1Marek Edelman, militant bundiste de premier rang, rescapé de la liquidation du ghetto de Varsovie et de la lutte pour la libération de la Pologne, est bien connu pour être l’auteur, dès les premiers jours d’après-guerre en 1945 de : Le Ghetto brûle. (La participation du Bund à la défense du ghetto de Varsovie), Varsovie, C.K. Bundu. Il avait compris, comme ses camarades de combat disparus dans la lutte du ghetto (Ringelblum, par exemple), l’importance de compiler les témoignages sur les massacres opérés par les nazis et leurs alliés, nombreux parmi les Ukrainiens, les Lituaniens. Mais tout n’avait pas été dit, écrit. Edelman avait aussi rédigé des carnets où il avait consigné ses souvenirs sur la vie, la survie dans le ghetto. Des carnets qui avaient été refusés à la publication par le régime communiste polonais, en 1967, lors de la campagne anti-sioniste et antisémite de l’État acquis au stalinisme.

2Son fils Aleksander les découvre lors du décès de son père, en 2009, en Pologne. Ils avaient été sauvés de justesse de la destruction dans une poubelle. 1967, retour de mémoire pour le fils : une discussion entre ses parents atterrés par le refus de la presse proche du pouvoir. « Les carnets ont été écrits à la fin de l’année 1967. Certainement pendant la période où il était sans travail » (avant-propos, p. 11) car le combattant du ghetto, le partisan pour la libération de la Pologne a toujours refusé de quitter son pays. Il n’a jamais renoncé à son espoir d’y vivre en paix. Les carnets ont encore dormi quelque temps à Paris, chez son fils jusqu’à ce que ce dernier rencontre Constance Pâris de Bollardière, historienne du Bund, et se décide, « conscient de l’importance de la transmission de la mémoire », à les publier.

3L’édition est remarquable car non seulement elle livre un témoignage crucial sur l’engagement des bundistes dans la lutte contre le nazisme et dans la survie des Juifs du ghetto de Varsovie mais elle donne à lire de nombreux événements historiques concernant le Bund et le ghetto grâce à un travail rigoureux de Constance Pâris de Bollardière. Elle a rédigé les 22 pages de l’introduction qui est plus qu’une présentation ; il s’agit d’une étude méticuleuse sur Marek Edelman, notamment ses entretiens avec Hanna Krall l’écrivaine et journaliste qui brava le pouvoir dans les années 1970-1980 pour éditer les récits du « dernier commandant du soulèvement du ghetto de Varsovie, ultime représentant du Bund polonais » (p. 17). Elle relève les renseignements apportés dans les carnets tant sur le Bund que sur le ghetto, elle propose « un nouveau regard sur Marek Edelman » (p. 3) connu jusqu’à présent pour son tout premier témoignage : Le Ghetto brûle, et replace l’apport de ce témoignage dans la mémoire et l’histoire du Bund en Pologne. Le travail de l’historienne ne s’arrête pas à l’introduction, il se prolonge par l’abondance de notes (32 p.), par une chronologie et des biographies des principaux bundistes cités par Edelman (25 p.). Au total, l’étude des carnets occupe autant de pages que les carnets eux-mêmes.

4Les souvenirs d’Edelman remontent à 1939 et l’on suit au fil des pages les difficultés que les bundistes doivent surmonter : les affres de la vie clandestine, les menaces de chaque instant, les tentatives souvent désespérées pour sortir des camarades ou de simples voisins de la file des déportables et des déportés, l’organisation des militants, la neutralisation de la police juive et des mouchards, le suicide de Czerniakow, président du Judenrat, le 23 juillet 1942. Il s’agit bien de souvenirs, de mémoire puisque le troisième carnet porte la mention : « Lodz, années 1960 » (p. 115) mais ils apportent un témoignage incontournable pour la connaissance de l’histoire du Bund et du ghetto de Varsovie. Toutefois, le témoignage semble incomplet puisqu’à ces derniers mots, Edelman ajoute « Je jure solennellement que la fin sera sûrement ajoutée » (p. 115). Qu’en est-il de cette fin ? A-t-elle été « ajoutée » ? Aucune réponse. Peut-on espérer l’existence cachée d’autres carnets ?

5Quoi qu’il en soit, le sauvetage de ces trois carnets de Marek Edelman, leur publication décidée par son fils Aleksander et leur présentation et commentaire par Constance Pâris de Bollardière sont essentiels pour la mémoire et l’histoire.