- 1 Il n’y a pas de définition unique et stabilisée des contrats courts dans la statistique publique. (...)
- 2 Dans leur publication, sont considérés comme « courts » les contrats de moins de trois mois.
1L’évolution de l’emploi, depuis au moins les années 2000, est marquée par une forte croissance des contrats courts1 (Berche et al., 2011). Cette croissance concerne l’augmentation des contrats à durée limitée dans les embauches et la diminution de leur durée, et non celle de ces « emplois atypiques » dans l’emploi total. La distribution par âge de ces emplois courts a connu également des modifications importantes. Alors que le contrat court est le plus souvent considéré comme un support de l’insertion, les jeunes ne sont plus majoritaires dans les contrats courts. En effet, la part de ceux effectués par des salarié·es de moins de 25 ans est passée de 61 % en 1982 à 39 % en 2000 et à 27 % en 2017 (Jauneau, Vidalenc, 2019)2. Les salarié·es de 50 ans et plus en contrats à durée limitée (CDL) sont de plus en plus nombreux·ses (Beck, Vidalenc, 2018) et on constate une hausse significative de la rotation de la main-d’œuvre sur cette tranche d’âge (Picart, 2014).
2Les travailleur·ses en fin de carrière ne sont donc plus épargné·es par les contrats courts. Qui sont les salarié·es de 50 ans et plus dans cette situation ? Au terme de quelle vie professionnelle se retrouve-t-on sur ce type de contrats ? Leur vécu diffère-t-il de celui des salarié·es plus jeunes en contrats courts du fait de ressources et/ou de difficultés spécifiques face à la précarité ?
- 3 Le terme « senior », venu du marketing, fait son apparition dans les années 1990 pour désigner les (...)
3Les évolutions générales de l’emploi couplées aux réformes des retraites ont conduit à fragiliser les travailleur·ses de plus de 50 ans aussi bien du point de vue du chômage (augmentation de la probabilité d’être au chômage et d’être au chômage de longue durée) que de l’emploi (difficultés à rester en poste, risques accrus d’emplois précaires). Les 50 ans et plus sont une tranche d’âge souvent mobilisée par la statistique publique. Cette population est couramment désignée par l’expression « travailleur·ses seniors » ou « seniors3 ». Certes, comme pour toute catégorie consistant à rassembler des individus en fonction de leur âge, il est important de garder en tête les limites d’une telle catégorisation (Bourdieu, 1984). Les bornes d’âge ont un caractère arbitraire et ce type de regroupement conduit à rassembler des populations très hétérogènes socialement. Pour autant, l’usage du terme senior ou travailleur·se senior nous paraît justifié par son caractère pratique et par la réalité donnée à la catégorie par les multiples politiques publiques visant les 50 ans et plus, et nous l’emploierons dans cet article pour désigner les salarié·es de cette tranche d’âge.
- 4 Après la suppression progressive des dispositifs de préretraite qui avaient été créés à partir des (...)
- 5 Plusieurs rapports sur l’emploi des seniors ont été réalisés au moment de la réforme des retraites (...)
4Alors que les « travailleur·ses seniors » sont devenu·es une catégorie structurante de l’intervention publique en matière de chômage et d’emploi4, la situation des salarié·es de 50 ans et plus en contrats courts a été peu étudiée dans la littérature académique comme dans les rapports d’expertise5. Leur position au regard des CDL – et des contrats courts en particulier – reste dans l’ombre bien que leur condition soit spécifique en matière d’emploi, de chômage et d’indemnisation. Alors que les seniors sont contraint·es de prolonger leur période d’activité suite aux réformes des retraites, nombre d’entre elles et eux se retrouvent au chômage, et leur reprise d’emploi se fait parfois sur des contrats courts. Ce mode de retour à l’emploi est en lien avec l’augmentation générale des CDL dans les embauches mais il est aussi lié aux difficultés spécifiques de recrutement que les travailleur·ses en fin de carrière peuvent expérimenter, et ce, d’autant plus que les secteurs d’activité qui recrutent (et qui recrutent des salarié·es seniors en particulier) sont souvent des secteurs où les CDL sont très répandus (commerce et grande distribution, hôtellerie-restauration, aide à la personne, etc.). Selon Emmanuelle Prouet et Julien Rousselon (2018, p. 31), « la décroissance de l’emploi à durée limitée ou du sous-emploi avec l’âge ne se vérifie pas pour les 50-64 ans passés par le chômage ». Mais le cas des seniors en contrats courts par suite d’un passage au chômage n’est pas le seul observable. À l’instar des saisonnier·ères agricoles étudié·es par Nicolas Roux (2020), des seniors dans certains métiers ou secteurs d’activité ont pu faire l’intégralité de leur vie professionnelle ou presque en contrats courts (dans le tourisme, la restauration, etc.). Se pose alors la question de leur vieillissement avec ce type de contrats. D’autres encore pourraient occuper des contrats courts « post-carrières » en les cumulant avec leur retraite – ces emplois sont en nombre croissant aux États-Unis (Lesemann, Beausoleil, 2004). Est-ce une situation que l’on voit émerger également en France au travers de l’observation des seniors en contrats courts ?
5Nous proposons dans cet article d’analyser la diversité des situations professionnelles des seniors en contrats courts – qu’il s’agisse de leur situation actuelle, de leur trajectoire professionnelle passée et de leur vécu de ces contrats – et de les mettre en regard des ressources et des contraintes spécifiques qu’ils et elles peuvent mobiliser en comparaison des salarié·es plus jeunes en contrats courts. Nous mobilisons pour cela un matériau qualitatif constitué d’entretiens de salarié·es en contrats courts réalisés lors d’une enquête collective (encadré 1) et apportons un éclairage complémentaire en mobilisant l’enquête Emploi. Dans une première partie, nous contextualisons les évolutions de l’emploi des seniors en contrats courts. Dans la deuxième, nous distinguons trois types de trajectoires et de profils de seniors en contrats courts, battant en brèche la représentation univoque de salarié·es âgé·es pour qui les contrats courts seraient nécessairement synonymes de précarité. Dans la troisième partie, nous analysons les ressources des seniors en contrats courts et les obstacles spécifiques qu’ils et elles rencontrent par rapport à des salarié·es plus jeunes dans la même situation.
Encadré 1
Méthodologie
Le matériau mobilisé dans cet article a été collecté à l’occasion d’une recherche coordonnée par Mathieu Grégoire et commanditée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) (Grégoire et al., 2021). Les entretiens ont été menés par Julie Dulac, Mathieu Grégoire, Jiyoung Kim et Claire Vivès.
Dans son ensemble, ce matériau se compose de 99 entretiens semi-directifs réalisés entre décembre 2018 et juillet 2020. Les enquêté·es ont été recruté·es lors de leur visite à une agence Pôle emploi ou dans une mission locale ; sur ou à proximité de leur lieu de travail ; via un·e autre enquêté·e ou des intermédiaires (employeur, plateforme numérique, interconnaissance).
Partant du fait que dans la statistique publique et les politiques publiques, 50 ans est usuellement la borne basse considérée pour la catégorie « seniors », nous avons retenu pour cet article les 27 entretiens de notre corpus effectués avec des salarié·es âgé·es de 50 ans ou plus. Nous les avons interrogé·es sur leur rapport subjectif à l’emploi et sur leurs pratiques objectives d’emploi (trajectoires professionnelles, rapport au marché du travail, relations salariales et conditions de travail, etc.) ainsi que sur leur rapport au chômage (pratiques et vécus) et à l’indemnisation du chômage (du non-recours à l’usage stratégique). La majeure partie des enquêté·es a été rappelée pour un second entretien dont l’objectif était de renseigner les évolutions de leurs situations : seul·es certain·es ont accepté.
En mobilisant l’enquête Emploi, nous proposons des statistiques descriptives qui permettent d’éclairer les évolutions des contrats courts chez les travailleur·ses seniors (50 ans et plus) sur la période 2003-2020. Grâce à ces données quantitatives, nous décrivons aussi plus en détail la situation des seniors en contrats courts en 2019 du point de vue des ressources mobilisées (situation familiale, indemnisation chômage) et des obstacles rencontrés (accès à la formation professionnelle et état de santé).
6En matière de retraite, d’indemnisation du chômage et d’emploi, d’importantes transformations ont eu lieu depuis le début des années 2000, cherchant à agir sur les fins de vie active. L’augmentation du nombre de seniors en contrats courts pourrait en découler.
- 6 Ceci s’est traduit par une augmentation du taux d’emploi des 50-64 ans continue depuis au moins di (...)
7Les règles relatives au départ à la retraite sont un élément déterminant de la situation des travailleur·ses seniors. La tendance, en France comme dans d’autres pays européens, est au recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraite et à l’augmentation du nombre d’années de cotisations nécessaires pour percevoir une retraite à taux plein : au moment de l’enquête, il fallait avoir cotisé 42 ans et avoir 62 ans pour percevoir une retraite à taux plein. Ces mesures sont venues s’ajouter à la disparition de la quasi-totalité des politiques de préretraite et à la suppression de la dispense de recherche d’emploi. Ces évolutions poussent les seniors à rester plus longtemps en activité6 ; c’est particulièrement le cas de celles et ceux qui ont eu des carrières hachées, notamment lorsqu’ils et elles ont été salarié·es en contrats courts.
8Une autre tendance qui pourrait pousser à la croissance des emplois courts chez les seniors est le développement des « emplois post-carrières » (Lesemann, Beausoleil, 2004) ou bridge jobs pour reprendre le terme utilisé dans les pays anglo-saxons (Doeringer, 1990 ; Ruhm, 1990) où ils sont en nombre croissant : il s’agit de contrats cumulés avec une pension de retraite. En France toutefois, les situations où les personnes, après avoir liquidé leurs droits à retraite, continuent à exercer une activité professionnelle restent très minoritaires même si elles augmentent légèrement : cela concerne 3,4 % des retraité·es de 55 ans et plus en 2018 (Musieldlak, 2020).
9De façon concomitante aux réformes des retraites et au développement de politiques destinées à la gestion des fins de vie active, on observe bien une augmentation des contrats courts parmi les salarié·es seniors. La part des 50 ans et plus en intérim parmi celles et ceux en emploi est passée de 0,5 % en 2003 à 1,3 % en 2017 (puis 1,1 % en 2020) ; celle de seniors en contrat à durée déterminée (CDD) (hors apprentissage, stages et contrats aidés) de 2,9 % en 2003 à 4,4 % en 2019 (4 % en 2020) (figure 1). La part des CDL chez les seniors reste cependant quatre fois inférieure à celle chez les plus jeunes : alors qu’en 2019, les seniors en emploi sont 5,6 % à être en intérim ou en CDD, les moins de 30 ans sont 23,1 % à être dans cette situation.
Figure 1 – Part des seniors en contrats à durée limitée* de 2003 à 2020
* Missions d’intérim et contrats à durée déterminée, hors stages, apprentissage et contrats aidés.
Lecture : en 2014, parmi les individus de 50 ans et plus en emploi, 4 % étaient en CDD.
Champ : France, 50 ans et plus en emploi.
Source : enquêtes Emploi (Insee).
10Les CDL de très courte durée ont aussi eu tendance à augmenter chez les seniors. C’est notamment le cas de ceux d’une durée de 1 à 3 mois dont la part parmi les 50 ans et plus en CDL est passée de presque 14 % à 24,5 % entre 2003 et 2020 (figure A1 en annexe). Comme chez les plus jeunes (Jauneau, Vidalenc, 2019), près de la moitié (47 % en 2019) des seniors en CDL courts (intérim ou CDD de moins de 3 mois) sont sur des contrats dont la durée est inférieure à un mois. La comparaison de la situation des seniors français·es au regard de l’emploi à durée limitée avec celle des seniors des pays de l’Union européenne (UE) révèle que les Français·es sont davantage touché·es par l’emploi temporaire qui concerne 8 % des 55-64 ans contre 5,1 % des travailleur·ses de cette classe d’âge de l’UE27 en 20227.
- 8 Début 2024, la part des contrats à durée déterminée (CDD) dans les embauches était de 84 %, hors i (...)
- 9 Pour la suite des statistiques descriptives sur la population des seniors en contrats courts, nous (...)
11Certains profils de seniors rencontrent des difficultés d’emploi spécifiques, particulièrement dans le contexte français marqué par une « culture de la sortie précoce » vers la retraite (Guillemard, 2010) : difficultés à se maintenir en emploi alors que l’exclusion des salarié·es en fin de carrière via la rupture conventionnelle (Dalmasso, Gomel, 2014) ou des licenciements est monnaie courante ; difficultés, surtout, à retrouver un emploi après une rupture professionnelle. Par ailleurs, la croissance observée des contrats courts chez les seniors est à rapprocher de la tendance, générale en France, selon laquelle les embauches se font sur des contrats précaires8. À cela s’ajoute le fait que les recrutements de seniors tendent à se concentrer dans certains secteurs (commerce, grande distribution, aide à la personne, etc.) fortement utilisateurs de contrats courts (Bornstein, Perdrizet, 2019). La hausse des CDL, et des contrats courts en particulier, n’a ainsi pas concerné de façon uniforme l’ensemble des salarié·es seniors. En 2019, les immigré·es et les personnes peu diplômées (sans diplôme ou titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle-brevet d’études professionnelles [CAP-BEP]) sont surreprésenté·es dans les contrats courts, quelle que soit la durée considérée (moins d’un mois ou moins de trois mois)9 (figure 2). Les catégories socioprofessionnelles surreprésentées parmi les contrats courts sont globalement les mêmes quelles que soient les tranches d’âge (seniors ou pas). Il s’agit de professions de premier niveau de qualification : les ouvrier·ères agricoles (13 % de CDL courts), les ouvrier·ères non qualifié·es (7 %), les ouvrier·ères qualifié·es (4,7 %), puis les employé·es du commerce (4,4 %) et des services aux particuliers (3,1 %) (figure A.2 en annexe).
Figure 2 – Caractéristiques sociodémographiques des seniors en emploi* selon la durée du contrat en 2019
* Missions d’intérim et contrats à durée déterminée, hors stages, apprentissage et contrats aidés.
Lecture : en 2019, environ 27 % des seniors en CDL de moins d’un mois étaient sans diplôme de même que 27 % des seniors en CDL de 1 à 3 mois, alors que les sans-diplôme ne représentaient que 15 % de l’ensemble des seniors en emploi la même année.
Champ : France, 50 ans et plus en emploi.
Source : enquêtes Emploi (Insee).
12De même, les conditions de travail des seniors en contrats courts sont proches de celles des salarié·es plus jeunes occupant le même type de contrats. Les personnes en contrats courts sont plus fréquemment pluriactives (autrement dit, elles ont plusieurs emplois et/ou employeurs). Cela se vérifie dans le cas des seniors en contrats courts : en 2019, d’après l’enquête Emploi, 8 % étaient concerné·es par la pluriactivité, une part un peu plus élevée que celle des pluriactif·ves chez les salarié·es en contrats courts de moins de 50 ans (6 %). C’est particulièrement le fait d’avoir plusieurs employeurs qui est surreprésenté chez les seniors en contrats courts. Les seniors en contrats courts sont aussi surreprésenté·es parmi les travailleur·ses qui déclarent souhaiter avoir un autre emploi en remplacement de leur emploi actuel ou en plus de celui-ci (c’est le cas d’un quart des seniors en contrats courts). Ils et elles sont également surreprésenté·es parmi les travailleur·ses qui déclarent rechercher un autre emploi. De ce point de vue, les 50 ans et plus ne se distinguent pas des salarié·es en contrats courts des autres tranches d’âge. Les seniors en contrats courts sont aussi très fréquemment à temps partiel : c’est le cas de 44 % d’entre elles et eux, soit un pourcentage bien supérieur à celui de l’ensemble des seniors en emploi (21 %) et à celui des salarié·es en contrats courts plus jeunes (25 % pour les moins de 50 ans).
13En fin de compte, loin d’une déstabilisation générale des marchés internes (Behaghel, 2003), l’emploi des seniors en contrats courts, certes croissant, reste d’ampleur limitée au regard de la situation des plus jeunes, et ne concerne pas tou·tes les salarié·es seniors uniformément. Comme dans les autres tranches d’âge, certaines catégories de travailleur·ses sont surreprésentées dans ces emplois – ceux correspondant aux premiers niveaux de qualification. Les inégalités sociales croisent et surpassent donc les difficultés liées à l’âge.
14On peut distinguer à partir des entretiens qualitatifs plusieurs profils de salarié·es seniors en contrats courts pour lesquel·les le vécu, la situation et la trajectoire diffèrent.
15Nous avons mis en évidence un premier type de parcours à partir des entretiens réalisés avec les douze enquêté·es ayant fait une grande partie ou l’ensemble de leur vie professionnelle dans des secteurs fortement utilisateurs de contrats courts. Elles sont extras de la restauration, guides conférencières, travaillent dans l’animation commerciale ou la formation ; ils sont employés comme enseignant ou comme déménageur (annexe, tableau A1). Autant de métiers pour lesquels le contrat court est la norme ou dans lesquels un volant important de salarié·es journaliers, vacataires ou extras travaillent aux côtés de salarié·es en CDI. Ces seniors ont travaillé de longues années avec ce statut d’emploi. Ils et elles ne se vivent pas comme chômeur·ses, ni comme pauvres et pas nécessairement comme précaires et peuvent compter sur leur longue expérience professionnelle au cours de laquelle ils et elles ont développé les compétences et le réseau professionnel nécessaires pour faire carrière en contrats courts. Si ces travailleur·ses expérimenté·es doivent sans cesse rechercher de nouveaux contrats et employeur·ses, rares sont celles et ceux qui aspirent à un CDI. Cependant, le vieillissement ou la récente crise sanitaire ont pu les mettre face à des difficultés nouvelles et modifier leurs aspirations.
- 10 L’essentiel des entretiens a été réalisé avant mars 2020, date du premier confinement qui a profon (...)
- 11 L’ensemble des prénoms des enquêté·es a été modifié.
16Leur quotidien est marqué par la nécessité permanente de trouver des contrats et d’organiser leur travail. Dans l’ensemble, ces enquêté·es ne manquent pas d’emploi10. D’ailleurs, selon Yves Jauneau et Joëlle Vidalenc (2019), les seniors sont surreprésenté·es parmi les salarié·es en contrat court « en emploi de façon quasi continue » au cours de l’année. Ils et elles ne peuvent toutefois pas totalement se reposer sur leurs acquis et doivent proposer continuellement leur candidature. Ainsi, Florence11, 55 ans et extra dans la restauration depuis septembre 2000, déclare qu’elle n’a jamais interrompu sa recherche de vacations :
« Régulièrement je regarde des annonces. Si je vois un endroit que je connais pas ou qui cherche un extra, je postule. Après, il va y avoir le salaire aussi qui va me retenir ou… Mais en moyenne, j’arrive bien à trouver deux employeurs nouveaux par mois que j’essaie de démarcher. »
17Les extras comme les guides conférencières sont amenées à multiplier les heures de travail dans les périodes de forte activité en prévision des périodes plus creuses. Leurs horaires varient à l’échelle hebdomadaire, mensuelle et annuelle et elles doivent connaître les fluctuations précises de leurs secteurs d’activité, s’y adapter et opérer un suivi de leurs heures travaillées et planifiées. Par exemple, les extras de la Côte d’Azur partent en vacances en janvier-février qui sont des mois creux. Anne, guide conférencière qui a eu deux enfants, n’a jamais pu partir en congés plus de « quinze jours maxi l’été ». Trouver des emplois, composer son planning et construire sa carrière sont des activités pour lesquelles elles ont développé de nombreuses compétences au fil des années et qui sont à la fois une contrainte et l’un des intérêts de leur vie professionnelle.
18Parmi ces enquêtées de la restauration et du tourisme, qui travaillent depuis plusieurs années en contrats courts dans le même métier, aucune n’envisage de changer d’activité. Plusieurs guides conférencières, à la suite de la crise sanitaire, pensent qu’elles ne se lanceraient pas dans la profession aujourd’hui mais toutes disent aimer leur travail.
19Elles y voient certains avantages : les extras interrogées pourraient travailler en CDI mais ne le souhaitent pas car elles auraient le sentiment de perdre leur autonomie :
« Moi, un CDI… j’ai 60 ans, donc dans deux ans, deux ans et demi maxi, je vais être à la retraite. Et je vous le dis honnêtement, ça fait trente ans que je suis dans les extras, je me vois mal me retrouver au même endroit tous les jours avec les mêmes têtes, parce que c’est ce côté-là aussi qu’on apprécie dans les extras, c’est qu’on change. […] On est autonome, et on est notre propre patron. »
(Ingrid, 60 ans, extra)
20Si elles ne souhaitent pas un CDI et ne se vivent pas actuellement comme précaires, elles s’accordent sur le fait qu’être perçu·es comme précaires a finalement des effets précarisants et qu’elles se sentent vulnérables à la précarité.
« Moi, il y a deux ans, ma voiture m’a lâchée, j’ai voulu faire un crédit de 5 000 euros et pourtant, je gagnais encore bien ma vie, on m’a refusé le crédit, parce que j’avais pas un CDI. Donc, il y a tout un tas de choses comme ça qui font que… nous, on est vraiment dans la précarité. Du jour au lendemain. »
(Ingrid, 60 ans, extra)
- 12 En 2019, 38 % des seniors en contrats courts déclaraient que « c’était leur choix » d’être en CDD/ (...)
21Dans l’ensemble, ces salarié·es, qui ont eu une carrière faite d’emplois discontinus, n’aspirent pas à changer de contrat12. La crise consécutive à l’épidémie de Covid et/ou le vieillissement peuvent néanmoins les conduire vers d’autres vécus et arbitrages. Florence, 55 ans, a, jusqu’à récemment, préféré les contrats d’extra au CDI mais, par crainte de ne pas parvenir, notamment pour des raisons de santé, à travailler en extra jusqu’à la retraite, elle cherche désormais un CDI :
« Moi, si je trouvais un CDI qui me convienne, oui [je le prendrais], mais pour l’instant, je ne trouve rien parce que je ne trouve rien qui paie. Là j’ai postulé, je n’ai pas eu encore de réponse en tant que maître d’hôtel dans une maison de retraite de luxe sur Beausoleil. Bon, ce qu’il y a, c’est que c’est N. [société multinationale de restauration], et N., en général, ils ne paient pas grand-chose, donc, après… Bon, déjà je n’ai pas été convoquée. […] J’ai un problème de dos en plus maintenant qui commence, donc j’essaie de m’économiser. »
22Anne, guide conférencière depuis vingt-cinq ans en contrats courts, déclare à propos de sa situation à la suite de la crise sanitaire : « Donc la précarité, là c’est la première fois de ma vie que là je la ressens, que je la vois là. »
23Nous avons identifié un deuxième type de parcours avec quatre de nos enquêté·es ayant un statut principal stable et pour qui le travail en contrats courts est une activité secondaire. Cette situation de sur-emploi est à l’opposé du sous-emploi traditionnellement associé aux contrats courts. Dans la typologie de Y. Jauneau et J. Vidalenc (2019), les seniors sont surreprésenté·es dans le profil « contrats courts comme activité d’appoint » : les 50 ans et plus représentent en effet 37 % de cette catégorie alors qu’ils et elles ne sont que 16 % parmi l’ensemble des salarié·es en contrats courts. Parmi nos enquêté·es, trois (un homme et deux femmes) sont dans le secteur médico-social et un homme dans le tourisme (annexe, tableau A2). Deux perçoivent une retraite, les deux autres sont salarié·es, l’un comme fonctionnaire, l’autre en CDI. Si le supplément de revenu est leur motivation principale, ces seniors qui, à une exception près (cf. infra), ne manquent pas d’emploi ont aussi d’autres attentes vis-à-vis de ces emplois de complément et opèrent des choix pour obtenir des contrats courts qui leur conviennent.
24Une première catégorie de seniors enquêté·es cumule un emploi stable et des contrats courts : Paula (55 ans) est aide-soignante en CDI dans un Ehpad et réalise des vacations dans un autre établissement. Feyçal (53 ans) est également aide-soignant mais dans la fonction publique hospitalière et vacataire dans des Ehpad privés. Tous deux font des contrats courts pour compléter leur revenu principal, jugé insuffisant pour faire face aux dépenses, courantes ou exceptionnelles (« liées aux fêtes de fin d’année, à l’achat d’une voiture… », Feyçal, 53 ans).
25Il et elle jugent les vacations en contrats courts plus avantageuses que les heures supplémentaires dans leur emploi principal car elles sont rémunérées à un taux horaire supérieur, plus facilement payées (il y a moins d’erreurs dans le nombre d’heures rémunérées) et avec la possibilité d’en faire davantage (pas de plafonnement). Ces travailleur·ses n’ont aucune difficulté à trouver des emplois. Elle et il ont même des marges de négociation de leur salaire pour les vacations : leurs recruteurs en Ehpad ont « besoin de bras ». Paula, par exemple, a demandé et obtenu que son ancienneté en tant qu’aide-soignante soit reconnue pour la rémunération des vacations. Si ce travail salarié en contrats courts donne lieu à des cotisations, aucun·e de ces enquêté·es n’est inscrit·e comme demandeur·se d’emploi et, a fortiori, aucun·e n’est indemnisé·e par l’assurance chômage. Il et elle sont en effet plutôt en sur-travail qu’en sous-emploi : Feyçal réalise 5 à 6 vacations par mois en plus de son temps plein. Pour Paula, l’emploi complémentaire représente entre 55 et 80 % de temps de travail en plus de son temps plein.
26Parmi ces seniors pour qui les contrats courts viennent « en plus », une deuxième catégorie d’enquêté·es cumule contrats courts et perception d’une pension de retraite ou de préretraite : Bernard (69 ans) est retraité et réalise des activités de guide touristique en CDD. Christine (50 ans), ancienne fonctionnaire de la fonction publique territoriale en préretraite, est vacataire dans des Ehpad.
27Leur motivation à cumuler est également avant tout financière.
Christine, 50 ans, touche une pension de retraite de 700 euros par mois. Elle a trois enfants âgés de 18 à 25 ans qui vivent au domicile familial. Elle touche 300 euros de pension alimentaire. Ce budget ne lui permet pas de couvrir ses dépenses. Les revenus qu’elle tire des vacations sont très fluctuants car ils dépendent du nombre d’heures qu’elle parvient à effectuer.
28Les (pré)retraité·es enquêté·es se heurtent à davantage d’obstacles que les salarié·es pour trouver des contrats, notamment du fait des règles relatives au cumul emploi-retraite ou à l’âge. Bernard ne peut envisager d’avenir professionnel car il est âgé de 69 ans au moment de l’entretien et l’entreprise pour laquelle il travaille ne propose plus de contrat à partir de 70 ans. Christine ne peut statutairement pas travailler au-delà de 75 heures par mois (en raison de la pension qu’elle perçoit) et peine même à atteindre ce plafond :
« La première année, j’arrivais à faire mes 75 heures par mois. Mais depuis un an, c’est la catastrophe, ils veulent plus remplacer les gens. […] Donc, au mois de janvier, j’ai fait trois jours, plus deux heures trente. Au mois de décembre, j’ai fait 40 heures, novembre rien du tout, octobre rien du tout, septembre rien du tout, août rien du tout, juillet quelques petites heures. »
29Christine se distingue des autres travailleur·ses de ce type car elle manque d’emploi.
30Bien que la motivation à travailler en contrats courts soit pour chacun·e (salarié·es comme retraité·es) d’abord financière, tou·tes trouvent un intérêt au travail qu’ils et elles réalisent « en plus ». Aucun·e n’est dans un rapport complètement « alimentaire » à l’activité de travail et tou·tes ont des contrats courts avec un seul employeur. La place qu’ils et elles occupent dans ce collectif de travail revêt donc une certaine importance à leurs yeux.
31Christine, 50 ans, dit avoir trouvé une « vocation » dans les emplois d’aide-soignante :
« Oui, c’est vraiment une vocation. […] Ça a été un mal pour un bien ma préretraite dans la fonction publique […]. Ça m’apporte énormément, malgré les reproches qu’on peut me faire souvent de m’attarder trop sur les résidents. »
32Au regard de son investissement dans cette nouvelle activité, les difficultés relationnelles qu’elle rencontre avec certaines collègues sont difficiles à supporter. Elle a l’impression que certaines lui « font payer » sa situation de vacataire, présentée comme atypique pour son âge :
« Toutes les collègues ne sont pas pareilles à mon égard, c’est-à-dire qu’il y a des collègues qui sont devenues des amies, donc des collègues avec qui on travaille en équipe […]. Et d’autres, c’est chacun pour soi, et d’autres, jusqu’à la jalousie, donc d’être méchantes vis-à-vis de moi étant vacataire à mon âge. […]. Ce qui les dérange, c’est que j’ai une pension de retraite, que je travaille que de temps en temps, que j’ai beaucoup de temps pour moi. […] Vous essayez de vous battre pour être reconnue plus qu’une simple vacataire et on vous ferme les portes. »
33Bernard, outre le fait qu’il ne souhaitait pas poursuivre son activité de correcteur sous le statut d’autoentrepreneur, a choisi l’activité d’accompagnateur touristique également pour sa dimension relationnelle.
34Les salarié·es rencontré·es sont également sensibles aux conditions de travail et d’emploi des établissements où ils et elles réalisent des vacations, d’autant plus qu’ils et elles sont en position de force pour choisir les contrats. Signe de l’attachement à ses conditions de travail et à la qualité du travail qu’il réalise, Feyçal préfère éviter d’être embauché en intérim : « Les boîtes d’intérim, moi, je suis pas très favorable dans le sens où en général, c’est des structures qui vous mettent un peu n’importe où. Un coup là, un coup là. » Par choix, il est actuellement vacataire dans une « boîte familiale ».
35Un dernier segment de huit enquêté·es de notre panel de seniors se caractérise par le fait d’être en situation de précarité au moment de l’entretien, en sous-emploi, et d’aspirer à une situation plus stable. Pour une part d’entre elles et eux, l’indemnisation chômage permet d’atténuer les effets de la précarité. Les autres sont dans des situations financièrement très difficiles. Certain·es n’ont jamais connu de stabilité professionnelle, mais la plupart sont dans cette situation à la suite d’une rupture dans leur parcours, un « turning point » (Abbott, 2001), une « bifurcation » (Grossetti et al., 2009) ou une « transition critique » (Remillon, 2009), événement le plus souvent subi (ou, plus rarement, choisi, dans les cas de reconversions professionnelles), qui les a précipité·es vers le chômage et les contrats courts, état dont ils et elles souhaitent sortir mais peinent à y parvenir. C’est davantage cette dimension de parcours marqué par les ruptures qui les distingue des types de trajectoires précédents, plutôt que leurs secteurs d’activité (médico-social, logistique, sécurité, industrie, propreté – annexe, tableau A3). Même dans le cas des transitions professionnelles choisies, les personnes rencontrées se heurtent aux difficultés de financement de leur reconversion, à la sélectivité du recrutement, encore plus aiguë pour les personnes plus âgé·es, et à la norme des contrats précaires à l’embauche (Matus, 2019). Différents types d’événements sont à l’origine de ruptures et se mêlent dans les parcours : migrations, événements de santé ou familiaux, reconversions à la suite d’un licenciement, mobilité géographique pour raisons familiales ou par choix.
36Les situations de mobilité géographique, et particulièrement les migrations, constituent des ruptures majeures dans les parcours – notamment quand elles interviennent à un âge déjà avancé – et peuvent conduire durablement vers la précarité :
Angèle, 54 ans, est haïtienne et a vécu en Guadeloupe de 1991 à 2017. Après de longues périodes de chômage en Guadeloupe, elle « tente sa chance en France ». Elle a suivi une formation d’« employée familiale polyvalente » à Angers à son arrivée en métropole. Avec ce premier diplôme, elle s’installe en Île-de-France pensant qu’il serait plus facile d’y trouver un travail. Elle accepte n’importe quel emploi, quelle que soit sa durée « pour rester active » mais elle ne trouve que peu de contrats, tous courts, qui ne lui permettent pas de sortir de la pauvreté. Elle a ensuite trouvé un CDI dans l’aide à domicile mais, à temps partiel (peu d’heures travaillées, beaucoup de temps de transport), elle ne gagne que 400 à 450 euros par mois. Elle cherche à travailler davantage, notamment en contrats courts. Que ce soit en Guadeloupe ou en métropole, elle n’est pour l’instant jamais parvenue à franchir les seuils d’éligibilité à l’indemnisation chômage et perçoit par intermittence le revenu de solidarité active (RSA).
37Une autre enquêtée, également en situation de migration, avait pu trouver, un temps, une certaine stabilité professionnelle jusqu’à ce qu’elle rencontre un grave problème de santé.
Michèle, 50 ans, est camerounaise. Elle est arrivée en France en 2008 avec son fils aîné (âgé de 19 ans au moment de l’entretien) dans le cadre du regroupement familial. Elle cherche désespérément un emploi à temps plein en CDI qu’elle ne parvient pas à trouver. De 2008 à 2013, elle a pourtant un CDI à temps partiel et de nombreux contrats courts dans le secteur de l’aide à domicile, dans un Ehpad, puis dans la logistique. Elle rompt son CDI par une rupture conventionnelle en raison d’un problème de santé pour lequel elle est couverte par l’assurance maladie entre 2013 et 2015. Depuis 2016, elle alterne indemnisation chômage et contrats courts. Alors que la fin de ses droits approche, elle est très inquiète de ne se voir proposer que des offres d’emploi de courtes durées.
38D’autres ont connu un autre type de bifurcation dans leur parcours : il s’agit d’une reconversion professionnelle, plus ou moins choisie ou subie, mais qui, dans tous les cas, s’avère très coûteuse financièrement, ce qui les conduit à travailler en contrats courts, en attendant, espèrent-ils et elles, de retrouver une situation plus stable.
Catherine, 54 ans, suit une formation financée pendant treize mois pour préparer un diplôme d’accompagnante éducative et sociale afin de quitter le métier de secrétaire qu’elle n’avait pas choisi et n’aime pas. Elle a cependant occupé un poste de secrétaire commerciale en CDI dans une seule et même entreprise de 17 à 52 ans. Au moment du premier entretien (novembre 2019), Catherine est dans une situation financière très précaire malgré son indemnisation au titre du chômage. Elle a deux filles, dont une de 16 ans encore à sa charge. Elle est indemnisée 900 euros par mois et doit faire face à de multiples frais pour sa reconversion professionnelle (frais d’inscription aux concours, frais de déplacement pour la formation et les stages, etc.). Elle résume la situation ainsi : « Mais moi, sincèrement, ça me coûte plus cher de me former que de rester chez moi. Là, je pourrais rester chez moi, jusqu’à ma fin de droits […] et puis, ensuite, être au RSA. La retraite, de toute façon, vu ce que j’ai gagné dans ma vie, je sais que j’aurai les minima. Donc, ça changera pas grand-chose. »
Pour faire face à la situation financière difficile dans laquelle elle se trouvait avant même d’entrer en formation, Catherine a dû rechercher des contrats courts. Un temps en fin de droits, elle a pu heureusement compter sur l’aide de son ex-conjoint, sans qui elle n’aurait pu mener sa reconversion à terme. Lorsqu’on la recontacte en octobre 2021, elle a obtenu le diplôme qu’elle préparait et travaille en CDI.
39Si la situation de Catherine débouche sur une nouvelle période de stabilité, ce n’est pas le cas des autres enquêté·es ayant subi une ou plusieurs ruptures dans leur parcours :
Fabrice, 58 ans, a exercé différents métiers avec des contrats stables avant de faire l’objet d’un licenciement économique de la part d’une entreprise de sécurité dans laquelle il a travaillé en CDI pendant onze ans. Depuis, il n’occupe que des contrats courts, voire très courts. Il perçoit 510 euros d’allocation de solidarité spécifique (ASS).
La trajectoire professionnelle de Francis, 53 ans, est marquée par une instabilité d’emploi croissante. Après treize ans et deux CDI dans la vente, il est licencié en 2005 puis connaît cinq à six ans de chômage dont il parvient finalement à sortir mais sans retrouver d’emploi stable. Il passe de missions d’intérim à des CDD longs dans la logistique puis est contraint de refaire de l’intérim. Il a des contrats de durées variables, dont des contrats courts pendant les périodes de carence. Il travaille suffisamment pour avoir toujours des droits au chômage.
40Ces quelques exemples montrent que, même pour ces enquêté·es dont les trajectoires professionnelles sont marquées par des ruptures, il existe une grande diversité de situations et de pratiques des contrats courts.
- 13 Magali Boumaza et Emmanuel Pierru (2007) identifient trois dimensions de la précarité : matériell (...)
41Ce qui les rassemble cependant, c’est que la quasi-totalité de ces enquêté·es peuvent être qualifié·es de « précaires » au sens où il s’agit de personnes en situation de précarité matérielle (Boumaza, Pierru, 2007)13. Leurs revenus sont irréguliers, imprévisibles et surtout insuffisants. Au moment de l’entretien, ils et elles expliquent travailler, mais ne font que peu d’heures rémunérées, et précisent vouloir travailler davantage et en CDI pour réduire leurs difficultés financières. D’après nos calculs réalisés à partir de l’enquête Emploi, en 2019, 19,7 % des seniors en contrats courts sont en situation de « sous-emploi », c’est-à-dire à temps partiel, déclarant souhaiter travailler plus et disponibles pour le faire, une part plus élevée que chez les salarié·es en contrats courts plus jeunes (14,4 %). Les seniors en contrats courts sont aussi surreprésenté·es dans les contrats courts à temps partiel, notamment pour les durées les plus réduites – 10 % d’entre elles et eux travaillent moins de 15 heures par semaine, 20 % de 15 à 29 heures.
- 14 L’allocation de solidarité spécifique comme le revenu de solidarité active sont des allocations po (...)
42Si tou·tes les enquêté·es de ce groupe partagent une situation de précarité financière, leur degré de précarité varie selon les situations familiales (cf. infra) et selon leur trajectoire professionnelle passée. Celle-ci est en effet déterminante pour l’éligibilité à l’indemnisation chômage et pour la fixation du montant de celle-ci (Grégoire, Vivès, 2021). Parmi les non-indemnisé·es, certain·es perçoivent alors l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou le revenu de solidarité active (RSA)14. Dans l’ensemble, ces salarié·es précaires, pourtant inscrit·es depuis longtemps à Pôle emploi, ont une connaissance sommaire des règles d’indemnisation. Tou·tes insistent sur la faiblesse des sommes perçues, qui leur permettent de « survivre » mais pas de vivre. Les discours sur les « chômeurs qui profitent des allocations » leur paraissent très décalés par rapport à leur vécu.
43Nous avons décrit trois types de parcours de seniors en contrats courts, qui les distinguent en fonction de leur trajectoire, de leur situation matérielle et de leur vécu de ces contrats. Les trajectoires auxquelles on pense spontanément en associant contrats courts et précarité des seniors – après perte d’un emploi stable et chômage de longue durée ou comme bridge entre emploi et retraite – ne sont pas les seules observables. En dépit de cette diversité de trajectoires et de vécus, les salarié·es seniors en contrats courts partagent des difficultés et des ressources spécifiques.
44Les seniors en contrats courts font face à des obstacles et à des difficultés spécifiques liées au vieillissement – notamment en matière de santé –, mais ils et elles bénéficient également de ressources qui leur sont propres en comparaison des salarié·es en contrats courts plus jeunes, qui conduisent à nuancer l’association faite entre seniors en contrats courts et précarité.
45En matière d’obstacles et de difficultés, certain·es enquêté·es, notamment celles et ceux ayant le troisième type de parcours (précaire et ayant subi des ruptures), ont un vécu difficile des contrats courts : à ces âges et à ce stade avancé de la vie professionnelle, le sentiment « d’être interchangeable » et « jetable » – pour reprendre les termes employés par Francis (53 ans, intérimaire) – ainsi que les conditions de travail pénibles associées à ces contrats sont plus difficilement supportables que pour des salarié·es plus jeunes qui peuvent espérer qu’il s’agit là d’une situation transitoire. Autres difficultés importantes : les problèmes de santé et l’accès à la formation. Malgré tout, tou·tes doivent « tenir » pour cumuler un maximum de droits à la retraite.
46Certains récits, parmi ceux des enquêté·es du troisième groupe, aux parcours précaires, sont exemplaires des obstacles qui se cumulent au cours des trajectoires des seniors en contrats courts et du vécu difficile qui en découle pour ces derniers :
Bertrand, 60 ans, est antillais et vit depuis 1983 en métropole – à l’exception de sept années passées en Martinique entre 2001 et 2008. Travailleur – essentiellement intérimaire – de la logistique, il est inscrit à Pôle emploi en continu depuis 2010 et fait des passages récurrents par le chômage. Il a eu par le passé un CDI intérimaire pendant trois ans mais en a démissionné car l’agence ne l’envoyait que sur des missions mal desservies par les transports en commun et l’emploi n’était pas suffisamment rémunérateur pour qu’il puisse couvrir les dépenses induites par l’utilisation d’une voiture. Il souhaiterait suivre une formation de gestionnaire de stock informatisé mais ne parvient pas à se la faire financer. Dans l’ensemble, sa vie professionnelle a été marquée par l’instabilité et, avec l’âge, trouver un emploi et le conserver devient de plus en plus difficile, alors qu’il souffre d’importants problèmes de santé. Faute de trouver la stabilité et la rémunération qu’il recherche, il a le projet de créer son activité pour « avoir [au moins] une source de revenu complémentaire ».
47Face aux difficultés à se faire embaucher en raison de leur âge (Guillemard, 2007 ; Prouet, Rousselon, 2018), certain·es n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’emploi indépendant.
48Ces salarié·es sont contraint·es de continuer à travailler car, du fait de leur parcours haché, ils et elles ont accumulé moins de droits que d’autres à la retraite et anticipent de faibles montants de pensions. C’est le cas de Bertrand qui prévoit de travailler jusqu’à 70 ans pour repousser le moment de la baisse de revenus liée au passage à la retraite et pour « lutter pour avoir un bon salaire pour pouvoir au moins espérer avoir quelque chose de, je dirais, pas correct mais de convenable pour vivre la retraite ».
49Selon Annie Jolivet et Anne-Françoise Molinié (2020), les seniors subissant des conditions de travail pénibles déclarent plus souvent que les autres ne pas souhaiter – et/ou ne pas se sentir capables de – faire le même travail jusqu’à la retraite. Pour autant, ils et elles partent à la retraite en moyenne plus tard que celles et ceux « épargné·es » par des conditions de travail pénibles. C’est particulièrement le cas des seniors en contrats courts qui, lorsqu’ils et elles « ont connu des parcours heurtés, précaires, probablement faiblement rémunérés […], surtout des femmes » (p. 157) sont non seulement soumis·es à des conditions de travail difficiles mais disposent également de moins de ressources financières pour arrêter de travailler.
- 15 D’après l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP) 2006-2010, l’écart de taux d’emploi en 2 (...)
50L’un des facteurs principaux pouvant entraver l’emploi aux âges avancés est l’état de santé. En effet, selon nos calculs à partir des données de l’enquête Emploi, les seniors en emploi sont 29 % à déclarer une maladie chronique, 17 % une limitation d’activité, 5,7 % une reconnaissance administrative de handicap et 5,5 % un mauvais état de santé, des situations bien plus fréquentes que chez les travailleur·ses plus jeunes (puisqu’elles représentent près du double en proportion). Les seniors en contrats courts n’apparaissent cependant pas particulièrement surreprésenté·es dans ces mauvais états de santé par rapport au reste des travailleurs seniors : 30,1 % déclarent une maladie chronique, 5,1 % un mauvais état de santé et 17,5 % des limitations d’activité. On peut penser qu’il s’agit là d’un effet de sélection, ceux ayant une santé qui a été trop dégradée par les conditions de travail qu’ils et elles ont subies au cours de leur vie professionnelle n’étant plus en emploi15. Malgré tout, 8,6 % des seniors en contrats courts ont une reconnaissance administrative de handicap et les préoccupations de santé sont communes à presque toutes les interviews réalisées.
51Les contrats précaires sont surreprésentés dans des secteurs où l’emploi est flexible et où les conditions de travail, physiquement difficiles, nécessitent un bon état de santé. Ceci restreint les possibilités d’emploi pour les seniors ayant des problèmes de santé. C’est le cas de Fabrice, 58 ans, qui, après avoir exercé « tous les métiers de la sécurité », cantonne désormais ses recherches à certains types d’emplois en raison de son état de santé.
« Faut être en forme physiquement [pour travailler dans la sécurité] ; moi, j’ai des problèmes de santé, donc… […] c’est pour ça que je recherche […] veilleur de nuit, moi. Parce qu’il y a moins d’activité intensive… Dans les magasins, ou faire rondier, je peux plus faire ça, parce qu’il faut courir, faut… moi, je peux à peine marcher. »
52Cependant, comme les postes de veilleur de nuit sont rares et très demandés, il ne parvient pas à trouver d’emploi et donc à être éligible à l’indemnisation chômage.
53En fin de parcours, pour tou·tes, même pour les salarié·es dont le bon état de santé a rendu possible une carrière, les conditions de travail difficiles de ces secteurs pèsent progressivement, obligeant ces salarié·es à limiter le nombre d’heures travaillées.
« À notre âge, on va faire une doublette, deux doublettes [deux réceptions dans la même journée]. Mais après, ça devient dur, ouais. C’est un travail manuel, donc il y a beaucoup de manutention. Pour les femmes, c’est encore plus dur que pour les hommes. »
(Ingrid, 60 ans, extra)
54Hélène, une extra de 58 ans, nous explique la nécessité de cette limitation pour éviter les accidents du travail qui surviennent en cas de fatigue excessive.
- 16 Ayant plusieurs employeurs, ils et elles n’ont pas de régulation extérieure.
55Les enquêté·es qui cumulent un emploi stable avec des contrats courts font face à la même nécessité de se ménager. Pour éviter l’épuisement et se préserver des temps de repos, ils et elles doivent s’« auto-réguler16 » selon les termes de Feyçal (aide-soignant, 53 ans) et ne pas se laisser prendre dans une logique d’accumulation maximale de revenus.
- 17 Dans l’enquête Emploi, les formations non formelles sont celles qui ne conduisent pas à un titre o (...)
56Les difficultés d’accès à la formation professionnelle continue des seniors sont bien documentées (Lainé, 2002), même si l’écart avec les salarié·es plus jeunes semble se réduire depuis le milieu des années 2000 (Prouet, Rousselon, 2018). Pour les seniors en contrats courts, les obstacles liés à l’âge s’ajoutent au fait que les salarié·es en CDL ont, de façon générale, un moindre accès à la formation que celles et ceux en CDI. Ainsi, selon nos calculs, d’après l’enquête Emploi, les seniors en contrats courts sont sous-représenté·es dans l’accès à la formation continue par rapport au reste des salarié·es seniors qui ont, eux et elles-mêmes, moins accès à la formation que l’ensemble des salarié·es, qu’il s’agisse de formation formelle (seulement 6 % de seniors en contrats courts y ont eu accès dans les trois mois précédant l’enquête contre 11 % de l’ensemble des salarié·es seniors) ou informelle (14 % pour les seniors en contrats courts et 24 % pour l’ensemble des salarié·es seniors)17.
57Même dans des métiers peu qualifiés en contrats courts, les seniors peuvent être confronté·es à une obsolescence de leurs compétences, du fait du développement des outils numériques dans tous les domaines d’activité, ce qui pèse sur leurs possibilités d’emploi (Ananian, Aubert, 2006). Les difficultés d’accès à la formation professionnelle tiennent parfois au faible niveau scolaire des salarié·es, comme l’illustre le cas de François, 53 ans :
François cherche des contrats dans la logistique après un début de vie active dans l’industrie :
« Actuellement, ils [Pôle emploi] nous poussent à aller en formation. […] Mais bon, moi, je n’ai pas le niveau d’études pour suivre une formation. On veut me faire rentrer des choses que je ne saurai jamais. […] Le numérique ou les calculs, tout ça, je ne sais pas. […] Donc, aller en formation, c’est perdre son temps pour moi. »
58Son manque de compétences dans le numérique le pénalise également dans sa recherche d’emploi et son accès aux droits car il peine à utiliser l’informatique et à faire des démarches en ligne.
59In fine, les difficultés d’accès à la formation des seniors en CDL réduisent leurs possibilités d’accéder à l’emploi.
60En dépit d’obstacles liés à leur âge, les travailleur·es de 50 ans et plus ont des ressources dont ne disposent pas ou moins les travailleur·ses en contrats courts plus jeunes. Les configurations familiales des seniors en contrats courts sont une ressource : ils et elles sont plus souvent en couple et marié·es, ce qui constitue un appui financier, moral et affectif important face à la précarité et, pour la plupart, ils et elles n’ont pas d’enfant(s) à charge en bas âge et sont donc plus disponibles pour travailler. Par ailleurs, l’indemnisation chômage – dont ils et elles bénéficient plus souvent et avec des règles spécifiques liées à leur âge (encadré 2) – constitue une ressource non négligeable, notamment pour celles et ceux qui sont depuis longtemps dans ce type de parcours.
Encadré 2
L’indemnisation chômage des seniors
- 18 Depuis le 1er février 2023, 1 jour cotisé donne droit à 0,75 jour indemnisé, c’est-à-dire une dimi (...)
Même si certains dispositifs ont été progressivement supprimés, comme l’allocation équivalent retraite (AER) ou la dispense de recherche d’emploi (DRE) et même si les bornes d’âge ont été relevées, les seniors bénéficient encore de règles d’indemnisation chômage plus favorables que les plus jeunes, notamment une durée maximale d’indemnisation plus longue (de trois ans au lieu de deux) et des dispositifs de prolongation de l’indemnisation jusqu’au taux plein de la retraite au-delà des trois années d’indemnisation sous certaines conditions de carrière (dispositif de « maintien des droits »).
Au moment de l’enquête18, à savoir avant les réformes de 2019-2021 et de 2023, 1 jour cotisé donne droit à 1 jour indemnisé. À partir de 53 ans, les durées maximales d’indemnisation sont les suivantes : 24 mois pour les allocataires de moins de 53 ans ; 30 mois pour celles et ceux de 53 ou 54 ans au moment de la fin de leur dernier contrat et 36 mois pour les allocataires de 55 ans et plus.
- 19 On trouve tout de même, parmi les enquêté·es, des mères à la tête de familles monoparentales dans (...)
61Les seniors étant avancé·es dans leur cycle de vie, ils et elles sont plus souvent marié·es que des travailleur·ses plus jeunes19. Cela se vérifie également pour les seniors en contrats courts : selon les chiffres de l’enquête Emploi pour 2019, 60 % sont marié·es, une proportion comparable à celle de l’ensemble des travailleur·ses seniors et bien supérieure à la part de marié·es parmi les salarié·es en contrats courts non seniors (20 %). Par rapport à leurs homologues plus jeunes, les seniors en contrats courts sont plus souvent dans un ménage d’une seule personne (27 % contre 18 %) mais aussi plus souvent en couple sans enfant (32 % contre 14 %) et moins fréquemment en situation de monoparentalité (9 % contre 15 %) et en couple avec enfant(s) (27 % contre 47 %).
62Le fait que les seniors en contrats courts soient plus nombreux·ses que les plus jeunes à être en couple est une ressource car le soutien d’un·e conjoint·e est souvent déterminant dans ce type de trajectoire précaire, comme cela a été mentionné plusieurs fois par nos enquêté·es. Francis a 53 ans et est intérimaire. La stabilité du salaire de sa femme, qui est en CDI, est capitale pour l’équilibre financier du foyer, bien qu’elle ne gagne que 1 300 euros. Selon Monique, 55 ans, formatrice pour adulte (en CDD d’usage), le statut de fonctionnaire territorial de son mari permet d’apporter au foyer un « équilibre budgétaire » ; elle précise qu’elle « ne pourrait pas vivre comme ça si [elle] était seule ».
63Par ailleurs, les seniors ont moins d’enfant(s) à charge et, quand ils et elles en ont, ceux-ci ne sont plus en bas âge. Ils et elles ont donc sans doute à faire face à un niveau de dépenses moindre que les salarié·es plus jeunes et, surtout, ils et elles disposent d’une plus grande disponibilité temporelle. Cette dimension d’articulation entre vie familiale et professionnelle est cruciale pour les salarié·es qui cumulent emploi stable et contrats courts et qui sont dans une situation de sur-emploi. Ce travail « en plus » est en effet rendu possible par leur disponibilité temporelle. Sur le plan familial, Gabrielle, qui est mère de famille, a commencé le cumul lorsque ses enfants ont été autonomes au quotidien. Elle affirme que ce rythme de travail aurait été pour elle impossible à tenir plus tôt. « Génération pivot » (Bellidenty, Radé, 2021), les seniors sont néanmoins parfois très impliqués dans l’aide à des proches malades, âgé·es ou handicapé·es (Prouet, Rousselon, 2018). Cette situation d’« aidance » est notamment évoquée par Xavier, journalier dans le secteur du déménagement, qui doit s’occuper de sa mère âgée et qui, pour cela, s’absente régulièrement de son travail.
64Une autre ressource provient de l’assurance chômage. Les seniors en contrats courts sont un peu plus souvent indemnisé·es que les plus jeunes : 24 % d’entre eux·elles le sont en 2019 contre 17 % des non-seniors en contrats courts (enquête Emploi). Lorsqu’ils et elles sont indemnisé·es, ils et elles le sont dans 95 % des cas par l’allocation de retour à l’emploi. Par rapport à l’ensemble des seniors en emploi indemnisé·es, les seniors en contrats courts indemnisé·es sont sous-représenté·es dans la perception d’allocations spécifiques du type ASS, allocation équivalent retraite (AER) ou rémunération de formation Pôle emploi.
65Si la grande majorité des seniors en contrats courts ne touche pas d’allocations chômage, certain·es comptent sur cette indemnisation, qui fait partie intégrante de leurs revenus – c’est particulièrement le cas des seniors ayant effectué toute leur vie professionnelle dans des secteurs d’activité où les contrats courts sont la norme.
66Parmi les extras de la restauration ou les guides conférencières, toutes comptent sur ce complément de revenu :
« Il y a des mois, comme le mois de février, par exemple, qui est un mois très très calme, où malheureusement, moi, ça m’est arrivé de me retrouver avec vingt heures dans le mois de travail. Donc, il est évident que si j’ai pas un complément, je ne peux pas assurer mes factures. »
(Ingrid, 60 ans, extra dans la restauration)
67Pour autant, ce n’est pas parce que les salarié·es comptent sur l’indemnisation chômage pour compléter leurs revenus qu’ils et elles refusent des emplois. Ils et elles préfèrent accepter un emploi que tenter de maximiser le temps passé en étant indemnisé·es :
« Personnellement, je calcule pas si j’ai fait assez d’heures ou pas. Il y a du travail, je prends. Et je me dis : “C’est toujours ça de pris, parce qu’il y aura des périodes où il y en n’aura pas de travail.” […] Donc, c’est vrai qu’il y a des mois qui sont chargés, où on est H.-S. au bout du mois. »
(Ingrid, 60 ans, extra)
68L’indemnisation fait partie intégrante des revenus des salariées de ces professions. Ces enquêtées – qui parlent en revenu annuel car, en raison des fluctuations de leur activité, les revenus mensuels sont peu significatifs – intègrent l’indemnisation à leur revenu tout en étant en mesure d’en indiquer le montant annuel.
69Bien que les seniors bénéficient encore de règles d’indemnisation plus favorables que les plus jeunes (encadré 2), notamment une durée maximale d’indemnisation plus longue (sous conditions de durée d’emploi), et de dispositifs de prolongation de l’indemnisation jusqu’au taux plein de la retraite au-delà des trois années d’indemnisation sous certaines conditions de passé professionnel, les enquêté·es constatent une diminution des montants d’allocation :
« Avant, j’avais un complément tout à fait correct, en fonction du nombre d’heures où j’avais travaillé. […] Là, tout à coup, les indemnités, je me retrouve avec, je crois 23 euros par jour. Donc, ben oui, ça doit être ça, puisque j’ai eu 572 euros pour un mois, donc à peu près, à vue de nez. Donc, ça a complètement changé, on peut plus s’en sortir. »
(Mireille, 58 ans, guide conférencière)
70Cette diminution s’explique par les réformes des droits à indemnisation pour les salarié·es à l’emploi discontinu (Grégoire, Vivès, 2021), réformes qui touchent les seniors comme les autres. Pour les seniors en contrats courts s’inscrivant dans les autres types de parcours, l’indemnisation chômage est soit inexistante et inutile (cas des seniors en emploi stable ou à la retraite qui « cumulent » pension de retraite et emploi), soit inaccessible pour celles et ceux ayant les parcours les plus précaires qui ne parviennent pas à travailler suffisamment pour être éligibles.
⁂
71Si la part des contrats courts dans l’emploi des seniors a crû au cours des deux dernières décennies, on est loin d’une déstabilisation générale des marchés internes (Behaghel, 2003 ; Gautié, 2004) et la part des seniors concerné·es par ces contrats est encore faible relativement aux plus jeunes. De même, les réformes successives des retraites n’ont pas conduit à un affaiblissement des pensions tel qu’il obligerait désormais nombre de retraité·es à cumuler retraites et contrats courts, contrairement à ce que l’on observe dans d’autres pays. Malgré tout, la situation de ces seniors interroge car elle est éloignée de l’image du contrat court comme étape d’une insertion professionnelle ou de celle du job d’appoint pour des jeunes en étude.
- 20 Notons que les contrats de moins d’un mois n’ouvrent pas de droits sur le compte pénibilité.
72Nous avons décrit les caractéristiques des seniors concerné·es et distingué trois types de parcours de seniors en contrats courts, avec des vécus différents de cette forme d’emploi : certain·es seniors sont dans des parcours marqués par la précarité, à la suite de ruptures personnelles ou professionnelles ou parce qu’ils et elles n’ont jamais réussi à décrocher d’emploi durable. Ils et elles aspirent à une situation plus stable. Leurs conditions de travail et d’emploi sont difficiles à supporter ; elles pèsent sur leur santé, limitant leurs possibilités de travailler. L’absence d’accès ou d’appétence pour la formation professionnelle continue constitue également un frein à l’emploi pour ces personnes qui ont des niveaux de qualification faibles et sont parfois dépassées par les évolutions technologiques, notamment numériques. Dans les deux autres configurations identifiées (sur-emploi via le cumul emploi stable/contrats courts et carrières en contrats courts), le vécu des contrats courts est moins difficile, notamment parce qu’ils et elles peuvent s’appuyer sur leur longue expérience et des réseaux professionnels anciens pour trouver des contrats en nombre suffisant. Tou·tes ont également appris à gérer les fluctuations de leur activité et à se ménager suffisamment pour tenir dans la durée et ne pas affecter trop leur santé, déjà éprouvée par le rythme de travail et les mauvaises conditions de travail de ces métiers. Ce sur-travail est rendu possible par la phase du cycle de vie dans laquelle ils et elles se trouvent : la plupart n’ayant plus d’enfant à charge ou, en tout cas, plus d’enfant en bas âge, leur disponibilité temporelle est importante. Enfin, celles et ceux qui ont toujours été en contrats courts comptent également sur l’indemnisation chômage pour compléter leurs revenus. Nos trois groupes de seniors ont en commun d’avoir acquis en contrats courts des « compétences » particulières, en matière de recherche d’emploi et d’organisation des heures de travail. La discontinuité des contrats a aussi des effets communs – une pénalisation forte en cas d’accidents de la vie et, notamment, de maladie. Quelle que soit la diversité de leurs trajectoires, ils et elles subissent la nécessité de « tenir » jusqu’à la retraite, que la discontinuité a souvent repoussée20.
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