1Ce numéro de la revue de l’Amitié judéo-chrétienne de France retient notre attention car il est entièrement consacré aux Justes parmi les Nations, en France. Le dossier débute par quatre études d’historiens puis suivent des témoignages de sauvetage et des récits sur des enfants cachés.

2Annette Becker prend l’exemple de Jan Karski pour « Devenir un Juste parmi les Nations ». Karski fut le « messager » de la Catastrophe pendant et après la Shoah. Témoin de l’extermination des Juifs durant la guerre, il ne fut pas écouté, ni à Londres, ni à Washington, ses avertissements étaient inaudibles. Mais ses paroles étaient la preuve de l’assassinat d’un peuple et parler était un devoir pour lui. La reconnaissance de sa « mission » tarde : il fut reconnu Juste parmi les Nations en 1982 et fait citoyen d’honneur de l’État d’Israël en 1994, entre-temps, Claude Lanzmann l’a interrogé pour son documentaire Shoah, sorti en 1985. A. Becker retrace l’évolution de Yad VaShem dans son attribution du titre qui ne fut pas linéaire : le procès Eichman en 1961 constitue une étape dans la prise de conscience des dangers encourus par les sauveteurs.

3Bernard Delpal étudie « le sauvetage et la survie des Juifs ». Il rappelle l’historique du concept de Juste parmi les Nations qui concerne d’abord un acte désintéressé accompli par une personne physique non juive au péril de sa vie. Le témoignage doit provenir d’un, voire plusieurs, Juif sauvé. Mais peu à peu les critères s’avèrent trop stricts et des villes et/ou des villages reçoivent un témoignage de reconnaissance comme c’est le cas, en France, du Chambon-sur-Lignon dont les habitants se mobilisèrent autour de leurs pasteurs pour cacher des enfants juifs. Finalement les débats tournent autour de la définition du sauvetage : un simple petit geste peut être riche de conséquences salvatrices ou le silence des voisins est tout aussi positif. Ces gestes, ces postures bien que salvateurs ne sont pas reconnus par Yad VaShem. Des sauveteurs, bien peu fortunés, ont parfois accepté une rémunération fort utile en ces temps de disette et lorsqu’il fallait nourrir des enfants qui n’avaient pas de carte d’alimentation. Bien des sauveteurs restent méconnus et non-reconnus. Enfin l’héroïsation des Justes parmi les Nations, qui méritent indubitablement d’être honorés, ne doit pas occulter la déportation et l’assassinat de plus de 75 000 Juifs.

4De même Patrick Cabanel, l’historien des Justes parmi les Nations et du protestantisme en France, regrette que trop de sauveteurs restent inconnus. Actuellement, ce sont des enfants qui peuvent témoigner de leur sauvetage. Or beaucoup d’entre eux étaient trop jeunes pour connaître le nom de leur bienfaiteur et pour être capable d’en restituer le courage plus de 80 ans après. Il est donc difficile de répondre avec précision à la question « Qui sont les Justes ? » et le comptage de leur nombre varie selon les pays. « Autant dire que ce n’est pas en passant par les Justes que l’on peut comprendre l’ampleur et la nature du sauvetage de juifs dans un pays donné » (p. 543). Par ailleurs, une étude sociologique montre que « la générosité désintéressée, le courage, l’altruisme, ne sont l’apanage d’aucun territoire, milieu social ou intellectuel, âge ou genre » (p. 544). Et l’on pourrait ajouter des religions même si les protestants ont plus souvent mieux compris le danger que des catholiques ou des agnostiques ou athées.

5Quant à Cindy Biesse, elle présente « le microsome du sauvetage en France » en étudiant l’exemple de la région Rhône-Alpes, reprenant ainsi une bonne part de sa thèse sur le même sujet et soutenue en 2015. Elle insiste sur la particularité de la région : étendue, milieux urbains mais aussi montagnards propices au refuge, centre de la résistance juive et chrétienne qui favorise la mise en place de réseaux. On peut regretter l’absence de notes citant des références bibliographiques et des sources.

6Ces quatre études ont le mérite de faire réfléchir sur la notion de Juste parmi les Nations, sur la compréhension du sauvetage par l’institut qui décerne le titre et sur la face cachée des sauvetages qu’il est parfois bien difficile de cerner.

7Suivent des exemples de sauvetages : « une famille de Justes » à Montpellier (par C. Iancu), la survie mouvementée d’un enfant caché (par M. Chenitzer), les enfants juifs cachés à Saint-Christophe-des-Bois (par M. Godet), les Justes parmi les Nations de Vendée, trop peu connus (par B. Bulteau) et un entretien avec J-L Coatrieux sur des enfants cachés et des Justes (par A. Bensoussan).