La Fin de l'Histoire : vivre et penser comme les porcs de Virginie?
Notes de la rédaction
Tous droits réservés. Voir aussi l'essai de G. Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Folio, 2000, ainsi que le song Porcherie (Les béruriers noirs).
Texte intégral
1Contre le Pen? Contre la Violence? Contre le Racisme? Oui, bien sûr si ce n'est pas un prétexte pour s'étourdir d'Humanisme a majuscule et se congratuler en chantant les bienfaits des Démocraties impérialesconsensuelles et blanchir à bon compte les lâchetés et le mode de vie de l'Homme Moyen.
2La première question est : comment en est-on arrive là? Comment l'activiste au bandeau noir, confidentiel voici quinze ans, peut-il prétendre beugler tout haut ce qu'un Français sur six grommèle tout bas.
3La peste nationale-raciste refait surface mais -ce qui est quand même rassurant- il y a assez peu de braves gens qui ne tolérant pas las "odeurs" de rois africains ou de cheikhs du pétrole : au delà d'une certaine provision bancaire, les pigmentations deviennent équivalentes.
4Car c'est bien d'équivalence a marche forcée dont il s'agit et c'est un talent classique de l'ultra-conservatisme d'exploiter la nauséabonde décharge de ressentiment et de frustration accumulée par de nouvelles divisions internationales du travail et la mise en oeuvre du grand Marché Mondial.
5Ceci suppose (entre autre) la réalisation d'imposantes structures de crétinisation modulées sur les psychologies particulières de chaque peuple mais dent on peut regrouper, sous le terme de techno-populisme, les invariants planétaires :
6- une opération de malaxage économico-politico-médiatique visant a transformer des milliards d'individus en agents économiques sommables statistiquement, disponibles a la compétition farouche pour le partage du butin mondial des Biens et Services.
7- cette grande équivalence repose sur l'expansion indéfinie de l'individualisme possessif, et incarnée par la fabrication (par clonage médiatique) d'une imposante Classe Moyenne Mondiale, consensuelle, prédictible, ajustée autant que possible aux fluctuations du Grand Marché et segmentée par ses agrégats naturels (tranches d'âge, lobbys, catégories socio-professionnelles).
8L'invention du "Concept" de cette population purée remonte au début du siècle et s'associe aux curiosités que la restauration industrielle nourrissait a l'égard de l'estomac "démocratique" de !'Homme Moyen.
9- à cette "forme" contemporaine de la plèbe romaine, hargneuse et prompte au lynchage, nos Démocraties impériales s'efforcent de garantir le Pain et le Cirque.
10Un problème se pose immédiatement : comment donner une colonne vertébrale a cette grande coulée? Comment identifier poids statistique et légitimité politique?
11C'est tout l'épineux problème des Démocraties consensuelles : rongées d'entropie sociale, toujours "fragilisées", menacées par l'implosion et la désintégration, dévorées de prurits sécuritaires, toujours en train de se compter et de se recompter (60% de Français pensent que 60% pensent que 60% des Français... etc., a l'infini !), toujours prêtes a se cramponner farouchement aux Valeurs.
12On devine facilement pourquoi le techno-populisme flatte les bassesses et les lâchetés de sa Chair a bon choix et surtout celles de son avant-garde technico-commerciale, de ces petits truands du secteur communicatif, de ces prototypes peu ragoutants dont raffolent les instituts de prédiction, Hommes Moyens parvenus, omnivores, envieux, impatients frimeurs, de ces "mangeurs d'homme" en 4x4 dont l'ambition intellectuelle et le sens critique dépassent de peu celles d'un ver solitaire, et gambergeant a longueur de journées leur "faut pas rêver" et leur "Ma Différence a Moi", clientèle rêvée pour les Messieurs Gribouille et les Madame Pimbêche dont grouillent les panels médiatiques.
13Le techno-populisme n'a rien a craindre de ces pétro-subjectivités ("le pétrole c'est notre vie" Monsieur Juppé) frondeuses pour une place de parking dont les caprices réactivent le marche et se neutralisent par mimétisme.
14Le techno-populisme préfère montrer du doigt et dénoncer comme élitiste, comme arrogance "aristocratique" et "néo-conservatrice" tout ce qui s'écarte un peu des préoccupations "quotidiennes" de l'Homme Moyen, de la misère spirituelle de son "pragmatisme", de la niaiserie de son "vouloir- communiquer", du gâchis répugnant associé a un mode de vie consommé en toute bonne conscience. Le techno-populisme aime s'étourdir d'un fantasme : métamorphoser ses Thénardier et ses Tartarins en archanges de la vertu et en Gavroche de plateaux télévisés qui pourfendent les "privilèges".
15II s'agit donc d'organiser périodiquement des Festivals de Règlements de compte ou chaque individu, chaque groupe, chaque tranche d'âge est invité à expier sa propre nullité en glorifiant la nullité générale. Chacun est convie a se confectionner des Bêtes Noires faciles a haïr.
16Sont soupçonnés de "détester la démocratie" tous ceux qui prétendent faire l'effort de se soustraire a la goujaterie et a l'impatience contemporaines et espèrent faire déraper les scenarios sociologiques de la Banque Mondiale.
17Mais il y a pire : ce qui vaut pour les individus, le compactage et le recyclage de leurs destins vaut aussi pour les peuples : toute protection sociale, toute notion de service public "maintenue artificiellement hors-marché", bref tout acquis historique, doivent être effacées et aussi dénoncées comme un "privilège" qui menace les grands équilibres, affole les clignotants socio-économiques et ne font que retarder l'accès a la Fin de l'Histoire promise a la racaille communicative du monde entier.
18C'est en pesant son poids "réel" (économétrique) en rejetant résolument tout étalon symbolique ("utopique et marxisant"), que chaque pays pourra briguer une place de Bon élève au tableau d'Honneur de la prospérité mondiale.
19Les Français ont mis beaucoup de temps a comprendre que tout le monde (et pas seulement las "métèques" du Sud) est concerné.
20C'est pourquoi, depuis 1974 l'élite impériale-consensuelle s'inquiète : la France "pèse trop" ! elle souffre d'obésité symbolique ! L'intolérable "singularité française" était voici dix ans, un effet de manche convenu des jeunes cuistres de l'I. E. P. et fort apprécié des jurys.
21L'an 2000 s'approche et Monsieur Giscard - et bien d'autres somme touts,
22assez proches - peuvent se réjouir : la France se rapproche symboliquement de ses parts de marché et beaucoup de ses intellectuels n'y sont pas pour rien.
23La République n'est plus orgueilleuse : elle accepte enfin un destin adapté a ses "moyens" : celui de sous-préfecture "démocratique" du Monopole mondial. Elle sait s'agenouiller devant la sous-traitance de l'opinion (dont la fabrication lui échappe de plus en plus) et abandonne cette idée "jacobine" que la Démocratie ne vaut que l'excellence qu'elle vise idéalement pour tous, par l'ampleur des destins qu'elle prône et ne saurait rester les yeux rives à la moyenne des égoismes et des lâchetés de chacun.
24Le techno-populisme a obtenu quelques brillants résultats dans cette opération du "peser-vrai" de la République :
25- les promotions de l'ENA ont appris a gérer leurs "ressources humaines" avec le maximum d'efficacité : les bottes se bousculent aux Finances mais abandonnent au croupion le Travail et bien sûr, l'Education.
26- L'Ecole Normale Supérieure (section des Lettres) ne rechigne plus à se laisser distancer par H. E. C. et à se laisser côter au même niveau que l'Institut des Sciences Politiques.
27Pour "L'Opinion" et nos courageux techno-populistes, l'enseignement coûte toujours trop cher.
28La crétinisation communicative est bien plus rentable. Ils préfèrent bien sûr la crétinisation communicative d'aujourd'hui qui rétrécit les hommes comme la crétinisation militaire abrutissait certains peuples du 19ème siècle.
29Ils ont oublie Renan : "le parti conservateur français ne s'est pas trompé en prenant le deuil le jour de la bataille de Sadowa. Ce parti avait pour maxime de calquer l'Autriche des Metternich, je veux dire de combattre l'esprit démocratique au moyen d'une armée discipline à part d'un peuple de paysans tenus soigneusement dans l'ignorance..."
30Une connaissance même sommaire de pays comme l'Allemagne, l'Angleterre ou la France montre que les périodes les plus brillantes de leur histoire ont toujours résulté d'une capacité a aménager des espaces à l'abri des pressions de la demande sociale immédiate, des hiérarchies en place, et donc aptes a recueillir de nouveaux talents sans distinction de classe, bref a abriter une aristocratie culturelle la plus éloignée possible des statuts que donnent la naissance ou l'argent.
31Mais pour nos "démocrates" techno-populistes, une France fière et libre
32coûte trop cher ("de toute façon les Français aiment partir en week-end") et de toute manière la crétinisation par la communication remplace avantageusement la caporalisation d'antan.
33Monsieur Le Pen est décidément bien ingrat ! II devrait remercier ceux qui ont presque réussi a transformer un grand peuple audimat servile et provincial et son élite intellectuelle populace compradore, en conglomérat d'éditorialistes et d'attachés de presse.
34Mais Monsieur Le Pen est gourmand : ii fomente un grand projet : donner a
35l'Europe une magistrale leçon d'écologie politique et lui montrer comment recycler les riches flatulences de l'Homme Moyen et par un coup de baguette magique, les incarner en force politique, en bêtes blondes ivres de sang et de sols.
36Vaincre Monsieur Le Pen est une urgence et réclame une philosophie de combat. II est encore temps pour !'intelligentsia française de se ressaisir, de délaisser les femmes de lettres post-modernes, les trivialités communicatives et surtout de mettre un terme a sa crétinisation soft à l'anglo-saxonne (sa "Rortification"), bref de sursauter et de refuser un destin de bétail cognitif.
Pour citer cet article
Référence électronique
Gilles Châtelet, « La Fin de l'Histoire : vivre et penser comme les porcs de Virginie? », Variations [En ligne], 27 | 2024, mis en ligne le 03 juillet 2024, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/variations/2455 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11xgf
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