1Aux origines, l’éducation populaire s’inscrit dans des luttes contre l’injustice sociale (Pereira, 2021). Progressivement, l’implication de l’État conduit à l’institutionnalisation (Lagroye & Offerlé, 2011) de ce mouvement et participe à la création de l’animation socioculturelle (Bock, 2022a). Les mouvements d’éducation populaire prospèrent alors dans ce secteur durant la seconde partie du XXe siècle. Par ailleurs, l’État impose un cadre législatif, en particulier autour de l’encadrement des publics. Dans ce contexte, l’animation socioculturelle connaît un essor à travers l’expansion des établissements dans les années 1960 (Besse, 2014). Le lien entre l’éducation populaire et l’animation fait donc l’objet de discussions. L’animation peut alors être vue comme une continuité de l’éducation populaire. Pierre Besnard (1980) et Francis Lebon (2020) considèrent d’ailleurs l’animation comme « la fille de l’éducation populaire » ce qui souligne le lien important dans la création de l’animation par les mouvements d’éducation populaire. Or, Raymond Labourie (1981) estime que l’animation ignore l’héritage de l’éducation populaire et Guy Saez (1994) va encore plus loin en affirmant une rupture entre-elles. Les tensions entre ces deux notions interrogent la place de l’éducation populaire dans l’animation.
2Une division du travail s’organise et progressivement des diplômes renforcent sa lisibilité. Un processus de professionnalisation traverse donc l’animation (Bock, 2022b). De plus, des impulsions de l’Union européenne, notamment les accords de Bologne (1999), formatent et harmonisent les diplômes à partir des compétences (Musselin & Froment, 2007), c’est le cas de l’offre actuelle (Bock, 2021) qui s’inscrit dans une dynamique plus globale que Luc Boltanski et Ève Chaipello (1999, p. 505) identifient comme une volonté des entreprises « de développer des certifications mondiales ». Du côté des modes de financement de l’État, les appels d’offres occupent désormais une place prépondérante en comparaison des subventions accordées aux acteur·ices de l’éducation populaire. Les contraintes économiques d’un marché public, tel que celui de la formation, conduisent certain·es acteur·ices à chercher une croissance économique aux dépens des autres organismes de formation (Zunigo, 2005). Cette dynamique percute l’animation aussi bien au niveau de l’encadrement qu’au niveau de la formation. Ces transformations accroissent les préoccupations économiques des structures. À l’échelle locale, leur positionnement conduit à des modes de régulations des marchés différenciés allant de la coopération à la concurrence acharnée (Bock, 2022b).
3Un premier moment marque l’intervention de l’État par le soutien à la création de l’animation socioculturelle (Mignon, 1998). Elle se renforce dans un second moment lors du glissement des subventions quasi systématiques vers des appels d’offres (Bordes, 2015). Ces deux interventions étatiques participent à la mise en marché des acteur·ices. Cette évolution s’inscrit comme le résultat de choix successifs sans volonté initiale des décisionnaires politiques d’arriver à l’organisation d’un marché (Ansaloni & Smith, 2017).
4En 2019, le marché toulousain de la formation d’animateur·ice socioculturel·le fut analysé comme étant chaotique (Bock, 2022b). Le contexte de la fusion des Régions, les appels d’offres pour l’organisation des formations ainsi que l’entrée de nouveaux·lles acteur·ices sur le marché perturbent un équilibre déjà bancal avant ces transformations. Cet article propose de réinterroger cette dynamique cinq ans plus tard afin d’appréhender l’évolution du marché et la place qu’y est accordée à l’éducation populaire. En effet, les attaches entre l’animation et l’éducation populaire prêtent à discussion dans les pratiques, ici, l’objet vise à s’intéresser à sa place dans le cadre d’un marché de la formation.
5Pour Pierre François (2018, p. 283), « les marchés constituent, à bien des égards, l’institution centrale du capitalisme, au point que ceux qui s’y opposent adoptent souvent des slogans, en dénonçant par exemple la “dictature des marchés” ». Ces derniers se composent en arène (Steiner, 2005) dans laquelle les acteur·ices s’affrontent pour trouver la combinaison parfaite entre l’offre et la demande. La dimension artéfactuelle de l’arène contribue à penser les tensions et les relations entre les acteur·ices du marché. De plus, un « nombre important de conditions sociales et politiques contribuent ensuite au fonctionnement du marché » (Steiner, 2005, p. 34). Les organismes se trouvent, certes, en concurrence, mais leurs interactions participent à la création et au maintien de la structure sociale du marché.
« Dans le cas du marché comme interface, on a vu que l’analyse relationnelle s’intéresse à la reproduction des structures de marché au travers du comportement des acteurs. Ces comportements sont qualifiés, par White comme par Fligstein, comme étant de nature concurrentielle, mais où il ne s’agit pas d’éliminer le concurrent, car on est lié à lui pour le maintien de la structure du marché. Le marché est alors la résultante, sous certaines conditions de stabilité de la structure produite, des comportements des firmes. » (Steiner, 2005, p. 43)
6Le marché connaît un essor particulier depuis les années 1980 par le soutien de l’État qui adopte le modèle des entreprises capitalistes (Ansaloni & Smith, 2017). Les délégations de service et les indicateurs de performance s’installent depuis dans les relations avec les acteur·ices du monde de l’animation requestionnant ainsi le processus d’institutionnalisation (Aballéa, 2014).
7Dans le monde de l’animation, ce processus renvoie à la place de l’État. Les travaux de Jacques Lagroye et Michel Offerlé (2011) analysent l’institutionnalisation comme la co-construction de l’institution entre les acteur·ices de terrain et des éléments qui induisent cette institution (i.e., le gouvernement). Elle serait donc le fruit d’interactions qui se jouent et se rejouent continuellement où un affrontement de sa forme réinterroge les définitions stabilisées (Lagroye & Offerlé, 2011). Ce processus se traduit par des changements dans les structures et de la résistance des acteur·ices à ces changements. La succession irrégulière d’affrontements et de conflits conduit à des ajouts de prescriptions, de pratiques, de savoirs et de croyances qui dessinent les formes de l’institution (Lacroix & Lagroye, 1992). Chaque nouvel apport, souvent en tension avec les précédents, réinterroge ainsi le processus d’institutionnalisation et la définition précédemment établie (Lacroix & Lagroye, 1992). Olivier Nay (1997, p. 38), considère l’institutionnalisation « à la fois comme le produit (largement involontaire) des ajustements successifs et diffus réalisés entre les différents groupes d’acteurs engagés dans les jeux, et comme le résultat de l’incorporation dans ces jeux de tout un corps de règles objectivées – issues des ajustements antérieurs perçus par les acteurs comme naturels, inévitables, et donc “appropriées” à leur intervention dans l’espace régional ».
8Jean-Luc Ferrand (2010) mobilise le processus d’institutionnalisation pour analyser le territoire et la formation. Il démontre que le niveau régional s’organise à travers des politiques et des systèmes de planification qui se traduisent en schémas : de développement économique, des transports, d’aménagement durable. Le processus de néolibéralisation trouve ainsi une place à l’échelle nationale comme à l’échelle locale et les « modalités concrètes de déploiement dépendent des cadres territoriaux, institutionnels et culturels sur lesquels ils se greffent » (Pinson, 2020, p. 387).
« Les nouvelles règles et institutions inspirées par le credo néolibéral s’articulent avec les choix et compromis politiques passés et les systèmes de politiques publiques hérités. » (Pinson, 2020)
9Les systèmes de gouvernance, à une échelle régionale, influencent donc la formation en soutenant son lien (économique) avec le territoire (Ferrand, 2010). Les appels d’offres conditionnent effectivement les formations initiées par les Régions. Elles entrent dans le cadre de planification et de définition d’objectifs à une échelle régionale, et en termes de complémentarité d’actions concrètes et de synergie d’acteur·ices au niveau local (Ferrand, 2010). Par conséquent, des contraintes techniques, organisationnelles, institutionnelles et humaines sont à appréhender et conduisent à « la question de l’autonomie du champ de la formation par rapport à celui de l’économie : codétermination ou dépendance ? Travail en amont, en parallèle ou en aval ? » (Ferrand, 2010, p. 24). Le territoire se trouve particulièrement soumis aux logiques néolibérales comme le démontre Gilles Pinson (2020).
« Cette phase de ‘‘création’’ a donné lieu à des innovations telles que de nouvelles formes de relations entre l’État et les villes basées sur le principe d’allocation compétitive des ressources (appels d’offres compétitifs), la mise en place d’agences pour réguler l’organisation des services urbains, de nouvelles pratiques de planification stratégique et d’urbanisme impliquant des acteurs privés, la réorganisation du welfare local fondée sur les principes de conditionnalité des aides, la mise en place de nouvelles institutions métropolitaines destinées à favoriser la coopération intercommunale, etc. » (Pinson, 2020, p. 387)
10Dans le cas de l’animation, le retrait de l’État et sa réduction à une dimension organisationnelle et gestionnaire – en particulier par les appels d’offres – se caractérisent par un processus de désinstitutionnalisation (Aballéa, 2013) et de déclin de l’institution (Dubet, 2002). En effet, l’État se retire de l’accompagnement des acteur·ices du monde de l’animation pour adopter une approche keynésienne et se positionner comme régulateur des marchés. Pour Gilles Pinson (2020) cette destruction institutionnelle suivie d’une création caractérise le processus de néolibération qui ne se définit pas comme un mode de régulation stabilisé, mais tel « un phénomène liquide qui corrompt graduellement des modes de régulation existants selon des modalités qui varient infiniment d’une situation nationale ou locale à l’autre » (p. 386).
11Le rôle et la place de l’État méritent d’être interrogés dans le cadre d’un marché. Une vision libérale considérerait qu’il s’autorégulerait par la « main invisible » du marché d’Adam Smith (François, 2018). Par ailleurs, la politique néolibérale de l’Union européenne incite davantage les gouvernements à se positionner comme « régulateurs » des marchés avec des outils comme les appels d’offres. Ces derniers contribuent à la mise en concurrence des organismes et à l’ajustement des prix (Pinson, 2020).
12Les acteur·ices, principalement associatif·ves (à 90 %), s’adaptent au marché (Steiner, 2005 ; Lordon, 1994) tout en s’inscrivant dans une course sur place (Bordes, 2015) pour survivre et maintenir leurs activités. Le monde associatif subit des métamorphoses qui conduit les acteur·ices à endosser un rôle marchand (Hély, 2009). Dans le cas de l’animation, la professionnalisation (Bock, 2024b) contribue à sa marchandisation (Cottin-Marx, 2016). Cependant, les structures ne sont pas « homogènes dans leurs pratiques » (Hély, 2009, p. 97) et se constituent comme des entreprises associatives (Marchal, 1992). Plus précisément, les acteur·ices du marché adoptent la forme « d’entreprise associative gestionnaire » (Hély, 2009, p. 111).
« Les conditions d’emploi et de travail de l’entreprise associative gestionnaire forment ce que les économistes appellent un “marché du travail interne”. En effet, les salariés employés dans un établissement présent sur un “marché interne” se conforment aux règles qui fondent traditionnellement une activité professionnelle légitime : emploi de droit commun (temps plein, employeur unique, contrat à durée indéterminée), réglementation juridique de l’activité par le biais d’une convention collective, représentation assurée par des associations professionnelles organisées ou des groupements syndicaux, valeurs éthiques assignées par un code déontologique, formation qualifiée et reconnue par l’État. » (Hély, 2009)
13L’analyse longitudinale du marché toulousain de la formation dans l’animation socioculturelle s’articule autour de trois niveaux, afin d’appréhender les transformations entre 2019 et 2024, à travers les processus de désinstitutionnalisation (Aballéa, 2013) et de néolibéralisation (Pinson, 2020) : 1) les effets de l’État sur le marché ; 2) les acteur·ices dans l’arène et 3) leurs stratégies pour perdurer sur le marché. Un retour sur la démarche empirique et sur les spécificités du terrain s’avère éclairant pour saisir ces résultats.
14Cette recherche s’appuie sur une triangulation méthodologie composée d’une approche qualitative à travers vingt entretiens semi-directifs réalisés en deux phases (2019 et 2024). Une approche quantitative à partir de statistiques sur les formations, acteur·ices et participant·es. Et une recherche systématique des formations sur le territoire complète ce recueil.
- 1 Directions régionales et départementales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale jusqu (...)
15La première phase du recueil de données (2019) compte treize entretiens avec les protagonistes de la formation. Iels se répartissent de la manière suivante pour le secteur privé : cinq entretiens avec des représentants d’associations d’éducation populaire historique ; deux avec des associations qui ne sont pas identifiés comme étant des mouvements d’éducation populaire ; un avec une entreprise. Du côté du secteur public : un entretien avec la personne qui dirige un master intégrant les préoccupations proches de celles des diplômes JEPS, un avec une référente de formation au CREPS et deux avec des enseignants-chercheurs de l’IUT de Figeac. Enfin, un entretien avec un représentant de la DRJSCS1 complète ce corpus. Ces premiers éléments facilitent la catégorisation des acteur·ices entre : public, privé non marchand (association) et privé marchand (entreprise).
- 2 Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES).
16La seconde phase (2024) compte sept entretiens avec les acteur·ices locaux·les. Certain·es n’ont pas été rencontré·es une nouvelle fois, car iels ont mis fin à leur activité de formation (SGI, Cofrimi) ou par leur place éloignée dans le marché de la formation dans l’animation socioculturelle – soit géographiquement tels que l’IUT de Figeac, soit professionnellement comme l’Université de Toulouse Jean Jaurès qui propose un master à destination des cadres plutôt que des animateur·ices. Les sept entretiens se répartissent de la manière suivante : quatre avec des représentant·es d’associations d’éducation populaire historique ; un avec une association qui n’est pas identifiée comme étant un mouvement d’éducation populaire ; deux représentant·es de la DRAJES2.
17Une approche quantitative soutient ces résultats à partir de statistiques autour du nombre de formations proposées par les acteur·ices sur la période allant de 2019 à 20243. L’analyse des parts de marché contribue à la compréhension de l’influence des acteur·ices allogènes à l’échelle locale. À titre d’exemple, le premier organisme allogène apparaît à la cinquième position au classement du nombre de formation à Toulouse alors que le premier est une structure aborigène.
Tableau 1 - Nombre total de formations entre 2019 et 2024
- 4 Loisirs Éducation Citoyenneté.
- 5 Union Française des Colonies de Vacances.
- 6 Groupement Nautique Toulousain/Collectif de Valeurs, d’Insertion et de Formation par le Sport et la (...)
- 7 Centre de Ressources d’Expertise et de Performance Sportive.
- 8 INSTitut d’Éducation Permanente (Léo Lagrange Formation depuis 2025 au même titre que Campus Léo La (...)
Acteur·ices
|
Nombre total de formations
|
Type de structure
|
Francas
|
25
|
Aborigène
|
Campus Léo Lagrange
|
22
|
Aborigène
|
LEC Grand Sud4
|
18
|
Indigène
|
UFCV5
|
13
|
Aborigène
|
GNT/CVIFS6
|
9
|
Allogène
|
Ceméa
|
5
|
Aborigène
|
Cofrimi
|
3
|
Allogène
|
CREPS7
|
3
|
Allogène
|
INSTEP8
|
1
|
Aborigène
|
Ligue de l’enseignement
|
1
|
Aborigène
|
Total
|
100
|
|
18Les premières données démontrent que trois éléments favorisent la dérégulation : (1) les réformes territoriales et le passage de vingt-deux à treize Régions (en 20159) ; (2) de nouveaux·lles arrivant·es bousculent les associations historiques et recomposent l’offre sur le territoire ; (3) les injonctions de regroupement dans le cadre des appels d’offres régionaux pour l’organisation des formations. En conséquence, une concurrence règne dans l’organisation de l’offre.
19Le moment du premier recueil correspondait également aux réponses des appels d’offres commandités par le Conseil régional d’Occitanie pour les formations professionnelles, ajoutant un niveau supplémentaire aux tensions entre les acteur·ices. Cependant, les nombreuses transformations subies localement remontent désormais à quelques années. La partie suivante s’intéresse donc à ces évolutions.
20La dénomination « marché chaotique » résulte de trois niveaux d’analyse : le premier concerne les régisseur·ses de l’arène qui considère les dynamiques organisationnelles du marché ; le deuxième s’intéresse au positionnement des acteur·ices et le troisième niveau à leurs stratégies.
21Trois éléments éclairent la (dé)régulation de l’arène : 1) le territoire sur lequel se positionnent les acteur·ices, 2) le processus de désinstitutionnalisation qui révise le rôle de l’État sur le marché et 3) le processus de néolibéralisation qui découle de la désinstitutionnalisation.
- 10 Avant sa liquidation judiciaire en 2022.
- 11 Développement de projets, territoires et réseaux.
22Une disparité territoriale caractérise l’organisation des formations dans l’ex-Région Midi-Pyrénées. À Toulouse règne une concurrence importante comparée aux marchés voisins, le plus souvent organisés par un·e acteur·ice en « situation de monopole » (Ansaloni & Smith, 2017). À titre d’exemple, SGI occupe Castres10 sans connaître de concurrent, tout comme l’IUT à Figeac. Par ailleurs, le redécoupage territorial (Ferrand, 2010) avec le passage aux grandes Régions ouvre des possibilités d’extension de la zone de chalandise et transforme la « dynamique des territoires » (Ferrand, 2010, p. 14). Par exemple, le CREPS de Toulouse envisage un partenariat avec un·e acteur·ice de Narbonne afin de proposer un DEJEPS DPTR11. Le redécoupage des Régions amène donc les acteur·ices à repenser leur stratégie dans un rayonnement plus large. C’est le cas des Ceméa qui réinvestissent le marché toulousain, leur siège montpelliérain ayant remporté un appel d’offres à Toulouse. L’agrandissement régional légitime et justifie « l’appartenance à un territoire » (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 227) et ainsi la présence d’acteur·ices ne pouvant œuvrer au « local » (Fligstein, 2001) précédemment. Ce redécoupage transforme par conséquent leur stratégie économique. En effet, « pour l’instant, le passage aux grandes Régions a modifié les aspects financiers » (Coordo-CREPS-2019-4).
- 12 Intervenant(e) en pratiques artistiques.
23Bien que le nombre de formations par acteur·ice sur le marché toulousain semble se stabiliser, les acteur·ices continuent d’évoluer dans d’autres villes ou sur d’autres marchés comme celui de l’animation territoriale. Iels se positionnent sur de nouveaux diplômes tels que le CQP IPA12. Effectivement, les besoins de formations sur un territoire s’articulent au « développement de l’économie » (Ferrand, 2010, p. 15). À titre d’exemple, la place laissée vacante par SGI à Castres incite d’autres structures à prendre la place.
« Il y a des projets de développement, notamment le CQP IPA, mais bon, on va voir. Il y a un autre projet sur Castres parce que comme il n’y a pu SGI, il faudrait couvrir le territoire. » (RespRég-asso-2024-6)
24L’évolution des acteur·ices sur le marché toulousain les conduit à en rechercher d’autres, ailleurs, afin de conserver leur croissance économique (Filser et al., 2020). Les structures endogènes se positionnent déjà à l’échelle régionale dans des villes de taille modeste comme les Francas à Albi, les Ceméa et LEC à Cazères. Le regroupement des Régions contribue à l’extension du marché en conditionnant les acteur·ices à penser « les territoires comme espaces de conquête » (Ferrand, 2010, p. 11). L’État influence donc le marché et les organismes, de manière collatérale, par ce redécoupage régional.
25Au premier temps du recueil des données, la réforme des Régions provoquait des effets sur l’organisation territoriale, le processus de désinstitutionnalisation (Aballéa, 2013) occupait déjà une place notable. Par ailleurs, les acteur·ices se fédèrent pour établir un dialogue, entre autres, avec différentes instances de l’État. Les opérateur·ices collaborent difficilement dans l’organisation des formations, mais iels se rassemblent pour échanger avec les commanditaires des appels d’offres – le plus souvent, le Conseil régional ou Pôle emploi – ou avec la DRJSCS.
« On a des liens de partenariat parfois et on essaie de faire front commun par rapport aux services de l’État, faire en sorte qu’on ait un langage commun par rapport aux services de l’État. » (DélégNat-RespRég-asso-2019-5)
- 13 Comité Régional des Associations de Jeunesse et d’Éducation Populaire.
26Cinq ans plus tard, la DRAJES remplace la DRJSCS. La recomposition du service de l’État induit un retrait du terrain de la part de ses représentant·es. L’éloignement de l’État du marché caractérisait déjà le territoire grenoblois (Bock, 2024a). Toutefois, les acteur·ices se retrouvent dans certaines instances telles que le CRAJEP13 qui favorise les échanges à l’échelle territoriale. Des moments stratégiques incitent les organismes de formation à se rassembler à l’instar des appels d’offres.
« Il fallait qu’on réponde aux appels d’offres 2020-2023. On s’était mis autour de la table au moins pour échanger ensemble, pour une fois de plus essayer de ne pas trop se gêner les uns les autres. Même si, de fait, on est concurrent, on répond aux mêmes appels d’offres. Et finalement, il n’y a pas eu d’autres réflexions que ça. » (RespRég-asso-2024-12)
27Néanmoins, une période d’inactivité a suivi le temps de réponse aux appels d’offres. Les structures envisagent désormais une relance de la commission autour de la formation au sein du CRAJEP avec au moins deux objectifs : un premier visant à l’interconnaissance des acteur·ices et un second cherchant à instaurer un dialogue avec l’État. Les difficultés rencontrées par les organismes de formations se situent aussi bien au niveau des réponses aux appels d’offres que dans les échanges avec la DRAJES. L’ambivalence entre le retrait de l’État et la volonté des organismes à solliciter le CRAJEP souligne la non-linéarité du processus d’institutionnalisation (Lagroye et Offerlé, 2011).
« Donc faire un peu d’interconnexion, c’est faire bien connaître notre offre en interne au CRAJEP et puis continuer aussi à faire un peu du lobbying entre guillemets. En tout cas, du dialogue collectif avec le conseil régional d’une part et la DRAJES d’autre part sur l’évolution du diplôme, sur l’évolution du métier, etc. Parce qu’on se rend compte qu’il n’y a plus beaucoup d’espace de discussion. » (RespRég-asso-2024-12)
28Les acteur·ices se rassemblent à travers des instances restées en sommeil pour pallier le retrait de l’État. Iels cherchent également à valoriser leur offre auprès des structures qui partagent les réseaux professionnels. Dans l’ensemble, les instances étatiques se trouvent dans des positions organisationnelles et gestionnaires ce qui caractérise la désinstitutionnalisation de la formation (Aballéa, 2013). Les moments de destruction institutionnelle contribuent d’ailleurs au processus de néolibéralisation (Pinson, 2020).
29Les appels d’offres contribuent à l’anomie professionnelle (Aballéa, 2013) en flexibilisant les structures employeuses. Souad Denoux et Jérôme Eneau (2013) démontrent qu’en plus de l’aspect économique, les appels d’offres contribuent à la reconnaissance de la professionnalité des acteur·ices. Ce mode de gestion des marchés publics représente, ici, l’outil principal du processus de néolibéralisation qui « privilégie les mécanismes de régulation associés au marché (ajustement par les prix, mise en concurrence des individus et des territoires) » (Pinson, 2020, p. 385). La concurrence croît entre les organismes de formation. Les appels d’offres déterminent, dans de nombreux cas, la possibilité d’ouvrir ou non une formation. L’injonction économique conduit ainsi les stratégies, souvent agressives, des organismes de formation. Toutefois, dans ce contexte concurrentiel, les acteur·ices collaborent pour augmenter la probabilité de remporter l’appel d’offres (Fligstein, 2001).
« Économiquement, c’est la guerre. Quand il y a les marchés qui tombent, c’est un gros stress, pour avoir la bonne stratégie, faire les bonnes alliances, les bons dossiers, le bon prix. » (RespRég-asso-2019-12)
- 14 Coopération Régionale des Associations de Formation de l’Éducation Populaire.
30Dans ce contexte épineux, le CRAJEP constitue la « tête de réseau » et vise à fédérer les associations. Une mission qu’il peine à remplir. Son rôle d’organisateur de la concurrence, à travers la commission restreinte de la CORAFEP14, n’apporte pas une répartition homogène de l’offre entre toutes les structures. Un nombre croissant d’acteur·ices allogènes n’adhère pas au CRAJEP et, de fait, encore moins à la CORAFEP. L’influence régulatrice de cette association régionale se retrouve alors limitée, renforçant ainsi le retrait l’État (Aballéa, 2013).
« Le CRAJEP pourrait avoir une importance… Ils n’arrivent pas à jouer leur rôle de mutualisation, de : on fédère... Parce que ce qui nous tue, c’est les appels à projets de la Région... » (RespForma-asso-2019-8)
31Ce mode de régulation du marché par les politiques publiques favorise l’émergence d’acteur·ices allogènes. La croissance du nombre d’organismes de formation accroît la concurrence, entraîne une perspective mercantile des formations et influence les stratégies de construction de l’offre (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 585).
« Il y a plein de petits organismes de formation qui se forment et qui commencent à monter comme des champignons et qui arrivent avec un vrai déploiement stratégique où nous, on est mauvais, les fédérations d’éducation populaire, et ça va être problématique. » (RespForma-asso-2019-8)
- 15 Loisirs tous publics.
- 16 Animation sociale.
- 17 Éducation à l’Environnement vers un Développement Durable.
32Lors du lancement des appels d’offres, les Conseils régionaux induisent des groupements entre les acteur·ices du territoire (Fligstein, 2001). Les organismes se regroupent ainsi dans une logique de complémentarité d’option de formation (e.g., lorsqu’un propose un BPJEPS option LTP15, il en cherchera un autre proposant une option AS16 ou EEDD17). De plus, ce type de regroupement transforme la dynamique territoriale (Ferrand, 2010) en amenant les structures à étendre leur zone de chalandise hors de Toulouse. Le nombre de participant·es, attribués par les bons de commande, reste toutefois variable selon les années et les territoires. Les organismes témoignent parfois de difficulté à maintenir des formations et des postes de formateur·ices lorsqu’ils ne bénéficient pas de bon de commande ou lors de la perte d’un appel d’offres. Les groupements solidaires n’assurent pas aux deux acteur·ices de bénéficier de places financées.
« La Région a incité à être en groupement solidaire, donc on a répondu avec l’Asso-4 sur le BPJEPS, eux font le BPJEPS AS et nous le BPJEPS LTP. Là on vient d’avoir le marché et donc le bon de commande. Et on a quatre places, donc on est content. Et puis, un autre sur Cazères avec l’Asso-1. Et là par contre, on a douze places. Il y a une alternance, un coup, c’est l’Asso-1 qui mène le BPJEPS, un coup c’est nous. » (RespRég-asso-2024-6)
33Les appels d’offres représentent d’ailleurs une part importante du budget des structures selon leur positionnement – constant ou irrégulier – et selon les périodes. En effet, les Conseils régionaux commanditent des formations – à travers des bons de commande – selon des besoins identifiés sur le territoire.
« Il y a eu énormément de financements sur le marché précédent parce qu’ils avaient une très très grosse enveloppe. Et là, en fait, ça s’est énormément réduit, de moitié, par rapport au budget précédent. » (RespForm-asso-2024-2)
34Des alliances se font et se défont selon les marchés pour diverses raisons, au gré des difficultés à collaborer, d’insatisfaction du travail réalisé ou encore de conflits interpersonnels. La logique d’appel d’offres accroît la concurrence (Pinson, 2020) et métamorphose l’arène par le retour d’anciens organismes et l’entrée de nouveaux. La baisse des fonds alloués à la formation entraîne une sortie de certaines structures.
35Deux tendances caractérisent le positionnement des organismes dans l’arène : 1) ceux qui y voient une opportunité et qui se retirent lorsque le marché leur devient défavorable ; 2) ceux qui évoluent et transforment leurs pratiques pour rester compétitifs.
36L’entrée de nouveaux·lles acteur·ices sur le marché participe à la recomposition de l’offre. Une certaine porosité des formations avec celles du sport, du travail social, ainsi que la croissance de la perspective marchande des formations, provoque l’entrée de structures allogènes sur le marché. En effet, une expérience dans un secteur proche facilite leur entrée (Steiner, 2005). Toutefois, ces derniers complètent l’offre locale et contribuent à diversifier les formations tout en renforçant la concurrence.
« Et ça, il faut faire attention parce qu’il y a de la marchandisation dans ce secteur. Qui a vu le filon ? Le privé... » (RespForma-asso-2019-8)
37L’émergence des acteur·ices allogènes représente une source de tension sur le marché. En effet, les structures endogènes cherchent à former les animateur·ices qu’elles vont embaucher ensuite. Ces nouveaux organismes se positionnent et prennent part à la mutation des diplômes. Or, « il ne s’agit pas d’éliminer le concurrent, car on est lié à lui pour le maintien de la structure du marché » (Steiner, 2005, p. 43). Les acteur·ices endogènes, ancré·es sur le territoire, considèrent ces nouveaux organismes – avec un certain fatalisme – sans pour autant leur donner une importance particulière et les estiment égaux à d’autres concurrent·es avec des atouts différents.
« Aujourd’hui, on a des privés marchands dans notre secteur, on a des boîtes qui vendent du BPJEPS, c’est comme ça. Ça pose problème oui et non, c’est un marché qui est concurrentiel. Après, c’est soit des gens qui n’ont pas forcément une référence à un projet d’éducation populaire ou la référence, c’est du commerce, mais en même temps c’est comme ça. » (DélégNat-RespRég-asso-2019-5)
38Après cette évolution du nombre d’acteur·ices, le marché actuel (2024) en délaisse deux : Cofrimi et SGI. Le premier a décidé d’arrêter les formations dans l’animation alors que le second fut liquidé en octobre 202318, faute de repreneur·se suite au départ en retraite de l’ancien directeur. Depuis, aucune nouvelle structure n’a été repérée. Le marché s’est donc autorégulé par sa « main invisible » (Smith, 1776, 2000). Or, celleux qui conservent leur position se trouvent contraints d’évoluer ou de le quitter l’arène.
39La croissance massive des acteur·ices sur le territoire entraîne une recomposition stratégique dans l’offre des organismes de formation. Celleux qui peuvent proposer un nombre important de diplômes salarient des formateur·ices permanent·es.
« On est passé dans un système assez libéral pour les formations et il y a de la concurrence, de la productivité. Vous avez des organismes de formation qui ont jusqu’à dix formations à suivre. Les formateur·ices ont : de 9 h à 11 h tel groupe, de 11 h à 12 h un groupe d’un autre BPJEPS. » (CEPJ-DRJSCS-2019-3)
- 19 En référence à Alice au Pays des merveilles.
40Cependant, si ce système de surenchères (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 440) reste courant sur les marchés et participe à sa dérégulation toutes les structures ne suivent pas nécessairement ces avancées. Par conséquent, les plus modestes, incapables de rassembler suffisamment de participant·es pour ouvrir leurs formations, aboutissent parfois en liquidation judiciaire. Cette stratégie a donc un effet régulateur sur le marché dans la mesure où elle restreint le nombre d’acteur·ices. Le syndrome de la Reine Rouge19 gagne les organismes, celleux qui ne jouent pas le jeu des concurrent·es se trouvent éliminés (Bordes, 2015).
« Il n’y aura pas de candidat·es pour tous les organismes de formation, ça, c’est clair. On a déjà vu des organismes de formation en liquidation judiciaire. On en voit qui nous proposent des habilitations et qui n’ouvrent pas faute d’avoir assez de candidat·es. » (CEPJ-DRJSCS-2019-3)
41Comme le montrent les chiffres de l’évolution des organismes sur le marché toulousain, le diagramme ci-dessous compare le nombre de formations en 2019 et en 2024 tous diplômes confondus. Certaines structures ont connu une année 2019 importante au niveau de la formation, en particulier les Francas et Campus Léo Lagrange. Toutefois, les années qui suivent le Covid-19 offrent une impression de stabilité du nombre de formations proposées par chaque acteur·ice. Par le manque de bon de commande et d’obtention des appels d’appels d’offres, un organisme allogène (Cofrimi) a quitté ce marché. Les organismes, pour y conserver leur place (voire même pour la renforcer), adoptent différentes stratégies qui font l’objet de la partie suivante. Elles démontrent la métamorphose des associations en « entreprise associative gestionnaire » (Hély, 2009, p. 111).
Figure 1 - Nombre de formation total par année selon les acteurs
42Les acteur·ices mobilisent principalement trois leviers stratégiques sur le marché toulousain : 1) le prix des formations (en particulier durant les appels d’offres), 2) la construction d’une offre spécifique et 3) la formation comme offre complémentaire.
43Pierre François (2008) souligne l’importance du prix dans la relation d’échange qui constitue le marché. Dans le cas des formations, il représente un atout concurrentiel et une variable de (dé)régulation du marché. C’est particulièrement le cas lorsque le marché est organisé à travers des appels d’offres (Pinson, 2020). Une certaine qualité et un prix caractérisent « l’offre-produit » (Cochoy, 2002, p. 39) et ces variables, en particulier la première, sont ajustables. Visiblement, les structures ne se concertent pas, ou peu, lors de la définition du montant des diplômes, ce qui engendre des différences importantes lors des réponses aux appels d’offres. Par exemple, en 2019, l’Asso-2 proposait des formations à 8,50 €/h/stagiaire tandis que l’Asso-3 les proposait à 12,50 €/h/stagiaire. Les deux organismes ont effectivement obtenu des bons de commande de la part du Conseil régional pour les formations. À ce titre, les acteur·ices utilisent le prix comme atout concurrentiel (Cochoy, 2002, p. 58).
44Lors des derniers appels d’offres, les structures ont proposé des prix plus homogènes que lors du précédent. Cette uniformisation tant plutôt vers la fourchette haute avec un prix autour de 11 €/h/stagiaire, les plus bas étant à 10 €/h/stagiaire contrairement à 8,5 €/h/stagiaire pour la période précédente. Pour une formation de 600 h avec 12 participant·es, le chiffre d’affaires débute à 72 000 € (10 €/h/stagiaire) et peut augmenter à 90 000 € (12,5 €/h/stagiaire).
« On est vraiment les plus bas. Et là, on a légèrement augmenté, mais on est toujours dans les plus bas. Les moins chers c’était 11,20 €. On était à 10 €. » (DélégNat-RespRég-asso-2024-5)
45Cependant, toutes les structures ne mènent pas une course au prix bas. En effet, les coûts fixes restent incompressibles (locaux, abonnements, salarié·es, etc.). De plus, l’image de marque de la structure dépend de la qualité des formations ainsi que du prix (Cochoy, 2002, p. 206). Les financeur·ses portent donc une attention à ces critères qui peuvent pénaliser la structure. Or, Steiner (2005, p. 50) considère le marché « comme un espace social dans lequel le prix n’est plus la variable essentielle, alors ce rôle est tenu par les relations sociales qui construisent et font le marché. »
« Économiquement, tu n’en sors pas. Et puis en plus, ça pose une autre question, c’est que tu donnes des signes quand même aux financeur·ses et à l’environnement que tu fais des formations au rabais. Et nous, aujourd’hui, au contraire, on veut valoriser qu’on a des formations qui tiennent la route avec des permanent·es, avec des professionnel·les et que du coup, ça se paye. » (DélégNat-RespRég-asso-2024-5)
- 20 Conseiller·es d’éducation populaire et de jeunesse.
46La course au profit de quelques organismes conduit à limiter certains coûts comme les locaux. Ils délivrent donc des formations dans des salles de conférence (en hôtel) réservées pour les semaines de regroupement. Aucune présence n’est assurée le reste du temps. Néanmoins, un des CEPJ20 qui cherchent à réguler le marché porte une attention à ces pratiques malgré le processus de désinstitutionnalisation (Aballéa, 2013) qui l’éloigne du terrain. Les acteur·ices doivent alors trouver un équilibre entre la compétitivité et la stabilité budgétaire ou se positionner sur des marchés de « niche ».
47Les organismes « s’observent entre eux pour définir la position (les “niches”) qu’ils vont occuper sur le marché en termes de la qualité (n) et du volume (y) produits [etc.] » (Steiner, 2005, p. 41). La précédente entente des organismes à travers la CORAFEP se trouve caduque avec l’entrée de nouvelles structures. Néanmoins, les acteur·ices endogènes conservent leur offre initiale (les Francas proposent l’option LTP et l’UFCV, l’option AS). Cependant, les allogènes se positionnent sur des segments de « niche ». C’est le cas du CVIFS qui propose un BPJEPS AS avec une « visée insertion ». La structure propose également un double cursus BPJEPS entre le sport avec l’option Activité physique pour tous et l’animation, option Animation sociale. Cependant, l’enjeu du double diplôme apparaît davantage de l’ordre du packaging que de la pédagogie. En effet, peu, voire pas, de stagiaire choisissent cette modalité, principalement pour des raisons de coût.
« Je n’en ai pas en fait cette année, en tout cas je n’en ai pas et je ne sais pas si on en a l’année prochaine qui feront cette bimention-là. Parce que c’est trop compliqué sur le nombre d’heures de formation de trouver une alternance. Déjà que c’est compliqué juste sur l’animation sociale. » (RespForm-asso-2024-1)
48Le CREPS a pour objectif de former des directeur·ices de structures sportives en offrant un DESJEPS Animation socio-éducative ou culturelle. Cette entrée originale représente l’élément déterminant du packaging (Cochoy, 2002). Par conséquent, la formation DESJEPS s’adresse aux personnes voulant s’orienter vers une direction de structure sportive. L’organisme détourne donc le diplôme de sa fonction principale. De plus, il propose une double qualification : un DESJEPS couplé avec un Bachelor in management coorganisé par Toulouse Business School.
49Les formations de « niche » représentent une part infime du marché et s’adressent à des cas très spécifiques. Les acteur·ices allogènes, du secteur sportif notamment, proposent ces formations dans une logique de complémentarité de leur offre qui se traduit par un effet d’annonce marketing (Cochoy, 2002) au final peu utilisé dans la pratique.
50Certain·es acteur·ices proposent des formations internes à leurs salarié·es. La présence importante de structures endogènes – sur les marchés publics de l’animation enfance jeunesse – les conduit à organiser des formations diplômantes (principalement des BPJEPS option LTP) pour leurs animateur·ices dans le cadre des délégations de services publics. Les structures s’inscrivent dans des « marchés proches » (Steiner, 2005, p. 43) de leur activité initiale avec une stratégie de diversification. De plus, les acteur·ices aborigènes inventent une offre (François, 2005) de formations complémentaires (non diplômantes) à destination de leurs animateur·ices.
« Ensuite à côté de ça, on a de la formation continue. Avec nos employeur·ses, on monte des projets de formation continue suivant des thématiques et des besoins repérés par les employeur·ses : trois jours sur la gestion des conflits, la parentalité, deux jours sur la laïcité dans les structures d’accueil. » (DélégNat-RespRég-asso-2019-5)
51À la différence des marchés de « niche » (Steiner, 2005, p. 41) saisis par les acteur·ices allogènes ce sont les endogènes qui diversifient leurs pratiques – dans le secteur de l’animation – sans pour autant explorer d’autres secteurs d’activité. C’est le cas pour LEC Grand Sud qui a créé une entité distincte de l’association : LEC Formation. De même pour les Francas qui renforcent leur positionnent sur l’animation territoriale.
« Nous on forme beaucoup nos salarié·es. En 2023, on a eu 140 personnes au total sur tous nos parcours confondus CQP, BPJEPS, DEJEPS, on a eu 26 apprenti·es. » (RespRég-asso-2024-6)
52Les organismes endogènes qui forment leurs salarié·es disposent d’un nombre suffisant de stagiaires en formation pour atteindre l’équilibre budgétaire (entre 8 et 12 stagiaires selon les organismes). Ils peuvent ainsi accueillir plus facilement des participant·es supplémentaires ou intégrer des bons de commande, contrairement à ceux qui dépendent exclusivement des appels d’offres. Par conséquent, les acteur·ices endogènes se positionnent sur des marchés internes (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 363) à l’animation afin que les activités se complètent mutuellement. Les organismes se transforment donc de l’intérieur pour conserver leur présence sur le marché et assurer la pérennité de la structure (Lordon, 1994).
53Le cas toulousain démontre, à travers l’artéfact de l’arène (Steiner, 2005), dans quelle mesure les effets du processus de néolibéralisation (Pinson, 2020) recomposent le marché de la formation. D’ailleurs, l’État impulse la mise en marché (Ansaloni & Smith, 2017) et l’institutionnalisation (Nay, 1997) sans forcément en avoir conscience bien que les orientations étaient assez prévisibles (Boltanski & Chiapello, 1999). Les trois niveaux d’analyse soulignent que : 1) « le capitalisme s’est dissous dans l’État » (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 673) ; 2) les acteur·ices s’adaptent à ce nouveau contexte (Steiner, 2005 ; Lordon, 1994) ou quittent le marché (Bordes, 2015) ; 3) ces derniers adoptent des stratégies pour conserver leur place dans l’arène (Steiner, 2005).
54Dans ce marché chaotique, prototypique des effets du processus néolibéral, la concurrence véloce de 2019 tend à s’apaiser en 2024. Les organismes – conscients de l’injonction à coexister aux côtés de leurs concurrent·es (Steiner, 2005) – démontrent que dans certains cas la coopération reste possible, notamment lorsqu’il s’agit de défendre la formation. Ils organisent ainsi des espaces communs de partage et de plaidoyer qui se restructurent autour des besoins de communication et d’échange avec l’État. Or, le point principal de tension réside dans les réponses aux appels d’offres initiés pas le Conseil régional. L’État utilise le marché comme outil de régulation politique (Ansaloni et al., 2017) ayant pour effet l’entrée de nouvelles structures, qui finalement bouleversent l’organisation initiale. Cette concurrence – particulièrement présente dans le cas toulousain, mais existant dans tous les marchés – « dissimule les rapports de force inégaux de ceux qui forment concrètement l’offre et la demande » (Boltanski & Chiapello, 1999, p. 569) qui se traduit par « l’imposition de la loi du plus fort » (Boltanski & Chiapello, 1999). Les organismes, malgré eux, jouent le jeu du capitalisme (Hély, 2009) en évoluant pour survivre dans l’arène (Steiner, 2005). Le nouvel esprit du capitalisme (Boltanski & Chiapello, 1999) transforme donc le rapport à l’éducation populaire (et de manière plus large à mener des actions désintéressées des profits) que les acteur·ices aborigènes adaptent pour répondre aux injonctions de l’État et du marché.
55Au moment de conclure, le marché toulousain s’inscrit toujours dans une dynamique chaotique qui est toutefois en voie de stabilisation. Des stratégies de diversification émergent chez des acteur·ices qui évoluent sur un marché saturé, iels cherchent ainsi à investir d’autres villes. Comme le montrent d’ailleurs Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999, p. 649) : « Le capitalisme a une tendance perpétuelle à se transformer. La recherche de nouveaux chemins de profit est une force puissante de transformation ». À titre d’exemple, des entreprises de formation proposent les diplômes de l’animation en ligne (par exemple, Blue up formation21). Hormis les appels d’offres, l’État s’éloigne drastiquement de l’animation, en particulier par la délégation des évaluations aux organismes eux-mêmes. Son rôle se limite aux accréditations des diplômes et aux jurys, ce qui renforce encore le processus de désinstitutionnalisation (Aballéa, 2013). Dans ce contexte concurrentiel, la place de l’éducation populaire subsiste au moins de manière « nominale » (Lebon & Lescure, 2016), concernant le « réalisme », la piste la plus concrète se dessine dans la commission des diplômes du CRAJEP.