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À travers les livres

Maurice Samuels (textes réunis et présentés par), Les grands auteurs juifs de la littérature française au XIXe siècle, nouvelles, une anthologie, Paris, Hermann, 2015

Danielle Delmaire
p. 185 - 186

Texte intégral

Maurice Samuels (textes réunis et présentés par), Les grands auteurs juifs de la littérature française au XIXe siècle, nouvelles, une anthologie, Paris, Hermann, 2015, 134 p., 22 €

1L’utilisation de stéréotypes antijuifs par d’illustres écrivains français du XIXe siècle est bien connue (Balzac, Stendhal, Maupassant ou encore Marx, Fourrier et Toussenel pour les socialistes), stéréotypes qui trahissent une répulsion mêlée d’attirance. Les réactions des auteurs juifs, mineurs il est vrai, pour contrebalancer cet antijudaïsme sont moins étudiées. C’est ce vide que Maurice Samuels, professeur à l’université de Yale, spécialiste de la culture française et des études juives au XIXe siècle, comble avec son étude suivie d’une anthologie des « grands auteurs juifs de la littérature française au XIXe siècle ». La présence juive ne touche pas la seule littérature mais concerne aussi la musique, que l’on songe à La Juive (1835) de Fromenthal Halevy, et le théâtre, la comédienne Rachel revendique son appartenance au judaïsme.

2Dans une introduction d’une dizaine de pages, l’auteur livre une petite histoire littéraire des romans juifs du XIXe siècle, écrits à partir d’une fiction romanesque élaborée par des auteurs juifs, en France : « Une littérature écrite par des juifs au sujet des juifs et qui ne se base pas sur des sources bibliques » (p. 12). Elle se distingue de la littérature moderne en hébreu ou en yiddish qui se développe en Europe centrale à partir du milieu du XIXe siècle. Cette littérature juive de France éclot dans le contexte de l’émancipation des juifs qui permet leur entrée dans la nation française, notamment sous la Monarchie de Juillet jusqu’au Second Empire. C’est l’époque des Rothschild ou des Péreire mais aussi de Michel Goudchaux et d’Adolphe Crémieux, premiers juifs à accéder à de hautes responsabilités ministérielles, sous la Seconde République. La Troisième République de la fin du XIXe siècle fut, à l’inverse, la période d’une déferlante antisémite. À cette introduction fait suite une anthologie de textes qui occupe une centaine de pages et enfin l’ouvrage se termine sur les biographies des auteurs cités.

3Cette littérature informe sur la mentalité de la communauté juive de France lorsque les effets de l’émancipation se font sentir. Ceux-ci peuvent se résumer à un tiraillement entre la fidélité au judaïsme et l’aspiration à se détacher de la religion des pères, pour mieux se fondre dans la société majoritairement catholique qui, en outre, connaît un réveil attractif, en cette même période. Les œuvres proposées ici se situent, chronologiquement, avant l’émergence des grands poètes juifs qui revendiquent leur judaïsme, comme André Spire ou Edmond Fleg. Cinq auteurs sont retenus par Maurice Samuels : Eugénie Foa (1796-1853), belle-sœur de Fromenthal Halevy, Ben-Lévi (1806-1878), pseudonyme de Godchaux Baruch Weil, Ben Baruch (1791-1872), pseudonyme d’Alexandre Créhange, Alexandre Weill (1811-1899) et David Schornstein (1826-1879). Ces auteurs, qui publient dès 1830 (comme en musique avec Fromenthal Halevy), sont des romanciers mais quelques-uns sont aussi des publicistes qui signent dans les deux titres de la presse juive apparue dans les années 1840 : Les Archives israélites (1840) et L’Univers israélite (1844).

4La seule femme, Eugénie Foa, entretient des relations tendues avec la communauté juive et, abandonnée par son mari, elle mène une vie qui l’émancipe de toute autorité masculine. L’écriture lui en fournit l’occasion. Dans La Kalissa, elle présente des scènes de mœurs hébraïques, qu’elle condamne, et elle dénonce l’iniquité du sort réservé à la femme violée. Toutefois, la mixité d’un couple n’aplanit pas les aspérités de la vie, dans Rachel ou l’héritage. Eugénie Foa se laisse influencer par l’orientalisme, à la mode dans les années 1830-1840.

5Les autres auteurs se cantonnent dans une littérature populaire, du village juif d’Alsace ou de Lorraine ou de la petite communauté juive, un peu à la manière de George Sand. Ben-Lévi s’épanche sur la Grandeur et [la] décadence d’un taleth polonais : en trois générations, le taleth vénéré devient un objet inutile et encombrant, bon à jeter ! Tandis que dans Le décret du 17 mars, le même auteur s’attarde sur le désarroi des petits commerçants juifs qui eurent à subir les conséquences néfastes du décret napoléonien du 17 mars 1808. Le décret « infâme » ruinait les petits prêteurs juifs. Ben Baruch est l’auteur de la nouvelle : Le prédicateur et le soufflet, conte imité du polonais, où, peut-être sous l’influence de la littérature hébraïque naissante en Europe, il glisse quelques mots et expressions en hébreu. Braendel d’Alexandre Weill est l’exemple de la nouvelle de village où s’opposent partisans de la tradition religieuse et adeptes de la modernité. L’amour de deux jeunes gens, enjeu de ces tensions entre deux mondes, ne résiste pas aux conflits de la communauté. La nouvelle se termine sur la disparition de la jeune fille non sans rappeler la légende du dibbouk. Enfin David Schornstein s’amuse avec le récit des déboires d’un petit escroc que ses appétits financiers finissent par perdre. Là encore, le quotidien et les querelles du village occupent une grande place.

6Maurice Samuels exhume avec bonheur une littérature oubliée pourtant riche d’enseignement sur la mentalité de juifs de France, juifs émancipés ou qui veulent l’être et juifs rétifs à l’émancipation.

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Pour citer cet article

Référence papier

Danielle Delmaire, « Maurice Samuels (textes réunis et présentés par), Les grands auteurs juifs de la littérature française au XIXe siècle, nouvelles, une anthologie, Paris, Hermann, 2015 »Tsafon, 71 | 2016, 185 - 186.

Référence électronique

Danielle Delmaire, « Maurice Samuels (textes réunis et présentés par), Les grands auteurs juifs de la littérature française au XIXe siècle, nouvelles, une anthologie, Paris, Hermann, 2015 »Tsafon [En ligne], 71 | 2016, mis en ligne le 27 mai 2023, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/tsafon/8810 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tsafon.8810

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