de l’audiovisuel de ceux du spectacle ou du cinéma. Jusqu’à la récession, l’augmentation de la part d’embauches en CC y joue un rôle beaucoup plus fort : 34 % (18 % pour la contribution de la part des CC dans les CDD plus 16 % pour celle des CDD dans l’ensemble des embauches) pour l’audiovisuel contre 7 % pour le cinéma et seulement 4 % pour le spectacle (tableau 1). Dans le spectacle et le cinéma, on assiste à l’intensification de pratiques déjà installées en 2000, là où l’audiovisuel amplifie son recours à l’emploi précaire tout au long de la décennie : disparition des embauches en CDI et généralisation des contrats de moins d’un mois. L’audiovisuel ne paraît pas avoir eu besoin du CDDU pour cela ; en 2014, le CDDU ne concernait que 25 % de ses embauches DADS, contre plus de 80 % pour le spectacle ou le cinéma (tableau 1, dernière colonne). La flexibilité est d’usage dans le spectacle et le cinéma, elle semble d’opportunité dans l’audiovisuel. Le classement de l’organisation de foires dans ce premier groupe amène à ne pas réduire l’explication de la dynamique des DPAE en CC de ce groupe au seul régime de l’intermittence du spectacle. Sans pouvoir adosser ses pratiques aux règles adaptées d’assurance chômage des intermittents, l’organisation de foires cumule en effet toutes les dimensions de précarisation de l’emploi distinguées par l’analyse : quasi-disparition du CDI dans les DPAE entre 2001 et 2009, augmentation de la part de contrats de moins d’un mois dans les CDD et, surtout, augmentation du taux d’embauche dans le cadre d’une progression limitée de l’emploi.
12Le deuxième groupe d’activités dont l’emploi est en expansion rassemble des secteurs de soins en relation avec les enjeux du vieillissement de la population (tableau 2) : deux secteurs de grande taille régis par le droit commun (le soin aux malades et l’hébergement de personnes en perte d’autonomie) et un troisième autorisant le CDDU (l’aide à domicile) initialement plus petit mais dont l’emploi double sur la période. Les trois sont caractérisés par un travail pénible et de mauvaises conditions d’emploi. L’hébergement médico-social permet à nouveau d’interroger l’exceptionnalité des évolutions caractérisant les activités autorisant le CDDU. Si l’emploi y progresse fortement, le taux d’embauche passe de 1,0 à 2,5. Un tel chiffre, aisément réalisable dans une activité autorisant le CDDU, est étonnant dans le cadre du droit commun. Il suggère un large réservoir de main-d’œuvre se renouvelant rapidement et une optimisation du tempo des embauches. Mathieu Grégoire et ses coauteurs (2021) expliquent cela par la pratique intensive du cumul d’emplois par des salariés cherchant à compléter leur revenu. L’emploi des activités pour la santé humaine augmente moins rapidement que celui de l’hébergement médico-social mais avec une contribution plus forte de la part de CC dans les embauches en CDD entre 2001 et 2009 : 23 % contre 13 % (tableau 1). Enfin, dans l’aide à domicile, la très forte hausse de l’emploi rend compte à elle seule de 67 % de la hausse des DPAE en CC entre 2001 et 2009, et de 47 % entre 2009 et 2011. L’aide à domicile se distingue aussi par un (léger) recul du recours au CDD. Son développement, adossé à des aides sociales et fiscales, concerne des postes souvent occupés à temps partiel au salaire minimum. La montée des CC tient dans ce groupe à des problèmes d’attractivité et d’absentéisme (Inan, 2013) : l’enjeu n’est pas de flexibiliser l’emploi mais de remplacer des personnels pour assurer des interventions (services domestiques, soins, etc.) qui ne peuvent être différées.
13Le troisième regroupement d’activités en expansion concerne les services aux entreprises (tableau 2) : quatre activités régies par le droit commun et une autorisant le CDDU (le soutien aux entreprises). La montée des embauches, notamment en CC, portée par des créations d’emploi avant la crise, évoque le processus d’externalisation de fonctions, spécialement de la part d’entreprises du secteur manufacturier. Des relations de marché se substituent à l’intégration verticale héritée de l’ère industrielle. La concurrence entre sous-traitants se répercute dans la gestion contractuelle d’un emploi flexibilisé (Perraudin et al., 2013). Au sommet des organisations, le CDD comme support du développement de missions de conseils (en relations publiques, communication, marketing, etc.) accompagne l’activité des sièges sociaux, y compris face à la récession. Entre 2000 et 2011, la part de CC dans les DPAE y passe de 32 % à 56 % (tableau 1). Censée être régie par le droit commun, l’activité des sièges sociaux présentait en 2014 la particularité de réaliser en CDDU près de 20 % de ses embauches DADS. Le développement de la sous-traitance concerne ensuite des fonctions supports. Nila Ceci-Renaud (2016) documente, pour l’année 2013, l’externalisation des fonctions informatiques, de transport ou « liées aux locaux » (accueil, services téléphoniques, entretien des bâtiments, gardiennage et sécurité, restauration des personnels). Les activités de sécurité (Nace 80) et les services relatifs aux bâtiments (respectivement 127 000 et 448 000 emplois début 2001) se démarquent par une forte contribution des embauches à durée déterminée jusqu’à la récession, un aspect qui persiste pour la sécurité entre 2009 et 2011 dans un contexte de recul de l’emploi (contribution négative de N). Les services de réponse téléphonique (et plus généralement de relation client) sont une composante des activités de soutien aux entreprises non classées ailleurs (8299Z). De taille modeste début 2001 (environ 67 000 emplois), la croissance de l’emploi y a joué un rôle essentiel entraînant une hausse des DPAE en CC qui intervient quasi exclusivement avant la récession. Enfin, le cas des activités liées à l’emploi (78) se raccorde aisément à la logique d’externalisation, puisqu’elles renvoient à la sous-traitance de la gestion d’une partie de la main-d’œuvre. Également de taille modeste début 2001 (35 000 emplois), la contribution de l’emploi y est forte jusqu’à 2011, y compris dans l’après-récession lors de laquelle l’industrie et la construction font face à une reprise incertaine. Sur la phase 2009-2011, ce secteur partage d’ailleurs avec les autres activités de soutien aux entreprises la particularité d’un recul de la part de CC parmi les DPAE en CDD (contribution négative de c), comme si la crise leur offrait l’occasion paradoxale de stabiliser leur emploi. Au total, on peut suggérer pour ce groupe d’activités un lien entre reconfiguration de la création de valeur et montée de l’embauche en CC. Comparant, pour une fonction donnée, les conditions d’emploi des entreprises industrielles à celles des sociétés de services, Nila Ceci-Renaud (2016) constate que les salaires sont plus élevés dans les premières que dans les secondes (un écart de 28 % dans les services liés aux locaux) ; Corinne Perraudin et ses coautrices (2013) suggèrent que cela vaut aussi probablement en matière de stabilité contractuelle.
- 9 Entre 1998 et 2010, la part de sortants de formation initiale déclarant avoir travaillé régulièrem (...)
14Le dernier groupe de secteurs dont l’emploi est en expansion (tableau 2) comporte quatre activités de taille moyenne à grande, autorisant le CDDU, et un très grand secteur, le commerce (près d’1,5 M d’emplois début 2001, tableau 1), régi par le droit commun. Ce groupe correspond à ce que les géographes appellent la sphère présentielle, c’est-à-dire un ensemble d’activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes sur un territoire, qu’elles soient résidentes ou touristes (Reynard et al., 2015). Le développement du tourisme s’accompagne de celui de l’emploi saisonnier, un aspect bien repéré par Kathleen Berche et ses coauteurs (2011, p. 6) à partir d’une analyse fine de la saisonnalité des embauches en CC. Mais au-delà du tourisme et du travail saisonnier, le développement de la sphère présentielle a pu mobiliser les jeunes, en particulier dans le contexte d’une hausse de l’emploi étudiant (Zilloniz, 2017 ; Béduwé, Giret, 2018)9. Le cas du commerce de détail est emblématique. Les CC y représentaient 37 % des DPAE en 2000 et 51 % en 2009. Cette augmentation intervient sans hausse manifeste du taux d’embauche, ce qui reflète une polarisation des durées d’emploi (encadré 2) : montée des CC et allongement de la durée moyenne des autres emplois. D’un côté, un personnel permanent « tenant la boutique », de l’autre, des renforts intervenant aux périodes (voire aux heures) de pointe. Ce schéma évoque une caractéristique des activités présentielles bien illustrée par la restauration, qui autorise le CDDU. L’hôtellerie a aussi connu une très forte hausse de la part de CC dans les DPAE jusqu’en 2009. Elle se distingue toutefois par un taux d’embauche très élevé dès 2001 et une plus faible progression de l’emploi. La montée des CC y prend une signification plus défensive. La composante touristique de la sphère présentielle joue ici un rôle clé contribuant à une « déstandardisation du travail » (Guibert, Réau, 2021). Comme la restauration, l’enseignement et les activités sportives, récréatives et de loisirs présentent un emploi en forte croissance jusqu’en 2009 et semblent relativement épargnés par la récession. Les emplois de l’enseignement enregistrés par l’Acoss correspondent à des enseignants non titulaires ou à des formateurs ; il peut aussi s’agir de personnels administratifs et techniques chargés de soutien à l’enseignement. La croissance de cet emploi se fait aussi dans l’enseignement public (Cour des comptes, 2018). Dans l’enseignement supérieur, ce schéma peut concerner des personnels non enseignants pour faire face aux pics saisonniers d’activité : inscriptions administratives, rentrées, surveillances des examens, autant de tâches que ne permettent plus d’assumer des effectifs permanents réduits.
15En isolant la contribution de l’évolution de l’emploi de part et d’autre de 2009, l’analyse met donc en évidence deux logiques de mobilisation des CC : l’une défensive, face à des crises sectorielles plus ou moins liées à la récession ; l’autre expansive, à partir de quatre tendances animant une économie française tertiarisée. Cette analyse ne remet pas en cause le rôle prépondérant du raccourcissement des intentions d’emploi en CDD. La section suivante est focalisée sur cet aspect.
- 10 La méthode de décomposition est détaillée dans O. Baguelin, « La montée des CDD de moins d’un mois (...)
16L’objet de cette section est d’analyser l’augmentation du taux de recours aux CC nc/n entre 2000 et 2011, c’est-à-dire la part de CC dans les DPAE : nc/n = c·d·e (encadré 2). Lorsqu’on considère cette augmentation, deux facteurs y contribuent : d’une part, des pratiques initialement différentes d’une activité à l’autre et un déplacement au fil du temps des DPAE entre ces activités (recomposition sectorielle de l’embauche agrégée) ; d’autre part, un changement de pratiques au sein de chaque activité. L’enjeu de cette section est de quantifier chacun de ces facteurs. La figure 1 décompose ainsi l’augmentation du taux de recours aux CC en distinguant cinq composantes : l’évolution de la répartition des DPAE entre le bloc des activités autorisant le CDDU et le bloc des autres activités puis, à l’intérieur de chaque bloc, l’évolution de la répartition des DPAE entre des activités plus ou moins utilisatrices de CC et l’évolution du recours aux CC au sein de chacune10. Sur la période 2000-2011, la part de CC dans les DPAE est passée de 48 à 64 %. La figure 1 montre que toutes les composantes concourent à son augmentation. Les DPAE se sont déplacées vers le bloc des activités autorisant le CDDU et, au sein de chaque bloc, des activités à faible recours au CC vers les autres. Un peu plus de 35 % de l’augmentation du recours moyen aux CC tient simplement à une recomposition sectorielle des DPAE. Toutefois, l’essentiel de l’augmentation est lié à l’évolution des pratiques à l’intérieur de chaque activité, avec un recours aux CC qui se banalise dans les deux blocs d’activités, de manière quasi homogène.
- 11 Le 26 novembre 2003, la chambre sociale de la Cour de cassation formule une série d’arrêts d’après (...)
17Dans leur analyse de la place des pratiques des employeurs dans la montée des CC, Kathleen Berche et ses coauteurs (2011) attribuent un rôle important à la jurisprudence11 appliquée aux employeurs en CDDU entre 2004 et 2008. La portée de cette explication était déjà discutée par Claude Picart (2014, p. 45) en prenant appui sur des sources statistiques et des méthodes différentes. Le réexamen proposé ici mobilise quant à lui une lecture fine de la chronique des recompositions sectorielles de l’embauche. L’exercice permet aussi de considérer le rôle des ajustements des règles d’assurance chômage intervenus sur la période (durée d’affiliation minimale, activité réduite).
18La figure 1 quantifie année par année le rôle de ces recompositions sectorielles (haut de la figure) en relation avec la conjoncture macroéconomique (bas de la figure). Derrière la banalisation du recours aux CC, elle dévoile une variété de facteurs dont la contribution relative évolue avec la conjoncture. Concernant la place des changements de pratiques, une différence est perceptible entre blocs d’activités : au sein des activités du bloc régi par le droit commun, les pratiques de recours aux CC suivent la conjoncture sur un mode défensif ; c’est beaucoup moins vrai pour les activités autorisant le CDDU.
Figure 1 – Décomposition de l’évolution de la part de CC dans les déclarations d’embauche
Lecture : entre 2000 et 2001, le produit intérieur brut (PIB) réel croît de près de 2 %, l’emploi salarié privé non agricole de plus de 3 % ; la part de CC dans les DPAE baisse très légèrement ; deux facteurs contribuent à cette baisse, l’évolution des pratiques dans les activités régies par le droit commun et, dans une moindre mesure, un déplacement des DPAE vers des activités moins utilisatrices de CC au sein du bloc autorisant le CDDU ; les trois autres facteurs considérés jouent à la hausse, avec un déplacement des DPAE vers le bloc d’activités autorisant le CDDU, des activités les moins utilisatrices vers les plus utilisatrices au sein du bloc régi par le droit commun et, enfin, avec davantage de DPAE en CC (évolution des pratiques) par les activités autorisant le CDDU.
Champ : France entière.
Source : Acoss-Urssaf ; Insee pour le taux de croissance du PIB. Calculs de l’auteur.
19La comparaison du rôle de l’évolution des pratiques du bloc à CDDU des années 2003 et 2004 livre un enseignement intéressant quant à l’impact du changement de jurisprudence associé à l’arrêt du 26 novembre 2003. On observe effectivement une accélération du recours aux CC entre les deux années, mais l’ajustement des pratiques paraît intervenir dès 2003, l’année même du changement de jurisprudence. L’accélération de 2004 s’observe d’ailleurs aussi dans les pratiques au sein du bloc régi par le droit commun. Quant au relèvement de la durée d’affiliation minimale ouvrant droit à indemnisation chômage introduit début 2003, il ne semble pas avoir empêché l’évolution des pratiques. À mesure que la progression de l’activité se confirme en 2005 et 2006, la hausse du recours au CC s’atténue dans le bloc régi par le droit commun mais pas dans le bloc à CDDU. Si les règles plus restrictives de l’activité réduite liées au changement de convention d’assurance chômage en 2006 ont pu accompagner le recul du recours au CC dans le bloc régi par le droit commun, cela n’a pas été le cas au sein du bloc à CDDU.
20Même si c’est encore une année de croissance de l’emploi, 2008 correspond à l’entrée dans la récession. Le recours aux CC continue d’augmenter essentiellement au sein du bloc d’activités régies par le droit commun via des pratiques sollicitant davantage les CC et via des déplacements de DPAE en direction des activités les plus utilisatrices. En 2009, la chute de l’activité et de l’emploi s’accompagne d’une forte accélération du recours aux CC, principalement liée aux pratiques mises en œuvre dans le bloc d’activités régies par le droit commun. Celles relevant du bloc à CDDU cessent dès 2008 d’être prépondérantes pour expliquer l’augmentation du recours aux CC, ce qui est plutôt cohérent avec l’analyse jurisprudentielle privilégiée par K. Berche et ses coauteurs (2011). Toutefois, il ne s’agit que d’une décélération du recours aux CC, pas d’un retournement. Sur l’ensemble de la période, les changements de pratiques participent à la baisse du recours aux CC uniquement en 2011, et faiblement. Surtout, l’envolée du nombre de DPAE en CC à partir de 2009 ne s’accompagne pas d’une accélération du recours aux CC ; 2011 est même une année de recul net du recours aux CC.
21L’évolution du recours aux CC et ses facteurs apparaissent dans l’ensemble étroitement liés aux aléas conjoncturels. Les années de ralentissement de la création d’emplois sont des années d’augmentation du recours aux CC. Jusqu’en 2008, le recours aux CC apparaît comme un ressort de « croissance sans emploi ». Le lien est plus direct pour les activités régies par le droit commun que pour les autres, car les pratiques apparaissent plus réactives. Cette relation est brouillée par la récession qui donne à voir l’utilisation défensive des CC déjà évoquée. Des comportements de rétention de main-d’œuvre permanente en 2009 ont pu contribuer à limiter la hausse du recours aux CC en 2010 et 2011 ; on verra que ce recours rebondit très nettement en 2012.
22L’examen des années 2000-2011 selon les regroupements opérés par Kathleen Berche et ses coauteurs (2011) livre deux enseignements principaux. Premièrement, le rôle du CDDU dans la montée des CC est nettement relativisé car l’analyse suggère des logiques largement indépendantes de l’autorisation de recours au CDDU. Deuxièmement, la contribution des ajustements réglementaires, que l’on parle du CDDU ou des règles de l’assurance chômage, semble de second ordre comparée aux tendances structurelles mises en avant ci-dessus et à la place des aléas conjoncturels dans l’ajustement du recours aux CC. En va-t-il de même pour les années 2011 à 2019 ?
23L’étude des années 2011-2019 peut se faire en considérant le regroupement sectoriel le plus courant (celui de la Nace 38). Isoler les cinq secteurs d’activité ayant le plus contribué à la montée des CC sur la période suffit en effet à capter plus de 90 % de cette hausse. Ces secteurs sont : l’hébergement-restauration (IZ : 55-56) ; les activités de services administratifs et de soutien (hors intérim, NB : 77-82) ; les activités pour la santé humaine (QA : 86) ; l’action sociale et l’hébergement médico-social (QB : 87-88) ; les arts, spectacles et activités récréatives (RZ : 90-93). On montre que ce sont des facteurs autres que ceux des règles de l’assurance chômage qui jouent le plus dans l’explication du recours aux CC.
24Le tableau 3 présente les décompositions obtenues en distinguant trois phases, qui ont chacune des spécificités en matière de conjoncture et de règles d’assurance chômage : 2011-2014 ; 2014-2017 ; 2017-2019.
25Les années 2011-2014 sont marquées par la crise de la zone euro qui étouffe la reprise économique succédant à la récession. Après un recul historique en 2009, l’emploi salarié privé hors intérim ne se redresse pas (figures 1 et 2). Logiquement, on voit dans la décomposition de l’augmentation des DPAE en CC que pour l’ensemble des secteurs, l’effet d’échelle (selon lequel une hausse de l’emploi détermine une hausse normale des CC) joue un rôle quasi nul (tableau 3, dernière ligne, évolution 2011-2014). Côté assurance chômage, les règles en vigueur sont essentiellement celles de 2009 avec une durée d’affiliation minimale de quatre mois et une possibilité de cumul allocation-salaire (activité réduite) limitée à 110 heures par mois pendant quinze mois. Dans ce cadre, le nombre de DPAE en CC augmente à un rythme annuel du même ordre qu’entre 2009 et 2011 (environ + 856 000 par an, soit 2,57 millions sur la période, bas du tableau 3) mais les contributions des termes c, d, e et N diffèrent de celles de la période précédente. Le taux d’embauche (e) jouait un rôle presque exclusif entre 2009 et 2011 dans l’explication de la montée des DPAE en CC (111 %, tableau 1) alors qu’il n’y contribue qu’à hauteur de 50 % entre 2011 et 2014, tandis que la hausse de la part de CDD dans les DPAE (d) rend compte de 22 % de cette augmentation et le raccourcissement de leur durée (c) sous le seuil d’un mois de 27 % (tableau 3). L’encadrement réglementaire des CC variant peu de 2009 à 2014, on peut penser que ces évolutions tiennent à la forte incertitude conjoncturelle qui se traduit par un nouveau recul du CDI dans les embauches et une prédilection pour les engagements contractuels de moins d’un mois. Cette lecture d’ensemble s’applique aussi aux cinq activités ayant le plus contribué à la montée des CC sur la période, à une différence près : un effet d’échelle rendant compte de près de 18 % de la hausse (contre 1 % pour l’ensemble du secteur privé non agricole).
26Le contexte macroéconomique de la phase 2014-2017 diffère peu de la précédente (figure 2) mais les règles d’indemnisation du chômage ne sont plus les mêmes. À ce titre, l’évolution des incitations paraît contradictoire. D’un côté, depuis juillet 2013, une majoration du taux de cotisation chômage s’applique aux CDDU et aux CDD pour surcroît d’activité de moins de trois mois. De l’autre, à partir de mi-2014, l’activité réduite des demandeurs d’emploi est encouragée (levée des limites horaires posées au cumul allocation-salaire et adoption du dispositif de droit rechargeable). Les embauches en CC poursuivent leur hausse mais à un rythme ralenti (+ 548 000 par an, soit 1,64 million sur la période, bas du tableau 3). L’amélioration de la conjoncture en fin de période permet à l’effet d’échelle de jouer à nouveau (contribution de N évaluée à 12 %). Combinée au renchérissement du coût des CC, cette amélioration de la conjoncture peut aussi expliquer un regain des embauches en CDI (contribution négative de d). Ces aspects modérateurs n’empêchent pas un nouvel accroissement du nombre de DPAE en CC alimenté par la hausse du taux d’embauche. Dans le contexte d’un emploi qui repart à la hausse (2016-2017, figure 2), la très forte contribution du taux d’embauche a une signification moins défensive qu’entre 2009 et 2014 où l’emploi reculait.
- 12 Celui-ci vise à empêcher qu’on atteigne le seuil d’ouverture de droit à indemnisation en multiplia (...)
27L’activité repart au cours des années 2017-2019, avec cette fois une progression de l’emploi salarié pour la plupart des secteurs. La fin de l’année 2017 est marquée par la mise en œuvre d’un nouveau mode de calcul de la durée d’affiliation à l’assurance chômage12 censé rendre les CC moins acceptables pour la main-d’œuvre concernée. Dans le même temps, les gestionnaires de l’assurance chômage optent pour l’abandon de la majoration de cotisation chômage sur les CC pour surcroît d’activité. Sur l’ensemble du secteur privé, la montée des embauches en CC se poursuit, mais à un rythme ralenti (+ 272 000 par an). Le recul de la part de CDD dans les DPAE (d) est contrarié par un effet d’échelle (contribution de N) particulièrement important. Cela étant, l’augmentation des DPAE en CC entre 2017 et 2019 s’avère entièrement imputable aux cinq activités tertiaires distinguées (partie supérieure du tableau 3) : pour l’ensemble des autres activités du tertiaire, on observe un recul (– 215 000).
28Le cas des activités dont le recours aux CC recule dès la phase 2011-2014 et celui des activités dont l’emploi se replie livrent peu d’enseignements nouveaux. On constate pour l’essentiel le prolongement de tendances présentes sur 2009-2011. On peut donc resserrer la discussion de la montée des embauches en CC sur le seul cas des activités dont l’emploi augmente (contribution de N positive, tableau 3), particulièrement sur les cinq secteurs y contribuant le plus fortement. Ceux-ci synthétisent les logiques repérées précédemment (tableau 2) : flexibilité d’usage, (mauvaise) qualité de l’emploi, développement de la sous-traitance et de la sphère présentielle. Ces logiques contribuent structurellement à la montée des CC et sont peu sensibles aux aléas conjoncturels.
29Le secteur des arts, spectacles et activités récréatives (RZ : 90-93) comprend les activités de loisirs (sport, parcs d’attractions, etc.) et hybride ainsi logique de flexibilité d’usage (produit occasionnel) et logique de synchronisation emploi-consommation (sphère présentielle) ; l’emploi et le taux d’embauche contribuent fortement à expliquer la montée des CC entre 2009 et 2014 (voir tableau 1 et tableau 3 cinquième ligne pour la période 2011-2014). L’hébergement-restauration (IZ : 55-56) illustre les tendances de la sphère présentielle avec une forte hausse de la part de CC parmi les DPAE en CDD ; entre 2011 et 2014, l’emploi progresse mais sur des postes directement liés au service de la clientèle. Les activités de services administratifs et de soutien (NZ : 77-82) rassemblent notamment les activités liées à l’emploi (78), à la sécurité (80), les services relatifs aux bâtiments (81) et les « autres activités de soutien aux entreprises non classées ailleurs » (82.9) considérées isolément en première partie de l’article. Face aux incertitudes de la période 2009-2014, l’externalisation a continué à représenter un levier de réduction des coûts dans ces activités, probablement en écho au recul de l’emploi du secteur secondaire (industrie et construction). Les activités pour la santé humaine (QA : 86), l’action sociale et l’hébergement médico-social (QB : 87-88) témoignent toujours du développement d’un emploi de mauvaise qualité avec une augmentation du taux d’embauche en CC pour répondre aux enjeux majeurs de remplacement de personnels dans ce secteur (tableau 3).
Tableau 3 – Décomposition de l’évolution 2011-2019 du nombre de DPAE en CC
Lecture : entre 2011 et 2014, le nombre de DPAE en CDD de moins d’un mois (CC) augmente d’environ 2,6 millions (2 570 milliers) ; l’augmentation de l’emploi (N) contribue pour 1 % à cette hausse, celle du taux d’embauche (e) pour 50 %, celle de la part de CDD dans les DPAE (d) pour 22 % et celle de la part de CC parmi les DPAE en CDD (c), pour 27 %. Précision : dans certains cas (notamment lorsque le nombre de DPAE en CC varie très faiblement), la décomposition débouche sur des contributions dont l’ampleur excessive n’a pas de signification. Seul le signe de la contribution est alors reporté, >> 0 pour une contribution positive, << 0 pour une contribution négative.
Champ : France entière.
Source : Acoss-Urssaf ; calculs de l’auteur.
30Pour ces cinq secteurs les plus impliqués dans la montée des CC, celle-ci se poursuit au cours des phases 2014-2017 et 2017-2019 en dépit des modifications réglementaires sur l’assurance chômage et les CC mentionnées précédemment. Les profils de contributions sont cependant divers. Les services aux entreprises (Nace NZ) accompagnent la reprise de l’activité, manifeste à partir de 2017 (figure 2), avec un effet d’échelle prépondérant : des cinq secteurs, c’est le seul à afficher un flux de DPAE en CC plus élevé entre 2014 et 2017 qu’entre 2011 et 2014 ; la majoration de cotisation sur les CC introduite mi-2013 semble n’y avoir eu aucun effet. Sans avoir permis de réduire le flux de DPAE en CC, l’incitation a pu jouer un rôle de modération dans les autres secteurs : c’est le cas de l’hébergement-restauration et plus encore des arts, spectacles et activités récréatives, fortement utilisateurs de CDDU en 2014 (tableau 1, dernière colonne) et qui ont probablement été les activités le plus affectées par la majoration de cotisation sur les CC.
- 13 Commentés dans le document de travail d’O. Baguelin, « La montée des CDD de moins d’un mois depuis (...)
31Sur la période 2011-2019, l’analyse des autres secteurs13 mobilise les tendances déjà repérées. Elle confirme la piste privilégiée pour interpréter la montée des CC entre 2000 et 2011 : c’est l’articulation de facteurs conjoncturels et structurels qui joue sur la hausse du recours aux CC, plutôt que l’action de dispositions touchant à la réglementation des CDD ou à l’indemnisation du chômage.
32La dernière étape de l’analyse consiste à examiner l’évolution entre 2011 et 2019 du taux de recours aux CC en dégageant ce qui tient aux changements de pratiques de ce qui tient à la recomposition sectorielle des DPAE (figure 2). Contrairement à ce qui a été fait sur les années 2001-2011, on ne distingue pas le bloc des activités autorisant le CDDU des autres activités.
33L’année 2011 est marquée par un recul du recours aux CC pour la première fois depuis 2001 (figure 1). En 2012, ce recours rebondit fortement et, comme trois ans auparavant, ce sont essentiellement les pratiques qui sont en cause : le CC apparaît comme un levier d’ajustement face à une activité qui marque le pas. Ce schéma se prolonge au cours des trois années suivantes avec toutefois une décélération du recours aux CC (figure 2). Ces années illustrent globalement le caractère défensif de l’embauche en CC face aux incertitudes de la conjoncture, ici, le contexte d’un « double dip » (rechute de l’activité économique) lié à la crise de la zone euro. La recomposition sectorielle des DPAE contribue modestement à la tendance mais l’accompagne. Cela est cohérent avec la spécificité du lien entre recours aux CC et conjoncture dans les activités les plus utilisatrices de CC.
Figure 2 – Décomposition de l’évolution de la part de CC dans les DPAE entre 2011 et 2019
Lecture : entre 2011 et 2012, le PIB réel croît de 0,3 %, l’emploi salarié privé non agricole recule légèrement ; la part de CC dans les DPAE augmente de plus de 2,65 points de pourcentage ; l’évolution des pratiques au sein de chaque secteur joue un rôle prépondérant, correspondant à 2,15 points de pourcentage contre 0,5 seulement lié à l’évolution de la répartition intersectorielle des DPAE.
Champ : France entière.
Source : Acoss-Urssaf ; Insee pour le taux de croissance du PIB. Calculs de l’auteur.
- 14 À moins d’invoquer un délai d’apprentissage ou les effets contraires de l’assouplissement en 2014 (...)
34Quasi ininterrompue depuis quatorze ans, l’augmentation du recours aux CC prend fin entre 2015 et 2016 (figure 2), dans le cadre d’une reprise encore fragile de l’activité. Il est difficile de relier ce retournement à l’introduction, mi-2013, de majorations de cotisations patronales sur les CC14. Il paraît plus raisonnable de l’associer à une atténuation de l’incertitude économique et au retour des créations d’emploi. Introduit en novembre 2017, le calcul de l’affiliation à l’assurance chômage en termes de « jours travaillés », défavorable aux emplois courts à forte intensité horaire, ne semble pas avoir eu d’effet déterminant sur l’évolution du recours aux CC l’année suivante.
35L’analyse conduit donc pour les années 2011 à 2019 à des conclusions proches de celles qui ont été avancées pour 2000-2011 : un recours défensif aux CC face à une conjoncture aléatoire. On ne retrouve cependant plus le schéma, valable jusqu’en 2008, de fortes hausses du recours aux CC les années où la croissance de l’activité économique est particulièrement élevée par rapport à celle de l’emploi.
⁂
36Le présent article documente quantitativement le lien entre évolution des stocks d’emploi, recomposition sectorielle des embauches et montée des CC sur la période 2000-2019. Nous résumons dans les lignes qui suivent les principaux résultats.
37On retiendra tout d’abord que les secteurs ayant le plus contribué à l’augmentation des embauches en contrats courts (CC) sont aussi ceux dont l’emploi a été le plus dynamique sur la période. On voit en effet que les contributions à la montée des CC de la progression de l’emploi (effet d’échelle) et du taux d’embauche sont spécialement élevées. Dans ces secteurs, une part des DPAE en CC nourrit des créations d’emplois et l’évolution de l’emploi est moins sensible aux aléas conjoncturels que dans les autres secteurs. Cela peut refléter les tendances structurelles au sein d’une économie française largement tertiarisée, comme en témoigne le développement des activités à produit occasionnel, d’activités accompagnant le vieillissement de la population, d’activités associées à la montée de la sous-traitance ou de la sphère présentielle.
38Le deuxième résultat est que l’effet d’échelle, significatif dans de nombreux secteurs jusqu’en 2009, devient très limité par la suite. La montée des CC renvoie alors à une logique défensive. L’analyse de la phase 2009-2011 le montre de façon particulièrement claire pour nombre d’activités affectées par la récession, mais le schéma se manifeste plus généralement lorsque l’on examine les variations annuelles des pratiques de recours aux CC : ce recours n’a alors pas pour objectif de remplacer un salarié absent mais d’assurer une certaine continuité de l’activité sans procéder à des embauches pérennes. La progression rapide du taux d’embauche signifie donc exclusivement une accélération de la rotation de la main-d’œuvre sur un nombre de postes figé ou en recul. Au-delà d’une réaction à une chute d’activité sectorielle, cet usage peut contribuer à expliquer des épisodes de reprise sans emploi.
39Enfin, on a un troisième résultat : au niveau sectoriel, les inflexions de gestion contractuelle de l’emploi apparaissent largement indépendantes des ajustements réglementaires (dont ceux sur l’assurance chômage) censés influencer le recours aux CC. Des activités n’autorisant pas le CDDU affichent des dynamiques d’embauches en CC très proches de celles d’autres, censées adosser leur gestion de l’emploi au CDDU. Des modulations de recours aux CC interviennent dans certains secteurs sans changements notables de leur environnement réglementaire. Inversement, les changements de règles (en matière d’indemnisation du chômage ou d’utilisation du CDDU) à une date donnée se reflètent peu dans l’évolution des pratiques d’embauche en CC des secteurs concernés. L’observation la plus manifeste est que le recours aux CC cesse de croître lorsque la croissance économique est forte (autour de 2 %).
40En fin de compte, les décompositions sectorielles et temporelles mettent en évidence la variété des facteurs ayant contribué à la montée des CC. L’analyse suggère donc d’éviter les explications univoques, mettant en cause telle ou telle institution du marché du travail. Les facteurs structurels et conjoncturels, transversaux et sectoriels, se sont articulés, débordant largement le rôle de dispositifs réglementaires particuliers. L’analyse n’apporte en particulier aucun élément plaidant pour un rôle significatif des règles de l’assurance chômage entre 2000 et 2019.
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