Introduction

1Situé au Sénégal, le delta du fleuve Sénégal est un territoire sahélien, riche en potentialités naturelles et humaines dans un contexte semi-aride où les volumes pluviométriques annuels sont très faibles (Cochet et al., 2019). La construction des deux barrages de Diama (1985) et de Manantali (1988) est une réponse à la sécheresse ayant duré plusieurs années. Cet épisode a été particulièrement marqué entre 1970 et 1990, avec une baisse de la quantité de pluie annuelle de 200 mm en moyenne, créant un déficit plus accentué dans la partie nord de la région. Ceci a créé un nouveau contexte hydraulique et agricole dont les résultats demeurent très mitigés (Mietton et al., 2005), car le choix a été fait d’imposer un développement l’agriculture irriguée.

3De nouvelles difficultés apparaissent toutefois liées à des tâtonnements successifs dans la gestion des ouvrages hydrauliques ainsi qu’à des impacts négatifs pour lesquels les solutions de compensation et d’atténuation n’avaient pas été prévues en tant que tels, ou dans leur financement (Mietton et al., 2005). Cette série de problèmes n’épargne pas les PIP et PIV qui connaissent un important problème de salinisation des superficies, du fait de leur caractère vétuste et d’un réseau de drainage inadéquat. D’une part, le delta a traversé une transgression marine (le Nouackchottien) de 12 000 à 2 000 ans before present (BP) à l’origine du caractère fossile des sels en réactivation (Michel, 1973 ; Michel et al. 1993). D’autre part, on observe également des déficits pluviométriques et la submersion contrôlée qu’exerce la SAED depuis la mise en eau des barrages de Diama et de Manantali (Kane, 1997). Ce phénomène constitue une menace pour l’atteinte des objectifs d’autosuffisance et de sécurité alimentaire dans cet espace où 47 % des producteurs connaissent une baisse de rendement, mais également des abandons définitifs de périmètres à cause de certaines parcelles devenues totalement inexploitables (Diop, 2017).

4La création des barrages a une double conséquence : a) d’abord une disponibilité de l’eau dans les terres (Thiam, 2013), et ce pendant toute l’année (Thiam, 1996) ; b) et une absence d’accompagnement de cette petite paysannerie confrontée localement à une absence de cadre de gestion opérationnelle de l’eau dans les périmètres (Diouf, 2020).Toutefois, dans ce milieu deltaïque salé et salinisé, l’agriculture a forcément besoin de stratégies hydrauliques (drainage, maintien des réseaux, ouvrages de régulation, et cetera), agronomiques (amendements chimiques, apports de volumes d’eau, choix des types de cultures), et surtout de stratégies de génie rural et de gestion (performances individuelles des agriculteurs, gestion de l’eau à l’échelle du système) (Marlet et Job, 2006).

5Le présent travail tente de montrer l’importance des indicateurs de typologie et pratiques de gestion de la salinité dans un contexte où l’irrigation est menée en l’absence d’un cadre de gestion opérationnel de l’eau. Cette étude appliquée, mobilise une notion récente qui est celle du territoire salé de l’eau. Cette dernière est une approche conceptuelle et méthodologique innovante qui a permis de réinventer la question de la gestion de l’eau à travers une démarche systémique mettant en jeu les populations paysannes, dans leurs pratiques et perceptions, et leurs milieux salés étudiés avec des outils modernes (Diouf, 2020).

Méthodologie

Présentation de l’espace d’étude

6L’axe Gorom-Lampsar (figure 1) se situe dans le delta du fleuve Sénégal, entre 16° et 16° 30 de latitude Nord et 16° et 16° 30 de longitude Ouest, en domaine sahélien. Il est constitué par trois défluents majeurs du fleuve, le Gorom, au nord, le Lampsar, à l’est et le Djeuss, à l’ouest. Cet axe, de direction nord-est-sud-ouest, s’étire sur environ 95 kilomètres de Saint-Louis à Ronkh, localités qui limitent l’espace échantillon.

8La carte montre deux secteurs de salinité :

• sur les rives des cours d’eau du Lampsar et Djeuss, on note des taux moyens (moyennement salé à salé) ;

• dans les zones intermédiaires (dans les PIP et les PIV), les surfaces ont des taux de salinité généralement élevés, allant de très salé à extrêmement salé.

9Dans le Gorom-Lampsar, la salinité dépend des états de surface agricole par année de culture, c’est-à-dire plus les superficies agricoles sont abandonnées, plus elles sont soumises à la salinisation. À l'inverse, plus elles sont exploitées et moins elles sont salinisées. 60 % de ces superficies abandonnées servent généralement de drainage, car les sols ont perdu leur structure, leur teneur en matière organique et par conséquent leur exploitation devient impossible (Diop, 2017).

Le terrain

10Le travail de terrain qui est la base de cette méthodologie a concerné principalement les enquêtes auprès des paysans afin de voir comment ils se comportent face au problème des sols salés. L’objectif ici est d’essayer d’identifier les indicateurs locaux qualitatifs et les pratiques paysannes de gestion de la salinité des sols. Nous emploierons le terme « pratiques de gestion » et non celui de « stratégies de gestion », car ce dernier désignerait, dans ce contexte, un ensemble de pratiques entreprises par les agriculteurs pour s’adapter au milieu salin afin de diminuer le sel et maximiser le rendement d’une part, et d’autre part de capitaliser les connaissances (les « technologies traditionnelles »), ce qui n’est pas le cas dans le Gorom-Lampsar.

11Le choix des villages est fait selon une méthode d’échantillonnage stratifié. Ce type d’échantillonnage divise la population cible en sous-groupes d’intérêt homogènes (villages) selon des critères spécifiques précisés dans le tableau 1. Ainsi les villages cibles ont été choisis en fonction de l’intensité de la salinité (forte teneur en sel), de l’accessibilité de la zone, de l’existence ou non d'un réseau d’irrigation et de drainage. Les missions ont été effectuées entre 2017 et 2019, à la fin de chaque saison sèche (avril-juin), durant laquelle la salinité des sols est importante (Gherina et al., 2008), car les surfaces irriguées sont soumises à une évaporation et à l’apport des volumes diminués et une couverture végétale très faible, voire inexistante, dans certains secteurs non cultivés.

Tableau 1. Critères de choix sur le terrain

Critères	Descriptions	Appréciation
Accessibilité	La voie est en bon état, très proche du milieu urbain compte tenu de l’intensité élevée des activités de terrain	Bonne
	La voie est assez bonne, un peu éloignée du milieu urbain compte tenu de l’intensité élevée des activités de terrain	Assez bonne
Niveau de salinité	1500 à 250 µS	Faible
	À partir de 3000 µS	Forte
Système d’irrigation et de drainage	Où l’entrée et la sortie de l’eau sont permanentes	Bon
	Absence d’un réseau adéquat	Mauvaise

12Le terrain a permis d’établir une vue panoramique de nos objets de recherche, surtout dans un contexte où les données statistiques font défaut, en raison du manque de recherches antécédentes pour vérifier ou compléter les informations déjà acquises. Le tableau 2 présente et précise les différentes données collectées.

Tableau 2. Les questionnaires et données collectées

Donnée	Méthodes de collecte	Échantillon	Questions posées
Caractéristiques des parcelles agricoles	Enquêtes	155 Paysans	Quel type d’exploitation ?
Pratiques d’irrigation	Observations de terrain, enquêtes	155 Paysans	Quelles pratiques de gestion ? Quels indicateurs de salinité ?
Pratiques culturales	Observations de terrain, enquêtes	155 Paysans	Quel type de culture ? Quels impacts de la salinité ?
Développement des cultures	Observations de terrain, enquêtes	155 Paysans	Quels produits utilisés ?
Gestion opérationnelle de la salinité	Interviews, enquêtes	45 personnes (OP, GIE, UH)	Entretiens

13Notre enquête s'est basée sur un échantillon de 155 paysans, réparti sur 3 sites principaux. Chaque site est constitué de plusieurs villages et un village d’un à plusieurs périmètres agricoles (figure 1). L'échantillon intègre également 45 paysans appartenant à des syndicats, coopératives, associations, et cetera. On retrouve, dans cet échantillon, 5% de jeunes diplômés et 10% de personnes issues d’un autre secteur, mais reconverties dans l’agriculture. Ces personnes exploitent le plus souvent les PIP. Cet échantillon est représenté à 85% de paysans qui cultivent leurs parcelles (dans les PIV) avec leurs familles en se conformant aux règles de gestion du périmètre définies par un groupement villageois.

Résultats

Les indicateurs de salinité des sols

15Dans les périmètres irrigués du Gorom-Lampsar, les agriculteurs utilisent un certain nombre d’indicateurs pour identifier les sols salés. Chaque indicateur a une signification et concerne soit le sol, soit les cultures. La combinaison des deux permet aux agriculteurs de classifier les sols salés. Pour bien comprendre la perception des agriculteurs sur la salinité et la sodicité, il est utile d’explorer les termes qu’ils utilisent pour indiquer chaque situation. Les agriculteurs ont défini quatre unités de salinité/sodicité pour distinguer les différents types et niveaux de sols salins ou sodiques. Les agriculteurs n’utilisent pas les termes de manière cohérente, mais en général, la plupart des agriculteurs s’accordent sur la classification suivante :

• les sols présentant une surface blanchâtre révèlent des efflorescences salines (1) ;

• les sols qui ne présentent que quelques traces de croûte blanche et noire traduisant des apparences sodiques et salines sur les bords d’un cours d’eau (2) ;

• les sols qui ont une apparence noire et qui sont durs dans la couche supérieure indiquent des efflorescences sodiques sur une surface irriguée (3) ;

• les sols argileux assez meubles dans la partie supérieure annoncent des apparences sodiques (4).

Tableau 3. Les indicateurs et leurs significations dans le Gorom-Lampsar

Indicateurs	Explications
Fissures dans le sol après irrigation	Cela arrive si le sol a une mauvaise structure
Une texture blanche des sols	C’est la première manifestation de la salinité. Elle apparait une fois les sols exploités puis abandonnés.
Apparence noire du sol	Quand le sol a une apparence noire, cela veut dire que la salinité est encore plus sévère
Sols argileux meuble en surface	Cela arrive quand les sols non exploités enregistrent d’énormes taux d’évaporation
Problème de croissance des cultures	Cela montre les impacts des sels sur la couleur des feuilles des plantes

16Le tableau 3 montre les indicateurs et les explications qu’en font les agriculteurs. Sur la base de ces indicateurs de salinité, il est déjà possible de relier les types de sols des agriculteurs à la salinité liée aux problèmes, comme l'expose le tableau 4.

Tableau 4. Les indicateurs et les types de salinité dans le Gorom-Lampsar

Indicateurs	Nom	Problèmes
Efflorescence saline sur la croûte	« Xorom »	Salinité
Efflorescence et couleur blanche	« Xorom »	Salinité
Couleur noire du sol + Retard de croissance	« Xorom »	Sodicité
Structure meuble du sol	« Xorom »	Sodicité
Croûte et/ou texture meuble du sol + couleur noire	« Xorom »	Salinité/Sodicité

Les pratiques de gestion de la salinité

18L’analyse des données montre deux grands groupes de pratiques de gestion de la salinité des sols. Sur la figure 4, ces pratiques sont composées de plusieurs mesures. Le premier groupe est celui des pratiques de gestion hydrauliques qui s’appliquent au système d’irrigation, le drainage étant la mesure la plus utilisée (100 %), la deuxième étant celui des pratiques agronomiques dominées par l’utilisation de produits chimiques (85,7 %).

19D’après les entrevues, ces mesures ne visent principalement pas à réduire la salinité ou la sodicité du sol, mais plutôt à prévenir les baisses de rendement, donc les pertes financières. Or, la gestion de salinité à l’échelle des périmètres devrait permettre de réduire la salinité des sols, de prévenir les taux de salinité, d’atténuer les effets de la salinité ou de la sodicité sur la croissance des cultures et d’augmenter le rendement des cultures. Ces pratiques sont regroupées en fonction du type de mesure. Certaines pratiques impliquent un ajustement de la gestion de l’irrigation, tandis que d’autres sont liées au choix des cultures, aux modifications chimiques ou biologiques ou aux améliorations mécaniques. Dans le Gorom-Lampsar, les paysans n’utilisent pas une pratique de gestion, mais la combinaison de plusieurs. Le terrain a montré que les paysans du Gorom-Lampsar sont eux plus préoccupés par les résultats immédiats que sont la réduction du sel et l’augmentation des rendements. Ils sont moins préoccupés par la prévention du taux de salinité extrême sur leurs cultures.

Les pratiques hydrauliques de gestion de la salinité

20Dans les périmètres du Gorom-Lampsar, elles concernent toutes les options de génie rural et de gestion, principalement mises en œuvre par les paysans à l’échelle du système d’irrigation. Du fait du substrat hydro-géomorphologique (nappe subaffleurante) et de la pente insuffisamment prononcée, le drainage naturel dans le Gorom-Lampsar n’est pas suffisant pour évacuer les eaux et sels excédentaires.

22Ces pratiques hydrauliques sont une source de pollution des axes hydrauliques et des zones d’épandage des eaux polluées et de surfaces abandonnées.

Les pratiques agronomiques de gestion de la salinité

23Elles concernent l’ensemble des options entreprises à l’échelle de la parcelle et sur la culture. Les amendements chimiques (82,4 %) et organiques (29,4 %) sont utilisés et leurs impacts, selon les agriculteurs, sont « réels » sur la salinité, mais encore plus sur le rendement agricole. Selon les paysans, ces amendements sont couteux et leur efficience est limitée en raison du fort pouvoir tampon exercé par le sol.

24Le choix d’une autre variété de culture n’est pas une pratique très connue dans le Gorom-Lampsar, car les paysans ont une très longue tradition de la riziculture. On note une prédominance de l’utilisation du phosphogypse et d’autres méthodes chimiques. Le phosphogypse est bien reconnu pour ses fonctions de restauration des terres salées. En effet, l’utilisation du phosphogypse sur les sols salés permet d’évacuer le sodium et de fixer le calcium sur le complexe, ce qui corrige la salinité et la sodicité (Marlet et Job, 2006). Cependant, peu de paysans sont formés à l’utilisation de ces substances.

25Finalement, dans le Gorom-Lampsar, il n’existe pas une voie unique pour le contrôle de la salinité, mais un ensemble de pratiques agronomiques et hydrauliques combinées. Néanmoins, les résultats de notre étude montrent la prépondérance de l’utilisation des pratiques hydrauliques (100 %), dont le drainage qui est utilisé par pratiquement tous les paysans. Ce drainage est vraiment un transfert de problème, puisqu’il suppose le rejet des eaux usées hors des parcelles et dans ce contexte où les réseaux d’irrigation sont inexistants, il se fait sur les parcelles abandonnées ou non exploitées (raison pour laquelle elles sont les plus salées). On recense 53,8 % des exploitants utilisant les pratiques agronomiques. La faiblesse de ce chiffre par rapport au chiffre hydraulique est due au manque d’assistance de la part de la SAED, mais également au manque de moyens de se procurer d’amendements chimiques.

Discussion

Perception, pratiques et gestion dans un contexte de salinité

26Les périmètres agricoles du Gorom-Lampsar sont gérés par un ensemble de décisions individuelles (figure 8). Les objectifs de l’agriculture sont basés sur les besoins. La façon dont ces objectifs sont atteints dépend des connaissances et de l’expérience des paysans, ainsi que des contraintes internes et externes de l’agriculture. La manière dont un paysan tente d’atteindre ses objectifs sera considérée comme une pratique. À partir de cette pratique, un certain nombre d’activités et de processus sont initiés et mis en œuvre (Kielen, 1996). La salinité peut être considérée comme une contrainte, ou un danger, qui limite la réalisation des objectifs des agriculteurs ou freine l’organisation de la production pour atteindre les objectifs paysans. Elle n’est pas une contrainte irréversible ni un danger inévitable, elle dépend des perceptions des agriculteurs (Kuper, 1997 ; Kijne, 1998).

27Une stratégie de gestion de la salinité doit être le choix d’un ensemble de pratiques entreprises par les paysans pour s’adapter au milieu salin afin de diminuer le sel et maximiser le rendement d’une part, et d’autre part de capitaliser les connaissances issues de la perception. Cette perception dépend des moyens de production des connaissances acquises par l’agriculteur au fil du temps. Elles doivent imprimer un processus décisionnel (Figure 9).

28Les agriculteurs et les scientifiques utilisent souvent des langages différents pour décrire les mêmes phénomènes. Dans le contexte du Gorom-Lampsar, les paysans n’utilisent qu’un terme local pour décrire la salinité, mais plusieurs indicateurs tandis que les scientifiques parlent de salinité et de sodicité. Les paysans classifient la sodicité et la salinité du sol sur la base de l’apparence physique du sol et de l’effet de la salinité ou de la sodicité sur la croissance des cultures. Tandis que les scientifiques classeront la salinité et la sodicité du sol principalement sur la base de la conductivité électrique (CE), du superphosphate (ESP), et du potentiel hydrogène (pH). Aujourd’hui, au vu des avantages que présentent ces indicateurs, établir une correspondance entre les classifications scientifiques et vernaculaires (traditionnelles) pourrait permettre de créer de vrais outils de suivi des sols salés afin d’aider à mieux gérer les pratiques agricoles. En effet, les connaissances traditionnelles passent malheureusement sous le silence des institutions scientifiques, bien qu'elles orientent, à l’échelle des périmètres agricoles, les choix des pratiques paysannes de gestion de la salinité.

Un cadre inexistant de gestion stratégique et opérationnel de la salinité

29La gestion paysanne de l’irrigation requiert un soutien et une institutionnalisation de la part de l’État. Ceci doit passer par la création d’un cadre de gestion local et opérationnel des périmètres irrigués afin d’inscrire la pratique paysanne de l’irrigation dans un cadre temporel : une réflexion stratégique, qui se situe en amont de la campagne d’irrigation et une réflexion tactique, qui se situe durant la campagne d’irrigation (Bergez et Lacroix, 2008). Dans ce contexte, à travers la SAED, l’État du Sénégal doit, au-delà de l’appui technique et organisationnel aux organisations paysannes, œuvrer à la conception, la réalisation et l’utilisation de leurs équipements et aménagements et mettre en place un cadre de gestion doté de systèmes d’information et de formation, cela afin que tous les paysans puissent décider ensemble de la gestion de leurs périmètres. Au-delà de cette gestion locale, la gouvernance des ressources en eau est aussi mise en cause dans la bonne gestion de la salinité. Celle-ci renvoie à la gestion des ouvrages hydrauliques, des retenues et réservoirs d’eau douce, mais aussi à celle des zones de drainage. La petite paysannerie agricole du Gorom-Lampsar est caractérisée par un système d’irrigation sommaire, car l’aspect technique et durable des infrastructures hydrauliques n’est pas encore une priorité chez les exploitants qui cherchent plutôt une rentabilité rapide de l’outil de production. Parvenir à résoudre les problèmes de salinité et de gestion des ressources en eau requiert une gouvernance de l’eau efficace (figure 10). Ceci suppose que ce système de gouvernance ainsi proposé vise à associer tous les acteurs pertinents (SAED, communautés et partenaires, techniciens), soit tous ceux qui, à des titres divers, ont une légitimité à intervenir dans la gestion de l’eau dans le delta.

La gestion de la salinité est inhérente à la gestion de l’eau

30Dans le contexte du Gorom-Lampsar, la gestion de la salinité des sols est inhérente à la gestion de l’eau, de la distribution de l'eau jusqu'à la parcelle à irriguer. Cela implique un ensemble de décisions et d'activités : estimation de la ressource, délimitation éventuelle de la surface irrigable, décision de prélèvement et fourniture d'eau en tête du périmètre (par pompage ou ouverture de la vanne principale), mise au point d'une réglementation de la distribution de l'eau, choix des parcelles à irriguer, des débits et doses à appliquer en fonction des besoins estimés et des règles choisies et information des irrigants, ouverture des vannes correspondantes sur le réseau des canaux, contrôle des quantités reçues et de leur bonne utilisation afin d'éviter tout gaspillage, drainage lorsque des vannes ou des pompes permettent de régler le niveau de l'eau dans les drains. Tout ceci doit être mené dans un cadre décisionnel collectif impliquant tous les paysans, car gérer la ressource en eau, c’est gérer la salinité des sols.

31Aujourd’hui, la rentabilité des PIP et des PIV ne dépend pas des pratiques de gestion individuelles, mais plutôt celles de la bonne gestion de l’eau, des stratégies qui se veulent être d’une logique collective, des responsabilités partagées dans la mise en œuvre de l’irrigation.

Conclusion

32Gérer la salinité des sols dans un contexte agricole, deltaïque salé et salinisé, où la gestion de l’eau n’est pas inscrite dans un cadre organisationnel et où les systèmes irrigués sont très sommaires et non viables, requiert des pratiques individuelles et des indicateurs de perception. Les connaissances traditionnelles passent- souvent sous le silence des institutions de développement et de recherche scientifique, c’est le cas dans le Gorom-Lampsar où les paysans, dans un contexte de salinité, se représentent leurs phénomènes à travers des indicateurs physiques. Ces derniers orientent les choix de gestion individuelle. Dotés de peu de moyens dans un système paysan dépourvu de réseaux d’irrigation, mal formés aux techniques agricoles, ces paysans subissent le résultat de la mise en place d’un territoire de l’eau inaboutie où l’eau est cause et conséquence. La SAED, à travers ses politiques agricoles, doit non seulement doter ces périmètres de réseaux d’irrigation adéquats, mais aussi renforcer l’appui technique auprès des paysans par la formation et la sensibilisation.

33Aujourd’hui, en raison des impacts constatés de la salinisation sur les sols dans le Gorom-Lampsar, la question de la conservation, de la durabilité et de la fertilité des sols devient incontournable. Le maintien de la fertilité des sols passe aussi par une bonne politique d’aménagement et de gestion des ressources que doivent mener la SAED et les populations paysannes pour pérenniser les agro-écosystèmes caractéristiques du delta du fleuve Sénégal.

34La gestion de la salinité nécessite la prise en compte des pratiques paysannes individuelles pour des décisions collectives à adopter en matière de gestion et de planification de la ressource en eau. Cette recherche souligne en cela qu'une meilleure gestion de la salinité des sols dans les périmètres irrigués du Gorom-Lampsar nécessite non seulement une bonne gouvernance de l’eau par la mise en œuvre d’un dispositif pérenne complémentaire pour l’analyse des performances des usagers et des gestionnaires de l’eau et un suivi des sols. Mais également l’application d’un certain nombre de textes réglementaires (dont notamment la Charte du domaine irrigué), ainsi qu’une gestion opérationnelle et stratégique dans les périmètres qui permettrait aux paysans du Gorom-Lampsar de renforcer leur formation à la gestion de leurs périmètres.

Les auteurs remercient chaleureusement Société d’aménagement des eaux du delta (SAED) du Sénégal, les communautés villageoises du Gorom-Lampsar et le Centre d'études sur le développement des territoires et l'environnement (CEDETE) de l'Université d'Orléans pour leur appui à la réalisation de cette étude.