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Comprendre les composantes de l’écocitoyenneté chez les enfants et les jeunes : une réflexion théorique

Christelle Robert-Mazaye, Fanny Goulet, Sandrine Turcotte, Stéphanie Demers, Élodie Belleau et Marco Barroca-Paccard

Résumés

Après avoir envisagé la manière dont se construit le rapport à l’environnement naturel des enfants et des jeunes, cet article aborde différentes composantes de l’écocitoyenneté afin de mieux comprendre les enjeux environnementaux qui devraient être abordés à l'école. Pour cela, nous proposons une réflexion théorique sur différentes voies qui peuvent être empruntées pour encourager les enfants et les jeunes à adopter un agir environnemental responsable et leur donner l’envie de s’engager, individuellement et collectivement, tout au long de leur vie.

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Texte intégral

Introduction

1Ces dernières années, la question de l’écocitoyenneté a été l’objet d’un intérêt grandissant dans le monde de la recherche en éducation. En effet, nos sociétés se trouvent confrontées à des problématiques spécifiques en lien avec l’environnement et les menaces qui pèsent sur lui en raison des modes de vie modernes. Pour Hayward (2021), « les jeunes citoyens grandissent dans un monde très différent de celui de leurs parents et grands-parents. C’est un monde dans lequel ils sont confrontés à quatre défis majeurs interconnectés : un changement environnemental menaçant, la montée des inégalités sociales, une économie globale non durable et un affaiblissement des démocraties » (traduction libre p. 1). Sur le plan environnemental, qu’il s’agisse de l’épuisement des ressources naturelles, du déclin de la biodiversité, de la pollution ou encore de l’augmentation démographique mondiale, nos sociétés font face à des problèmes de grande ampleur qui menacent l’équilibre de la nature, le bien-être et la qualité de vie de l’être humain en général (Diaz, Fargione, Chapin & Tilman, 2006). Ces problèmes sont considérés par de nombreux spécialistes comme étant en lien direct avec l’activité humaine et l’adoption de comportements humains inadaptés (Stern, 2000). De ce point de vue, ils ne manquent pas d’interroger le rapport que les personnes entretiennent avec l’environnement, et impliqueraient la mise en œuvre de comportements d’adaptation et d’atténuation essentiels pour préserver la planète (voir, par exemple, Nkoana, 2020). Si l’éducation apparait comme un levier intéressant pour le développement de ces comportements et l’école un milieu de choix pour ce faire, l’engagement écocitoyen ne peut s’appuyer uniquement sur l’acquisition de connaissances au sujet de l’environnement en général (Boeve-de Pauw et Van Petegem, 2018). Ainsi, une partie de la solution implique la mise en œuvre de nouvelles manières de penser et d’interagir avec la nature et l’environnement, qui s’appuieraient sur le déploiement de compétences citoyennes fondées sur des pratiques collaboratives (Partoune, 2011), qui devraient faire l’objet d’un enseignement spécifique, notamment à l’école.

  • 1 https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable

2Pour faire face à la crise environnementale, Hayward (2012) rappelle que la formation et l’accompagnement des écocitoyens et des écocitoyennes sont déterminants pour que des changements significatifs se produisent. De cette manière, l’éducation devient un enjeu majeur, comme le souligne d’ailleurs l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) qui en fait l’un des piliers de la mise en œuvre d’une solution pérenne aux problèmes environnementaux et aux changements climatiques dans ces différents communiqués (voir, par exemple, les 17 objectifs de développement durable proposés par les Nations Unies dans son cadre d’action pour 20301). Pourtant, de nombreux auteurs et autrices remettent en question la capacité de l’institution scolaire à amorcer une véritable réflexion sur notre rapport à l’environnement et « à induire des dynamiques […] favorisant l’approche collaborative et critique des réalités socio-environnementales et une prise en charge autonome et créative des problèmes qui se posent » (Sauvé, 2002, p. 1). En effet, les études constatent que, la forme scolaire réduit le plus souvent les enfants et les jeunes à un rôle d’apprenant passif, les initiant tout au plus à la mise en œuvre de pratiques individuelles souvent perçues par eux-mêmes comme nécessaires, mais inefficaces au regard de l’ampleur de la problématique environnementale (p. ex., trier ses déchets - Bader & Sauvé, 2011 ; Chawla & Cushing, 2007 ; Chawla & Derr, 2012). Face aux questions environnementales, comme pour toute autre question sensible, les enfants et les jeunes se trouvent alors réduits à être les actrices et acteurs de demain. Pris dans un rapport de dépendance (Robert-Mazaye, Demers, Boutonnet & Lefrançois, 2017), les enfants et les jeunes sont ainsi soumis à l’adultisme, « attitude stéréotypée qui produit et maintient des rapports dichotomiques et hiérarchisés entre les jeunes et les adultes » (Caron, 2018, p. 54), alors qu’ils pourraient jouer un rôle direct dans l’élaboration et la mise en œuvre de mesures pertinentes, réalistes et créatives. Or, on ne peut former à la pratique de toute forme de citoyenneté en commençant par la procrastination de son exercice (Constans, Alcorta & Rouyer, 2017), c’est-à-dire en remettant à plus tard (c’est-à-dire à l’âge adulte) les occasions concrètes de sa mise en œuvre.

3Dans le cadre de cet article, qui se veut être une réflexion théorique, nous questionnerons, dans un premier temps, le rapport à la nature et à l’environnement des enfants et des jeunes, afin de mieux cerner comment il se construit et dans quels types de représentations il se traduit. Ce rapport à la nature est essentiel au développement d’un engagement écocitoyen, considérant que celui-ci implique un attachement envers l’environnement naturel qui vient motiver les actions mises en œuvre par les personnes. Puis, nous nous intéresserons, dans un second temps, aux composantes de l’engagement écocitoyen comme telles. En effet, pour cultiver et mettre à profit la capacité d’agir des enfants et des jeunes face aux questions environnementales, il est essentiel de comprendre ce qui constitue l’engagement écocitoyen afin de leur faire vivre des expériences écocitoyennes significatives. Précisons ici que cette réflexion théorique sur les composantes de l’écocitoyenneté s’appuie sur une revue narrative de la littérature (Bearman et al., 2012). Cette méthode consiste à regrouper de façon cohérente des données provenant de sources hétérogènes, sélectionnées dans la littérature scientifique en fonction de leur pertinence au regard de la question abordée, dans une synthèse de type compréhensif. « Sans reposer sur un processus méthodologique systématique, explicite, de recherche et d’analyse [la revue narrative permet, toutefois, de] dresser un bilan des connaissances disponibles sur un sujet précis à partir de la littérature pertinente » (Bertrand, L’Espérance & Flores-Aranda, 2014, p. 147). De cette manière, la revue narrative nous a permis de sélectionner au départ 23 articles (textes théoriques et revues empiriques), publiés dans des revues savantes durant les 15 dernières années et portant sur différents enjeux écocitoyens, menées dans divers champs (éducation, psychologie, sciences politiques). Le déploiement d’un processus itératif a permis ensuite de compléter et enrichir cette base d’autres références, et d’aboutir à la définition de l’écocitoyenneté que nous proposons. Ainsi, l’écocitoyenneté peut être définie comme l’ensemble des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être qu’un citoyen ou une citoyenne détient et manifeste dans différents contextes de vie, et qui démontre, d’une part, (1) sa conscience de l’interdépendance entre les personnes et leur milieu de vie et (2) le sentiment de sa responsabilité portée envers le vivant et la préservation de l’environnement naturel, mais également (3) la reconnaissance de son pouvoir d’action et de la nécessité d’agir pour répondre aux enjeux environnementaux présents et construire un avenir durable. Ces composantes constituent ainsi trois avenues à exploiter pour une formation écocitoyenne de qualité à l’école, c’est-à-dire une formation qui mise essentiellement sur le développement d’une connexion avec l'environnement naturel et le développement d’une agentivité citoyenne qui reconnait le pouvoir d’agir et la conscience de soi comme sujet disposant de ce pouvoir de tous les acteurs et actrices de la société (Lefrançois, Éthier, Demers & Fink, 2014), quelque soit leur âge ou leur statut.

Le rapport à l’environnement naturel des enfants et des jeunes

L’importance et la fragilité des liens entre la personne et l’environnement naturel

4D’un point de vue développemental, l’être humain est fondamentalement relié à l’environnement au sens large, qu’il soit humain ou non. L’enfant nait donc avec un sentiment inné de connexion à son environnement, ce qui implique, au-delà des partenaires sociaux, le milieu naturel (Phenice & Griffore, 2003). En effet, le milieu naturel constitue le cadre dans lequel la personne grandit et qui l’influence, au même titre que les conditions matérielles, sociales et politiques du contexte dans lequel elle vit, ou encore l’ensemble des facteurs individuels et familiaux avec lesquels elle compose. Certains auteurs et autrices, comme Berryman (2003), parlent même d’éco-ontogenèse pour mettre l’accent sur la place fondamentale que joue la nature dans le développement, avec des bénéfices pour le développement global des enfants et leur bien-être de plus en plus documentés dans la littérature (Adams & Savahl, 2017 ; Hartig, Mitchell, de Vries & Frumkin, 2014 ; Whitten et al., 2018). De fait, il y aurait entre l’homme et le monde naturel un lien organique et intime (Puhakka, 2014).

5Toutefois, ce lien est remis en question par le fonctionnement des sociétés modernes qui privilégient les modes de vie urbains et auraient aliéné la nature pour répondre à leurs besoins. Cela se traduit notamment, depuis la fin des années 70, par l’émergence d’un « déficit nature » chez les enfants (Louv, 2005) qui s’accompagne d’une perte de connexion au milieu naturel (Braus & Milligan-Toffler, 2018 ; Spencer & Wooley, 2000). Pourtant, les connaissances des enfants et des jeunes au sujet de la nature et des enjeux environnementaux sont conséquentes. Ces derniers disposent ainsi d’une littératie environnementale (ou écologique) acquise en particulier à l’école, sur internet ou encore dans des reportages visionnés à la télévision, et qui leur permet de comprendre certains enjeux complexes (comme, par exemple, le réchauffement climatique), mais n’affecte que rarement leurs valeurs liées à la préservation de l’environnement (Boeve-de Pauw & Van Petegem, 2013, 2018 ; Coertjens, Boeve-de Pauw, De Maeyer & Van Petegem, 2010 ; Johnson & Manoli, 2008, 2010). Notons que cette éducation aux enjeux environnementaux est aussi portée par les institutions internationales et notamment l’UNESCO qui joue un rôle majeur dans le développement de l’éducation au changement climatique (Léna & Wilgenbus, 2020). Pour autant, dans le même temps, en occident, l’urbanisation et le développement technologique ont conduit à une méconnaissance des enfants de leur environnement proche, comme c’est le cas par exemple des écosystèmes (plantes, insectes, etc.) de leur propre jardin ou de leur quartier (Louv, 2005 ; Malone, 2007). Cela peut s’expliquer en partie par le fait que leurs expériences directes avec l’environnement naturel ont été remplacées par des expériences médiatisées (Wells, 2000). Ce déficit nature se traduit alors souvent par une conscience écologique déficiente, une empathie moindre pour le vivant au sens large, et les plantes et les animaux en particulier, ou encore par des prises de décision dommageables pour l’environnement, conduisant à un accroissement des problèmes environnementaux (Louv, 2005). D’une manière générale, la déconnexion avec le milieu naturel renforcerait l’idée selon laquelle la nature peut être dominée par l’humain et exploitée (Phenice et al., 2003).

6Or, pour s’impliquer dans la préservation de la planète et la protection de l’environnement, et donc pour mettre en place des actions de nature écocitoyenne, il est essentiel que les personnes ressentent une connexion, un attachement à la nature (Kaiser et al., 2014 ; Wells & Lekies, 2006). De ce point de vue, les expériences précoces sont fondamentales (Evans, Otto & Kaiser, 2018 ; Otto, Evans, Moon & Kaiser, 2019). Pour des auteurs et autrices comme Thomashow (1995) ou encore Chawla (1992), le développement d’une identité et d'un engagement écocitoyen à l’âge adulte dépendraient donc, en grande partie, des expériences vécues dans et avec la nature tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Plus précisément, cette connexion à l’environnement naturel se développerait en trois phases et à certaines conditions que nous allons examiner maintenant en nous appuyant sur le modèle développé par Berryman (2003).

Les étapes de la construction du lien avec l’environnement naturel : ce que nous enseigne le modèle éco-ontogénétique

7Si l’idée selon laquelle le développement humain est le résultat d’une multitude d’interactions et d’interinfluences entre la personne et son environnement est largement reconnue par la communauté scientifique (voir, par exemple, le modèle écosystémique de Bronfenbrenner, 1979), force est de constater que le regard porté sur l’environnement prend plus rarement en compte l’environnement bio-physique comme tel, c’est-à-dire l’environnement naturel. Or, comme toutes les autres sources d’influence qui agissent sur et subissent l’influence de la personne, l’environnement naturel vient moduler son développement. Le modèle éco-ontogénétique s'inscrit donc dans cette perspective et propose une réflexion autour de l’importance du rapport au monde et à la nature dans la construction humaine, en mettant l’accent sur les liens fondamentaux entre l’environnement naturel et le développement de la personne.

8S’appuyant sur les travaux de plusieurs auteurs et autrices (Chawla, 1999 ; Erikson, 1963 ; Pearce, 1977 ; Searles, 1986 ; Shepard, 1982 ; Sobel, 1993), Berryman (2003) présente l’éco-ontogenèse comme le processus de « genèse d’un être humain dans ses relations avec l’environnement et, plus particulièrement, [aux] incidences de ces relations à l’environnement dans son développement, dans son ontogenèse » (p. 201). Il identifie plus précisément trois étapes dans la construction du rapport de la personne à l’environnement naturel, qui se déroulent durant l’enfance et l’adolescence, et devraient servir d’assises à toute forme d’éducation relative à l’environnement.

9La première étape prend place durant la petite enfance (de 0 à 6 ans). Elle se caractérise par une certaine forme de fusion entre les jeunes enfants et le monde, avant qu’ils ne fassent l’expérience de la différenciation, à travers, notamment, l’exploration de leur environnement au sens large (laquelle leur permet de prendre conscience des limites du soi). Cette période est essentielle pour la construction d’un lien d’attachement à l’environnement naturel, lequel dépend de la nature des expériences vécues (Berryman, 2003). Ainsi, comme c’est le cas avec les personnes qui les entourent, pour que les jeunes enfants développent un attachement à l'environnement naturel, ils doivent y vivre des expériences positives et développer un sentiment de sécurité quand ils évoluent dans celui-ci. De cette manière, le rôle des adultes est déterminant car il leur revient de jouer les médiateurs entre les jeunes enfants et l’environnement naturel, et de leur offrir des occasions de ressentir de l’empathie face à la nature et aux animaux par exemple. Cette empathie, qui s’exprime notamment à travers l’anthropomorphisme caractéristique de la pensée des enfants de cette période d’âge, viendra nourrir leur attachement à l’environnement naturel, bâtissant ainsi les fondations émotionnelles de leur futur engagement (Sobel, 1995).

10La deuxième période se situe durant l’enfance (de 6 à 12 ans). Elle se caractérise par la consolidation du lien d’attachement à l’environnement naturel comme tel. Celui-ci peut être particulièrement fort si les enfants ont la chance de vivre des expériences signifiantes dans un environnement naturel, authentique et sécuritaire, avec le soutien d’adultes bienveillants qui les accompagnent et leur fournissent des informations pertinentes pour le comprendre. Plus précisément, durant cette étape, les enfants, qui ont gagné en autonomie à tous les niveaux, sont en mesure d’explorer plus librement le monde qui les entoure, et de saisir certains enjeux plus complexes, en lien avec leur présence dans celui-ci. Mis en contact avec l’environnement naturel, les enfants vont apprendre à créer à partir de ce que celui-ci leur offre, l’utilisant comme un terrain de jeu et d’apprentissage sans limite. Cette exploration les conduit à s’identifier à l’environnement naturel et à se connecter affectivement avec la nature parce qu’ils y prennent du plaisir et y vivent des expériences gratifiantes. Asiloy et Oktay (2018) rappellent d’ailleurs que l’exploration joue un rôle essentiel dans le développement de l’écocitoyenneté, tout au long de la vie. C’est de cette manière que les enfants apprennent à « se sentir chez [eux] dans le monde » (Berryman, 2003, p. 217). Ainsi, les enfants qui peuvent explorer leur environnement naturel vont développer un rapport actif, étroit et intime à celui-ci, mettant en place des relations très concrètes avec lui. Ces expériences vont nourrir leur développement global, avec des bénéfices au plan cognitif, physique, affectif, social et même moral (Adams & Savahl, 2017 ; Fjørtoft, 2001 ; Kellert, 2002). Cette étape serait, pour Sobel (1995), charnière dans le développement des valeurs pro-environnementales et dans la volonté de s’engager pour la protection de la planète, à condition qu’on offre aux enfants des opportunités nombreuses, régulières et variées d’interagir directement avec le monde naturel qui les entoure.

11La dernière étape couvre la période adolescente (de 12 à 18 ans). Suivant le mouvement général du développement humain, le rapport à la nature devient plus intellectualisé. Si l’exploration physique diminue, les jeunes deviennent capables de réfléchir sur leur rapport au monde et de développer un regard plus critique sur le rapport de la société à l’environnement naturel. C’est à ce moment-là qu’ils peuvent envisager les problèmes environnementaux sous différents angles complexes et agir, à condition d’en ressentir le besoin et donc à condition d’avoir développé un lien avec l’environnement naturel (Berryman, 2003). Pour Sobel (1995), la confrontation trop précoce avec les problèmes environnementaux pourrait être contre-productive en créant chez les enfants une anxiété qu’ils sont susceptibles de gérer par la mise à distance des émotions négatives ressenties, et donc le rejet des questions environnementales. Au contraire, à l’adolescence, les caractéristiques du fonctionnement cognitif permettent aux jeunes d’explorer différents aspects symboliques et abstraits du rapport de l’humain à l’environnement naturel et de comprendre les différents enjeux liés à l’occupation humaine sur la nature sans culpabilité, plus encore s’ils sont accompagnés par des adultes avisés qui peuvent jouer le rôle de mentors. À cette étape, les relations que les jeunes entretiennent avec le monde naturel vont se cristalliser au plan identitaire et participer au développement de certaines valeurs qui pourront nourrir leur sentiment, leur conscience et leur action écocitoyenne.

Le point de vue des enfants et des jeunes sur la nature et l’environnement naturel

12Les recherches qui traitent du point de vue des enfants et des jeunes sur la nature et l’environnement naturel sont essentielles si l’on considère que l’enfance et l’adolescence sont des périodes critiques dans la formation d’une conscience pro-environnementale ou, au contraire, d’une apathie ou d’un rejet face à ces questions (Adams & Savahl, 2015 ; Cheng & Monroe, 2012). À titre d’exemple, Ho (2009) rappelle que les conceptions initiales ou spontanées, comme les fausses informations assimilées pendant l’enfance au sujet des causes du changement climatique sont difficiles à corriger à l’âge adulte, et nourrissent l’inaction face à cette problématique environnementale. Dans un autre ordre d’idées, Adams et Savahl (2015) montrent, en Afrique du Sud, que la violence dans certaines communautés a comme conséquence de conduire les jeunes à percevoir les espaces naturels comme une menace pour leur sécurité conduisant à un sentiment de rejet vis-à-vis de l'environnement naturel. De cette manière, il est important de mieux comprendre le regard que les jeunes générations portent au sujet de la nature et de l’environnement afin d’identifier des leviers pour favoriser l’engagement écocitoyen et l’agir environnemental responsable, dès le plus jeune âge.

Les représentations des enfants et des jeunes au sujet de l’environnement naturel

13D’une manière générale, les études qui se sont intéressées à la place que l’environnement naturel occupe dans la vie des enfants et des jeunes montrent que ces derniers développent une relation avec celui-ci, même lorsqu’ils vivent en milieu urbain (Fagi et al., 2015 ; Wals, 1994 ; Wang et al., 2018). En effet, les jeunes sont capables de saisir la présence de la nature, y compris dans des milieux qui ne lui sont pas, à priori, favorables, comme en ville (par exemple, dans des ruelles, des parcs, etc. - Simmons, 1994). Dansereau (1973), dans ses premiers écrits, considéraient d’ailleurs déjà que, pour être efficace, la formation ne doit pas se centrer sur ce qu’il nomme « la nature sauvage, [mais doit mettre au coeur de ses préoccupations] l'environnement réel (généralement urbanisé ou industrialisé). [En effet, l’école doit en faire] le foyer vivant et de l'apprentissage et de l'action » (p. 55). Ceci fait d’autant plus de sens que c’est en s’appuyant sur leurs observations dans leur environnement immédiat et quotidien, mais également sur leurs interactions directes avec le monde naturel au sens large, que les enfants et les jeunes vont élaborer une image particulière de ce qu’est la nature. De fait, comme le précisent Macnaghten et Urry (1999) : il n’existe pas une seule nature (entité indépendante), mais des natures (dont la représentation est une construction sociale et individuelle), qui se traduisent par une diversité d’environnements naturels.

14Interrogeant des adolescents et des adolescentes sur leur définition de la nature, Wals (1994) rapporte, dans une étude de référence dans le domaine, que certains jeunes mettent en avant ce qui la constitue formellement (en citant, par exemple, les animaux, les arbres, les plantes, etc.), d’autres la définissent en l’opposant au monde humain, et d’autres encore font référence à des concepts plus larges et abstraits qui viendraient la caractériser sur un plan plus philosophique (comme, p. ex., la liberté, la quiétude, l’autosuffisance, l’authenticité). Au-delà de la définition de la nature, l’appréciation de l’environnement naturel serait, elle aussi, fortement influencée par les expériences vécues dans l’environnement immédiat. Toujours selon l’étude de Wals (1994), les adolescents et les adolescentes rapporteraient huit types d’expériences particulières avec la nature. Elle peut ainsi être considérée comme un cadre agréable pour (1) réaliser diverses activités ou encore comme un espace privilégié pour (2) se divertir, (3) se dépasser ou se mettre au défi, (4) apprendre, (5) se poser ou réfléchir. D’autres adolescents et adolescentes rapportent que la nature constitue (6) un espace hors du temps dans lequel les choses restent les mêmes ou à l’inverse (7) qu’elle est menacée par les modes de vie modernes. Finalement, différentes expériences rapportées la montrent comme (8) un endroit menaçant et dangereux. À cet égard, il apparait que lorsque l’environnement naturel est perçu négativement ou associé à un sentiment d’insécurité, l’exploration serait drastiquement réduite, ce qui impacterait négativement la connexion ou l’attachement à celui-ci, pourtant essentiels dans la mise en œuvre d’actions de préservation (Adams & Savahl, 2015). Depuis les travaux de Wals, la question de la définition et de la perception de la nature a été largement étudiée et une synthèse réalisée en 2017 montre que les perceptions et l'engagement des enfants à l'égard de la nature en tant qu'espace et lieu sont multiples (Adams & Savahl, 2017). Il y a donc un enjeu fort ici au regard de la formation, qui doit permettre de développer une connaissance adéquate de l’environnement naturel et le rendre « plus accessible » autant sur le plan intellectuel qu’affectif (Benchekroun et Pruneau, 2011 ; Harris, 2021). Les travaux de Pruneau (Pruneau et al., 2000 ; Pruneau et al., 2015) montrent d’ailleurs que les informations reçues au sujet d’un problème et les chances offertes aux personnes d’en prendre connaissance directement par l’observation font partie des ressorts qui motivent le désir d’agir pour l’environnement.

Les valeurs associées à l’environnement naturel

15Les représentations que les enfants et les jeunes construisent au sujet de l’environnement naturel traduisent certaines valeurs qu’il peut être pertinent de questionner dans la mesure où elles agissent comme moteur dans l’agir environnemental responsable et donc dans l’engagement écocitoyen, en prônant, par exemple, le respect de la nature et la protection de l’environnement. Si les valeurs s’inscrivent sur le plan des idées, en formant des idéaux (Bréchon, 2000) ce sont elles qui « nous motive [...] en donnant sens à nos actes parce que nous croyons en [elles]… très profondément [elles remuent] nos affects et notre efficacité » (Équipe de Recherche CMVV, 2000, p. 9). De cette manière, au-delà des représentations qu’elles véhiculent, les valeurs possèdent une composante affective et une composante conative, qui invitent les personnes à passer à l’action (Houssaye, 1992). Par ailleurs, comme elles seraient relativement stables dans le temps et tendraient à transcender les contextes (Houssaye, 1992), les valeurs acquises en lien avec le respect de l’environnement pendant l’enfance et l’adolescence, par exemple, auraient tendance à orienter les actions et les comportements des personnes, tout au long de la vie.

16Au Québec, une étude en particulier s’est intéressée aux valeurs que des jeunes québécois et québécoises de 14 à 25 ans développent en lien avec l’environnement (Royer & De Grandpré, 2015), c’est à dire à « la manière dont ils le voient, ce qu’ils en pensent, ce qu’ils en disent » (p. 423). Dans le cadre de ce travail, l’auteur et l’autrice rappellent, en guise de préambule, que « les valeurs associées au respect de la nature et à la protection de l’environnement sont relativement récentes [...] au sein des sociétés occidentales en comparaison à d’autres valeurs telles que la famille ou le travail, par exemple » (p. 421). En effet, ce ne serait qu’à la fin des années 60 qu’elles seraient devenues une véritable préoccupation. Leur place dans le spectre des valeurs des personnes n’a d’ailleurs cessé d’augmenter depuis, s’accompagnant de plus en plus d’un certain scepticisme des citoyens et des citoyennes, en particulier des plus jeunes, quant aux capacités des pouvoirs publics à adresser et prendre en charge les problématiques environnementales du monde moderne. Ces constats se retrouvent chez les jeunes québécois et québécoises, mais aussi dans une proportion grandissante de la population d’autres pays comme la France (Bozonnet, 2012) ou l’Australie (Threadgold, 2012) qui manifestent également pessimisme et cynisme face à ces questions. À titre indicatif, rapellons que 500 000 citoyens et citoyennes de tous âges ont défilé dans les rues de Montréal lors de la visite de Greta Thunberg en septembre 2019 pour exiger des actions concrètes du gouvernement du Canada dans la lutte aux changements climatiques (Baillargeon & Shields, 2019). Un rassemblement semblable a eu lieu en février 2019 à Paris ainsi que dans nombre d’autres grandes villes visitées par la jeune militante. Plus spécifiquement, les analyses de Royer et De Granpré (2015) font ressortir trois types de positionnement qui mêlent attitudes, représentations et comportements :

  • Les détachés-inquiets : « cette position se caractérise par la manifestation d’une grande inquiétude face à l’avenir de l’environnement et de la vie sur terre, sans toutefois que ces personnes se sentent personnellement concernées ou interpellées par les questions relatives à la protection de l’environnement » (p.425). Pour Royer et De Granpré, ce détachement s’expliquerait par le fait que, pour ce groupe en particulier, la détérioration importante des écosystèmes et la dégradation de l’environnement qu’ils anticipent concernerait un futur lointain, dans lequel ils ne seront pas les acteurs et les actrices concernés ;

  • Les conscients-passifs : « cette position se caractérise par la manifestation d’une sensibilité à l’égard de l’environnement sans toutefois que ces personnes ne s’impliquent personnellement, ne sachant quoi faire ou comment le faire » (p. 426). Ici, les jeunes qui sont « conscientisés, informés, et plutôt sensibles aux questions environnementales » (p. 429) vivent une tension entre ce qu’ils savent et ce qu’ils font ou plutôt ne font pas, en raison de l’effort que cela peut exiger de leur part. Pour Royer et De Granpré, ces jeunes sont face à « l’émergence d’une valeur qui se trouve à l’état de concept, de principe, sans vraiment influencer les actions » (p. 429) ;

  • Les actifs : « cette position se caractérise par la manifestation d’un intérêt à l’égard de l’environnement. Ces personnes sont à la fois conscientisées et actives en matière de protection de l’environnement » (p. 426). Démontrant un engagement personnel, ces jeunes disent avoir adopté les écogestes du quotidien et manifestent le souci de consommer de manière plus équitable. Chez eux, la valeur est manifeste et active.

17Au-delà des possibles positionnements adoptés par les jeunes, qui démontrent, par ailleurs, une forte variabilité (allant de l’indifférence à l’engagement pour la sauvegarde de l’environnement), les conclusions de l’étude révèlent combien le lien développé avec l’environnement naturel est fragile (voir également Otto & Kaiser, 2014). En effet, l’environnement fait rarement partie de ce que les jeunes considèrent spontanément lorsqu’ils doivent identifier ce qui est le plus important à leurs yeux. Les auteurs rapportent également que l’intérêt pour l’environnement pendant l’adolescence et le début de l’âge adulte n’est pas toujours constant et est souvent déconnecté des comportements mis en œuvre, notamment en raison des efforts et du temps que cela peut prendre. De cette manière, les auteurs rapportent des tensions importantes lorsqu’il est question de confronter leurs connaissances et leurs valeurs avec certaines activités qu’ils affectionnent particulièrement, comme les voyages. Particulièrement intéressantes, ces zones de tension devraient être adressées à l’école, sans volonté de culpabilisation, mais pour permettre aux jeunes de saisir les contradictions qui les habitent et d’envisager différentes manières d’y faire face. Pour cela, travailler, par exemple, sur différents dilemmes environnementaux en s’inspirant des débats et méthodes issues de la philosophie pourrait être une avenue intéressante, considérant que cela permet, dès le plus jeune âge, de se forger un regard critique sur soi, les autres et le monde, d’adopter une posture réflexive et de développer sa créativité (Sasseville & Gagnon, 2020). D’autres approches sont également gagnantes, comme l’initiation à la démarche de résolution de problèmes complexes qui, lorsqu’elle se réalise dans un contexte favorable (accès à l’information, observation sur le terrain et accompagnement par des personnes formées à cette démarche), vient nourrir l’intérêt des enfants et des jeunes pour les questions environnementales et leur désir de passer à l’action (Boutet et al., 2016 ; Toussaint et Lavergne, 2014).

De l’intérêt pour l’environnement naturel à l’engagement pour sa préservation : une écocitoyenneté à construire

18L’écocitoyenneté trouve ses racines dans un attachement pour l’environnement naturel qui se construit à travers des expériences positives et se traduit par des valeurs particulières qui motivent les personnes à s’engager, comme nous venons de le voir. Toutefois, cette dimension affective de l’écocitoyenneté si elle est essentielle (Brown, 2016 ; Ojala, 2016) ne suffit pas à assurer la mise en œuvre d’actions respectueuses de l’environnement et favorisant la préservation de la planète. Pour que les personnes s’engagent et agissent de manière citoyenne, d’autres conditions doivent être réunies, notamment au plan intellectuel (par exemple, connaissances au sujet de l’environnement naturel), conatif (par exemple, sentiment de responsabilité face aux enjeux environnementaux) et comportemental (par exemple, actions et gestes à poser pour résoudre les problèmes environnementaux). Il convient donc de bien comprendre les composantes de l’écocitoyenneté, pour en assurer son développement chez les enfants et les jeunes. En effet, il serait risqué de penser qu’elle peut se mettre en œuvre uniquement à travers l’apprentissage de ce que l’on nomme souvent des « écogestes » (à savoir, des gestes simples et quotidiens, souvent individuels, qui permettent de réduire l’impact d’une personne sur l'environnement, comme le tri des déchets) qui peuvent être désincarnés lorsqu’ils ne s’accompagnent pas d’une prise de conscience réelle de sa place et de son rôle dans l’écosystème. En effet, si les jeunes se disent préoccupés par les questions environnementales, beaucoup reconnaissent ne pas savoir quoi faire pour agir efficacement et concrètement (Pronovost, Pailleur & Robitaille, 2009).

19Si l’on se réfère à différents écrits portant sur la question (Ailsoy & Oktay, 2018 ; Barry, 2002 ; Boutet, Samson & Bisaillon, 2009 ; Dejant-Pons & Kiss, 2003 ; Demarque, Apostolidis, Chagnard & Dany, 2010 ; Dobson, 2003, 2007 ; Gérard, 2009 ; Houser, 2009 ; Kenis, 2016 ; Kissling & Barton, 2013 ; Lummis, Morris, Lock & Odgaard, 2017 ; Martinho, 2010 ; Melo-Escrihuela, 2008 ; Running, 2013 ; Schild, 2016 ; Seitz, 2020), l’écocitoyenneté peut être définie comme l’ensemble des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être qu’un citoyen ou une citoyenne détient et manifeste dans différents contextes de vie, et qui démontre, d’une part, (1) sa conscience de l’interdépendance entre les personnes et leur milieu de vie et (2) la responsabilité portée envers le vivant et la préservation de l’environnement naturel, mais également (3) la reconnaissance de son pouvoir d’action et de la nécessité d’agir pour répondre aux enjeux environnementaux présents et construire un avenir durable.

La conscience de l’interdépendance entre les personnes et leur milieu de vie

20Le préfixe -éco, dérivé du grec oikos, signifie « maison ». Dans son acception restreinte, l’oikos renvoie à l’habitat d’une famille et à son patrimoine. Étendu au milieu de vie, l’oikos fait référence à la biosphère au sens large, laquelle est composée de l’ensemble des organismes vivants (humains, animaux et végétaux) et de l’environnement dans lequel tous se situent. Les organismes vivants habitent le milieu : cela signifie qu’ils interagissent entre eux et avec lui, formant un écosystème qui constitue l’objet d’une science à part entière : l'écologie. Ces interactions sont complexes et multiples, et se traduisent par une grande interdépendance entre tous les organismes qui y participent. Pour Pineau et Galvani (2017), l’organisme et l’environnement sont liés par une relation écologique qui s’appuie et s'actualise dans les transactions permanentes qu’ils réalisent. La santé et la viabilité de chacun, humain ou non humain, dépend donc de celles des autres. Dans cette perspective, les écocitoyens et les écocitoyennes se doivent de reconnaître l’importance de chaque organisme et élément de l’environnement naturel, l’interconnexion qui les relient, et la nature vitale et fondamentale de ces relations pour assurer un équilibre essentiel au fonctionnement de la planète (Houser, 2009 ; Kissling et al., 2013 ; Seitz, 2020). Or, « de sa place comparable à celle des animaux, l'être humain a pris les commandes de maître de la planète » (Dansereau, 1994, p. 9).

21Dans ce contexte, la non-reconnaissance de cette interdépendance correspond à ce que Capra (1996) appelle « la crise de perception ». Elle traduit le plus souvent une conception anthropocentrique, où l'humain est « au-dessus ou en dehors » de la nature, instrumentalise l’environnement naturel qui n’a alors qu’une valeur utilitaire. Elle constitue, à elle seule, un frein à l’action écocitoyenne et à l’agir environnemental responsable car elle empêche la compréhension, puis la prise en charge et la résolution des grands enjeux environnementaux de notre époque qui impliquent une approche systémique. À titre d’exemple, deux études (Bentley, Fien & Cameron, 2005 ; Boyes, Skamp & Stannisstreet, 2009) portant sur des jeunes de 15 à 24 ans semblent indiquer que les notions d’interdépendance et d’interconnexion font défaut dans leur compréhension des enjeux environnementaux. Interrogés sur les effets de leurs comportements d’achats et leur consommation de nourriture, les participants et les participantes ne comprennent pas toujours les liens avec les changements climatiques, alors qu’ils sont fondamentalement interconnectés. Dans le même ordre d’idées, Stir (2006) relève chez des étudiants et étudiantes universitaires qui suivent une formation en enseignement une difficulté à associer les concepts de mondialisation et le développement humain aux problématiques environnementales, alors même qu’ils se disent très concernés et préoccupés par elles.

22Ainsi, toute réflexion sur les problèmes environnementaux doit tenir compte de la « relation de solidarité [que les personnes entretiennent] avec les autres êtres vivants, [et] par laquelle l’être humain se sent non pas maître et possesseur du monde, mais plutôt participant d’une biosphère » (Boutet et al., 2009, p. 117). Cette idée traduit la tension fondamentale qui existe entre « l’autonomie de l’être vivant et sa dépendance à l’égard de son environnement » comme le souligne Morin (2008, p. 1470), et qui est essentielle à la survie. En effet, être autonome en tant que personne implique aussi de se lier à son environnement, car une autonomie coupée de l’environnement conduit la personne à sa perte. En ce sens, l’écocitoyenneté implique une vision écocentrique qui s’inscrit dans un changement de paradigme nécessaire à la résolution de la crise environnementale. De ce point de vue, il nous apparait pertinent d’amorcer l’étude de ces questions de manière concrète et directe avec les enfants et les jeunes pour leur permettre progressivement de mieux expliciter les enjeux associés à cette dimension systémique des liens entre l’humain et l’environnement naturel.

Le sentiment de responsabilité envers le vivant et la préservation de l’environnement naturel

23L’écocitoyenneté est également caractérisée par un sentiment de responsabilité envers le vivant et la préservation de l’environnement naturel au sens large, lequel est associé directement à l’interdépendance décrite ci-haut. En effet, si les personnes dépendent de la santé de l’écosystème et que l’écosystème dépend des personnes, le devoir de le préserver s’impose pour maintenir un état d’équilibre favorable à tous (Kissling et al., 2013). Cette responsabilité ne peut jouer son rôle au regard de la préservation de l’environnement qu’à condition d’être (a) non-territoriale, (b) asymétrique et (c) individuelle et collective, voire intergénérationnelle.

Une responsabilité non-territoriale

24On retrouve l’idée selon laquelle l’exercice de l’écocitoyenneté ne peut être circonscrit à un espace en particulier. Ainsi, si la citoyenneté tend à faire référence à l’appartenance à un état avec un territoire défini, l’écocitoyenneté implique une responsabilité qui « transcende » les territoires (Dobson, 2007). Bien que les écocitoyens et les écocitoyennes peuvent se préoccuper d’enjeux plus locaux, l’écocitoyenneté ouvre donc également sur une perspective plus globale et internationale, dans laquelle les écocitoyens et les écocitoyennes manifestent une conscience des impacts de leurs gestes et décisions à grande échelle, partout dans le monde, bien au-delà de leur région ou de leur pays, qu’il est important d’expliciter lors des activités de formation. Cette responsabilité non-territoriale s’appuie sur le principe selon lequel les interactions d’un écosystème dépassent les frontières humaines, artificiellement tracées.

Une responsabilité asymétrique

25La responsabilité de préserver l’environnement naturel, si elle est partagée par tous les écocitoyens et écocitoyennes, n’est pas symétrique (Dobson, 2003, 2007). Dobson (2007) explique ainsi que tout le monde n’occupe pas le même « espace écologique ». Cela signifie que l’impact sur l’environnement des personnes dépend de leurs activités, faisant varier leur empreinte écologique. Conséquemment, « les individus, organisations, entreprises et ministères qui occupent trop d’espace écologique ont le devoir de réduire leur impact, pour le bien de ceux qui en occupent trop peu » (Dobson, 2007, p. 281, traduction libre), comme par exemple, les populations autochtones ou encore les personnes des pays ayant une empreinte écologique faible. Ceci est d’autant plus important que ces dernières seront affectés plus sévèrement par la crise climatique (Crate & Nuttall, 2009) soit parce qu’elles ont un mode de vie plus précaire ou parce qu’elles dépendent davantage de leur environnement naturel pour leur subsistance. Dans le même ordre d’idées, l’Initiative Pauvreté-Environnement du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) rappelle, dans le rapport qui présente son argumentaire économique qui vise à orienter l’intégration des liens entre pauvreté et environnement dans la planification du développement (2009), que « les pauvres ont tendance à dépendre beaucoup plus des biens et services environnementaux que les autres secteurs de la population et qu’ils sont moins à même de résister aux effets de la dégradation et de la perte environnementales [...]. La dégradation et la surexploitation des ressources naturelles profitent généralement aux groupes plus riches et aux élites, impliquant des coûts internes et externes pour les pauvres qu’ils peuvent difficilement supporter » (p. 21). Par ailleurs, le rapport indique également que les plus pauvres mettraient en place des stratégies de préservation de l’environnement afin de protéger les ressources dont leur survie dépend, ce qui va à l’encontre des idées reçues voulant que les populations précaires soient responsables de la dégradation de l’environnement. Dans cette perspective, la responsabilité de préserver l’environnement repose sur une logique de justice sociale, ce qui implique un véritable engagement politique (Dobson, 2007).

Une responsabilité individuelle, collective et intergénérationnelle

  • 2 « a citizen-in-society-in-environment » (Barry, 2002, p.144).

26Pour mieux comprendre à qui incombe la responsabilité envers le vivant et l’environnement naturel, il faut examiner la question sous plusieurs angles. Tout d’abord, au plan individuel, l’écocitoyenneté repose sur l’idée qu’il existe pour chaque personne une responsabilité propre qui est axée sur l’adoption de certains comportements et attitudes dans la vie quotidienne et le rejet d’autres plus nuisibles au regard de l’environnement, dans le but notamment de réduire son empreinte écologique à court, moyen ou long termes (Dejeant-Pons & Kiss, 2003 ; Kenis, 2016 ; Lummis et al., 2017 ; Schild, 2016). Cette responsabilité individuelle se traduit également par ce que Barry (2002) nomme « une réorganisation identitaire » qui donne naissance à l’ecological self. Pour cet auteur, l’écocitoyenneté implique, en effet, que la personne se perçoive comme « un citoyen [ou une citoyenne] dans la société dans l’environnement »2 et qu’elle pense son identité en tenant compte tout à la fois de son indépendance et de son appartenance à l'ordre naturel (ce qui doit l’amener à agir en conséquence).

27Toutefois, cette responsabilité envers le vivant et l’environnement naturel ne peut être portée uniquement par les personnes isolément. En effet, en limitant la prise en charge des enjeux environnementaux aux actions individuelles, on laisse entendre que les problématiques environnementales pourraient être résolues par l’accumulation de changements individuels (Melo-Escrihuela, 2008), sans réflexion ou action collective. On limite alors non seulement la compréhension des enjeux environnementaux contemporains, mais également le potentiel de prise en charge de ces derniers. En plaçant les personnes au centre du changement social et environnemental, on ne permet donc pas aux institutions et aux collectivités d’endosser leur part de responsabilité, ce qui nuit à l’exercice même de l’écocitoyenneté (Schild, 2016). De cette manière, au-delà de ce que font les personnes, il existe une responsabilité collective de préservation du vivant et de l’environnement naturel qui tire sa force du lien qu’elle crée entre les citoyens et les citoyennes (Lummis et al., 2017).

28Que ce soit au niveau individuel ou collectif, il est important de noter que cette responsabilité se traduit par l’adoption de différents comportements dont la particularité tient souvent dans la nature différée de leurs impacts, ce qui lui donne encore une autre dimension (Demarque et al., 2010). En effet, au regard de la préservation de l’environnement, l’effet global d’un geste ou d’une mesure sur l’écosystème ne se fait sentir, la plupart du temps, qu’à moyen ou long termes. Conséquemment, « leur mise en place dans le présent implique une prise en compte du futur » (Demarque et al., 2010, p. 351) qui s’appuie sur des croyances et des valeurs particulièrement bien ancrées du côté des personnes qui doivent maintenir sur le long terme des comportements ou des attitudes, sans toujours pouvoir constater les effets directs. Considérant donc que les répercussions des actions, comme des non-actions, des personnes peuvent être éloignées dans le futur au point où elles pourraient ne pas être en être témoins, Dobson (2007) qualifie la responsabilité portée envers le vivant et l’environnement naturel d’intergénérationnelle.

La reconnaissance de son pouvoir d’action et de la nécessité d’agir

29Comme nous venons de le voir, pour s’engager et agir afin de préserver l’environnement naturel, il est essentiel que les personnes reconnaissent que toutes leurs actions personnelles comme tous les gestes posés collectivement ont des implications sociétales (Dobson, 2007). Cette prise de conscience intellectuelle s’avère être un préalable indispensable à toute forme d’engagement écocitoyen. Cette prise de conscience se nourrit du sentiment de responsabilité individuelle et collective que les personnes portent vis-à-vis de l’écosystème dont elles font partie. En effet, l’être humain entretient « une relation de responsabilité envers le maintien des systèmes de vie, par laquelle [la personne] se reconnaît et assume un rôle particulier, [elle] qui ajoute de la conscience à la biosphère et qui est capable de compassion : c’est sur une telle relation que peuvent se fonder un développement durable et un avenir viable » (Boutet et al., 2009, p. 117).

  • 3 Le locus de contrôle est un concept tiré de la psychologie (Rotter, 1954) qui vise à comprendre la (...)

30En outre, pour adopter des gestes et des attitudes engagés et responsables sur le plan environnemental, il est essentiel que les personnes éprouvent de manière non équivoque le sentiment qu’elles peuvent et doivent agir (Boutet et al., 2009 ; Morin, Therriault & Bader, 2019). Pour Morin et al. (2019), le sentiment de pouvoir agir est un préalable essentiel pour développer le pouvoir agir sur lequel repose l’aagentivité citoyenne. En effet, le sentiment de pouvoir agir soutend le désir d’agir ou de ne pas le faire, et donne aux personnes la liberté de faire ou de ne pas faire, ce qui en soi signe la possibilité d’exercer son agentivité citoyenne. En effet, celle-ci se définit comme la capacité d’une personne à « agir sur le monde et à se considérer comme un acteur [ou une actrice] et un sujet qui intervient dans l’histoire (Barton, 1997), et donc qui peut changer les choses » (Robert-Mazaye et al., 2017, p. 109), soutenir le développement de l’agentivité des enfants et des jeunes à l’école et dans leurs autres milieux de vie (comme la famille) est donc une avenue intéressante à explorer lorsque l’on souhaite développer l’écocitoyenneté dès le plus jeune âge. Pour cela, il est important de permettre aux enfants et aux jeunes de vivre des expériences concrètes, signifiantes et situées dans leur environnement naturel qui leur permettent d’expérimenter différentes formes d’engagement direct. En effet, si de nombreux auteurs et autrices considèrent que la transmission de connaissances est importante pour développer la littératie environnementale (ou écologique), les valeurs liées à la préservation de l’environnement sont rarement affectées, tout comme les comportements (Boeve-de Pauw et al., 2013, 2018 ; Coertjens et al., 2010 ; Johnson & al, 2008, 2010 ; Nkoana, 2020). Il faut donc aussi mettre l’accent sur des expérimentations pratiques, car ce passage à l’action se trouverait être le moteur de l’écocitoyenneté (Dobson, 2003 ; Gérard, 2009 ; Kissling et al., 2013). Ces exercices pratiques sont autant d’occasions de faire des liens avec les apprentissages théoriques, d’apprendre et mettre en oeuvre différentes stratégies d’action ou encore de renforcer un locus de contrôle interne3, ce qui augmente l’intention d’agir et le sentiment d’efficacité, qui peuvent nourrir l’agentivité citoyenne et sont essentiels pour la mise en œuvre d’actions engagées selon Boutet et al. (2009). Les actions proposées aux enfants et aux jeunes ou par eux devraient également se traduire par la pratique de la prise de parole dans l’espace public et la participation à la prise de décision démocratique, qui sont les moyens d’action privilégiés pour l’exercice de l’écocitoyenneté, car ils donnent un sens à l’engagement et offrent aux personnes le sentiment que leur voix compte (Hayward, 2021). En effet, selon Schild (2016), prendre part au processus de décision reste le rôle le plus important pour un écocitoyen ou une écocitoyenne. D’ailleurs, la décennie des Nations Unies pour l’éducation au service du développement durable (2005-2014) visait à réorienter les pratiques et politiques éducatives dans l'objectif, entre autres, de renforcer la capacité des personnes, dont les enfants et les jeunes, de participer à des processus de prise de décision démocratique.

31Finalement, Running (2013) rappelle combien le sentiment d’interconnexion avec les autres (êtres humains) qui partagent le même sort peut agir comme un catalyseur à la volonté de changement, et donc nourrir le sentiment de pouvoir et de devoir agir, en offrant un cadre particulier à ce qu’il nomme « la prise de conscience la plus galvanisante de toutes » (p. 394, traduction libre). De cette manière, proposer des actions collectives au sein d’une classe ou d’une école qui permettent de mobiliser les enfants et les jeunes autour d’un même objectif environnemental peut être une avenue intéressante pour développer l’écocitoyenneté.

Conclusion

32Dans le cadre de cet article, nous avons proposé une réflexion théorique autour des composantes de l’écocitoyenneté chez les enfants et les jeunes qui nous a conduit à d’abord examiner le rapport à l’environnement naturel que ceux-ci développent. Il est, en effet, essentiel de mieux comprendre comment les enfants et les jeunes développent leur attachement à l’environnement naturel car cette dimension affective apparait comme le premier ressort de l’engagement écocitoyen (pour agir et préserver l’environnement, il faut se préoccuper de lui). C’est également dans ce rapport à l’environnement que se construisent des valeurs qui peuvent soutenir le choix de s’engager et d’agir pour préserver la planète.

33Nous appuyant ensuite sur les résultats d’une revue narrative de la littérature, nous avons présenté notre définition de l’écocitoyenneté en mettant l’accent sur trois composantes qui ressortent de manière prépondérante dans la littérature, et peuvent apparaitre comme autant d’avenue pour développer l’écocitoyenneté. Nous avons ainsi aborder l’importance de faire vivre aux enfants et aux jeunes des expériences qui leur permettent de développer (1) leur conscience de l’interdépendance entre les personnes et leur milieu de vie, (2) leur responsabilité portée envers le vivant et la préservation de l’environnement naturel, mais également (3) la reconnaissance de leur pouvoir d’action et de la nécessité d’agir pour répondre aux enjeux environnementaux présents et construire un avenir durable.

34Relever les défis environnementaux que rencontrent les différentes sociétés à travers le monde implique de trouver des solutions nouvelles et créatives, et exige le développement de ce que Berryman (2017) nomme « une capacité d’innovation écosociale » (p. 10). Celle-ci implique la mise en œuvre de compétences citoyennes, qui s’appuient sur des pratiques collaboratives qui, malheureusement, peinent à se déployer selon plusieurs auteurs (voir, par exemple., Partoune, 2011). Si l’éducation semble être la voie royale pour parvenir à ces transformations et mener les jeunes générations à construire un nouveau rapport au monde (Berryman, 2003), force est de constater que les modèles et dispositifs actuels de formation révèlent certaines limites, notamment parce qu’ils s’organisent le plus souvent autour de la transmission de connaissances (à travers l’acquisition d’une littératie écologique - voir, par exemple, Rousell et Cutter-Mackenzie-Knowles, 2020) et parviennent rarement à transformer les valeurs sous-jacentes aux comportements (Boeve-de Pauw & Van Petegem, 2013). En outre, alors que le développement de compétences écocitoyennes devrait être la préoccupation de l’institution scolaire (Girault & Sauvé, 2008), celle-ci peine à développer chez les enfants et les jeunes un regard critique « à vocation émancipatrice et désaliénante » (Legardez, 2011, p. 163) qui conduirait à une remise en question radicale du système dans lequel elle prend place et ouvrirait la voie aux changements. Ainsi, si une réponse pérenne à la crise environnementale implique, au niveau individuel et collectif, le développement d’un sentiment de responsabilité par rapport au milieu, à la nature et à l’environnement afin que se mettent en place des actions essentielles pour le bien commun, celle-ci doit s’appuyer sur le développement de l’agentivité citoyenne de tous les acteurs et de toutes les actrices, c’est-à-dire leur pouvoir d’agir et leur conscience de soi comme sujet disposant de ce pouvoir (Lefrançois et al., 2014). Sans cela, les actions pourraient se réduire à des réponses à des injonctions ou pressions des institutions ou de la société (Legardez, 2011 ; Sauvé, 2002), dont les effets sont de moindre portée (comme c’est le cas par exemple avec les écogestes), laissant aux enfants et aux jeunes le sentiment qu’ils ne sont pas préparés et ne savent pas quoi faire pour agir efficacement et répondre aux enjeux environnementaux qui ne manquent pourtant pas de les préoccuper (Pronovost et al., 2009).

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Notes

1 https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable

2 « a citizen-in-society-in-environment » (Barry, 2002, p.144).

3 Le locus de contrôle est un concept tiré de la psychologie (Rotter, 1954) qui vise à comprendre la manière dont les personnes perçoivent leur rôle ou celui de facteurs externes dans les situations et événements qu’elles vivent. Une personne avec un locus de contrôle interne aura alors tendance à considérer qu’elle est directement responsable du cours de sa vie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christelle Robert-Mazaye, Fanny Goulet, Sandrine Turcotte, Stéphanie Demers, Élodie Belleau et Marco Barroca-Paccard, « Comprendre les composantes de l’écocitoyenneté chez les enfants et les jeunes : une réflexion théorique »Tréma [En ligne], 56 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 13 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/trema/7020 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trema.7020

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Auteurs

Christelle Robert-Mazaye

Université du Québec en Outaouais – Campus de St-Jérôme

Fanny Goulet

Université de Sherbrooke

Sandrine Turcotte

Université du Québec en Outaouais – Campus de St-Jérôme

Stéphanie Demers

Université du Québec en Outaouais – Campus de Gatineau

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Élodie Belleau

Université du Québec en Outaouais – Campus de St-Jérôme

Marco Barroca-Paccard

Université du Québec en Outaouais – Campus de Gatineau

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