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InícioNumérosVolume 22 Numéro 3Section couranteSTOREVAL, un indicateur de valeur...

Section courante

STOREVAL, un indicateur de valeur écologique du foncier pour la définition de meilleures stratégies de gestion des sites des entreprises en lien avec les réseaux écologiques locaux

Laura Thuillier, Caroline De Zutter, Denis Leca e Nathalie Machon

Resumos

Les entreprises industrielles, notamment du fait de l’emprise foncière de leurs sites de production et des produits qu’elles utilisent, contribuent à la dégradation et à la fragmentation des milieux, impactant négativement la biodiversité. Elles sont soumises à une pression sociétale croissante pour diminuer leurs impacts. Ainsi, de plus en plus d’entreprises développent des stratégies pour prendre en compte la biodiversité dans leurs activités. Elles établissent des partenariats avec des organismes scientifiques reconnus afin d’étudier leurs impacts sur la biodiversité et leur proposer des mesures pour les diminuer. Dans cet article, nous présentons un indicateur de valeur écologique, Storeval, issu de ce type de démarche. Cet indicateur composite permet à partir d’inventaires naturalistes, d’indicateurs structurels et de la modélisation des réseaux écologiques, d’estimer la qualité de l’écosystème, les pressions exercées sur lui, de prioriser les mesures de gestion et d’en évaluer les effets dans le temps. Il est applicable à l’échelle très fine de la tâche d’habitat pour des sites composés de parcelles plus ou moins dispersées dans l’espace. Sur les sites où il a été utilisé, Storeval a servi de base pour établir un plan de gestion sur le long terme. À l’échelle de l’entreprise, il apparaît comme un outil de conduite du changement vers des pratiques plus respectueuses de la biodiversité.

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Introduction

1Le taux actuel d’extinction des espèces dans le monde est dix à cent fois plus élevé que la moyenne des 10 derniers millions d'années. Le rapport de l’IPBES (International Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) estime jusqu’à 1 million le nombre d’espèces menacées d'extinction dont de nombreuses se produiront au cours des prochaines décennies (Díaz et al., 2019). Les causes de cette érosion de la biodiversité sont d’origine anthropique et ont été identifiées par ordre décroissant d’importance comme étant : 1) les changements d’usage des terres et de la mer ; 2) l'exploitation directe de certains organismes ; 3) les changements climatiques ; 4) la pollution ; et 5) les espèces exotiques envahissantes (Díaz et al., 2019).

2L’anthropisation des terres par l’agriculture, l’urbanisation et l’implantation d’infrastructures de transport entraine la destruction et la fragmentation d’habitats de nombreuses espèces limitant leur possibilité de dispersion et les échanges génétiques entre populations pouvant mener à leur extinction (Frankham, 2015). Les sites d’entreprises industrielles, qui s’implantent souvent dans des milieux naturels ou semi-naturels, contribuent à ce phénomène. L’activité industrielle influence également négativement la biodiversité du fait de l’utilisation de divers produits chimiques et machines qui génère des pollutions terrestres, atmosphériques et sonores. Les chantiers associés à l’activité peuvent aussi anéantir certaines populations animales ou végétales plus ou moins locales et favoriser l’implantation d’espèces exotiques envahissantes (Jones et al., 2015). Cependant, certains sites industriels peuvent contribuer à créer des milieux analogues à des milieux naturels et abriter une biodiversité plus rare, voire menacée (Lundholm et Richardson, 2010). Par exemple, même si elles peuvent porter de graves atteintes aux paysages, bouleverser l'hydrographie et fragiliser des milieux très sensibles, les carrières créent aussi des milieux rocheux de falaises et d’éboulis qui peuvent servir d’habitats à certaines espèces d’insectes, d’oiseaux ou de plantes (Lundholm et Richardson, 2010). Les sites industriels peuvent couvrir des surfaces foncières importantes comprenant des espaces semi-naturels, qui, s’ils sont gérés de façon appropriée, peuvent contribuer à la préservation de certaines espèces.

3Les indicateurs de biodiversité sont des outils d’évaluation, de suivi et d’aide à la décision qui peuvent être utilisés pour améliorer les stratégies des entreprises en la matière. En reprenant la définition de l’Agence européenne de l’environnement (AEE), l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) définit le terme d'indicateur de biodiversité comme étant : « une mesure, généralement quantitative, qui peut être utilisée pour illustrer et faire connaître de façon simple des phénomènes complexes relatifs à la biodiversité, y compris des tendances et des progrès dans le temps » (Union mondiale pour la nature, 2014, p. 16).

4La société et les règlementations incitent de plus en plus les entreprises à atténuer l’impact de leurs activités sur la biodiversité. Par exemple, les objectifs d’Aichi de la Convention sur la diversité biologique (CDB) appellent les gouvernements et acteurs économiques à mettre en œuvre des plans d’action pour une consommation et production durable des ressources naturelles (Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, 2010). La Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB), qui est la déclinaison des engagements de la France au titre de la CDB, incite également les entreprises à y contribuer en mettant en œuvre des démarches volontaires pour atteindre collectivement ces engagements. Les entreprises, quant à elles, prennent de plus en plus conscience de leur dépendance vis-à-vis des ressources naturelles et de la nécessité de leur utilisation durable pour pérenniser leurs activités (Houdet, 2010). Ainsi, au cours des 20 dernières années, l’interaction entre les organisations de conservation et les entreprises s’est accrue (MacDonald, 2010) et des groupes de travail sur la thématique Entreprises / activités économiques et biodiversité mis en place par l’association Orée ou l’UICN ont vu le jour. En France, l’initiative Act4nature lancée par l'organisme Entreprises pour l’Environnement (EpE), parrainée par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et l' Associations françaises des entreprises privées (Afep), soutenue par des institutions scientifiques, un réseau d’entreprises, l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et plusieurs grandes Organisations non gouvernementales (ONG), engage publiquement les dirigeants des 65 entreprises signataires à : « intégrer la nature (milieux, faune, flore, écosystèmes, interactions et patrimoine génétique…) dans [leurs] stratégies et [leurs] modèles économiques, et à agir concrètement pour apporter des solutions pour la conservation de la diversité biologique, sa restauration, son exploitation durable et l’usage équitable des bénéfices qui en sont tirés » (Act4nature, 2018, p. 10).

  • 1 ENGIE est un groupe industriel énergétique français dont le principal actionnaire est l’État frança (...)

5Les entreprises ayant rarement les compétences nécessaires dans le domaine de la conservation de la biodiversité, elles s’entourent d’experts pour orienter leurs prises de décisions. Lorsque des actions sont mises en place pour améliorer la biodiversité, il est alors nécessaire de faire un suivi dans le temps pour juger de leur efficacité. Ainsi, de plus en plus d’entreprises développent des indicateurs pour estimer et suivre l’état de la biodiversité sur leur domaine foncier, à l’image du partenariat entre Suez et le service Patrinat du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) ayant abouti au développement de l’Indice de qualité écologique (IQE) (Patrinat MNHN, 2022), mis au point pour évaluer de façon globale la qualité écologique de sites de stockage de déchets, de moins de 100 hectares, et d’un seul tenant. Même si l’objectif de cet indicateur est d’être utilisable pour une large gamme de situations, la configuration de certains sites nécessite des ajustements dans sa définition. L’objectif de cet article est d’exposer la méthodologie développée par Storengy, filiale d’Engie1, l’Engie Lab Crigen, centre de recherche d’Engie, et le MNHN, pour disposer d’un indicateur de valeur écologique à fine échelle, facilitant la mise en place de plans d’action différenciés pour de vastes sites constitués de parcelles disjointes, plus ou moins dispersées dans l’espace et le couvert de milieux variés.

6Depuis 2010, Storengy s’est engagée à préserver la biodiversité sur ses sites. L’entreprise possède 14 sites de stockage de gaz en France représentant un domaine foncier d’environ 1500 hectares. Chaque site est composé d’espaces dédiés à l’exploitation industrielle : une station centrale et des plateformes de puits, mais aussi d’espaces verts et de réserves foncières plus ou moins dispersées dans le paysage. Suivant les milieux concernés, ces réserves foncières sont mises à disposition d’activités professionnelles variées. Elles font l’objet de contrats plus ou moins temporaires avec des exploitants du voisinage : des parcelles exploitées par des agriculteurs, des boisements gérés par des forestiers, des prairies pour des éleveurs, des zones humides, et cetera. Ces espaces, s’ils sont gérés de manière appropriée, peuvent représenter des habitats potentiels pour une variété d’espèces et contribuer aux réseaux écologiques locaux. Ainsi, l’entreprise a fait appel au MNHN et à l’Engie Lab Crigen pour mettre au point une méthodologie permettant de répondre aux questions suivantes :

  • Comment évaluer l’état de la biodiversité sur le domaine foncier d’une entreprise et identifier les enjeux de conservation associés ?

  • Comment évaluer la contribution des parcelles d’un site aux réseaux écologiques locaux (Trame verte et bleue) ?

  • Comment améliorer les pratiques de gestion du foncier pour favoriser la biodiversité ?

7La méthodologie a consisté à créer un indicateur de biodiversité composite rendant compte de la valeur écologique des différents types d’habitats contenus dans les parcelles, à utiliser le logiciel Graphab® pour modéliser les réseaux écologiques autour du site et à croiser ces informations pour prioriser les parcelles où agir.

8Dans cet article, nous développons la méthodologie élaborée, nous présentons un cas d’étude sur un site industriel puis nous discutons des pistes d’amélioration de la méthodologie. L’objectif est de mettre à disposition des gestionnaires de site un outil d’aide à la décision permettant d’améliorer la connaissance de l’influence de leurs pratiques sur la biodiversité et ainsi de répondre aux objectifs de réduction des impacts écologiques et de valorisation de leur capital naturel.

Matériel et Méthode

9Le développement de l’indicateur Storeval a été effectué par une collaboration entre le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), organisme de recherche, Storengy et le Engie Lab Crigen et testé ou sur le point d’être utilisé pour évaluer la biodiversité et améliorer la gestion des 14 sites français de Storengy (dont un exemple sera exposé en deuxième partie de cet article). Néanmoins, la portée de cet indicateur se veut générale et applicable à tous les fonciers d’entreprises quelles que soient leur configuration spatiale et leurs caractéristiques écologiques.

Données d’inventaires faunistiques et floristiques

10Pour calculer l’indicateur de valeur écologique Storeval et modéliser les réseaux écologiques, des inventaires faunistiques et floristiques doivent être effectués sur des parcelles du site étudié. En parallèle, l’occupation des sols du site et du paysage alentour sont cartographiés avec un Système d’information géographique (SIG) dans un rayon de 5 kilomètres (choisi pour être supérieur à la capacité de dispersion de la plupart des espèces) autour de chaque parcelle.

11Dans la suite de l’article, nous utiliserons le terme « site » pour désigner l’ensemble du domaine foncier d’une entreprise sur un territoire donné. Comme le foncier peut être morcelé, le terme « parcelle » est pris au sens cadastral du terme et nous désignerons par « patch » une unité de même occupation de sol (ou tache d’habitat) à l’intérieur d’une parcelle. Le patch se définit donc comme une unité spatiale correspondant au croisement entre les parcelles cadastrales d’un site et les taches d’habitat (Figure 1).

Figure 1. Schéma présentant l'unité spatiale du "patch".

Figure 1. Schéma présentant l'unité spatiale du "patch".

12Des groupes d’espèces mettant en évidence différentes facettes de l’état de la biodiversité et de la qualité du paysage sont inventoriés avec des protocoles standardisés. Par exemple, les quatre groupes suivants peuvent être utilisés pour leur facilité à être inventoriés et leur intérêt dans les écosystèmes :

  • 2 Vigie-flore, programme de science citoyenne du MNHN, propose aux botanistes amateurs et professionn (...)

13La flore, qui est la base des chaînes trophiques, permet de qualifier l’état des milieux à une échelle locale et c’est sur elle que les effets de la gestion sont les plus visibles (Penone, 2012). Elle est inventoriée avec le protocole Vigie-Flore2. Notons qu’il ne s’agit pas d’utiliser les données du programme lui-même, mais de se baser sur un protocole éprouvé et maintenant largement utilisé dans les programmes d’évaluation de la qualité floristique des espaces. Sur le patch étudié, des placettes de 10 quadras de 1 mètre carré sont donc disposées aléatoirement et dans chacune la liste des espèces présentes est relevée. Le nombre de placettes est déterminé en fonction de la surface du patch et des moyens humains et financiers disponibles. Le recensement s’effectue une fois, entre les mois de mai et de juillet, période de floraison d’un maximum de plantes.

  • 3 Le STOC est un programme de science citoyenne dur MNHN qui propose aux ornithologues amateurs ou pr (...)

14Étant donné leur diversité, leur mobilité, le fait qu’ils soient largement répandus et présents dans tous types d’habitats, les oiseaux sont de bons indicateurs de la composition et de la structure du paysage (Julliard et al., 2006). Ainsi, ils répondent aux perturbations environnementales à différentes échelles spatiales. Étant donné leur situation élevée dans la chaîne alimentaire, les populations d’oiseaux sont impactées par les perturbations que subit l’ensemble des composants de l’écosystème. L’avifaune est inventoriée à l’aide du protocole du programme Suivi temporel des oiseaux communs3 du MNHN Des points d’écoute de 5 minutes sont effectués et toutes les espèces entendues et/ou observées sur le patch sont notées. Chaque point d’écoute couvre une zone allant jusqu’à 200 mètres de rayon et peut donc être valable pour plusieurs patchs contigus. Les observations ont lieu d’une à quatre heures après le lever du soleil. Deux passages, effectués à au moins 4 semaines d’intervalle, sont nécessaires pour recenser les nicheurs précoces et les nicheurs tardifs. Pour capter un maximum d’espèces, le premier passage a lieu entre le 1er avril et le 8 mai, le deuxième passage se fait entre le 9 mai et le 15 juin.

  • 4 Vigie-Chiro est un programme de science citoyenne dur MNHN qui propose aux participants de suivre l (...)

15Les chiroptères sont de bons indicateurs de la qualité des habitats et de la connectivité des milieux. (Jones et al. 2009) ont montré que des changements dans les populations de chiroptères ou dans leur activité peuvent être liés à la qualité de l’eau, à l’intensification de l’agriculture, à la perte et à la fragmentation d’habitats forestiers, à la pollution de l’habitat, aux changements climatiques. Les chauves-souris de France étant insectivores, des changements dans leur abondance peuvent indiquer des changements dans les populations d’invertébrés (G. Jones et al. 2009a) (Jones et al., 2009). Pour inventorier les chiroptères, un protocole de suivi des chauves-souris communes du MNHN, Vigie-Chiro4, est utilisé avec la méthode Point fixe. Des détecteurs-enregistreurs (SM2BAT®) sont disposés dans les patchs étudiés et enregistrent les ultrasons durant une nuit entière. Ils doivent être séparés d’au moins 200 mètres pour ne pas enregistrer plusieurs fois les mêmes animaux. Les ultrasons sont traités par le logiciel Tadarida d’identification automatique des chauves-souris et des sauterelles (Bas et al., 2017). Deux passages avec au moins 1 mois d’écart sont effectués : le premier entre le 15 juin et le 31 juillet et le second entre le 15 août et le 31 septembre, périodes où les chauves-souris sont les plus actives et donc les mieux détectables.

  • 5 Pop amphibien est un protocole standardisé de suivi des amphibiens développé par le MNHN, la Sociét (...)

16La présence plus ou moins importante d’amphibiens permet de faire un état des lieux sur la qualité des zones humides et boisées. Compte tenu de leur cycle de vie comprenant une phase terrestre et une phase aquatique, de leurs adaptations physiologiques spécialisées et de leur besoin en micro-habitats spécifiques, les amphibiens sont particulièrement sensibles aux perturbations impactant leur environnement (Welsh et Ollivier, 1998; Cushman, 2006; Egea-Serrano et al., 2012). Pour les inventorier, le protocole Pop amphibiens5 est utilisé. Un premier passage en journée est effectué pour détecter la présence de pontes, de têtards et de larves. La nuit tombée, un point d’écoute de 5 minutes à proximité du milieu aquatique est effectué. Il est complété d’une prospection à la lampe torche. Deux passages doivent être effectués entre début février et début juillet, périodes les plus propices pour observer les espèces principales.

L’indicateur de valeur écologique à l’échelle du patch : Storeval

17L’indicateur développé dans le cadre de ce travail, intitulé Storeval, s’inspire de l’IQE (Patrinat MNHN, 2022). L’IQE permet d’évaluer à l’échelle d’un site dans sa globalité, la biodiversité, la fonctionnalité écologique et l’efficacité des mesures d’aménagements et de gestion écologique dans une optique de suivi temporel. Après avoir été testé sur des sites de Storengy, l’IQE est apparu moins adapté pour des sites plus vastes dont les parcelles sont dispersées dans l’espace, car il ne permettait pas de détailler leurs atouts et faiblesses, patch par patch, milieu par milieu, et ainsi d’en déduire les pratiques de gestion les mieux adaptées à chaque situation. C’est pourquoi l’indicateur Storeval, utilisé à une échelle plus fine, a été développé. Storeval reprend les variables suivantes utilisées dans le calcul de l’IQE : la richesse spécifique en oiseaux, le degré d’artificialisation, la place du site dans les réseaux écologiques (mais les méthodes d’évaluation utilisées sont différentes), la présence d’espèces exotiques envahissantes.

18L’indicateur Storeval permet, dans une zone d’étude donnée, de quantifier la valeur écologique à l’échelle des patchs. À partir de cela, les parcelles d’un site ayant un enjeu fort dans la préservation de la biodiversité sont identifiées et les actions à mettre en place peuvent être priorisées. En se plaçant à cette échelle, la définition de l’indicateur permet de mettre en place un plan d’action très précis, de raisonner à l’échelle du milieu et d’être compréhensible par les différents acteurs responsables de la gestion et de l’entretien du domaine foncier (les chefs de site, les agriculteurs qui exploitent certaines parcelles, l’entreprise d’entretien des espaces verts).

19Storeval a pour objectif :

  • D’évaluer la valeur écologique des patchs, c’est-à-dire leur capacité à accueillir une flore et une faune riches et abondantes ;

  • De comparer les patchs d’un même site ;

  • De prioriser les actions à mettre en place ;

  • D’observer dans le temps l’efficacité des modes de gestion appliqués.

20C’est un indicateur composite : il se calcule à partir de l’assemblage des notes de plusieurs indicateurs taxonomiques et structurels témoignant, d’une part, de la qualité de l’écosystème et, d’autre part, des pressions qui pèsent sur celui-ci. Ces thèmes sont déclinés en 6 composantes qui sont elles-mêmes constituées de plusieurs variables considérées comme pertinentes pour représenter et suivre l’état de la biodiversité (Tableau 1.).

Tableau 1. Thèmes, composantes et variables pris en compte dans le calcul de STOREVAL.

Thème

Question évaluative

Composantes

Variables

Qualité de l'écosystème

Quel est l'état de la biodiversité dans chaque parcelle du site ?

Richesse spécifique (RS)

RS flore

RS avifaune

RS chiroptères

RS amphibiens

Connectivité

(issue de Graphab (Foltête, Clauzel, & Vuidel, 2012))

Degré du nœud

Corrélation de connectivité

Centralité de proximité

Structure du patch

Surface

Compacité

Pressions

Quel est le degré de perturbation des sites lié à l’anthropisation ?

Fragmentation

Linéaire fragmentant

Naturalité

Degré de naturalité

Espèces Exotiques Envahissantes (EEE)

Nombre d’EEE

21Les composantes et variables prises en compte dans l’indicateur sont :

  • La richesse spécifique : le nombre d’espèces par groupe taxonomique étudié.

  • La connectivité (issue du logiciel Graphab) : des taches d’habitats connectées entre elles permettent aux espèces de se déplacer pour accomplir les différentes étapes de leur cycle de vie, favorisent les échanges génétiques et le maintien des populations (Ouborg, 1993) ; Brückmann et al., 2010).

22Pour calculer cet indicateur, trois métriques de connectivité sont évaluées à l’aide du logiciel Graphab, un outil de modélisation des réseaux écologiques fondé sur les graphes paysagers (Foltête et al., 2012). Un graphe paysager est composé de nœuds, les taches d’habitats préférentiels d’une espèce ou d’un groupe d’espèces, reliés entre eux ou non par des liens représentant les déplacements potentiels des espèces entre les nœuds. Ici, les métriques sélectionnées sont calculées au niveau local pour chaque élément (nœud et lien) du graphe paysager. Ce sont :

  • Le degré du nœud (Dg) : nombre de taches auxquelles la tache i est connectée. On estime que plus un patch est connecté, plus il a de valeur écologique, car il permet le déplacement des espèces dans la zone d’étude.

23Ni : ensemble des taches voisines de la tache

  • La corrélation de connectivité (CCor) : rapport entre le degré du nœud i et le degré de ses nœuds voisins j. On estime que lorsqu’un patch est connecté à des patchs faiblement connectés, il est particulièrement bénéfique pour le réseau.

  • La centralité de proximité (CCe) : distance moyenne de la tache i vers toutes les autres taches auxquelles elle est reliée k. On estime que lorsque les patchs sont proches les uns des autres, le déplacement des espèces est facilité particulièrement pour les espèces à faible capacité de dispersion.

24nk : nombre de taches reliées entre elles.

25Lorsque pour une sous-trame, plusieurs espèces sont utilisées pour modéliser les réseaux écologiques, la valeur finale de chaque variable de connectivité est la moyenne des différentes valeurs obtenues. Enfin, pour chaque variable, on attribue à un patch la note de la tâche à laquelle il appartient.

26La structure du patch : plus les patchs sont vastes et compacts, plus ils sont susceptibles d’accueillir une biodiversité riche et des populations animales et végétales stables et viables sur le long terme (Murcia, 1995 ; Bender et al., 1998).

27Les variables utilisées pour le calcul de cette composante sont :

28La taille : superficie du patch en mètre carré. On estime que plus le patch est spacieux, plus il peut accueillir d’espèces. Cette loi décrite formellement par Preston (Preston, 1960) est largement vérifiée pour un milieu donné, même si d’autres facteurs influent sur la richesse (tels que les interactions entre espèces, ou le type de gestion opérée)

29La compacité : on estime que plus le patch est compact (c’est-à-dire d’un seul tenant et sa surface s’approche le plus de celle d’un disque), moins il y a d’effets de lisière, potentiellement préjudiciables à la biodiversité.

30Le linéaire fragmentant : surface de routes et de voies ferrées traversant un patch. Ces infrastructures linéaires de transport sont des obstacles au déplacement des espèces, elles entrainent la destruction et la fragmentation des habitats, la mortalité de la faune par collision, la propagation d’espèces invasives, la dégradation de la qualité du biotope via les pollutions émises et l’utilisation de pesticides (Spellerberg, 1998).

31Le degré de naturalité : niveau d’artificialisation du milieu, le principe étant que les milieux les plus artificiels sont moins enclins à accueillir une diversité d’espèces. Par exemple, la notation peut se faire comme indiqué dans le Tableau 2.

Tableau 2. Système de notation de l'indicateur de degré de naturalité du patch.

Type de milieux

Note

Artificiel 

Ex : un parking bétonné, un champ cultivé

1

Semi artificiel

Ex : une zone de gazon

2

Semi naturel

Ex : une prairie

4

Naturel

Ex : un boisement ancien, une zone humide 

5

32Nombre d’espèces exotiques envahissantes (EEE) : nombre d’espèces exotiques envahissantes au sein du patch i. Ces espèces prolifèrent rapidement et entrent en compétition avec les autres espèces pour l’espace et les ressources menaçant leur survie (Maurel et al., 2010). En remplaçant des espèces peu compétitives, elles ont donc un effet globalement négatif pour l’intérêt écologique du site.

33N = RS EEE

34RS : richesse spécifique

  • 6 Des informations sur les espèces exotiques envahissantes sont disponibles sur le site de l’unité mi (...)

35Une prospection particulière sur l’ensemble du patch doit être organisée pour renseigner cette variable 6.

Le calcul des notes

36Les inventaires de terrain et l’outil SIG permettent d’obtenir, pour chaque patch, les valeurs des variables décrites ci-dessus. Pour pouvoir les hiérarchiser, nous proposons de réaliser un découpage en classes de ces valeurs. Des notes sont attribuées à ces variables par la méthode de discrétisation par seuils naturels (Jenks), ce qui minimise la variance intraclasse et maximise la variance interclasse, avec 5 classes (Lahousse et Piédanna, 2000). Ainsi, chaque patch obtient pour chaque variable une note allant de 1 à 5. Pour les variables « linéaires fragmentant », « espèces exotiques envahissantes » et « centralité de proximité (CCe) » la note de 5 est attribuée pour les impacts les plus faibles donc les valeurs les plus faibles.

37Lorsqu’une composante possède plusieurs variables, la note de la composante est la moyenne des notes de ses variables. Enfin, la valeur écologique d’un patch correspond à la moyenne des notes de ses 6 composantes. Nous avons considéré que chaque composante apportait une information primordiale sur la qualité d’un patch. De ce fait, nous n’avons pas jugé nécessaire de pondérer les notes dans le calcul de cette moyenne. Ainsi, pour notre indicateur, toutes les composantes possèdent le même poids dans la valeur écologique d’un patch. Sa valeur finale pour chaque patch varie entre 1 et 5. Cinq est la note maximale et représente les espaces ayant les meilleures caractéristiques pour abriter une biodiversité de qualité.

38Le logiciel Graphab est utilisé pour modéliser les déplacements potentiels des espèces et déterminer la contribution de chaque patch aux réseaux écologiques (Foltête et al., 2012).

39En s’appuyant sur la cartographie d’occupation du sol, 4 sous-trames (adaptables en fonction du site étudié) sont déterminées : arborée, herbacée, humide et agricole. Pour chaque sous-trame, une espèce à faible capacité de dispersion et ayant été observée sur les parcelles et/ou figurant dans la liste de cohérence nationale de la Trame Verte et Bleue (TVB) et/ou étant menacée est utilisée pour la modélisation. Pour chaque espèce, sont estimés en fonction des données disponibles dans la littérature, ou des connaissances d’experts :

  • Son habitat principal ;

  • Sa capacité de dispersion dans son milieu de vie naturel ;

  • Les coûts de franchissement par mode d’occupation du sol, c’est-à-dire ses difficultés à traverser chaque type de milieu.

40À partir des paramètres définis ci-dessus, Graphab est utilisé pour identifier les taches d’habitat contribuant le plus à la connectivité du réseau pour chaque espèce grâce à la métrique delta de Probabilité de Connectivité (dPC) (Saura et Rubio, 2010). Elle correspond au taux de variation de la connectivité globale du graphe lorsqu’une tache d’habitat est retirée ; elle permet ainsi d’évaluer l’importance de chaque tache dans le graphe. Enfin, le résultat de cette modélisation est superposé au parcellaire du site pour identifier les patchs qui correspondent aux taches d’habitat contribuant le mieux aux connectivités écologiques.

41Pour faciliter la mise en place du plan d’action, les patchs sont triés en 4 classes de priorisation. Cette priorisation prend en compte la note de Storeval augmentée d’un niveau pour les patchs dont la valeur de dPC est la plus élevée. Lorsqu’une parcelle est constituée de plusieurs patchs, elle obtient la classe de priorisation de son patch ayant la classe la plus élevée. C’est sur cette base que les décisions seront prises.

  • 7 Pour plus d’information sur cet outil déployé par le gouvernement français en vue d’une meilleure p (...)

42Pour la priorisation plusieurs approches non exclusives sont possibles : conserver et maintenir les habitats de bonne qualité, déjà existants, par une gestion adaptée pour éviter qu’ils ne se dégradent, ou même améliorer encore leur qualité, et/ou restaurer des habitats largement dégradés. La valeur de l’indicateur est une aide à la décision. Elle sert de base à une réflexion éclairée qui va être également influencée par les enjeux locaux ou plus globaux (comme le Schéma Régional de Cohérence Ecologique (SRCE)7 par exemple), des contraintes industrielles éventuelles, des activités alentour et autres considérations économiques et sociales. Elle a le mérite d’alimenter les débats ou les prises de décision par des données synthétisées reflétant la réalité de l’état de la biodiversité dans les sites, et ceci dans un contexte territorial donné.

Résultats

43Dans cette section, nous allons présenter un exemple d’application de la méthodologie sur un site de STORENGY.

Le site industriel de Cerville

44Le site de stockage de gaz de Cerville se situe à environ 10 kilomètres à l’est de la ville de Nancy, dans le département français de Meurthe-et-Moselle. Il se trouve sur un territoire composé majoritairement de cultures (34%) et de prairies pâturées (28%). Le domaine foncier est réparti sur 8 communes et représente une surface d’environ 95 hectares avec 113 parcelles distinctes comprenant une station centrale, 55 plateformes de puits et des réserves foncières pour d’éventuels aménagements ultérieurs. Dans un rayon de 5 kilomètres autour du site se trouvent plusieurs petits réservoirs de biodiversité identifiés dans le SRCE de Lorraine et qui sont des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type I (Figure 2.). Le plus grand de ces réservoirs est le site Natura 2000 directive habitat « Plateau de Malzéville », qui se situe à environ 6 kilomètres de la station centrale. De par sa taille, la multiplicité des milieux qu’il renferme, les activités concernées, son morcellement dans un paysage varié, il constitue un exemple de site pour lequel les indicateurs déjà mis au point dans d’autres études n’étaient pas utilisables. D’autres sites de STORENGY ont fait l’objet d’application de l’utilisation du présent indicateur. Les résultats ont été également informatifs pour l’ajustement des pratiques de gestion de ces sites. Chacun d’eux aurait pu être utilisé dans le cadre de cet article.

Figure 2. Position du site de Cerville dans la trame verte et bleue du SRCE.

Figure 2. Position du site de Cerville dans la trame verte et bleue du SRCE.

45Les 113 parcelles croisées avec l’occupation du sol représentent un total de 225 patchs. Pour ce site, étant donnés les moyens disponibles, 18 patchs ont été inventoriés pour les 4 groupes taxonomiques recommandés dans la méthodologie. Pour les patchs non inventoriés, la composante « richesse spécifique » n’a pas été prise en compte dans le calcul de Storeval. En cas de moyens limités, il convient donc de centrer les inventaires sur les zones posant le plus de questions sur le plan écologique ou celles permettant une certaine latitude dans l’ajustement des pratiques de gestion. Globalement, il est préconisé, pour la production d’un indicateur précis, d’opérer les inventaires sur la plus grande partie des patchs, même si les informations qu’il contient, sans données naturalistes précises, permettent indirectement de donner une bonne idée de la qualité de la biodiversité.

46Lors des inventaires, un total de 104 espèces a été recensé dont 74 espèces de plantes, 10 espèces de chauves-souris, 19 espèces d’oiseaux et 1 espèce d’amphibiens. Le schéma de la Figure 3 présente les classes de priorisation obtenues avec les valeurs de Storeval pour chaque patch du site avec un zoom sur la station centrale.

Figure 3. Résultats de l'indicateur STOREVAL sur le site de Cerville.

Figure 3. Résultats de l'indicateur STOREVAL sur le site de Cerville.

47Le tableau 3 présente les espèces choisies pour la modélisation de chaque sous-trame. Les coûts de franchissement pour les différents types d’occupation du sol pour chaque espèce ont été attribués en se basant sur l’écologie de l’espèce décrite dans la bibliographie (nous ne présentons pas ces valeurs ici). De même, les distances de dispersion utilisées proviennent de la littérature. Pour la sous-trame humide, la seule espèce d’amphibien inventoriée sur le site, Pelophylax kl. esculentus L. (la grenouille verte), a été utilisée (Tableau 3).

Tableau 3. Espèces utilisées pour la modélisation des sous-trames dans Graphab.

Sous trame

Espèces

Distance de dispersion maximale journalière 

Arborée

Carduelis carduelis L. (le chardonneret élégant) (Paradis et al., 1998)

200 m

Cultivée

Alauda arvensis L. (l’alouette des champs) (Paradis et al., 1998; Poulsen, 1996)

200 m

Herbacée

Taraxacum officinale F.H.Wigg. (le pissenlit) (Tackenberg et al., 2003)

200 m

Humide

Pelophylax kl. esculentus L. (la grenouille verte) (Semlitsch & Bodie, 2003)

300 m

48La modélisation et le calcul de la métrique dPC a permis d’identifier 4 taches d’habitats contribuant particulièrement à la connectivité du graphe, dont une forêt domaniale et 3 forêts communales (Figure 4). Ces taches sont assez bien connectées entre elles, notamment grâce à leur proximité géographique et à la présence d’autres éléments boisés entre elles. Cependant, une route départementale interrompt la connectivité et isole les taches en 2 groupes : un au nord et un au sud.

Figure 4. Modélisation de la sous-trame arborée autour du site de Cerville.

Figure 4. Modélisation de la sous-trame arborée autour du site de Cerville.

49Une partie des parcelles de STORENGY se trouve entre les 2 taches boisées au sud de la zone d’étude (Figure 5) et pourraient contribuer à la connectivité en servant de corridors en pas japonais.

Figure 5. Corridor reliant deux taches boisées et contenant des parcelles du site de Cerville.

Figure 5. Corridor reliant deux taches boisées et contenant des parcelles du site de Cerville.

50Les espaces cultivés occupent la majorité de la zone d’étude et forment un réseau dense et assez bien connecté (Figure 6). Certaines parcelles du site industriel sont comprises dans des taches d’importance élevée pour la connectivité du réseau et seront donc augmentées d’un niveau de priorité. D’autres parcelles agricoles du site se situent dans le corridor boisé identifié précédemment et pourraient contribuer à améliorer la connectivité de la sous-trame arborée si des haies y étaient implantées.

Figure 6. Modélisation de la sous-trame cultivée autour du site.

Figure 6. Modélisation de la sous-trame cultivée autour du site.

51La zone d’étude est composée de nombreuses surfaces herbacées dont certaines ayant une contribution importante à la connectivité du réseau et se trouvant à proximité du site (Figure 7). Les milieux herbacés sont largement représentés sur le domaine foncier du site (25% des patchs du site), mais ces taches de petite taille ne contribuent que faiblement à la connectivité du réseau herbacé. Cependant, s’ils sont gérés de façon appropriée (gestion hors périodes critiques de reproduction c’est-à-dire entre le 15 avril et le 31 août, différenciées par bande, à faible vitesse de fauche (<10 kilomètres par heure)) ils peuvent quand même représenter des espaces de refuge, d’alimentation, de nidification et des corridors en pas japonais pour certaines espèces.

Figure 7. Modélisation de la sous-trame herbacée autour du site de Cerville.

Figure 7. Modélisation de la sous-trame herbacée autour du site de Cerville.

52À Cerville, le parti pris a été de donner la priorité à la protection des espaces jouant un rôle important au sein de la trame verte régionale et où la biodiversité était de bonne qualité. Une fois les résultats de la modélisation croisés avec ceux de Storeval, 47 patchs ont été classés en priorité A (4≤ valeur de l’indice Storeval <5), 19 en priorité B (3≤ Storeval <4), 69 en priorité C (2≤ Storeval <3) et 90 en priorité D (1 ≤ Storeval <2).

Préconisations de gestion

53En 2018, le site est largement couvert et entouré d’espaces agricoles en culture conventionnelle, de prairies pâturées et de forêts. Dans les patchs désignés comme de bonne qualité et pouvant jouer un rôle important au niveau de la TVB (priorité A), des préconisations de gestion suivantes sont proposées. Pour les espaces cultivés, mis gracieusement à la disposition d’agriculteurs par l’entreprise, nous préconisons d’engager un dialogue avec eux pour expliquer la démarche, les résultats et si possible les aider à s’orienter vers des pratiques culturales plus respectueuses de la biodiversité. Cela pourrait se faire, par exemple, en limitant l’apport d’intrants chimiques, en mettant en place une rotation des cultures, en plantant des haies et en créant des bandes enherbées autour des parcelles. Pour les prairies, nous recommandons l’abandon des intrants chimiques, la réalisation d’une fauche tardive avec la création de zones refuges non fauchées et d’éviter le surpâturage lorsqu’elles sont pâturées. Pour les milieux forestiers, nous proposons de créer des îlots de vieillissement, de laisser les bois morts au sol et de limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes. Ces pratiques ont potentiellement un effet sur la composition paysagère (plantation de haies, bandes enherbées) ainsi que sur la qualité des espèces qui la composent (richesse spécifique, présence d’EEE). Leur mise en œuvre est censée faire évoluer favorablement l’indice avec le temps.

54L’intérêt de l’utilisation de Storeval est 1) de prioriser les actions de gestion en fonction de la qualité écologique des patchs et de leur potentiel au sein de la TVB de par leur taille et leur situation géographique au sein de la trame. 2) Son calcul régulier intégrant les données d’inventaires naturalistes permet le suivi des mesures prises, par exemple l’évaluation des gains en termes de biodiversité, sur des pas de temps à définir avec l’entreprise.

Discussion

55Le travail de recherche présenté dans cet article est issu d’un retour d’expérience de 7 ans sur 5 sites industriels. Il a abouti à la mise au point d’un indicateur de biodiversité composite qui, couplé à la modélisation des réseaux écologiques, permet à l’échelle très fine du patch de qualifier l’état de la biodiversité, de préconiser des actions pour l’améliorer et de faire un suivi dans le temps. L’indicateur se base sur des inventaires naturalistes, un travail cartographique et une modélisation des réseaux écologiques. Il prend en compte deux thèmes liés à l’état de la biodiversité : la qualité de l’écosystème et les pressions qui pèsent sur celui-ci, chacun étant décliné en plusieurs indicateurs. Cette méthode se veut reproductible sur différents types de sites où les gestionnaires du domaine foncier souhaitent avoir une évaluation de sa valeur écologique à très fine échelle et cibler les parcelles où agir en priorité. En revanche, l’indicateur ne permet d’évaluer qu’une partie de la biodiversité présente sur un site. Il ne se substitue pas à un suivi écologique régulier effectué par un expert, mais peut constituer une base à la mise en place d’un plan de gestion écologique.

56Sur les sites de STORENGY, la méthodologie a permis de mettre en évidence la présence d’une biodiversité ordinaire et remarquable à travers les inventaires opérés. Qu’elles soient communes ou plus rares, fréquentes localement ou plus sporadiques, toutes les espèces ont été prises en compte de la même façon à travers l’utilisation de la richesse spécifique dans le calcul de l’indice. D’autres options sont possibles si l’on veut favoriser la faune et la flore la plus rare, par exemple en pondérant la richesse par le degré de rareté des espèces ou en se basant sur des indices plus complexes de diversité, comme les indices Shannon, Simpson, et cetera.

57La principale limite méthodologique concerne justement les inventaires naturalistes, parfois restreints en nombre, faute de temps et de moyens humains. Étant donné qu’au sein d’un site, seulement un échantillon des parcelles est inventorié, tous les patchs n’incluent pas la note de richesse spécifique dans le calcul de la valeur écologique, ce qui peut entrainer un biais dans les comparaisons inter-parcelles. La contrainte de temps impose de choisir un nombre limité de groupes taxonomiques ou d’espèces à inventorier, même si d’autres taxons intéressants se trouvent sur le site et permettraient d’avoir une meilleure appréhension de l’état de la biodiversité sur celui-ci. Il est alors important de choisir des taxons et/ou espèces indicateurs et indicatrices de l’état de l’écosystème et potentiellement de celui d’autres taxons et/ou espèces.

58L’étape la plus longue pour calculer l’indicateur a été la réalisation manuelle de la cartographie par photo-interprétation qui a permis le zonage des grands types d’habitats : espaces agricoles, forêts, prairies, cours d’eau, espaces urbanisés. Cependant, les outils cartographiques sont de plus en plus performants. Au cours de notre étude, la mise en ligne de la carte d’occupation des sols Oso du Centre d’étude spatial de la biosphère (Cesbio) a permis de gagner un temps considérable en regroupant l’évaluation d’un site sur 6 mois au lieu de 12. Il est probable que les futurs utilisateurs de Storeval auront à leur disposition des cartes encore utilisables d'une manière encore plus immédiate.

59Sur chaque site étudié, les résultats de Storeval et de l’intégration du domaine foncier dans les réseaux écologiques ont révélé des informations cohérentes. Pour la priorisation, deux approches étaient possibles : 1) conserver les habitats remarquables et améliorer si possible leur qualité écologique en changeant de pratiques, ou 2) restaurer des habitats dégradés. Sur l’ensemble de ses sites, Storengy a choisi d’agir en priorité sur les parcelles ayant une bonne valeur écologique pour favoriser leur biodiversité. Ce choix s’est justifié par des raisons techniques et économiques. En effet, intervenir sur les espaces les plus médiocres, c'est-à-dire les plus urbanisés, n’est pas souvent compatible avec la poursuite de l’activité industrielle du site. Cependant, lorsque des habitats particulièrement menacés, comme des zones humides, ont été identifiés avec une faible valeur écologique, l’entreprise a décidé d’investir dans leur restauration. Storeval permet justement de choisir les priorités en fonction des moyens disponibles et des enjeux industriels et territoriaux.

60Les résultats de l’indicateur ont permis de travailler conjointement avec les exploitants des sites, le service foncier et les responsables de la gestion écologique des espaces verts, pour mettre en place des actions de conservation concrètes prenant en compte les contraintes d’exploitation. La démarche a contribué à sensibiliser les employés au sujet de la biodiversité grâce aux présentations faites sur site en début et en fin d’étude et aux échanges informels survenus à l’occasion des inventaires. Sur ce site comme sur d’autres, les résultats de l’indicateur ont servi de base à la construction d’un plan de gestion écologique.

61L’utilisation de l’indicateur de richesse spécifique est critiquable, car il est peu représentatif des dynamiques qui animent les écosystèmes et est biaisé par l’effort d’échantillonnage (Mouillot et Leprêtre 1999). Un indicateur d’abondance, de diversité spécifique ou de diversité fonctionnelle, plus sensible aux variations de court terme, serait plus représentatif de l’état et de l’évolution de la biodiversité, mais plus couteux en temps et demanderait une expertise plus poussée. Sa mise en œuvre est dépendante des ressources disponibles à la fois dans l’entreprise (volet financier) et dans le domaine d’expertise (experts naturalistes). D’autre part, les indicateurs doivent aussi être choisis pour faciliter la communication avec des non-experts.

62Enfin, il pourrait être pertinent de pondérer certaines variables dans le calcul de l’indicateur. Par exemple, donner un poids plus important aux variables structurelles par rapport aux variables taxonomiques qui sont fortement influencées par la pression d’observation et les compétences naturalistes de l’observateur. Cela pourrait contribuer à minimiser le biais dû à l’effort d’inventaire inégal pour chaque patch.

Conclusion et perspectives

63Dans cet article, nous proposons un outil de gestion et d’aide à la décision pour améliorer l’état de la biodiversité sur le domaine foncier des entreprises. Il a été appliqué dans une dizaine de sites Storengy où les pratiques de gestion ont été peu à peu été modifiées. Il est possible de compléter la méthode avec une seconde modélisation dans le logiciel Graphab comprenant des scénarios d’aménagements (ajout de mares, de haies, création de prairies, et cetera) pour voir leur effet potentiel sur la connectivité du réseau. D’autre part, pour étudier concrètement l’effet de la modification de la gestion sur la biodiversité et sur la valeur de Storeval, il sera nécessaire de reproduire l’étude à l’identique quelques années plus tard (3 à 5 ans).

64Une autre perspective intéressante serait de partager les résultats de la modélisation des réseaux écologiques avec les acteurs du territoire sur lequel s’est faite l’étude. En effet, pour rappel, ce territoire comprend les parcelles de l’entreprise et une zone de 5 kilomètres autour de chacune d’entre elles. Il concerne non seulement l’entreprise elle-même, mais également d’autres propriétaires limitrophes : agriculteurs, propriétaires forestiers, et autres. Ainsi, la modélisation permet d’identifier certains réservoirs de biodiversité et points de rupture sur lesquels l’entreprise ne pourra pas forcément agir pour des questions de propriété. Un dialogue avec les acteurs du territoire concernés pourrait contribuer à mettre en place des actions communes et cohérentes. Cela pourrait permettre à l’entreprise de conforter les liens avec certaines de ses parties prenantes en échangeant sur un sujet d’intérêt commun autre que celui directement lié à son activité cœur.

L’étude sur le développement de cet indicateur a été effectuée par une collaboration entre le Muséum national d’Histoire naturelle, Storengy et le ENGIE Lab CRIGEN. Les salaires ont été financés par STORENGY, ENGIE et le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Merci également aux évaluateurs qui par leurs questions pertinentes ont conduit à une amélioration notable du présent manuscrit.

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Notas

1 ENGIE est un groupe industriel énergétique français dont le principal actionnaire est l’État français. Il est l’un des principaux fournisseurs de gaz naturel et d’électricité en France.

2 Vigie-flore, programme de science citoyenne du MNHN, propose aux botanistes amateurs et professionnels de participer au suivi des changements d’abondance des espèces végétales en France. Le protocole consiste à demander aux participants de faire l’inventaire floristique de placettes de 10 x 1m²selon un schéma rigoureusement reproductible. Plus d’informations disponibles sur le site internet Vigie Nature [en ligne] URL : https://www.vigienature.fr/fr/vigie-flore

3 Le STOC est un programme de science citoyenne dur MNHN qui propose aux ornithologues amateurs ou professionnels de suivre les variations d’abondance des populations d’oiseaux par points d’écoutes. Pour plus de renseignements, voir le site du programme [en ligne] URL : http://www.vigienature.fr/fr/suivi-temporel-des-oiseaux-communs-stoc .

4 Vigie-Chiro est un programme de science citoyenne dur MNHN qui propose aux participants de suivre les variations d’abondance des populations de chauves-souris grâce à l’enregistrement des ultrasons que ces animaux émettent lors de leurs vols. Pour plus de renseignements, voir le site du programme [en ligne] URL : http://www.vigienature.fr/fr/chauves-souris.

5 Pop amphibien est un protocole standardisé de suivi des amphibiens développé par le MNHN, la Société Herpétologique de France (SHF) et l’Officie National de la Biodiversité. Il consiste à évaluer régulièrement la présence d’amphibiens dans des mares ou des rivières, par l’observation. Pour plus de renseignements, voir le site du programme [en ligne] URL : http://lashf.org/project/popamphibien/ .

6 Des informations sur les espèces exotiques envahissantes sont disponibles sur le site de l’unité mixte de recherche Patrinat du MNHN [en ligne] URL : https://www.patrinat.fr/fr/especes-exotiques-envahissantes-eee-6066 .

7 Pour plus d’information sur cet outil déployé par le gouvernement français en vue d’une meilleure préservation des continuités écologiques dans les régions, voir le site [en ligne] URL : https://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/foire-aux-questions/quel-est-contenu-srce

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Índice das ilustrações

Título Figure 1. Schéma présentant l'unité spatiale du "patch".
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Título Figure 2. Position du site de Cerville dans la trame verte et bleue du SRCE.
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Título Figure 3. Résultats de l'indicateur STOREVAL sur le site de Cerville.
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Título Figure 4. Modélisation de la sous-trame arborée autour du site de Cerville.
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Título Figure 5. Corridor reliant deux taches boisées et contenant des parcelles du site de Cerville.
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Título Figure 6. Modélisation de la sous-trame cultivée autour du site.
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Título Figure 7. Modélisation de la sous-trame herbacée autour du site de Cerville.
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Para citar este artigo

Referência eletrónica

Laura Thuillier, Caroline De Zutter, Denis Leca e Nathalie Machon, «STOREVAL, un indicateur de valeur écologique du foncier pour la définition de meilleures stratégies de gestion des sites des entreprises en lien avec les réseaux écologiques locaux»VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 22 Numéro 3 | Décembre 2022, posto online no dia 05 setembro 2022, consultado o 28 março 2024. URL: http://journals.openedition.org/vertigo/36883; DOI: https://doi.org/10.4000/vertigo.36883

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Autores

Laura Thuillier

Centre d'Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO), Unité mixte de recherche 7204, Sorbonne Université, MNHN, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Sorbonne- Université, Paris, France, adresse courriel : thuillierlaura@gmail.com

Caroline De Zutter

ENGIE Laboratoire CRIGEN, Pierrefitte-sur-Seine, France, adresse courriel : caroline.de-zutter@engie.com

Denis Leca

Storengy, Bois-Colombes, France, adresse courriel : denis.leca@storengy.com

Nathalie Machon

Centre d'Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO), Unité mixte de recherche 7204, Sorbonne Université, MNHN, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Sorbonne -Université, Paris, France, adresse courriel : nathalie.machon@mnhn.fr

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