Persécution et déportation des juifs en Italie1

1Le Quai 21, dans le sous-sol de la gare centrale de Milan, qui était réservé au chargement des marchandises et en particulier des wagons postaux, servit entre 1943 et 1945, au regroupement et à la déportation des Juifs italiens arrêtés, détenus à la prison de San Vittore, à Milan, et dirigés vers les camps de concentration en Italie (Bolzano, Fossoli) et en Allemagne (Mauthausen), et d’extermination en Pologne occupée (Auschwitz). Les wagons plombés, une fois brutalement chargés dans les souterrains de la gare, étaient hissés au niveau des voies principales où ils formaient un convoi et prenaient leur direction finale.

3En tout, il y eut une vingtaine de transports (12 de seuls Juifs, 5 de prisonniers politiques, 3 mixtes) jusqu’au 15 janvier 1945. Les Juifs étaient destinés aux chambres à gaz, les civils et militaires aux Lager, camps de concentration.

4Depuis des années, Liliana Segre apporte son témoignage dans les écoles et a participé à l’inauguration du Mémorial de Milan en 2013. Elle a été nommée sénatrice à vie en janvier 2018 par le Président de la République italienne Sergio Mattarella.

5Les persécutions contre les Juifs commencèrent en Italie, de façon systématique avec les lois pour la Défense de la race (Dichiarazione sulla Razza) promulguées le 6 octobre 1938 par le Grand Conseil du Fascisme : elles faisaient suite à des mois de campagne antisémite (Manifeste des savants racistes ou Manifesto della razza, juillet-août 1938 ; discours de Mussolini, à Trieste, 18 septembre 1938). Elles marquaient aussi le rapprochement fatal avec l’Allemagne nazie.

6La communauté juive en Italie, vieille de plus de 2 000 ans (la présence de Juifs est attestée bien avant le Christianisme) était une des mieux intégrées d’Europe, en dépit de la présence du siège de la Catholicité qui avait pourtant créé les premiers ghettos (Venise, 1516). Depuis l’Unité italienne, les Juifs, qui s’étaient très fortement engagés dans les guerres d’Indépendance, jouissaient généralement d’une situation aisée, due surtout à leur niveau d’instruction plus élevé que la moyenne des Italiens, en particulier dans les études universitaires, ce qui fait que, lors de la Première Guerre mondiale, ils fournirent un grand nombre d’officiers. En 1931, la population juive recensée était de 47 485 personnes, réparties dans toute l’Italie, mais surtout à Rome.

7Contrairement à ce qui fut prétendu au lendemain de la guerre, dans un esprit de réconciliation facilité par les menaces de la Guerre Froide, cette persécution ne fut pas imposée par les nazis : on assista à un début de discrimination dès la signature des accords du Latran (1929) avec l’Église catholique et au cours des années 1930. La campagne de presse antijuive coïncidait, en outre, avec l’inspiration raciale et coloniale de la guerre d’Éthiopie, en 1936, et la montée du nationalisme. Il s’agissait d’affirmer la supériorité de l’homme blanc fasciste.

8La Dichiarazione sulla Razza fixait les grandes lignes de la doctrine antisémite, alors que des mesures étaient déjà mises en œuvre depuis septembre 1938 ; d’autres trains de mesures de plus en plus restrictives allaient suivre (recensement sur base raciste en 1938) : elles interdisaient aux Juifs de pratiquer certaines professions, et aux enfants et jeunes juifs de fréquenter les écoles et universités. Les mariages mixtes étaient interdits. Les Juifs ne pouvaient pas employer du personnel chrétien. Dès lors, de nombreux Juifs, ceux qui le purent (autour de 6 000), quittèrent l’Italie, des intellectuels, des artistes, des scientifiques…

9Avec l’entrée en guerre de l’Italie, en 1940, environ 50 camps d’internement furent créés où étaient enfermés des Juifs étrangers (qui avaient fui l’Allemagne nazie) et quelques Italiens. Des camps d’internement furent également mis en place dans les zones occupées par l’Italie (Grèce, Yougoslavie).

10Avant la chute du fascisme (le 25 juillet 1943, à la suite du débarquement allié en Sicile, Mussolini démissionne : il est arrêté sur ordre du roi), il n’y avait pas eu d’assassinats ou de déportations de Juifs ; celles-ci furent organisées, après l’armistice séparé de l’Italie avec les Alliés, le 8 septembre 1943, lors de l’occupation de l’Italie par les troupes nazies (septembre 1943 – mai 1945) et l’instauration dans le nord-est de l’Italie de la Repubblica Sociale Italiana (ou Repubblica di Salò) à la tête de laquelle fut mis un Mussolini libéré par les Allemands mais désormais otage d’Hitler. Dès lors, la « solution finale » devait être appliquée également en Italie, principalement par les SS et la milice fasciste. Le seul camp d’extermination, la Risiera di San Sabba, à Trieste, fonctionna d’octobre 1943 jusqu’à avril 1945 : 5 000 personnes y furent assassinées (Juifs, partisans, prisonniers politiques).

11Un des événements les plus impressionnants fut la rafle de l’ancien ghetto de Rome, le 16 octobre 1943 : un millier de Juifs romains furent raflés et déportés à Auschwitz. Des massacres furent également perpétrés par les troupes nazi-fascistes (Lac Majeur, Sant’Anna di Stazzema, Fosse Ardeatine…) dans plusieurs régions de l’Italie occupée.

12Au total, à la fin de la guerre, près de 8 600 Juifs d’Italie et des régions françaises et grecques avaient été déportés à Auschwitz. 506 personnes furent envoyées dans d’autres camps (Bergen-Belsen, Buchenwald, Ravensbrück et Flossenbürg) en tant qu’otages, prisonniers politiques avec parmi eux des Juifs de Lybie. 300 juifs furent abattus ou moururent dans les camps de transit.

Le Mémorial et le Centre de Documentation Juive Contemporaine

13Le projet d’une Fondation Mémorial de la Shoah remonte à 2007 : il s’agissait de la concevoir comme un lieu de mémoire, comme un laboratoire pédagogique et de recherche. La première pierre a été posée le 26 janvier 2010. Le Mémorial est inauguré le 27 janvier 2013.

14La Bibliothèque du Centre de Documentation Juive Contemporaine (Centro di Documentazione Ebraica Contemporanea) fondé dès 1960, a été installée dans ces nouveaux locaux, en 2022. Le vaste auditorium « Joseph et Jeanne Nissim », avait été inauguré en 2013.

15L’entrée du Mémorial se trouve sur la place située parallèlement et en contrebas des voies qui sortent de la gare centrale. La particularité de ce lieu est qu’il a gardé, à part l’aménagement muséal, son aspect authentique et sinistre.

16Lorsqu’on parcourt la rampe d’accès, on parvient devant un mur qui porte l’inscription : INDIFFERENZA (indifférence), la condition principale qui favorisa l’application des mesures discriminatoires et la durée du fascisme pendant plus de vingt ans !

17Les premières étapes de la visite prévoient le passage par un Observatoire où l’on projette un film qui montre le mécanisme du monte-wagons qui permettait à ceux-ci d’être hissés au niveau de la gare entre les voies 18 et 19, en vue de la formation des convois, à l’insu du public qui ignorait tout de cette structure. La passerelle qui mène à l’Observatoire est entourée de plates-bandes faites de cailloux, pour évoquer non seulement les voies de chemin de fer mais le rite juif de poser des cailloux sur les tombes.

18Des cabines permettent de voir un certain nombre de documentaires, d’interviews sur la Shoah.

19On aperçoit ensuite le quai d’embarquement des déportés et des wagons de marchandises de l’époque : dans chacun d’eux étaient entassées 60 à 80 personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards qui allaient voyager pendant des jours, dans des conditions inhumaines.

20On y lit 774 noms. Ce sont ceux des deux premiers convois (6 décembre 1943, 30 janvier 1944). Les 27 noms en couleur sont ceux des survivants.

21Ferruccio de Bortoli, président honoraire de la Fondation, rappelait dans quel esprit fut créé ce Mémorial : « Le souvenir nous protège des dérives idéologiques, des poussées de haine et de soupçon. La mémoire est un vaccin culturel qui nous immunise contre le virus de l’antisémitisme et du racisme ». Comme nous le savons, Primo Levi, survivant d’Auschwitz, nous enjoignait de réfléchir sur notre condition humaine à la lumière de la Shoah, avec ses témoignages bouleversants, Si c’est un homme, La Trêve, Les Naufragés et les Rescapés : son exemple a été suivi, puisque des groupes de jeunes écoliers et d’étudiants viennent réfléchir sur l’histoire de notre temps, en ce lieu si poignant, inoubliable dans sa nudité.