• 1 Il s’agit de : Theodor Lessing, Eindrücke aus Galizien, in : Allgemeine Zeitung des Judentums, 73.J (...)

2Pour les lecteurs de Tsafon, on pourra conseiller la lecture des cinq articles que Theodor Lessing publia en 1909 sur son voyage à Cracovie1. Envoyé par la revue juive la plus importante de l’époque, la Allgemeine Zeitung des Judentums, afin de s'informer sur les écoles existantes à Cracovie, Theodor Lessing publie une série d’articles dans laquelle il dresse un portrait à la fois sévère et compatissant de ceux qu'il considère comme « ses frères de l'Est ». Theodor Lessing insiste ainsi sur la pauvreté matérielle et la misère physique et intellectuelle qui l'accompagne. À Cracovie, c'est la saleté qui règne, que ce soit dans les auberges, dans les Heder où on enseigne aux enfants le Talmud, dans une des nombreuses synagogues décrite comme un « bâtiment humide semblable à une cave » où les hommes, avant de prier, se lavent les mains et se les essuient avec « l'unique serviette à l'aspect indescriptible » : le quartier juif est « infiniment sale », les ruelles sont « épouvantables », les habitations de véritables « trous ». Theodor Lessing n’hésite pas à utiliser le terme de « dégénérescence » (alors très en vogue) pour décrire les habitants du ghetto, les hommes semblent tous malades, les enfants apparaissent « malingres », leurs visages sont blafards. À cette misère matérielle et physique, Theodor Lessing ajoute ce qu'il considère être une décadence morale, qu’il décrit notamment dans son article consacré à la prostitution.

• 2 Rachel Ertel, Le Shtetl - La bourgade juive de Pologne, Payot, Paris, 1986, p. 61.
• 3 Bertha Pappenheim / Dr Sara Rabinowitsch, Zur Lage der jüdischen Bevölkerung in Galizien - Reise-Ei (...)

3Si le tableau dressé par Theodor Lessing peut sembler implacable, deux remarques doivent être ici apportées. D’une part, et quoi qu’on puisse le déplorer, ces descriptions sont étayées par les recherches contemporaines, on peut citer ici Rachel Ertel qui, dans son récit du shtetl de Pologne, parle d'une détérioration dramatique de la situation des Juifs de Galicie au début du XX^e siècle et souligne que « leur paupérisation était plus marquée que celle de la population générale car il leur manquait la campagne qui servait pour l'ouvrier polonais ou ukrainien d'arrière-pays économique »2. On peut également évoquer ici le rapport rédigé par Bertha Pappenheim (la légendaire Anna O. de Sigmund Freud) qui avait été chargée par l' « Organisation d'aide israélite » de Francfort-sur-le-Main et le « Comité juif de lutte contre la traite des blanches » d’enquêter Sur la situation de la population juive en Galicie3. Bertha Pappenheim décrivait elle aussi la misère et la saleté et s’arrêtait plus longuement sur le sort dramatique des jeunes filles et la prostitution. D’autre part, Theodor Lessing, qui insiste à plusieurs reprises sur le fait qu'il ne faut pas juger les Ostjuden « selon des conceptions d'Européens occidentaux » (tout en reconnaissant qu'il ne les partage que trop), n’en reste pas à un constat de désolation mais réclame des solutions pour enrayer cette misère, considérant qu’il est du devoir de tout Juif occidental de venir en aide à ses « frères de l'Est » et concluant ses articles par un appel à « une main solide et puissante, un assainissement social conséquent [qui] seraient indispensables pour aviver chez les Juifs galiciens de nouvelles forces ethniques, pour revivifier les valeurs morales et intellectuelles ». Et c’est dans cette optique que s’inscrit son engagement sioniste.