1Le concept d’État reste aussi après 1945 un des concepts centraux de la politique constitutionnelle. Les tentatives faites pour surmonter [bewältigen] le passé de la domination nazie, pour assumer la responsabilité de l’iniquité [Unrecht] qui avait existé, pour mettre au clair et en place de justes [richtig] continuités et pour démonter de fausses continuités, s’articulent avec la question de savoir si l’État allemand a sombré en 1945.

2Après 1945, l’affirmation selon laquelle la domination nazie présentait un « État double » est reprise en un sens tout à fait spécifique : par ceux qui étaient au service de cet État. On affirma qu’en assurant son service, on était au service de l’ancien État (« pour éviter le pire ») et non au service du nouvel État de non-droit [unrecht] (du passé).

3La confrontation entre, d’une part, la volonté d’instaurer un État constitutionnel ayant mené à la fondation de la République fédérale d’Allemagne en 1949 et, d’autre part, la volonté de mettre en place un État totalitaire communiste, est perceptible dans la controverse sur le caractère étatique des deux États allemands. La fondation de l’État communiste fut combattue en faisant valoir l’argument selon lequel la RDA, dépourvue de toute légitimité démocratique, n’était pas un État. Des doutes ne cessèrent certes pas d’être émis, la question étant de savoir s’il était justifié [richtig] d’arrimer la discussion de fond portant sur la démocratie et les droits de l’homme au concept formel d’État ; pendant des années, la tendance qui l’emporta fit que le combat pour la bonne constitution prit la forme d’un combat autour du concept d’État.

4Alors que la RDA avait essayé d’appréhender sa relation à la République fédérale d’Allemagne au moyen d’une théorie des deux États, la théorie de l’identité initialement soutenue par la République fédérale fut modifiée de façon décisive après 1969 dans le cadre de la politique des traités de l’est et de la reconnaissance de l’étaticité de la RDA. Dans un arrêt portant sur le traité fondamental, le Tribunal constitutionnel de la République fédérale a alors défini le statut juridique de l’Allemagne de la façon suivante :

• 193 Bundesverfassungsgericht, Arrêt du 31 juillet 1973, BVerfG-Entscheidungen, vol. 36 (1974), p. 16.

L’empire allemand continue d’exister, il possède comme par le passé une capacité juridique, mais en l’absence d’organisation et, en particulier, d’organes institutionnalisés, il n’a pas la capacité d’agir lui-même comme un seul État […] Un nouvel État allemand ouest-allemand n’a pas été fondé avec la construction de la République fédérale d’Allemagne, c’est une partie de l’Allemagne qui a connu une nouvelle organisation […] La République fédérale d’Allemagne n’est donc pas le « successeur juridique » de l’Empire allemand, elle est au contraire, en tant qu’État, identique à l’État « Empire allemand », – elle ne lui est cependant que « partiellement identique » en ce qui concerne son extension spatiale, ce qui fait que l’identité ne prétend pas à une exclusivité193.

Ici encore, la RDA n’occupe qu’une position marginale.

5La politique de l’unification européenne fut, elle aussi, inséparable du concept d’État (étaticité de l’Europe unifiée ?). Grâce à l’image d’une Europe unie selon un mode étatique, la difficile question de la conscience de soi des Allemands quant à leur État fut toutefois politiquement et psychologiquement désamorcée – du moins pour la République fédérale.

6Des tentatives isolées, renouant avec des modèles présents dans la République de Weimar pour dire que l’État constitutionnel de la République fédérale d’Allemagne est un État faible et pour avancer qu’il n’est pas un État (au sens propre du terme), ne rencontrèrent pas d’écho en République fédérale, contrairement à ce qu’il en avait été à l’époque de Weimar.

7Dans les passages centraux, décisifs, de la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, le concept d’‘État’ n’apparaît qu’à l’intérieur d’un mot composé : ainsi, l’article 20 de la première partie de la loi fondamentale dit de la République fédérale qu’elle est un « État fédéral démocratique et social » [Bundesstaat], et dans cette même première partie, l’article 28 parle des « principes de l’État de droit [Rechtsstaat] républicain, démocratique et social ». Ce qui fait ici rupture, c’est l’articulation entre, d’une part, la composante juridique de l’État inscrite ici dans la continuité sans faille de la tradition constitutionnaliste étatique du XIX^e siècle, et d’autre part, la composante sociale de l’État, qui, alors qu’elle remonte aux impulsions données par le mouvement social du XIX^e siècle, ne se trouve, ici, pas déterminée en termes de contenu par ce dernier, de sorte qu’en apparaissant comme un concept constitutionnel particulièrement ouvert, elle ne représente que le pouvoir global du législateur, désormais habilité à opérer une transformation sociale de la société. Pour la première fois dans une constitution allemande, les partis politiques sont mentionnés à l’article 21 de la loi fondamentale ; la formulation selon laquelle les partis contribuent à la formation de la volonté politique du peuple ne donne cependant qu’une très faible idée de l’ampleur de l’État de partis actuel [Parteienstaat].

Références bibliographiques

10Ernst Wolfgang Böckenförde, « Enstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriffs », in : Staat, Gesellschaft, Freiheit (Frankfurt, 1976) ; Suzanne Hauser, Untersuchungen zum semantischen Feld der Staatsbegriffe von der Zeit Dantes bis zu Machiavelli (diss. phil., Zürich, 1967) ; Wolfgang Mager, Zur Entstehung des modernen Staatsbegriffs, Akademie der Wissenschaften und der Literatur, Mainz, Abhandlungen der geistes- und sozialwissenschaftlichen Klasse (1968), n° 9 ; Alessandro Passerin d’Entrèves, The Notion of the State (Oxford, 1967) ; Dietmar Peil, Untersuchungen zur Staats- und Herrschaftsmetaphorik in literarischen Zeugnissen von der Antike bis zur Gegenwart (München, 1983) ; Jack Richon Pole, « The Politics of the Word ‘State’ and its Relation to American Sovereignty », in : Parliaments, Estates and Representation 8/1 (1988) ; Stephan Skalweit, Der « moderne Staat ». Ein historischer Begriff und seine Problematik (Opladen, 1975) ; Barbara Stollberg-Rilinger, Der Staat als Maschine. Zur politischen Metaphorik des absoluten Fürstenstaates (Berlin, 1986) ; Paul Ludwig Weinacht, Staat. Studien zur Bedeutungsgeschichte des Wortes von den Anfängen bis ins 19. Jahrhundert (Berlin, 1968) ; Conrad Max von Unruh, Zur Biologie der Sozialwirtschaft. Grundlinien für den inneren Aufbau des sozialen Staates (Leipzig, 1914).