Introduction

1La mobilité des précaires, thématique de départ du travail doctoral engagé, s'est construite à partir d'un constat issu d'une expérience professionnelle de plus de quinze ans d'accompagnement social lié au logement, chez un bailleur social. La mission consistait à trouver le lieu de vie adéquat à des modes de vie spécifiques et ensuite à accompagner les ménages dans l’appropriation de ces nouveaux lieux. Or, il était difficile de faire déménager des ménages quand bien même vivaient-ils dans des conditions d'habitat difficiles. Et même s'ils accédaient à un nouveau logement, il leur était tout autant compliqué de s'y intégrer, de le faire sien. Des conflits de voisinage ou autres troubles de mal-être émergeaient souvent de ce vécu difficile et complexe lié au logement et son habitat.

2La principale difficulté d’habiter semblait venir du fait qu’il était difficile de se déplacer et par conséquent de s’approprier un nouveau territoire, notamment les réseaux de transport et les nouveaux réseaux sociaux. Suggérant alors l'hypothèse que : « habiter, c'est être mobile », le travail bibliographique sur les mobilités a fait apparaître une nouvelle notion géographique, que nous avons nommée la mobilité contextuelle. Issue de plusieurs disciplines, cette notion souligne à la fois le rôle de la place, la relation homme-environnement et l'action cognitive liée au déplacement. En géographie sociale et humaine, les spatialités côtoient les temporalités et les sociabilités (Di Meo, 1996). En considérant que le contexte de la mobilité prend en compte le lieu, le temps et l'Homme, nous avons alors établi que la mobilité est une mobilité rassemblant les mobilités spatiales (aller d'un point x à un point y), les mobilités temporelles (aller d'un temps t0 à t1) et les mobilités sociétales (aller de soi A vers l'autre B). Être mobile contextuellement demande donc à être en capacité de se déplacer corporellement et mentalement dans le temps et l'espace vers et avec les autres. Se déplacer consiste à se véhiculer, à s'imaginer, à changer de point de vue, à envisager une autre vision du monde, de la société et de soi-même. L'action même de (se) déplacer est primordiale et revêt d'un acte cognitif, ce qui rejoint la psychologie environnementale faisant état d'une relation cognitive de l'homme à son environnement (Morval, 2007, Moser et Weis, 2003). Le contexte est de fait, particulier et singulier, voire individuel ou personnel (Dodier, 2009).

3Par ailleurs, en sociologie pragmatique (Boltanski et Thévenot, 1991), il est tenu compte de la capacité des acteurs à s'ajuster à différentes situations de la vie sociale. De même, la notion de l'homme pluriel prend force en tant que multi-appartenant à différents contextes sociaux et spatiaux (Lahire, 2001). Cependant, ces approches sociologiques et géographiques appliquées aux populations vulnérables font ressortir le fait que même si elles bougent pour s'en sortir, malgré une multiplicité d'outils, de dispositifs sociaux, se déplacer dans la ville au quotidien s'avère difficile, voire impossible. D'autant que ces populations ne savent pas le plus souvent vers où, vers quoi ni comment se diriger, comme le constatent de nombreux travailleurs sociaux (Le Breton, 2005).

5Il s'agit donc ici, à partir des résultats de l'étude sur les effets et les freins du relogement contraint auprès de 29 ménages précaires dans le cadre de la Rénovation Urbaine, d’analyser comment l'action relogement, en tant qu'action publique, a-t-elle pour effet d'activer, de consolider ou de déstabiliser la ressource mobilité des populations les plus fragiles et les plus captives. Comment les ménages ont-ils fait face à ce nouveau contexte résidentiel ? Quels sont les freins et les leviers de la mobilité résidentielle contrainte ?

6In fine, il sera présenté en quoi et comment une politique publique, telle que la Rénovation Urbaine, met-elle en exergue de nouveaux défis sociaux (mobilité résidentielle) et environnementaux (perception du contexte d'habitat par les habitants). Notre recherche aboutit à la conclusion qu'à une politique sociale et urbaine doit s'adjoindre une politique environnementale, notamment la lutte contre la pollution sonore. En effet, le bruit en tant que facteur de stress environnemental agit sur les capacités réflexives mobilisées nécessaires à la préparation d’un déplacement ou d’un projet (Morval, 2007).

Une étude sur les effets, les freins et les leviers du relogement contraint

7Angers et Trélazé (Ouest de la France), villes pionnières de la Rénovation Urbaine, ont été sélectionnées par l’USH, d'une part parce qu’elles offraient la possibilité d’interroger des ménages ayant déménagé il y a plus de deux à cinq ans. Nous avons pensé que cette temporalité permettrait de mieux cerner dans le temps les mécanismes d’appropriation et de désappropriation des lieux et les effets du relogement contraint sur la vie familiale. D'autre part, parce que les deux villes présentaient des caractéristiques spatiales et environnementales différentes.

8Angers, ville comprenant 152 337 habitants en 2006, est dotée d'une pratique partenariale éprouvée par le temps et les acteurs de la ville, au travers d'une continuité de programmes de politique de la ville depuis 40 ans. La Rénovation Urbaine a été envisagée sur l'ensemble de la ville par la restructuration de cinq quartiers d'habitat social (Belle Beille, Verneau-Capucines, Monplaisir, Deux Croix-Blanchais, Roseraie-Orgemont). Les ménages enquêtés sont essentiellement issus du quartier de Belle Beille, plus particulièrement des Tours Hamon, et du quartier de la Roseraie. La rénovation de ces quartiers était, lors de l'enquête, déjà bien avancée, puisque la démolition des logements était terminée depuis plus de deux ans. Le quartier de Belle Beille, grand ensemble de la ville avec 1300 logements construits entre 1950 et 1960, connaît une certaine mixité tant dans l'habitat, dans les formes urbaines que dans le statut d'occupation. Les objectifs du projet visent l'alliance de la mixité sociale, celle de la qualité du bâti et du cadre de vie. C'est pourquoi, les Tours Hamon, présentant un habitat très dégradé et mal insonorisé, ont toutes été démolies soit 322 logements. Le quartier de la Roseraie est l'un des quartiers d'habitat social les plus peuplés de la ville avec 1500 habitants. Homogène, il a été urbanisé dès la fin des années soixante avec une majorité de logements en immeubles collectifs, puis au fil des années, d'équipements de services, de commerces intégrés. On y note également la présence de sept bailleurs. Une ligne de tramway doit désenclaver le quartier, le portant à moins de dix minutes du centre-ville, valorisant alors même l'image du quartier.

9Trélazé, ville de 12 207 habitants, située en périphérie d'Angers a connu elle aussi son lot de dispositifs de la politique de la ville. Le quartier d'habitat social des Plaines avec ses 1700 logements a été inscrit comme site prioritaire de la Rénovation Urbaine, car il présentait tous les éléments d'un dossier de convention de l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) : démolition, construction, désenclavement, construction, nouveaux équipements, intervention de nouveaux promoteurs privés, faisant ainsi de Trélazé la troisième ville de France signataire d'un programme de renouvellement urbain (Colnet, 2008). Sa position périphérique et son histoire sociale (ville minière et ardoisière) ainsi que l'état avancé de la Rénovation Urbaine la différenciaient de la ville d'Angers ; des logements neufs en accession à la propriété étant déjà habités.

La méthodologie de l'entretien compréhensif

10En référence à la notion de mobilité contextuelle, la méthodologie de recherche adoptée s’est appuyée tout d’abord sur la démarche sociologique compréhensive (Kaufman, 1996) associée à une technique de collecte de données basée sur l’approche biographique des individus par les récits de vie (Coulon, 2000). Ensuite, l’analyse géographique s’établit sur les principaux registres d’analyses de données que sont l’espace, le temps et l’humain (Lévy et Lussault, 2003) se référant à la psychologie environnementale (Morval, 2007 ; Moser et Weis, 2003) associée à l’analyse cognitive, le tout dans une vision systémique (Morin, 2008 ; Lapierre, 1992). La démarche de recherche sociogéographique se base sur quatre questions : où ? Quand ? Qui ? Comment ? Le « pourquoi ? » étant implicitement intégré dans les autres questions.

La démarche compréhensive : engagement et empathie

11Recueillir de l’information dans une démarche compréhensive demande de s’inscrire dans une démarche empathique. Pour cela, le chercheur adopte auprès de chaque personne une écoute personnalisée et approfondie, dite sensible : « L'écoute sensible s’appuie sur l’empathie. […] L’écoute sensible reconnaît l’acceptation inconditionnelle d’autrui. Il ne juge pas, il ne mesure pas, il ne compare pas. Il comprend sans pour autant adhérer aux opinions ou s’identifier à l’autre, ce qui est énoncé ou pratiqué. » (Barbier, 1996. p. 66.).

12À cette démarche compréhensive s'associe une technique de collecte de données par le récit ou les histoires de vie. La technique des récits de vie permet à l’individu, en se racontant, de donner sens et logique à sa propre histoire. En se donnant à voir et à entendre, il lui est alors proposé de se mettre sur une trajectoire et d’en trouver le sens. Relevant de la transdisciplinarité et se rapprochant de l’anthropologie, la méthode des histoires de vie remet l’humain au centre de toutes ses dimensions. Ainsi, des passerelles entre la sphère privée et collective montrent l’incidence réciproque entre l’individu et son environnement.

13En ce qui concerne notre recherche, les récits de vie sont essentiellement centrés sur les histoires résidentielles, permettant alors de saisir les liens des lieux par la reconstitution de parcours résidentiels. Le corpus obtenu se compose donc de 29 histoires de vie résidentielles (décembre 2008 à février 2009). Le guide d'entretien s'est construit selon quatre finalités entrecroisées :

• faire témoigner l’individu de son histoire de vie par rapport à sa mobilité résidentielle ;

• repérer le processus de la mise en œuvre ou non de sa mobilité résidentielle ;

• repérer le vécu par rapport à l’appropriation dans leur nouveau cadre de vie ;

• le tout devant permettre d’identifier les données géographiques et cognitives de la mobilité résidentielle contrainte.

14Cette trame temporelle a pour objectif premier de remettre la personne, à partir de la situation présente (jour de l’entretien), dans son contexte précédent (jour du déménagement), puis de retourner en arrière jusqu’à l’enfance (passé) pour revenir peu à peu au présent. On suppose ici que les données se consolident et font sens et logique. Enfin, il est proposé de terminer sur des notes de futur construites en fonction du vécu mis en récit.

Répartition de la structure sociale et localisation du relogement des 29 ménages

15La constitution de l'échantillonnage s'est effectuée en comité de pilotage composé des deux directeurs des offices d'habitat social, deux urbanistes, deux responsables de gestion locatives et trois chargés de relogement. Les ménages ont été choisis à partir de la définition de la précarité comme une situation d'accumulation de difficultés sociales, résidentielles et financières (Wresinki, 1987 ; Haut Comité de la Santé Publique, 1998) ainsi que d’études sur le relogement (Lelévrier, 2007) et sur la précarité (Sélimanovski, 2008). Ainsi, au moment du relogement, le ménage devait :

16percevoir soit des ressources provenant des allocations familiales, des minimas sociaux ou ressources provenant d’un travail partiel, intérimaire ;

• être une structure familiale rendant difficile la mobilité résidentielle soit par le nombre d’enfants, soir par l’isolement, soit par la difficulté d’intégration.

17L'échantillon se compose donc de :

• 10 ménages de personnes seules sans enfants comprenant 6 personnes (veuves et divorcées) âgées de 65 ans et plus et 4 personnes (célibataires, veuves ou divorcées) âgées de moins de 65 ans ;

• • 3  Un ménage isolé est un ménage sans enfants et /ou célibataire, veuve, divorcé avec enfant (s).

  18 ménages isolés3 comprenant 10 ménages sans enfants et 8 familles monoparentales ;

• 19 ménages avec enfants comprenant 8 familles monoparentales et 10 couples avec plus de 3 enfants.

18L'échantillon se répartit aussi de manière différente selon le niveau de mobilité :

• géographique, nous obtenons 12 relogements sur site et 17 relogements hors site ;

• morphologique, nous obtenons 16 relogements en logement individuel et 13 relogements en logement collectif ;

• segmentielle, nous obtenons 9 relogements en neuf et 20 relogements en existant.

19L'ensemble des données chiffrées obtenues confirme les données nationales de l'ANRU et de l'USH.

Le calme et le vécu collectif d'une politique publique facilitent la mobilité

20Malgré les configurations géographiques différentes des lieux résidentiels, les 29 ménages, relogés depuis plus de quatre ans, témoignent dans l’ensemble d’une amélioration de leur cadre de vie. Moins nerveux, plus calmes, ils dorment mieux. Devenue plus tranquille, leur vie quotidienne a changé. Ainsi, les ménages relogés confirment ce que l’on sait déjà. La qualité première d’un cadre de vie et d’un logement consiste en une ambiance, un environnement calme et reposant, que l'on soit précaire ou non. Cependant, même si on comprend que l'ANRU et les politiques publiques inhérentes aient plus d’attentes de résultats concrets de type augmentation du retour à l’emploi, amélioration de la dynamique résidentielle par l'amplification du taux de rotation, investissement à la vie sociale des quartiers, entre autres, nous nous devons de relever que le premier effet du relogement n'est pas de cet ordre, il est d'ordre environnemental. Le calme, élément le plus apprécié par les ménages fait moteur. Il invite les familles à désirer et les motive à rechercher un autre logement. La boucle récursive bruit/calme ↔ freins/leviers prend forme et confirme la relation environnement-homme sur la mobilité résidentielle. En effet, comme nous le verrons dans les paragraphes qui suivent, vivre dans le bruit implique supporter des nuisances psychiques devenant à leur tour des freins à la mobilité résidentielle.

Les effets du relogement contraint : un constat globalement positif

21Plus de 22 ménages sur 29 font état d'une satisfaction globale de leur nouveau logement, des conditions de relogement et de leur nouveau quartier. De même, ils ne souhaitent pas partir car ils s'y plaisent. Dans l'ensemble, ils évoquent une meilleure structuration de leur vie sociale et familiale et une stabilisation de leur situation personnelle ; certains pères ont repris de l'autorité sur leurs enfants. Les problèmes de santé ont presque disparus ou se sont amoindris. L'amélioration phonique, acoustique de leur logement est fortement appréciée et en fait un élément déterminant d'appréciation de l'action-relogement.

22Quatre (4) ménages sont devenus actifs dans la construction de leur trajectoire résidentielle qui s’est traduite par une demande de mutation vers un logement neuf ou plus grand. Quatre (4) autres ménages sont partagés entre le désir de rester ou de partir. Il semblerait qu’ils se retrouvent dans le schéma initial d’avant relogement. Toujours dans une position attentiste, subie, ils ne connaissent pas l'offre de logement ou ne connaissent pas les autres quartiers. D'autres encore sont attachés à la vie en maison individuelle malgré l’isolement ou l’incidence budgétaire subie.

23Sur les 29 ménages relogés, 12 ont bénéficié d’un logement de même typologie, 10 d’un logement plus grand et 7 d’un logement plus petit. Ces données se rapprochent des moyennes nationales observées en 2008. Ces dernières indiquaient que globalement 50 % des ménages avaient conservé le même nombre de pièces alors que 26 % avaient bénéficié d’un logement plus grand et 24 % d’un logement plus petit (AURA, 2008).

Un gain majeur : le calme, la tranquillité, un meilleur sommeil

25Le calme et la tranquillité sont identifiés comme des éléments déterminants de la satisfaction des ménages. Vecteur de mieux vivre, le calme impacte sur la santé et l'apprentissage scolaire. En effet, il est intéressant de constater que si aucune question n’a été posée sur la santé, tous les ménages ont fait part de problèmes de santé ou d'une amélioration psychique exprimée par un mieux-être. Basées sur le vécu personnel d'une situation nouvelle, nous avons considéré ces données déclaratives comme véritables. Cependant, elles n’ont pas été vérifiées effectives. Nous nous en sommes tenus au déclaratif.

26Certes, si certains problèmes de santé exprimés, comme la sclérose en plaques ou l'algodystrophie, n'ont pas de rapport direct avec l'environnement, certains ménages les associent directement à leurs anciennes conditions de vie ou à la contrainte du relogement comme témoin d’un traumatisme et font état d'apparitions de maladie de la thyroïde ou d'hypertension, asthme, insomnie, maladies souvent causées par la présence de stress et d'angoisse.

27À plus long terme, au bout de trois ans de relogement, la santé mentale de tous semble s’être améliorée par le gain de sommeil, le calme et la sécurité de l’environnement social et bâti. Les gens paraissent respirer, souffler, être plus à l’aise, plus tranquilles. La privation de sommeil se trouve être une des premières causes de santé mentale perturbée, notamment par le tapage nocturne de la cité. « Les angoisses de la vie qui reviennent la nuit, au galop » ; les cris et les agissements nocturnes des voisins. La cité, les tours, les événements qu’on ne peut pas gérer, qu’on ne peut que subir, agissent alors sur le sommeil. Depuis leur relogement, les ménages font le constat d’être moins énervés, moins angoissés, « plus clair dans leur tête », de mieux dormir et plus longtemps, même si certains font malgré tout part de ne pouvoir s’endormir encore qu’avec la télévision. Ces observations ont été obtenues, notamment par les questions suivantes : « Habiter ici, qu’est-ce que ça a changé dans votre vie ? », « Comment s’organise votre journée ? », « Comment est votre journée classique ? ». Spontanément, ils répondent à la première : « Qu’est-ce que ça a changé ? Le calme, la tranquillité, la paix ». En décrivant leur emploi du temps, ils finissent par conclure que c’est plus calme qu’avant, « moins le bordel ». Les extraits d'entretiens qui suivent illustrent les conditions de vie antérieures et l'appréciation du nouvel environnement.

28Véronique, famille monoparentale, 45 ans, 4 enfants, constate que ses enfants sont en meilleure santé et plus épanouies.

 « Qu’est-ce qui a changé ? Au niveau bruit, il n’y en a plus. On habitait la rue. Voilà où il y avait toutes les voitures et puis le bordel ah oui ! Ici, ici tu peux pas foutre le dawa que tu foutais là-bas au niveau musique. (…) (…) Là par contre je me plais ici, je vois mes enfants. Je vois, ils sont épanouis et tout. Même moi, on a plus le sourire. On est mieux d’abord. On respire mieux. Oui, oui, je me sens mieux. C’est vrai que la tour, c’est vrai que ma tour 110 j’avais eu du mal à la quitter, mais au jour d’aujourd’hui que je suis là, on est plus épanouis et tout. (…) L’effet du jardin, les enfants sont beaucoup moins malades, sont beaucoup mieux. Moi, j’ai une fille qui était hospitalisée tous les 8 jours, crise d’asthme et tout. Elle n’en a plus. Gagner du sommeil aussi. Oui, au jour d’aujourd’hui, elles sont plus malades, elles vivent mieux. »

29Valérie, célibataire, 49 ans, a pris conscience de la qualité sonore de l'environnement.

« Les structures sont totalement liées à ce qu’on vit. C’est sûr. C’est vrai que le voisinage, quand c’est calme… C’est triste à dire parce que je suis pas contre les enfants. Mais quand il y en a trop, quand il n’y a que des enfants, quand on travaille pas, on reste chez soi. Et puis qu’on entend tous les bruits de la journée, comme une grand-mère. Les personnes âgées, je sais pas comment elles s’en sortent. Moi, je m’en sortais plus. Il y a pas à dire, mais le bruit, ça gâche la vie. Quand le soir, à 22 heures, on entendait tout le temps, « Nique ta mère », la police qui arrivait et qu’il y avait les jets de pierre, que … C’est pas pour faire un étalage de dégradations. On amplifie. Je le sentais pas du tout. L’appartement était très bien, mais l’environnement était horrible. Oui, c’était dur l’environnement, surtout avec les jeunes. Ils avaient tous les droits dans la cité, donc, on entendait qu’eux ».

30Ce qui est sous-jacent ici, c’est la difficulté à ajuster/réguler les relations intergénérationnelles. Le sociétal croise là l’environnemental. Cela renvoie aussi à la structure par groupes d’âge très particulière en raison d’un déficit numérique (et sans aucun doute symbolique également) des adultes (nombreuses familles monoparentales) et donc d’une surreprésentation des enfants/adolescents.

31Par ailleurs, ces témoignages nous rappellent surtout que bien dormir est un des besoins primordiaux de tout être vivant, tout comme se nourrir, s'abriter, se déplacer.

Le renouvellement urbain comme apprentissage de la mobilité dans la ville

32Un relogement contraint est d’autant mieux vécu s'il est compris comme s’inscrivant dans un projet global de rénovation urbaine et qu’il s’accompagne d’un apprentissage à la mobilité dans la ville. En effet, la contrainte du déménagement a pu s’estomper au fil du temps, les ménages s'étant rendu compte que leur ville et leur quartier allaient connaître un remaniement en profondeur (démolition de logements, création de voies nouvelles, transformation d’une place, réfection de la mairie, transferts de services publics, arrivée d’une ligne de tramway, construction d’une maison de retraite en plein cœur du quartier, etc.). Le fait d'avoir vécu collectivement ces déménagements contraints semble avoir été bénéfique. C’est pendant les entretiens préparatoires au relogement durant lesquels les chargés de relogement expliquent le projet urbain dans sa globalité que cette prise de conscience collective a pu en partie se réaliser. Elle s'est élaborée aussi pendant les réunions de concertation et de présentation de l’Opération de Renouvellement Urbain. Peu à peu, tous les ménages concernés ont accepté l’idée de déménager. Le vécu collectif stigmatise moins qu’un relogement contraint par expulsion suite à des impayés ou des troubles de voisinage par exemple. L’effet de groupe, bien accompagné, peut devenir un atout dans l’acceptation de déménager et favoriser l’adaptation à d’autres sites. En parallèle, les actions menées sur la mémoire collective à travers les photos, les célébrations et les chansons aident également à effectuer le nécessaire travail de « deuil ».

33Les ménages relogés sur site vivent la double contrainte du relogement, mais également celle de la transformation du quartier. Plus le quartier subit des transformations urbaines lourdes avec des périodes de chantier importantes, plus il est fondamental d’expliquer le projet global, en tenant compte de la capacité des familles à comprendre l’évolution de leur environnement,à donner du sens au projet. Le déménagement, le relogement, la transformation du quartier sont autant de traumatismes, même si par la suite ils s’avèrent être une opportunité pour les ménages. Cela se traduit bien souvent par une perte de repères. Par exemple, le quartier des Plaines à Trélazé a été entièrement remodelé avec le transfert de l’école, du centre social, la construction d’un nouveau centre commercial, d’un pôle santé, entre autres (voir figure 2). Cette compréhension du projet implique d’accompagner les familles sur la durée, tout au long de la transformation, pour les aider à mieux appréhender les changements. Par ailleurs, l’arrivée de nouvelles populations dans le quartier ou l’installation dans un nouveau quartier peut être source d’inquiétude. Là encore, l’accompagnement de ces familles est essentiel afin d’anticiper les appréhensions liées à cette cohabitation avec des ménages issus de milieux ou de quartiers différents.

34Le temps de la préparation du relogement doit offrir l’occasion au ménage de se projeter dans un ailleurs, de découvrir les autres quartiers, d’être encouragé à la mobilité par l’appréhension de la diversité de l’offre sociale à différentes échelles (îlot, sous-quartier, ville). L’ensemble des partenaires indique la nécessité d’un temps d’apprentissage de la mobilité à la ville. D’autant que l’on n’observe pas de fracture numérique chez ces familles : les ménages utilisent tous Internet d’où la possibilité de développer des outils virtuels (présentation du projet, des quartiers, du patrimoine…). À titre d’exemple, au fur et à mesure de l’avancée des travaux au sein du quartier, la ville de Trélazé a organisé des balades urbaines, faisant visiter le quartier. De son côté, Resto Troc, association du quartier de Belle Beille à Angers, a organisé des sorties à prix modiques, donc accessibles à tous, allant du pique-nique dans le quartier à une randonnée urbaine pour faire connaître d'autres quartiers et d’autres territoires (littoral) et apprendre à se déplacer autrement qu’à pied ou en bus (train).

La mobilité, un problème cognitif géographique mis à mal dans une atmosphère bruyante et stressante.

35Être mobile ne nécessite pas seulement d’être motivé, ou d’avoir l’accès gratuit à des lieux ou des moyens de transport, ou encore d'avoir accès à l’information concernant les horaires et la localisation de l’offre résidentielle et professionnelle. Être mobile exige tout d’abord de savoir localiser mentalement les lieux, savoir manier les horaires, savoir combiner le tout pour que cela puisse correspondre à ce que l’on souhaite obtenir (Le Breton, 2005). L'activité cognitive de la mobilité devient ainsi une alchimie entre les nombres, l’espace, la motivation, les valeurs, soi et les autres. Ainsi, on pourrait dire que la représentation de l'action cognitive de la mobilité se compare à un hologramme détaillé : s’imaginer par la pensée, le contexte dans lequel on veut aller, tout en sachant que ce contexte évolue puisqu’il s'inscrit dans le temps. La mobilité demande une capacité de projection, certes, mais pas exclusivement. Elle demande surtout une capacité de représentation et d’analyse et de résolution de problèmes. C’est en cela qu’elle est surtout une opération intellectuelle.

36Étant donné que la majorité des ménages rencontrés affiche trois constantes : un faible niveau de formation, des problèmes de santé, une appréciation générale de leur nouveau cadre de vie, et puisque les moins mobiles sont aussi les moins qualifiés (INSEE 2006), la mobilité peut-elle être du ressort de la connaissance et du savoir ? Quelle opération intellectuelle est alors mise en œuvre ? Où et quand s'apprendrait-elle ? Quelle corrélation entre l’apprentissage de la mobilité, la santé, le calme du cadre de vie et les conditions de vie ?

37Nous avons présenté dans un premier temps la mobilité comme un acte spatial (x vers y), un acte temporel (t0 à t1) et un acte social (A vers B). L'exercice cognitif demande alors une capacité de raisonnement logique associant ces trois actes, à savoir :

• aller du point x au point y, comme acte spatial

• passer du temps t0 au temps t1, comme acte temporel

• A rencontre B, comme acte social

38Alors, l’absence de mobilité ne serait ni un problème de motivation, d'argent, d'accessibilité, ni une difficulté, mais un problème à résoudre. Être mobile est donc le ressort cognitif de la résolution de problèmes. Et de surcroit, un problème géographique. En effet, il faut trouver les moyens et la méthode pour aller à tel endroit, en direction de tel but, par exemple. Il faut donc à la fois avoir la capacité de projection, d’anticipation, d’organisation et de résolution de problèmes. Si l’on considère que la logique de pensée spatio-temporelle nécessite, entre autres, de savoir poser et enchaîner dans le temps et l’espace les conditions nécessaires à la réussite d’un projet, savoir organiser, sérier les opérations à mettre en œuvre, savoir manipuler les opérations intellectuelles telles que les propositions : « et », « ou » puis le « si … alors », alors, être mobile est un acte cognitif comportant tout d’abord un mode de raisonnement qui s’apprend.

39Mais où et quand apprend-on cette logique de pensée ? Qu’induit-elle ? À quel âge connaît-on les techniques de résolution de problèmes spatio-temporels ? À quel âge est enseigné le raisonnement déductif et inductif ? Existe-t-il des conditions environnementales ou sociales favorables à l’apprentissage et à la mise en œuvre de la mobilité ? Le calme permettrait-il alors cet apprentissage ? Nous ne répondrons pas ici à l'ensemble de ces questions. Cependant, nous pouvons d'ores et déjà y apporter quelques réflexions issues de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, en fonction des premiers résultats de l'étude.

40Jean Morval, psychologue environnementaliste qui étudie les différents mécanismes psychosociaux reliant les personnes et leur milieu de vie, stipule :

 « Un bruit trop fort ou trop répété provoque une gêne, quelles que soit sa fréquence et son intensité. En outre, pendant le sommeil, l’homme est affecté même par des sons d’intensité moyenne, car le son augmente la durée du sommeil léger et réduit la possibilité de récupération pendant le sommeil. Par ailleurs, on observe chez des sujets en état de veille et qui sont soumis à un son uniforme de 90 décibels les symptômes suivants : une dilatation de la pupille, une accélération de la fréquence cardiaque, des modifications des sécrétions endocrines (hypophyse, thyroïde et surrénale) et parfois de l’hypertension. Le son est également lié à une baisse de la performance dans le travail intellectuel et dans l’apprentissage et la coordination des mouvements » (Morval, 2007, p. 46).

41Éric Le Breton, sociologue, a recensé et analysé les différentes expériences menées par les travailleurs sociaux sur l'apprentissage de la mobilité et relate l'originalité de la démarche de la Fédérations des Maisons de Quartier de Saint-Nazaire, dans la découverte des dimensions amont de la mobilité. Ainsi, la mobilité consisterait en « la maitrise de l'espace par la pensée, la capacité à traduire un emploi du temps en séquence de déplacements et trajets, par la mobilisation du corps. » (Le Breton, 2005, p. 153). Il rejoint ici Michel Lussault, qui évoque l'idée de « métrise », c’est-à-dire la capacité à prendre les différentes métriques spatiales et temporelles (Lussault, 2003, p. 623).

 « Ce sont ces lieux mobilisés qui constituent, à notre avis, les repères permettant de lire les mondes de territorialisation différenciée des individus ou des groupes. Ces repères de l'espace social s'inscrivent non seulement dans des lieux, mais aussi dans les temporalités d'un cycle personnel et des rythmes de la vie quotidienne, des apprentissages de l'autre et du monde. Ils font signe de valeurs, d'un mode d'être ou de paraître réel, rêvé, projeté ou rejeté. Ils témoignent d'une certaine manière de voir le monde et la société » (Di Méo, 1996 cité par Rougé, 2005, p. 212).

43Les résultats de l'étude montrent donc d'une part que les conditions dégradées de logement et d'habitat sont des facteurs de stress et de perturbation du sommeil. D'autre part, que cette précarité urbanistique a des conséquences sur la représentation des lieux et donc, sur la capacité à prendre des décisions et à se projeter. En effet, être mobile, c'est avant tout avoir la capacité logique de résolution de problèmes spatiaux, temporels et sociaux. De plus, outre une disposition culturelle, sociale et financière, la mobilité exige une compétence intellectuelle, comme le raisonnement logique spatial et temporel. Elle requiert aussi un entourage compétent en transmission de connaissances et de savoirs sur les pratiques de mobilité, comme les parents, enseignants, les médiateurs, géographes, aménageurs. Tout comme un environnement bâti et social, ressourçant, imaginé, construit par les métiers d'aménagement et de concertation urbaine. Finalement, l'étude met en exergue également que l'acte cognitif de la mobilité se met en œuvre dans un environnement calme et ressourçant.

Conclusion

44Pour faire face aux conséquences sociales et environnementales d'une crise économique et urbaine nationale, les territoires d’Angers et Trélazé, en périphérie d'Angers, se sont dotés d’une pratique partenariale éprouvée par le temps. Les acteurs de la ville, au travers des dispositifs issus de la politique de la ville, font face à une crise économique et urbaine structurelle se traduisant au quotidien par le non-emploi et l'altération de la vie sociale avec une affluence de conflits de voisinage et de quartier. Se déplacer autour de chez soi, au sein du quartier et hors du quartier devient alors aussi difficile que d'accéder à un emploi. Les habitants doivent lutter contre un effet d'assignation à résidence et de stigmatisation sociale et territoriale.

45La méthodologie de recherche compréhensive et le guide d'entretien temporel adoptés dans le cadre de l'étude sur les effets, les freins et les leviers de la mobilité résidentielle contrainte s'avèrent être une méthodologie adaptée à la reconstitution de parcours résidentiel. Elle peut permettre par ailleurs de saisir le processus cognitif de la mobilité et d'identifier les motivations personnelles, et ainsi de représenter le processus « réflexif » de l'individu en tant qu'habitant de son logement et de son quartier. L'habitant est perçu comme un pratiquant de son territoire de vie. Il est considéré comme un praticien-réflexif de sa manière d'habiter le monde.

46La politique de Rénovation Urbaine, avec la mise en place du dispositif d'accompagnement au relogement, a permis de rompre l'effet d'assignation à résidence tout en tentant d'amoindrir le traumatisme résidentiel que constitue un déménagement contraint, d'autant que les déménagements antérieurs ont été pour l'ensemble des moments douloureux, car le plus souvent consécutifs à des ruptures affectives. Les relations familiales répondent aux logiques personnelles souvent mises à mal par un sentiment ou un vécu d'insécurité empêchant les déplacements proprement dits. Le rôle du chargé de relogement revêt alors d’une grande importance. Il doit faire apparaître les champs du possible lors des entretiens avec le locataire. Pour ce faire, il devra présenter l'ensemble des quartiers, par exemple. Les chargés d'animation des quartiers pourront quant à eux organiser des visites, des promenades urbaines afin de transformer le cliché du logement social : « Un logement pour tous, le même, identique à tous les autres » en une autre vision du logement social : « Un logement pour tous, un logement pour soi ». En effet, afin de rendre autonome une population dans ses choix et ses décisions de vie, l'enjeu des programmes d'habitat social pourrait se présenter tout d'abord comme tel : faire en sorte que le logement soit véritablement un droit pour tous, certes, mais avec une proposition de logement qui doit pouvoir correspondre aux besoins immédiats et aux aspirations de chacun. Ainsi, chaque individu peut construire son propre parcours résidentiel, son propre parcours de vie. L'individu, s'il doit être en capacité de choix, doit être également en capacité de décision. Or, celle-ci passe par l'acte cognitif de la résolution de problèmes. Choisir et décider de son logement et de son mode d'habiter se révèle, ici, comme un problème de résolution géographique. Le rôle du chargé de relogement consiste donc à accompagner le locataire à trouver la façon de résoudre son problème de logement et d'habitat, pour qu'ensuite, ce dernier puisse le faire seul, voire même être en capacité de transmettre son savoir opérationnel à ses enfants, ses amis, ses voisins.

47Nous affleurons ici la démarche de développement durable au sens sociétal qui consisterait à permettre à tout un chacun de devenir mobile donc habitant. Un habitant est cet individu qui, en capacité de choix de partir ou de rester, est en capacité de résoudre et de décider. Il devient non seulement l'acteur, mais aussi l'auteur de son histoire résidentielle, il s'autorise, il s'affranchit de sa condition première.