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Notes de lecture

David A. Spencer, Making Light Work: An End to Toil in the Twenty-First Century

Cambridge, UK, Polity, 2022
Philippe Askenazy
p. 115-118
Référence(s) :

David A.Spencer, Making Light Work: An End to Toil in the Twenty-First Century, Cambridge, UK, Polity, 2022, 200 p.

Texte intégral

1David Spencer, professeur d’économie politique à l’université de Leeds, est l’un des penseurs britanniques du travail les plus influents. Son livre Making Light Work apporte une contribution à la fois importante et pédagogique à la littérature sur la qualité du travail. Il prend plus la forme d’un essai que d’un ouvrage académique comme son précédent livre The Political Economy of Work (Routledge, 2009). Paru en 2022, Making Light Work évoque la période de la crise sanitaire liée au Covid-19 mais s’extrait de cette phase conjoncturelle pour explorer les dimensions passées, présentes et futures du travail dans les économies capitalistes, et les défis auxquels font face les travailleurs, les employeurs et les décideurs politiques. Avec une approche à la fois critique et nuancée, D. Spencer, en bon économiste, en vient à la prescription et propose des solutions pour réduire les inégalités au travail et élaborer des stratégies visant à «  alléger le travail  ».

2Le livre comporte huit chapitres, le premier étant l’introduction et le dernier la conclusion. Il s’articule autour de plusieurs thèmes centraux  : les significations du travail (vertu, aliénation, art, etc.) détaillées dans le chapitre 2, les causes de la mauvaise qualité du travail contemporain (chapitres 3 à 5), les effets potentiels de l’auto-matisation (chapitre 6) et, transversalement, la possibilité d’une réduction du temps de travail.

  • 1Keynes J. M. (1963), «  Economic Possibilities for our Grandchildren (1930), Part I  », in Essays (...)
  • 2  Une des œuvres de W. Morris mobilisées par D. Spencer a été éditée récemment en français  : Morris (...)

3L’auteur adopte une position intermédiaire entre deux visions contrastées. D’une part, la perspective selon laquelle le travail est un mal nécessaire à éliminer progressivement, grâce au progrès de la technique, comme le prédit Keynes1 avec la semaine de quinze heures. D’autre part, l’idée selon laquelle le travail est une source de bien-être, souvent mise en avant par les économistes du bonheur. D. Spencer soutient que, bien que le travail puisse contribuer à l’épanouissement humain, une grande partie du travail contemporain échoue à atteindre cet objectif. En se basant sur des traditions radicales comme celles de Marx et de William Morris2, il plaide alors pour une approche qui conjugue amélioration de la qualité de vie au travail et respect de la nature.

4Avant de livrer ses propositions, D. Spencer s’attache à déconstruire certaines visions du travail ou de son futur, qui rencontrent un important écho dans le débat public.

  • 3  Graeber D. (2018), Bullshit jobs, Paris, Les Liens qui libèrent.

5Après un chapitre 3 rappelant «  le rêve perdu  » d’une réduction du temps de travail malgré ses bénéfices pour les travailleurs, le chapitre 4, convaincant, est consacré à se distancier de la thèse des «  bullshit jobs  » de David Graeber3. Tout en reconnaissant que de nombreux emplois sont dépourvus d’une utilité économique ou sociale claire, il soutient que ces jugements tant du travailleur que de l’observateur extérieur sont souvent subjectifs. Les individus peuvent trouver un sens ou un intérêt financier significatifs dans des emplois perçus comme inutiles. L’auteur se concentre donc sur les caractéristiques objectives du travail aliénant  : faible rémunération, manque d’autonomie, absence de perspectives de développement professionnel ou personnel.

6Le chapitre 5 s’attache à démonter l’idée que la faible résistance des travailleurs face à des emplois de «  faible qualité  » serait la preuve qu’il n’y a pas une demande sociale particulière pour des emplois de «  bonne qualité  »  : cette faible résistance ne serait en fait que le miroir d’une adaptation des travailleurs au spectre des emplois effectivement offerts.

7Le chapitre 6 examine le rôle de la technologie dans l’automatisation des tâches répétitives et le passage à un modèle économique basé sur des compétences élevées. Il rejette l’idée selon laquelle la technologie est intrinsèquement libératrice ou oppressante, soulignant que son impact dépend de la manière dont elle est utilisée dans le milieu professionnel. L’auteur appelle à une meilleure intégration de la technologie pour améliorer la qualité de vie des travailleurs, tout en évitant les promesses exagérées ou les peurs excessives liées à l’automatisation.

8Au cours de ces chapitres, en s’intéressant aussi bien aux analyses des éco-nomistes classiques qu’aux affirmations péremptoires d’Elon Musk sur la fin du travail, D. Spencer met en lumière à quel point il est difficile de prédire l’avenir du travail. En fait, celui-ci n’est tout simplement pas mécanique. L’ouvrage prend alors logiquement un tournant prescriptif pour orienter ce futur (chapitres 7 et 8).

9D. Spencer plaide pour une réforme profonde du monde du travail, qui passerait notamment par une réduction du temps de travail à travers l’instauration d’une semaine de quatre jours, assortie d’une législation spécifique et d’un droit à la déconnexion. Il préconise également un renforcement des syndicats via le dialogue social au niveau national et la relance de la négociation collective sectorielle, l’État pouvant offrir un cadre institutionnel plutôt que d’en être partie prenante. D’autres propositions incluent la promotion des coopératives, la renationalisation de certains secteurs clés et l’intégration de la qualité de l’emploi dans un programme de transition écologique ambitieux, sorte de Green New Deal.

10Si la réduction du temps de travail est présentée comme une voie essentielle vers un avenir plus équilibré, l’auteur est cependant lucide. Certes, des essais sur la semaine de quatre jours ont montré que les travailleurs sont plus heureux et productifs, avec une meilleure rétention des employés. Mais D. Spencer souligne que ces essais n’ont pas toujours été concluants, en partie à cause de la densification des heures de travail (suppression des pauses, des temps morts). Il préconise donc une réduction des heures totales travaillées, accompagnée de politiques qui combinent des salaires élevés, une sécurité de l’emploi et une autonomie accrue.

11Plus original, l’auteur reconnaît que certains aspects pénibles du travail sont inévitablement liés à la condition humaine et à notre besoin de subvenir à nos besoins matériels (il faut bien assurer le ramassage des ordures, des services de nuit, etc.). Pour surmonter les inégalités entre travailleurs, il plaide pour une répartition plus équitable des tâches ingrates et une plus grande autonomie des salariés.

12Par ailleurs, l’auteur se montre sceptique face à certaines solutions comme le revenu de base universel (RBU), estimant que cela pourrait décourager les employeurs d’investir dans des technologies et des compétences pour améliorer les conditions de travail. Il met à la place l’accent sur le rôle crucial des syndicats et de l’État dans la mise en œuvre de réformes structurelles pour alléger – réduire à la fois la durée du travail et sa pénibilité – et rééquilibrer le travail.

  • 4  Par exemple, Allègre G., Sterdyniak H. (dir.) (2017), Revenu universel. L’état du débat [en ligne] (...)

13En somme, Making Light Work présente une analyse riche et nuancée qui réconcilie des objectifs sociaux et économiques mais aussi écologiques. On peut cependant regretter que pour analyser l’ensemble de ces thèmes communs aux différentes économies capitalistes, D. Spencer s’appuie essentiellement sur une littérature anglo-saxonne et sur l’expérience du monde anglo-saxon. Il n’y a par exemple pas de développement sur l’expérience de Robien puis des 35 heures en France notamment, sur les entreprises passées à cette occasion à la semaine de quatre jours qu’appelle D. Spencer. Les riches débats en France ou encore en Belgique sur le revenu de base ne sont pas évoqués4. Le lecteur français peut alors trouver bien courtes certaines analyses.

14En outre, la question des inégalités de genre dans le travail n’est pas abordée frontalement, mais par petites touches. Dès le début de l’introduction, le lecteur pourra être déçu  : pour illustrer l’importance de la place du travail, D. Spencer cite le cas médiatisé de John Doherty, un Écossais qui a gagné au loto 14 millions de livres mais qui a continué à travailler comme plombier (il avait sa propre petite société). Or John n’a pas gagné seul, il a gagné avec sa femme, Alison, une assistante scolaire  : il aurait été justement intéressant que D. Spencer ne l’invisibilise pas et explore également son rapport au travail.

15Surtout, l’ouvrage n’arrive pas à s’extraire d’une contradiction fondamentale dans la pensée de l’auteur. D’un côté, D. Spencer témoigne d’un optimisme prudent sur la possibilité d’améliorer la qualité du travail dans les sociétés capitalistes actuelles. De l’autre, il fait du capitalisme la cause ultime du travail de mauvaise qualité, ce qui le pousse dès l’introduction à un constat pessimiste qui appellerait non au réformisme mais à la révolution (page 5)  : «  J’affirme qu’[une société qui permet à chacun de moins et mieux travailler] ne pourra être réalisée tant que le capitalisme est en place.  »

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Notes

1Keynes J. M. (1963), «  Economic Possibilities for our Grandchildren (1930), Part I  », in Essays in Persuasion, New York/London, Norton & Co, p. 358-373, cf. http://www.econ.yale.edu/smith/econ116a/keynes1.pdf, consulté le 13 août 2025.

2  Une des œuvres de W. Morris mobilisées par D. Spencer a été éditée récemment en français  : Morris W. (2023), Travail utile, fatigue inutile, Paris, Payot et Rivages.

3  Graeber D. (2018), Bullshit jobs, Paris, Les Liens qui libèrent.

4  Par exemple, Allègre G., Sterdyniak H. (dir.) (2017), Revenu universel. L’état du débat [en ligne], Rapport, Paris, OFCE, mars. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/ebook/ebook_10-03-2017.pdf, consulté le 13 août 2025  ; Dumont D. (2021), Le revenu de base universel, avenir de la sécurité sociale  ? Une introduction critique au débat, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Askenazy, « David A. Spencer, Making Light Work: An End to Toil in the Twenty-First Century »Travail et Emploi, 176 | 2025, 115-118.

Référence électronique

Philippe Askenazy, « David A. Spencer, Making Light Work: An End to Toil in the Twenty-First Century »Travail et Emploi [En ligne], 176 | 2025, mis en ligne le 01 septembre 2025, consulté le 07 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/travailemploi/15821 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14yvn

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Auteur

Philippe Askenazy

Centre Maurice Halbwachs, CNRS-EHESS-ENS-INRAE-PSL

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