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Texte intégral

1Le pouvoir sous sa forme brute.

2II n'est pas vrai que la mise entre parenthèses de la politique et de l'Etat consacre l'avènement de l'autonomie. Nous faisons l'amère expérience de la société sérielle, de son approfondissement continu d'un rapport fuyant à l'autre et à soi-même. Les "grands équilibres" érigés en origine et en aboutissement de la politique, constituent la raison de personne, où chacun se laisse devenir n'importe qui, dans la fuite sans fin vers une

3dépendance géneralisée et sournoise, qui lie l'un a l'autre dans l'unité d'une même... impuissance : gestion de l'atomisation par le consensus. Telle est la sérialité portée à son extrême : une sérialité sans antagonisme, relative à un ennemi nié par avance, qui n'a pas de place dans la "machinerie" des besoins; des ressources et des fonctions ("le marché, la performance, la mondialisation...") ; ennemi déchu du pouvoir même de contradiction, ennemi qui peut tout au plus parasiter l'entre­deux du malentendu· ou de la régression.

4Ce qui est en cause avec la montée du FN, c'est l'oubli du fait que le lien social est institué, sans être pour autant crée de toutes pièces : sur fond d'une dépendance de fait et d'une communauté d'affects qui, même contradictoires, tissent entre eux l'espace d'une interaction, la vie commune peut malgré tout sombrer dans le non-sens d'une multiplicité ou chacun devient Autre à chacun et à tous comme pour lui-meme. En

5l'absence ou à cause du retrait - des institutions qui tissent et déterminent les affects de la vie commune, la haine, l'indignation, l'envie, mais aussi la commisération, l'ambition et le désir de gloire n'en produisent pas moins la figure d'une totalité de l'être social, mais sous les espèces d'une réalité asymétrique, qui résulte de la sommation de toutes les impuissances et de toutes les démissions. Le social apparait comme ce reste constitué de tous les autres moins moi-même, reste dont je suis exclu par le rassemblement de tous les autres sous une meme menace confuse contre mon être, sous une même crainte indifférenciée.

6II est sûr qu'il y a un racisme de la vie sérielle, mais ii serait vain de limiter ce trouble aux marges de la démocratie ou de la politique. Le FN, c'est aussi un certain travail politique des forces de déliaison, ou le retour massif du pouvoir comme facteur d'unification par exclusion, le vertige de l'antagonisme indistinct qui s'attaque a tout le monde; c'est enfin la menace d'une société née d'une coalition des impuissances et d'une atrophie des singularités. Le FN marque l'apparition d'une politique de l'absence de la politique ; pouvoir de l'impuissance contra la vie de la multitude ; violence trouble de l'antagonisme réduit à l'épuration, à la décontamination ; pratique de la suppression des rapports et politique de haine contre le désordre créateur de la vie.

7Le FN constitue l'exact symétrique d'une politique qui a perdu le sens de l'espace commun ; ii tire profit de l'abandon par l'Etat des institutions de la vie commune - dont !'Ecole, première d'entre elles... -. Le Pen ne se réduit pas au fascisme des beaufs ou au racisme de l'autre, racisme et fascisme qui suintent de tous les pores d'un tissu social traumatisé, livré à l'hégémonie destructrice de l'idéologie d'entreprise. Celle-ci n'est

8qu'illusion et n'a rien à voir avec la sphère de l'économie, du travail et des besoins; elle exprime seulement le nouveau visage de la domination : l'oppression par un impératif sans maitre ni visage, qui s'exprime dans les courbes du chômage et de la bourse, indices d'une stratégie d'évitement de la crise et de sa necessaire résolution. Société sans mémoire ni intensité, qui se gargarise de formations continues et d'alternances en tous sens, de précarisations et de mutilations du désir, du temps, du rêve et de l'imagination.

9Le Pen, donc, ce n'est pas seulement l'Autre de la politique, au sens ou la politique a partie liée avec l'institution de la société humaine, mais d'abord et surtout une politique de l'altération, qui apparait lorsque le politique s'absente ou se laisse aller entre moralisme et gestion, éludant ce fait que l'unification a pour condition le conflit. Le Pen, c'est l'impuissance érigée en mode de domination : effet d'un véritable ressentiment du corps social, passion triste qui risque de tout emporter.

10L'union en altérité, portée à l'extrême, produit en réaction cette préférence donnée à la mort sur la vie, à la terre sur les hommes, au sang sur l'esprit, à l'identité et a ses mythes sur cette absence qui caractérise une subjectivité, ou sur cette ubiquité d'une même imagination, qui constitue un peuple. II faut combattre le FN, parce que c'est à cette seule condition que nous recréerons l'espace aujourd'hui délabré de la démocratie. Mais nul ne combattra efficacement le FN en se contentant de défendre l'obéissance ou la legalité. Le FN a été rendu possible parce que les individus ont été désespérés de dire non, dépossédés du droit de critiquer, de déployer le possible, sommés d'accepter, de se résigner, quitte à se venger, en excipant d'une fausse révolte, de cet amour de la servitude qui consiste à voter FN, pour continuer, ensuite, a subir et à endurer un lien social réduit au seul fil du salaire ou de l'assistance.

11Pour combattre Le Pen, il nous faut montrer qua la pensée, aussi, est un affect de la vie collective, et qu'il lui appartient, devant la vacance du politique, de prouver que la vérité peut faire vivre et qu'il n'est pas de recherche de la vérité sans liberté pour tous. La pensée doit tenir lieu d'exigence politique, en attendant que le politique retrouve sa vocation : inventer, sélectionner les institutions susceptibles de rendre à la multitude sa propre puissance car c'est la liberté, non son contraire, qui unit !

12La monarchie élective ne nous sauvera pas du FN : au contraire, elle semble disposée a vivre avec sa face d'ombre, c'est-a-dire avec Le Pen, ce "rabatteur" de la multitude par union-contre-l'Autre - qui peut le cas échéant tourner la multitude contre elle-même (!) -, et ce catalyseur de l'identité par pétrification, dont une politique du consensus a le plus grand besoin. Le Pen, en effet, invoque les "bons français" contre tous les autres ; l'homme du consensus répond : nous tous d'un côté, Le Pen de l'autre. La politique ne peut-elle inventer d'autres modes d'unification ? C'est bien la reconnaissance institutionnelle de la vertu des conflits, non la recherche du plus petit denominateur commun, qui fera de l'intervention de nouveaux contre-pouvoirs autant de contre-feux dont chaque individu singulier, toutes les minorités, n'importe quel groupe et enfin la Nation elle-meme ont aujourd'hui besoin contre la barbarie FN.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hady Rizk, « Récuser le FN  »Variations [En ligne], 27 | 2024, mis en ligne le 03 juillet 2024, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/variations/2542 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11xgq

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