• 1 Otto Brunner, Land und Herrschaft. Grundfragen der territorialen Verfassungsgeschichte Österreichs (...)
• 2 Brunner, Land und Herrschaft (4^e éd., 1959), p. 163.

1Dans son ouvrage classique Land und Herrschaft (1939-1959) qui constitue un prélude à notre dictionnaire, Otto Brunner est parti de l’exemple du concept d’État [Staat] pour expliquer et justifier la nécessité heuristique d’une histoire des concepts. Il a ainsi permis de prendre conscience à quel point la transposition aux réalités médiévales de concepts propres à la théorie de l’État du XIX^e et du XX^e siècle est problématique lorsque la recherche historique, en particulier l’histoire du droit et l’histoire constitutionnelle, traite de l’État au Moyen Âge1. En montrant comment remédier à la distorsion de réalités historiques opérée par une compréhension linguistique relevant du présent, ses conseils méthodologiques se sont trouvés pris dans une tension entre, d’une part, une conceptualisation qui s’en tient strictement aux termes employés dans les sources, et d’autre part, l’emploi de concepts analytiques propres aux sciences juridiques et sociales systématiques, cette utilisation étant inévitable et devant être autant que possible accompagnée de références historiques précises. Selon Brunner, la tentative faite par Georg von Below pour « interpréter les sources anciennes à l’aide de concepts modernes ne pouvait qu’échouer ». « Mais rien ne serait plus faux que de croire que le travail historique peut se passer des concepts modernes. Il faut juste qu’ils soient eux-mêmes identifiés dans leur détermination historique »2.

• 3 Cette expression qui a vu le jour au début du XIX^e siècle et s’est imposée depuis Jacob Burckhardt (...)

4Il ne fait aucun doute que durant le Moyen Âge central, dont doit partir l’histoire européenne concrète du concept de ‘Staat’, une communauté / une chose publique [Gemeinwesen], des groupements, des organisations politiques de domination ont existé qu’il est possible de désigner sous le terme de ‘Staat’, même si ce dernier concept n’était pas en usage ou s’il était très éloigné du concept d’‘État moderne’3.

• 4 Hintze, Moderner Staat, p. 470.
• 5 Ibid., p. 471.
• 6 Ibid., p. 476.

5En 1931, Otto Hintze a attiré l’attention sur le fait que le concept général de ‘Staat’ n’est apparu et n’a été développé qu’à partir de l’‘État moderne’ et des caractéristiques typiques qu’on lui reconnait, le type actuel, récent, d’‘État moderne’ se trouvant alors « transposé » pour désigner des formations plus anciennes4. Il est même possible d’aller encore plus loin en affirmant que ce n’est qu’à partir de cette démarche rétroactive que l’‘État médiéval’, qui n’a en aucune façon existé en tant que tel, a vu le jour. Hintze laisse en suspens la question de savoir si la compréhension que nous avons aujourd’hui de l’ordre médiéval est facilitée, rendue plus ardue ou même induite en erreur par cette conceptualisation anachronique, il ne fait donc qu’effleurer la question qu’Otto Brunner posera plus tard. Il choisit la voie d’une conceptualisation analytique au lieu d’une approche historique du concept. Autrement dit, il indique ce qu’il entend par ‘Staat’ (ce concept dont la définition est objet de controverses) : « l’état ou la constitution d’une communauté [Gemeinwesen] qui la rendent capable de produire une volonté et une action communes [gemeinsam] ». L’état et la constitution doivent être cependant compris « non seulement de façon purement statique, mais aussi [7] de façon dynamique ». Selon lui, il est aussi possible de « désigner par ‘Staat’ la communauté [Gemeinwesen] elle-même »5. Hintze ajoute des précisions concrètes à cette définition formelle de l’État en soulignant fortement le passage de la « constitution féodale hiérarchique du Moyen Âge » à « l’idéaltype de l’État moderne » (XV^e-XIX^e siècle). Il le décrit alors au moyen de quatre phases structurelles qui se succèdent et se superposent dans le temps : « l’État-puissance souverain dans le cadre du système européen des États », « l’État commercial relativement fermé », « l’État libéral constitutionnel et de droit » et « l’État national qui rassemble et renforce toutes ces tendances en direction de la démocratie »6. Ce faisant, Hintze explicite non seulement l’idéaltype de ‘l’État moderne’, mais renvoie aussi de façon implicite au cours réel de l’histoire dans lequel s’est inscrite l’histoire du concept de ‘Staat’. Pour éclairer ce dernier, nous nous demanderons dans un premier temps à quelles désignations il était possible d’avoir recours au XIII^e et au XIV^e siècle – autrement dit entre l’époque de la réception d’Aristote et les débuts du type structurel d’‘État moderne’– lorsqu’il s’agissait de désigner l’organisation juridique et de domination propre à une communauté [Gemeinwesen] politique. Est-ce que ‘status’ / ‘Staat’ se trouve parmi ces désignations ? S’il s’avérait que non, ou alors seulement sous une forme encore embryonnaire, on se demandera plus avant quand, comment et pour quelles raisons, le mot ‘Staat’ est apparu (dans différentes langues et sous différentes formes orthographiques) et a fini par s’imposer.