1Annalisa Comes, qui nous a accordé un article pour notre numéro précédent, a eu la bonne idée de m’envoyer l’ouvrage de Jacqueline Schulhof Blum qu’elle a édité, d’abord en Italie (Lit Edizioni, Rome, 2022) puis aux éditions Le Manuscrit. Immédiatement, le nom Schulhof retint mon attention : je me souvins de la lecture d’un autre livre de Ginette Hirtz, née Schulhof, Les hortillonnages sous la grêle, Histoire d’une famille juive en France sous l’occupation (Paris, Mercure de France, 1983) et de ma rencontre suivie d’autres entretiens avec cette auteure, dans les années 1980. Il s’agissait bien de la même famille, de deux sœurs qui vécurent les mêmes instants tragiques de leur vie de jeunes filles et qui pourtant les restituent différemment. Preuve en est que la mémoire est personnelle et individuelle, ce dont doit tenir compte l’historien qui à son tour restitue des événements passés.

2Comme le titre du livre de Ginette Hirtz le suggère, ce que vécut Jacqueline Schulhof-Blum est l’« histoire d’une famille juive sous l’occupation », histoire ordinaire faudrait-il ajouter ? Presque, en effet. La famille se compose des parents, bien intégrés dans la société française au point d’être trop confiants en la France de Vichy, des trois enfants, Ginette, Jacqueline ou Zaza et Pierre (Claude dans le livre de Ginette), et de la grand-mère, Louise. En outre, elle recueille un petit réfugié autrichien dont les parents sont déjà arrêtés.

3Les jours d’avant sont toujours de doux souvenirs : « J’ai été une petite fille heureuse. Et une petite fille chanceuse parce que ma famille était très unie » (p. 18), comparativement aux jours de la guerre et même de l’après-guerre lorsqu’il faut vivre l’absence, la béance provoquée par l’assassinat des êtres chers. Les jours d’avant, c’est aussi la grande amitié qui la lie à son amie Denise dont la famille accorde une sympathie durant les jours de la guerre. Ces jours-là, il faut quitter Amiens et c’est aussi l’arrestation et l’internement à Poitiers, Drancy, Pithiviers puis, inattendue, la remise en liberté et le retour à Amiens où le drame arrive.

4Le 4 janvier 1944, une rafle vide la ville de ses derniers juifs dont la famille Schulhof. En cas d’arrestation, Raymond et Lucie avaient organisé la fuite : une échelle avait été placée près d’une fenêtre pour disparaître par les toits. Sportive, Zaza saute et se faufile à travers ces toits puis perd Ginette et son frère qui eux aussi ont sauté mais se sont arrêtés un court instant car ils s’aperçoivent que ni Raymond, ni Lucie, ni encore moins Louise et le petit Georges ne les suivent. C’est alors que Ginette réalise que la disparition de toute la famille par la fenêtre est illusoire, témoignage de Ginette et non de Zaza qui, plus rapide, devance sa sœur et son frère et se retrouve seule. En vain, elle tente d’obtenir de l’aide chez des voisins que la peur étreint : ils ne peuvent, ne veulent (?) rien faire.

5Errante, elle finit par rejoindre Ginette et Pierre. Commencent alors les jours de la clandestinité. Deux lettres rédigées par Raymond et lancées du train parviennent aux enfants. Il donne ses dernières recommandations voire instructions pour vivre coûte que coûte. Jacqueline s’attarde moins que sa sœur sur les difficultés qu’elles rencontrèrent pour assurer leur clandestinité à une quarantaine de kilomètres de Paris : les amis d’avant la guerre ne furent pas les plus sûrs pour les aider. Zaza reste toujours la plus vive et Ginette la plus mesurée dans les décisions à prendre.

6Après le débarquement, c’est le retour à Amiens : « Notre maison a été fouillée, pillée. Nous retrouvons certaines choses chez des voisins ! » (p. 77). Comme pour tous les rescapés des rafles ou des camps d’extermination, la « joie folle » de la Libération n’est pas partagée par la fratrie qui reçoit « l’acte officiel de la disparition de Raymond, Lucie, Louise et Georges » (p. 81) le 6 juillet 1946. Pour Jacqueline, les jours d’après sont enrichis par la sculpture : le chapitre XII livre plusieurs clichés de sa production.

7Annalisa Comes, l’amie et l’éditrice, ajoute des annexes sur les endroits mentionnés dans le récit de Jacqueline, sur les victimes la rafle du 4 janvier 1944 à Amiens et sur les convois cités.

8Plus de 80 ans après les faits, ce témoignage qui complète celui de Ginette Hirtz publié il y a 40 ans, a son importance à double titre : d’abord rapporter l’histoire d’une famille juive victime de la persécution raciste et antisémite, ensuite apporter une touche personnelle dans les souvenirs de famille. Les sensibilités ne sont pas les mêmes, les retours dans le passé ne se ressemblent pas toujours. L’Histoire, avec sa grande H, s’en trouve enrichie.