Introduction

1Depuis quelques décennies, la prise de conscience environnementale n’a fait qu’augmenter au sein de la société incitant les gouvernements, les pays, les institutions, les entreprises, les enseignants, les individus à s’impliquer pour œuvrer au changement et à la transition (Unesco, 2017). Même si la période est vectrice de transformations, elle est toutefois caractérisée par une crise sociétale et environnementale provoquant une dégradation de l’environnement, de la santé et des relations sociales, qui touche déjà ou touchera directement les jeunes, d’une multitude de façons. Ces derniers ont montré leurs capacités à se mobiliser à l’échelle mondiale lors de la « marche du siècle pour le climat ». Comment alors cette mobilisation à l’échelle mondiale peut-elle permettre un engagement et des changements de comportements à l’échelle locale chez les jeunes ? S’engager peut être explicité comme « la résultante d’un processus de négociation d’une définition de soi qui ne peut être dissociée de son contexte. Les engagements sont par conséquent des conduites sociales ou actions situées, c’est-à-dire des manières d’agir sur un parcours face à des situations différemment vécues et qui ne recouvrent certainement pas les mêmes significations » (Haissat, 2006). Quels sens les jeunes accordent-ils à l’engagement et leur engagement participerait-il à leur construction éco-citoyenne ? Notre étude s’attachera plus précisément à questionner l’implication active des élèves dans les établissements scolaires du secondaire.

2Dans le champ de l’Éducation au Développement Durable, « l’engagement », concept complexe à cerner et pluriel, recouvre différentes acceptions suivant les auteurs. Simmoneaux et Simmoneaux (2017) proposent de distinguer plusieurs formes d’engagement dans des activités éducatives, allant graduellement d’un engagement individuel vers un engagement collectif : la participation et l’implication par un engagement volontaire (petits gestes) ; un engagement individuel par une promotion de l’intention d’agir, le développement d’activités pouvant permettre la mise en action et l’expression progressive d’un engagement croissant ; l’engagement collectif par des pratiques collectives, des échanges et interactions (débats, discussions) pour agir de manière coordonnée, complémentaire et collaborative. Cette dernière forme conduit à la mise en œuvre d’une éduc-action, permettant un engagement « critique », c’est-à-dire une « éducation axée sur la manière dont nous fonctionnons et agissons collectivement et individuellement » (Simmoneaux & Simmoneaux, 2018, p.9). L’engagement éco-citoyen pourrait alors se caractériser par un choix délibéré d’agir en réalisant des actions, de manière individuelle ou en synergie/collaboration avec un collectif, de manière guidée ou plus autonome, dans une temporalité brève ou plus longue et, dans une visée d’amélioration de l’environnement.

3L’engagement dépend aussi de la volonté, de la motivation à agir. Il peut ainsi être envisagé dans une approche par l’autodétermination (Pelletier, 2004). Sur les bases de Ryan et Deci (2000), il est possible d’établir une gradation dans l’engagement des acteurs, allant d’une amotivation à une motivation intrinsèque auto-déterminée exprimée par les différentes régulations exercées (externe, introjectée, identifiée, intégrée et autodéterminée). Le besoin d’autodétermination exprimé par une forme d’autonomie de l’acteur fait référence au fait d’être à l’origine de son propre comportement et d’exprimer ses choix. À l’heure de la transition écologique, qui oblige un changement profond, quelles formes revêt l’engagement des jeunes en matière de développement durable ?

L’engagement paradoxal des jeunes

4De manière générale, d’après une étude du Crédoc (2019), les jeunes sont à la fois préoccupés par l’environnement mais restent peu engagés dans leur quotidien, dans des actions concrètes, en faveur de l’environnement. De nombreuses études montrent même un certain désengagement des jeunes face aux questions environnementales, en Suisse, au Québec, en Australie (Fielding et Head, 2011 ; Bader, Jeziorski & Thierrault, 2013 ; Zeyer & Kelsey, 2013 in Bader, Therriault & Morin, 2017). Il est même question d’un sentiment d’impuissance, de paralysie voire de cynisme quant à l’efficacité de leurs actions pour faire changer les choses en termes d’environnement. Selon Bader et al. (2014), l’engagement éco-citoyen présente deux pôles, un pôle de désengagement, de paralysie, d’une part et un pôle de passage à l’action par des personnes se sentant concernées par les questions environnementales, ayant des connaissances environnementales et agissant au sein des communautés. L’éducation au développement durable, impliquant l’action des élèves, peut-elle être un levier ou au contraire un frein à cet engagement ?

5Dans nos précédentes recherches (Bois et al., 2016 ; Glomeron et al., 2017 ; Hugon et al., 2019), nous avons pu montrer que les élèves connaissent les éco-gestes, mais cette connaissance qu’elle vienne du milieu scolaire et/ou familial ne semble pas suffire à engager les élèves dans des actions qui ont du sens pour eux ; ils font ces gestes par habitude sans en interroger la portée ou par convention, car il faut le faire. Lebatteux (2011) note par ailleurs un faible engagement dans l’action chez les élèves ; ils seraient prêts à faire des gestes « faciles », mais dès qu’il y a un coût financier, un effort ou un impact en termes d’image pour eux, l’engagement diminue. Jeziorsky & Therriault (2017) soulignent tout de même l’importance des « pratiques ordinaires », à partir du moment où elles ont du sens pour les acteurs. Il s’agit d’un acte d’engagement qui dépasse le cadre individuel, privé, et revêt une dimension collective à une plus grande échelle. Ces pratiques devraient être mises en valeur, soutenues en tant que participation citoyenne.

6Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de dépasser l’éducation formelle en classe pour éviter une forme de désengagement des jeunes face aux problématiques sociales et environnementales. Pour cela, une forme d’engagement nous semble intéressante à analyser : celle des élèves éco-délégués dans les établissements scolaires (collèges et lycée).

Eco-délégué : un levier pour l’engagement des élèves ?

8Cependant, ces élèves doivent faire face à de nombreux obstacles pour la mise en place d’actions. Ainsi, l’insuffisance d’intérêt de certains élèves, enseignants ou quelques fois de la direction de l’établissement, un rapport aux savoirs peu questionné des acteurs, le manque de porosité entre le monde de l’école et la vie sociale et familiale (Lebatteux & Legardez, 2010 ; Nouvelot et Droyer, 2012) sont autant d’obstacles qu’il faut surmonter. A contrario, le soutien des équipes enseignantes et dirigeantes et l’intégration au sein de la politique de l’établissement sont autant de points d’appuis pour motiver leur engagement (Jacquin, 2008 ; Nouvelot et Droyer, 2012).  En effet, différents auteurs ont montré que l’engagement en faveur de l’environnement reposait sur différents facteurs dont le partage d’expériences avec d’autres acteurs qu’ils soient adultes, parents, enseignants (Bader et al., 2014), avec un groupe (Jeziorski & Thierrault 2017 ; Kempton & Holland, 2003), mais également sur la connaissance des problématiques environnementales (Chawla & Derr, 2012). L’engagement des élèves éco-délégués vient donc se situer dans un espace d’interaction entre une forme d’injonction, d’incitation institutionnelle par les prescriptions (circulaire et guide éco-délégués, labellisation E3D), et un acte volontaire vers une action éco-citoyenne qui peut laisser place à l’autonomie et contribuer à son émancipation. Cela peut ainsi leur permettre de prendre conscience de leur sentiment d’efficacité personnelle dans cet « agir ensemble » (Morin et al., 2019).

9« L’éducation à la citoyenneté est une contribution nécessaire à la formation des jeunes générations, mais elle ne peut se développer dans toutes ses dimensions si la société développe des discours, des pratiques et des valeurs qui sont trop différents, voire opposés » (Audigier, 2007, p. 33). Dans un contexte favorable, une forme d’émancipation pourrait apparaître dans les projets collaboratifs. La créativité et l’initiative qu’impliquent ces projets peuvent alors offrir aux jeunes éco-délégués l’expression d’une autonomie réflexive et la possibilité de proposer, de choisir, d'agir, tout en percevant le sens de l’action. En effet, sur la base d’un engagement, il s’agit de développer un pouvoir d’agir, une habileté à agir que l’on pense pertinente, une agentivité (Morin et al., 2019), un engagement critique à visée émancipatrice chez le jeune éco-citoyen.

Objectifs de recherche et méthodologie

Sexe		Type d’établissement			Expérience éco-déléguée		Expérience délégué		Engagement hors école
Garçons	Filles	Collège	Lycée général	Lycée professionnel	Débute	Plusieurs fois	Oui	Non	Oui	Non
9	13	9	5	8	15	7	12	10	1	21

Tableau 1-Présentation de l'échantillon

Présentation des résultats

13Nous chercherons dans un premier temps à éclairer les représentations des élèves vis-à-vis de l’engagement de manière générale, puis plus précisément en lien avec le rôle d’éco-délégué, en questionnant leurs motivations à se présenter à l’élection et à rester engagés sur l’année scolaire. Dans un deuxième temps, nous étudierons les formes d’engagement mises en exergue par les éco-délégués interrogés. Enfin, nous questionnerons les freins et leviers à l’engagement en établissement scolaire, toujours du point de vue des élèves.

L’engagement : quel point de vue des élèves-adolescents interrogés ?

16Aucune variable telle que l’âge, le sexe ou encore le statut de l’élève (niveau et filière scolaires) ne semble liée au sens accordé à l’engagement par les élèves. Par ailleurs, aucun lien n’a pu être démontré dans cette étude entre l’établissement d’appartenance et les valeurs accordées à l’engagement par les élèves interrogés : leurs conceptions de l’engagement seraient-elles liées à leur propre volonté et à leur pouvoir d’agir ? Nous sommes alors amenés à nous questionner quant aux convictions personnelles vis-à-vis du développement durable de ces adolescent.e.s et aux valeurs véhiculées dans leur famille : seraient-elles à l’origine de leur motivation à s’engager en tant qu’éco-délégués ?

18Pour d’autres, et majoritairement des collégien.ne.s, la source de leur engagement semble davantage liée à une influence parentale ou familiale : « C’est déjà parce que ma mère, elle fait partie d’un collectif zéro déchets (…) et donc bah du coup, j’y suis déjà allé, ça m’a donné envie de participer à ce genre de collectif » (collégien) ; « dans la famille, je pense qu’on m’a déjà sensibilisée à ça, donc ça m’a plus interpellé que si je connaissais pas le sujet » (collégienne) ; « c’est surtout le potager qui m'a incité parce que chez moi, j’ai fait un potager, c’est pour ça » (collégien).

19Enfin, seulement 4 élèves, qui montraient une motivation « intrinsèque » à l’engagement, exposent le plaisir, l’aspect ludique du rôle comme source de motivation : « quand on m’a parlé des éco-délégués et de tout ce qu’on pouvait faire bah ça m’a beaucoup plu parce qu’en primaire, on n’avait pas ce choix-là » (collégienne) ; « c’est amusant, c’est un moyen ludique de faire des gestes responsables » (collégien) ; « ça me permet de respirer un peu et de faire pleins de choses (…), parce que je vois d’autres personnes, je communique avec eux » (collégien).

20Si les motivations à devenir éco-délégués et à investir ce rôle peuvent être différentes pour les élèves interrogés, quelles formes prennent les actions réalisées via ce rôle, d’après eux ?

Quelles formes d’engagement chez les élèves élus éco-délégués ?

22Nous identifions clairement chez l’ensemble des élèves une forte volonté d’agir. Quel que soit leur niveau scolaire, les élèves interrogés attachent au rôle d’éco-délégué une responsabilité, un enjeu à grande échelle, pour « aider/préserver la planète », mais aussi à plus petite échelle pour faire vivre, évoluer leur propre établissement scolaire. Cela peut aller de l’engagement à montrer l’exemple jusqu’à celui de « trouver des idées », « des solutions ».

24Les niveaux 2 et 3 sont davantage identifiés dans le discours de 11 élèves appartenant à deux établissements (un collège, un lycée général), ce qui peut laisser supposer un lien entre les actions relevées par les élèves et la place accordée au rôle d’éco-délégué au sein des établissements scolaires. Ainsi, le discours de 5 éco-délégués tend vers le niveau 2 d’engagement critique (« initiation militante ») : par exemple, 2 collégiens issus du même établissement évoquent la mise en place d’un « kit pique-nique plus écologique avec les membres du Conseil de Vie Collégienne de l’établissement » (…) « parce qu’avant on utilisait souvent des trucs en plastique au collège mais là cette fois ce sera des tissus en matériaux recyclés avec des couverts et des assiettes recyclables et réutilisables ». L’engagement de 6 autres éco-délégués relève davantage du niveau 3 de l’engagement critique (« Educ-action ») : cela passe par la réalisation d’actions avec des partenaires extérieurs ou d’actions pour enrôler d’autres acteurs : « on devait expliquer [aux autres élèves et aux enseignants] ce que c’est les éco-délégués, pourquoi ça serait bien qu’ils viennent... et expliquer les enjeux climatiques » (Lycéen, LG).

25Lorsqu’on interroge les élèves sur les actions souhaitées, notons qu’ils ont, pour la plupart, la volonté de tendre vers le plus haut niveau d’engagement (« éduc-action ») : les petits gestes sont toujours présents mais les actions envisagées revêtent une dimension plus collective à l’échelle de l’établissement et sous forme de projets validés, discutés et valorisés au sein de l’établissement (qui correspond au niveau 3 de l’engagement) : « faire une collecte de vêtements pour éviter le surplus de consommation et pouvoir redistribuer à différentes associations » (lycéen, LG) ; « faut faire des affiches, faut sensibiliser les élèves, les personnels, les profs » (lycéenne, LP) ; un autre lycéen (LG) souhaite « mettre des projets en action… que ça s’étende à tout le lycée avec chaque élève qui peut être volontaire ». L’établissement scolaire est donc un lieu où les élèves souhaitent exprimer leur engagement en l’améliorant, en le rendant conforme à leurs attentes qu’elles soient esthétiques ou écologiques.

26L’engagement des éco-délégués revêt donc différentes formes, une majorité de leur engagement est individuel par la réalisation de petits gestes, dont ils entendent parler chez eux, dans les médias, par les enseignants lorsqu’ils parlent des activités liées au Développement Durable (Redondo, 2020), mais qui ne sont pas suffisamment pratiqués dans leur établissement scolaire. Ils sont cependant importants pour eux : « je me suis dit que ça pouvait aider parce que c’est souvent en faisant des petites actions qu’on arrive à en faire une grosse, du coup faut commencer petit à petit » (collégienne).

27Le passage d’un niveau 1 de l’engagement critique au niveau 3 dépend non seulement des élèves et de la perception de leur rôle en tant qu’éco-délégué mais également de la perception de ce rôle par l’établissement scolaire. En effet, les éco-délégués ont-ils les moyens de mettre en œuvre leurs projets ?

Quels freins et leviers à l’engagement des jeunes en milieu scolaire ?

28L’engagement des élèves interrogés semble lié à un pouvoir d’agir (« On a du pouvoir », collégienne) facilité par le soutien des proches, l’accompagnement et le soutien des professionnels, la reconnaissance par les pairs et par l’établissement. L’ensemble de ces facteurs joue le rôle d’un cercle vertueux de satisfaction et de fierté : « je me sens fièr.e » (LG ; Collège), « ça nous rend fiers » (Collège) et « c’est utile » (Collège). Deux lycéen.ne.s vont même jusqu’à souligner la plus-value que cette expérience pourrait leur apporter sur leur CV et leurs parcours professionnels en termes de compétences, car cela « prépare à mettre en place des choses, à travailler en équipe ». Ainsi une élève verbalise la nécessité de valoriser ce rôle pour répondre à un besoin de reconnaissance mais aussi pour encourager de nouveaux éco-délégués. Se sentir exister au travers d’un rôle, à condition qu’il soit mis en valeur, reconnu par leurs pairs et par l’établissement, semble un levier essentiel à l’engagement des élèves interrogés.

29L’un des principaux freins correspond en effet aux difficultés à mobiliser les autres élèves de leur classe, d’après 9 élèves de niveau ou d’établissement différents : « ils s’en fichent » (collège), « ne respectent pas les actions réalisées » (2 LP ; 1 LG). 6 élèves invoquent aussi le fait que ce rôle n’est pas reconnu par leurs pairs (« Ils sont souvent en train de nous dire qu’on est un peu inutiles, que de toute façon y’a les délégués qui proposent déjà des idées », collège). De même, certains collégiens et lycéens (5/22) souhaiteraient que les professionnels de l’établissement reconnaissent leur rôle, le mettent en valeur et ne pas être considérés simplement comme la « police » pour éteindre les lumières. Le manque de soutien et d’accompagnement du côté des enseignants et autres membres de la communauté éducative est également cité par 8 lycéens qui semblent se sentir seuls pour la mise en place d’actions. Notons toutefois que dans d’autres établissements, les professionnels sont considérés comme des soutiens aux projets des éco-délégués : la vie scolaire, le Conseiller Principal d’Education et le Conseil de la Vie Collégienne qui aident pour la mise en place et le budget. Et, certains élèves signalent l’accompagnement de professeurs et de documentalistes : ils leur donnent des idées, sont un relais et parlent d’eux aux autres élèves. Enfin, les éco-délégués soulignent que cet engagement est possible parce qu’ils sont soutenus par leurs proches. Ces résultats confortent les freins et leviers déjà cités par Jacquin (2008), Lebatteux & Legardez (2010), Nouvelot & Droyer (2012).

31Inscrire leurs réflexions et leurs actions dans la durée est également un levier à l’engagement, principalement pour les lycéen.ne.s. Ainsi, le manque de temps est évoqué par trois lycéens pour « réaliser leurs missions » et par quatre lycéens pour « créer, penser et échanger » ; ce qui semble propre au contexte de l’année 2020-2021 avec la COVID 19. Au-delà de cette période particulière, d’autres élèves indiquent qu’ils auraient besoin de plus de temps pour mener des actions d’ampleur (projets collectifs) et pour former les autres élèves à travers les clubs du lycée.

Conclusion

32L’analyse de nos résultats montre que les élèves semblent tous s’être engagés en tant qu’éco-délégués soit par convictions personnelles et prise de conscience des enjeux pour l’établissement et/ou la planète, soit par influence des valeurs véhiculées dans leur propre famille. C’est aussi parce qu’ils ont une forte volonté d’agir pour changer les choses qu’ils souhaitent s’engager avec et pour les autres ; ce qui pourrait développer un sentiment d’appartenance à une « communauté de pratique » (Lessard, 2013) et apparaît ainsi comme un levier pour la construction d’un éco-citoyen.

33Si nous n’observons pas de réelle différence en fonction de l’âge, du sexe et de l’expérience des élèves interrogés, la forme que revêt leur engagement semble s’exprimer différemment en fonction du sens accordé à leur rôle. Ces résultats interrogent le décalage potentiel entre les valeurs personnelles des jeunes et le pouvoir d’agir qui leur est permis en établissement scolaire (Lange & Kebaïli, 2019). Un prolongement de cette étude exploratoire est envisagé pour questionner davantage les effets de contexte, et notamment observer d’éventuelles différences en fonction des politiques éducatives proposées et en fonction des filières. Nous nous interrogeons également sur le sens accordé au rôle d’éco-délégué vis-à-vis de celui de délégué de classe : ces deux rôles sont-ils réellement nécessaires, complémentaires ?

34Par ailleurs, en se référant aux descripteurs d’un engagement critique proposés par Simonneaux et Simonneaux (2017), nous constatons que les actions des élèves interrogés relèvent davantage de la réalisation de « petits gestes », d’une disposition à agir ainsi que d’une perception de l’action (premier niveau d’un engagement critique). Alors que leur engagement perçu et souhaité tend davantage vers un engagement rayonnant et critique, avec et pour un collectif. Dans ce contexte, les élèves peuvent-ils être à la fois « acteurs, agents et auteurs » (Ardoino, 1988) ? Nos résultats nous amènent à questionner la place donnée aux collégiens et lycéens : ont-ils l’occasion d’expérimenter une diversité de rôles et la possibilité de s’engager, éléments essentiels pour développer l’éco-citoyenneté ? Lange (2015) insiste en effet sur l’importance de rendre les élèves « auteurs » (combiner le faire et le dire, l’action et la réflexion), au-delà d’être agents et acteurs, pour qu’ils puissent créer leur propre histoire. « Cela implique qu’ils puissent avoir la liberté de créer, de modifier et d’influencer les événements. Le système scolaire doit pouvoir offrir ce genre de liberté d’agentivité (Gangas, 2016) » (Morin, Therriault et Bader, 2019, p. 11) mais cela implique un réel changement des pratiques éducatives, qui laisseraient davantage de place à l’éducation dite « informelle » (Garnier, 2018). L’expérience d’éco-délégué pourrait alors être une forme d’éduc-action (Simonneaux & Simonneau, 2017) suscitant l’envie d’agir, renforçant les capacités et ouvrant les espaces d’actions des jeunes dans et hors le milieu scolaire.

35Si l’institution scolaire souhaite une EDD transformatrice et socioconstructiviste critique (Fortin-Debart & Girault, 2009), les éco-délégués peuvent être vecteurs dans le champ de l’Éducation au Développement Durable (EDD) en synergie avec l’enseignement de l’EDD en classe. Le développement de leur engagement et de leur pouvoir d’agir n’est en revanche possible qu’à condition de permettre à l’ensemble des élèves et professionnels de lui accorder du sens : « on ne peut s’épanouir qu’en servant une cause dont le sens dépasse le seul individu » (Morin, 2016, p 22).