• 1 https://lareviewofbooks.org/article/why-has-capitalism-run-out-of-steam/ ; https://www.newyorker.co (...)

1À quoi ressemblera le monde du travail de demain ? Chacun à sa manière, les deux livres sus-mentionnés contestent le discours dominant sur son automatisation inévitable. En raison de leur publication quasi simultanée dans le monde anglo-saxon, et de la similarité de leurs conclusions, ils ont été plutôt traités ensemble, notamment dans des recensions généreuses dans The Los Angeles Review of Books et The New Yorker1. Alors que Benanav a reçu une formation assez classique en sciences économiques à l’université de Chicago, Jason Smith vient d’une discipline aux antipodes : l’histoire et la philosophie de l’art. Pour ce qui concerne les autres contributeurs à ce dossier thématique, si Moraitis et Copley sont économistes, et Roth un sociologue avec une formation d’économiste, Harvey, Horgan et Read, par contre, sont philosophes. Force est de reconnaître qu’ici, économistes, sociologues et philosophes interviennent sur le même objet à titre d’égalité, fait assez rare pour qu’on le souligne, et qui m’encourage à apporter mon grain de sel à une question d’une envergure certaine.

• 2 On peut lire un bon résumé du livre de Jason E. Smith dans l’entretien avec lui paru dans le numéro (...)

2Les deux auteurs voient l’origine de la stagnation actuelle dans la baisse structurelle de la productivité, mais avec des explications différentes : Benanav met l’accent sur la surcapacité à l’échelle mondiale, alors que Smith l’explique par la montée du travail improductif, ce qui entrave le processus d’accumulation du capital. Leurs contributions dans le présent numéro de Variations apportent des éclaircissements quant à leurs positions théoriques respectives (celle de Jason Smith est en partie une réponse à la critique de Bo Harvey2). Jason Read n’a pas été le seul à parler, certes dans un blog qui consigne ses notes de recherche au fil de l’eau, de « deux livres [qui] se complètent bien […] : […] sans couvrir exactement le même terrain, [ils] se chevauchent trop pour qu’on puisse provoquer un débat entre eux ». Pour des raisons stratégiques, j’aimerais prendre justement cette appréciation à rebours, et pointer au contraire quelques enjeux théoriques à même de provoquer un débat entre deux livres dont la lecture croisée s’impose.

• 3 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (traduction : Germain (...)

3L’argument de Smith s’appuie sur l’articulation de deux théorisations inabouties (et controversées) de Marx : la distinction entre travail productif et travail improductif d’un côté, et baisse tendancielle du taux de profit de l’autre. La première est peu explorée par des économistes marxistes, probablement en raison des exemples datés utilisés par Marx et des flottements dans son argument, alors que pour des économistes académiques, la distinction en question se fond dans la division mondiale du travail. Schématiquement, Marx suit Adam Smith en affirmant que seul le travail créant de la survaleur qui peut être réinvestie est « productif ». Le travail « improductif » ne fait que consommer les revenus de ceux qui les paient : le modèle pour Adam Smith est le travail du domestique, dont « [les] services disparaissent ordinairement à l’instant même où ils sont rendus, et laissent rarement une trace ou une valeur »3. De son côté, Marx écrit :

• 6 Voir l’article de Jason Smith dans ce numéro. Cf. aussi : « En concordance avec les tendances à plu (...)
• 7 Ce qui complique l’argument ici, c’est un autre concept marxien : celui des « faux frais de product (...)

5Encore une fois, la distinction établie par Adam Smith s’évapore à mesure que les « services » d’autrefois intègrent l’économie des « profits » (Marx ne parle pas de survaleur), et deviennent même exportables en étant incarnés par des personnes salariées porteuses du génie de chaque pays. L’échelle passe subitement de la prestation de service pour un capitaliste individuel à une catégorie de l’économie nationale. Le regroupement – indu, voire bizarre pour le lecteur d’aujourd’hui – des « comédiens, musiciens et prostituées » exprime néanmoins le sous-développement de cette catégorie du temps de Marx. On est loin de la généralisation d’un secteur qui comprend jusqu’à 80% des emplois dans certaines économies avancées d’aujourd’hui, même si son unité générique est contestée par Jason Smith6. Dans ce contexte, la distinction classique d’Adam Smith et l’élargissement marxien de la notion de travail productif n’opèrent plus7.

• 9 Cette articulation théorique doit désormais tenir compte des thèses marxistes et féministes de Rosw (...)

7Il manque alors une articulation théorique entre la première définition de Marx de travail improductif, influencée par celle d’Adam Smith, et calquée sur le service domestique payé directement par le bénéficiaire, et une définition qui englobe un secteur entier de l’économie, celui dit « improductif », dont la « profitabilité » est rendue possible par la survaleur produite ailleurs9. Problème relevé par Jason Smith quand il parle du travail « improductif » dans les services, « secteur » caractérisé néanmoins par sa « productivité faible ».

• 10 Jason E. Smith, https://journals.openedition.org/variations/2028

8La « solution » à cette contradiction se trouve peut-être dans la distinction faite par Marx entre les formes de subsomption formelles et réelles au capital (dans le fameux chapitre VI inédit du Capital). Le secteur « improductif » des services ne permet pas l’accumulation du capital, c’est-à-dire que les profits ne sont pas réinvestis dans un quelconque processus de production qui produit de la valeur. Le travail improductif devient « productif » dès lors qu’il y a subsomption formelle au capital, qui ne produit que de la survaleur absolue, sans innovation technologique ni transformation organisationnelle. La distinction est analytique et non empirique ; le terme « improductif » ne désigne pas ici une catégorie comptable, mais un secteur d’une faible productivité relative. Comme le dit Jason Smith dans son entretien avec Tony Smith : « Les gains de productivité dans les activités productives de valeur […] tendent à s’accroître plus vite que celles qui distribuent de la valeur. L’expansion relative du secteur non productif qui en résulte exerce une pression écrasante vers le bas du taux de profit global10. » Autrement dit, la part nécessaire de l’économie consacrée à la réalisation de la valeur, notamment les emplois dans le processus de circulation, devient plus importante que celle consacrée à la production de valeur. La baisse du taux de profit fait diminuer le taux d’investissement, ce qui ralentit l’accumulation du capital, justement parce que les services génèrent des coûts de fonctionnement additionnels à financer avec la somme totale de survaleur. Le résultat est ce que Jason Smith appelle « une économie impitoyablement stagnante ».

• 11 C’est ce qu’implique Marx – si l’on veut bien - quand il écrit : « Le capital se subordonne d’abord (...)
• 12 Jason E. Smith, article dans ce numéro.
• 13 Voir le livre classique du psychiatre Christophe Desjours, Souffrance en France. La banalisation de (...)

9Même dans une économie développée, selon les circonstances politiques et les rapports de force entre capital et travail, la production capitaliste peut recourir à la survaleur absolue comme méthode d’accroître le taux d’exploitation11. Cela étant dit, la survaleur absolue ne provient pas uniquement de l’allongement de la journée de travail. Comme l’affirme Jason Smith : « on peut également concevoir la survaleur absolue dans le contexte de l’exploitation intensive, où le rendement est augmenté non en allongeant la durée du travail, mais en accélérant son rythme. […] [A]lors que les innovations technologiques pour faire accroître la productivité ne connaissent pas de limites intrinsèques, l’intensification du travail rencontre ses limites dans les corps brisés des travailleurs12. » S’agissant du travail dans les services, Smith aurait pu parler en plus des esprits brisés, des limites non pas physiques, mais psychiques à l’extraction de la survaleur absolue, comme en témoigne l’épidémie contemporaine des cas de burnout, et de dépression nerveuse, voire des suicides sur le lieu du travail13.

• 15 On pourrait citer également à cet égard le boson de Higgs, postulé mathématiquement en 1964 avant d (...)

11La « preuve » de la baisse tendancielle du taux de profit serait donc indirecte : la baisse du taux d’investissement « productif » des entreprises en faveur des rachats des actions propres, et la montée correspondante du capital fictif. Passer par des indices indirects pour étayer des hypothèses scientifiques n’est pas une démarche illégitime : pendant longtemps, le trou noir n’était qu’une construction mathématique, puis une prédiction logique de la théorie de la relativité à même d’orienter la recherche observationnelle ; jusqu’à 2016 (première détection) et à 2019 (première image captée), la preuve de son existence restait néanmoins indirecte (observation de disques d’accrétion externes)15. À cela s’ajoute, à la différence des sciences naturelles, le facteur historique dans l’argument marxien : il s’agirait d’une tendance qui ne se réalise pleinement que dans la mesure où la logique interne du capitalisme se déploie sans entraves, ne devenant « visible » que dans son état crépusculaire, tel l’envol mythique de la chouette de Minerve.

• 16 Selon Anselm Jappe, Marx « ne se posait pas le problème, parce qu’il s’attendait, comme l’ont fait (...)
• 17 Voir notamment le débat entre David Harvey et Michael Roberts, consultable ici : http://davidharvey (...)

12Le Capital est marqué par une forte tension entre ses parties logiques (et anhistoriques) et historiques ; il n’est pas clair si Marx place la baisse tendancielle du taux de profit dans la première ou la seconde catégorie. La dernière requiert une mise à jour constante, parfois même une correction ou une réévaluation, mais l’argument logique, qui est parfois non abouti ou lacunaire, a toujours résisté aux tentatives d’historicisation, comme en témoigne le problème pérenne de la périodisation du capitalisme. Plus précisément, comme le demande Bo Harvey, faut-il qualifier la crise actuelle d’historique (une crise parmi d’autres) ou de structurelle (une crise finale, impossible à résoudre dans le cadre du mode de production capitaliste) ? Il serait peut-être utile ici de mobiliser le concept avancé par Robert Kurz de « borne interne » ou de « limite absolue » du capitalisme, qui se manifeste dans la chute de la masse de valeur, et pas seulement du taux de profit16. Ainsi, c’est lorsque la baisse tendancielle du taux de profit prend la forme d’une chute durable de la masse de valeur qu’on pourrait parler de limite absolue du capitalisme, de crise structurelle finale. Mais ce débat est loin d’être tranché chez les économistes se réclamant de Marx17. Smith a l’intuition que l’avenir de la théorie marxienne s’y joue, du moins en partie.

• 18 Pour un exposé plus détaillé de cette loi d’accumulation capitaliste (la tendance de l’armée de rés (...)

13Cette toile de fond apocalyptique d’une économie non pas simplement malade, mais agonisante est plus ou moins présente dans les deux livres. Smith parle dans son livre de la baisse tendancielle du taux de profit, mais n’y revient pas dans l’article publié ici ; malgré son assurance sur d’autres questions théoriques, Bo Harvey ne s’y engage pas non plus. Il faut croire que cette théorie reste sulfureuse. Benanav, dont le cadre théorique est moins explicite, préfère mettre l’accent sur l’augmentation tendancielle de « l’armée industrielle de réserve », manifestée moins dans le taux du chômage que dans l’expansion d’emplois pénibles à bas salaire dans les « services ». Ainsi, pour Benanav, « l’économie mondiale actuelle en est venue à ressembler à celle que Marx analysait dans Le Capital, au beau milieu du XIXe siècle […] Pour Marx, l’augmentation de cette surpopulation [relative] représentait une "loi générale et absolue de l’accumulation capitaliste"18. » À la différence de Smith, l’analyse de Benanav ne fait pas référence à la théorie de la valeur, à l’instar de son directeur de thèse, Robert Brenner, qui a insisté sur des facteurs politiques contingents (notamment la lutte des classes) plutôt que de facteurs structurels et économiques dans l’émergence et dans l’évolution du capitalisme ; on a parlé alors du « marxisme politique » à l’opposé du « marxisme économique » dominant dans l’historiographie marxiste. Ce cadre théorique latent explique en grande partie le hiatus chez Benanav entre une analyse convaincante de la stagnation actuelle et sa foi en la possibilité réalisable d’un monde d’abondance futur. À son actif, Benanav n’esquive pas le problème :

• 19 Jason E. Smith, article dans ce numéro.
• 20 Dans Vers la Libération (1969, mais écrit avant les « évènements » de mai 68), Marcuse donne acte à (...)

14Jason Smith partage ce constat pessimiste quant aux possibilités futures du mouvement ouvrier : « Aujourd’hui, on ne voit que des solutions unilatéralement négatives à la contradiction entre capital et travail : le sabotage systématique des moyens de surveillance ; le refus massif du travail salarié, et de la dégradation physique et mentale19. » Le problème n’est pas nouveau. Déjà dans les années 1960, Marcuse place sa foi dans les étudiants radicalisés et dans la contre-culture (alliés aux mouvements du Tiers-monde) comme « catalyseurs » de transformation sociale, au lieu du prolétariat industriel20. Une trentaine d’années plus tard, le courant « critique de la valeur » groupé autour de Robert Kurz y fait écho à sa manière :

• 22 Ludovic Hetzel classe Brenner dans l’école du marxisme analytique, même si, contrairement à celle-c (...)

15Jason Smith, quant à lui, semble proposer pour ce rôle les enseignants (entre autres) en raison de leur position stratégique dans la division sociale du travail ; il cite aussi les Gilets jaunes – mouvement très ambigu sur le plan politique – pour leur capacité à s’organiser en dehors de leurs lieux de travail, désormais dispersés. Peut-être la question d’agent de transformation est-elle trop conjoncturelle pour être posée de cette façon, et en cache une autre encore plus problématique : celle de la transition entre le capitalisme et un mode de production postcapitaliste hypothétique (en supposant que puisse être écartée la contingence d’une révolution singulière menée par un parti de type marxiste-léniniste qui s’arroge la tâche de mener à bien le processus de transition, option historique qui a systématiquement échoué). En cédant un peu à la provocation, on serait tenté d’appeler, comme expérience de pensée dialectique, à une transposition spéculative dans le présent du débat classique (dit « de Brenner ») sur la transition du féodalisme au capitalisme, débat entre « le marxisme politique » et « le marxisme économique », entre volontarisme et déterminisme22. C’est sur ce terrain-là que le débat entre le marxisme issu de la théorie de la valeur et le marxisme analytique devrait idéalement avoir lieu, sans que ses finalités soient fixées d’avance. Benanav préfère sauter directement à une description normative d’un monde postcapitaliste, « utopie » selon lui non seulement désirable, mais réalisable.

• 23 Aaron Benanav, L’Automatisation …, op. cit., p. 105.
• 24 Ibid., p. 108.

16En fait, on a l’impression que la vraie ligne de tension dans le livre de Benanav se trouve non chez Marx, mais chez Keynes. Comme l’indique Gary Roth, l’explication de la crise en termes de surproduction (ou de surcapacité) et de sous-investissement s’inscrit plutôt dans l’orbite keynésienne. Mais Benanav rejette avec force les mesures keynésiennes (y compris - quoique de manière nuancée - l’idée d’une allocation universelle), et conteste leur efficacité, même lors du boom économique de l’après-guerre, résultat selon lui d’une expansion industrielle sans précédente, et non des dépenses infrastructurelles : « les chercheurs ont tendance à croire que les années 1970 ont sonné la fin de l’ère keynésienne, alors que, d’une certaine façon, elles n’en étaient que le début »23. Mais comme l’affirment Moraitis et Copley, les dépenses publiques importantes depuis les années 1970, sur fond de « stagnation séculaire », ne sont pas de facture keynésienne mais néolibérale, caractérisée par un cocktail amer de réductions d’impôts et de financements par la dette, expérience désastreuse. Pour Benanav, « cet endettement n’a pas relancé l’investissement des entreprises dans de nouveaux capitaux fixes, mais leur a permis de réaliser des fusions ou de nouvelles acquisitions, ou encore de racheter leurs propres actions24. » Il serait vain donc selon lui de vouloir relancer la croissance par des mesures keynésiennes « orthodoxes ». Mais cela ne l’empêche pas dans l’entretien publié dans ce numéro d’affirmer, tel un éditorialiste des pages économiques, que « puisque les taux d’intérêt se sont effondrés, c’est maintenant qu’il faut emprunter […], qu’il faut investir massivement […] pour améliorer le niveau de vie [de tout le monde] ».

• 25 Il est possible de voir en Joan Robinson le précurseur du marxisme analytique ; sa proximité à Keyn (...)
• 26 Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte, 2017 ; Stratégies anticapitalistes pour le XXIe s (...)
• 27 Benanav, op. cit., p. 122. Précisons que la raison immédiate pour l’abandon du premier plan Meidner (...)

17Benanav mobilise des keynésiens radicaux comme Joan Robinson et William Beveridge (architecte de l’État providence en Grande-Bretagne) qui préconisaient dès les années 1940 la socialisation des investissements et la réduction de la journée du travail25. Keynes lui-même prédisait dans une future société « post-rareté » l’avènement d’une semaine de travail limitée à quinze heures. Benanav reprend ce flambeau ; son utopie, avec ses associations libres et ses citoyens autonomes - mais sans planification centrale, précise-t-il - ressemble beaucoup à celle proposée par le sociologue Erik Olin Wright (cité dans une note), dont le rattachement au marxisme analytique est manifeste26. La pierre de touche d’une stratégie keynésienne radicale reste le plan Meidner, cité par Wright et par Benanav. Élaboré par l’économiste Rudolf Meidner et ses collègues de la Confédération des syndicats suédois en 1971, le plan Meidner visait à imposer aux entreprises d’au moins cinquante employés la distribution d’actions propres à destination de ceux-ci, à raison de 20% de leurs bénéfices annuels. Pour Benanav, « c’est précisément la menace de désinvestissement du capital pendant les années 1970 qui a conduit à l’abandon du premier plan Meidner en Suède. Un tel plan serait encore plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui, alors que les organisations de masse de la classe ouvrière sont beaucoup plus faibles, et la croissance ralentie. […] Les capitalistes s’opposent férocement à toute réforme susceptible de menacer leur mainmise sur les décisions d’investissement. […] Seule une conquête de la production, qui arrachera enfin ce pouvoir aux capitalistes, rendant la grève du capital inopérante, peut ouvrir la voie à un avenir d’abondance27. »

• 28 En 2017, un article dans la revue américaine Jacobin a suscité un regain d’intérêt pour le plan Mei (...)

18Appelées à neutraliser les phases cycliques du capitalisme, à faire advenir une économie plus équilibrée dans la durée, les politiques keynésiennes restaient essentiellement technocratiques ; aucun avancement vers une société postcapitaliste ne sera possible sans lutte politique déterminée, et à l’issue toujours incertaine. La question qui se pose ici est de savoir dans quelle mesure ces propositions participent, même marginalement, d’un processus de transition vers un tel horizon. À cet égard, le plan Meidner, qui, certes, visait à redistribuer les profits et à donner plus de pouvoir aux travailleurs, ne ferait que transformer graduellement ceux-ci en petits actionnaires d’une entreprise nationale en concurrence avec d’autres sur le marché international28. Benanav a sûrement raison de pointer les limitations, voire les aspects régressifs, des propositions actuelles en faveur d’une allocation universelle, mais l’idée, qui casse le rapport d’identité entre travail salarié et rémunération sociale, est potentiellement plus « transitionnelle ». Comme l’affirme Amelia Horgan, on peut la soutenir pour des raisons normatives et non pratiques. Et face à la menace suprême quant à la survie même de l’espèce humaine que constitue le changement climatique, il faudra une planification non pas centrale, mais supranationale ; des formes de planification non technocratiques restent à être inventées. Mais la poursuite de l’accumulation capitaliste, même régulée, n’est plus une option viable.