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Résumés

En droit français, le principe de solidarité écologique a vocation à être mis en œuvre lorsqu’une décision prise par une autorité publique aurait une incidence notable sur l’environnement. C’est-à-dire lorsque l’incidence n’aurait pas encore eu lieu. Cette interprétation réduit d’emblée son champ d’application et laisse entendre qu’elle ne s’appliquerait qu’aux espaces non encore dégradés. Prenant le contrepied du principe, cet article démontre que le concept de solidarité écologique pourrait être un élément moteur dans la mise en œuvre de mesures de restauration écologique des milieux dégradés et en particulier des sols. Ce faisant, il se fonde sur une étude de terrain située dans le cœur du Parc national des Calanques (projet SynTerCalM, 2014-2016) pour souligner comment l’inaction face à une dégradation parfois invisible, en l’occurrence la contamination des sols, nuit aux objectifs de conservation et de restauration des milieux avec lesquels il est en relation.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (...)

1La solidarité écologique est passée en France du statut de concept à celui de principe avec l’adoption de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité1, et elle figure désormais à l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Sa portée, comme ses perspectives d’application suscitent de manière croissante l’intérêt de la doctrine (Michelot, 2020), là où pour le moment, les acteurs visés par son contenu, c’est-à-dire les autorités publiques, ne semblent pas lui prêter de potentialités. Pourtant, l’aura de ce principe lui accorde une vocation propre à dépasser la simple échelle nationale pour s’étendre à la gouvernance internationale de l’environnement (Michelot, 2020). À cet égard, le résumé pour décideur du rapport de la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) relatif à la dégradation et à la restauration des terres l’a identifié parmi les « nouveaux concepts » à intégrer : « Plusieurs pays ont adopté de nouveaux concepts tels ceux de « solidarité écologique », […] reconnaissant que les hommes et les écosystèmes, outre qu’ils interagissent ensemble, entretiennent des relations d’interdépendance. Cette formulation cognitive de l’intégration de l’homme à la nature est davantage susceptible de créer un sens collectif du devoir en matière de protection et de restauration des terres, à diverses échelles spatiales et politiques […] » (IPBES, 2018).

  • 2 Article L. 110-1 al. 2, code de l’environnement ; Loi n° 2016-1087.

2Ce travail de l’IPBES porte sur le « land », lequel comprend une dimension paysagère plus englobante que « soil », traduit en français par le terme « terres », lequel au contraire renvoie à une perspective d’usage. Cette approche s’explique par le fait qu’en droit international les terres et non le sol sont l’objet de convention. Cela étant dit, la thématique de ce rapport est une invitation à explorer la façon dont les terres, et donc les sols qui les constituent, sont des vecteurs écologiques et sociaux qui expriment cette solidarité, d’autant qu’ils sont désormais inscrits parmi les éléments qui concourent à la constitution du patrimoine commun de la nation2. La France s’y trouve à juste titre citée en exemple, au regard de ses avancées législatives, et il lui incombe désormais de préciser les mécanismes de mise en œuvre de ce principe qui la distinguent.

3Les sols sont une interface fragile (Stengel et al., 1998) traversée de flux gazeux et liquides et pour certains auteurs, les sols sont partout où il y a eu pédogénèse (processus de formation du sol), y compris dans les fonds marins (Girard et al., 2011). Pourtant, malgré cette présumée unité, les interactions voire les interdépendances des sols avec d’autres compartiments de l’environnement sont complexes. Le sol est à la fois une matrice organo-minérale élaborée, et la zone à l’interface entre la roche, l’atmosphère, l’hydrosphère et les compartiments biotiques (plantes, microorganismes et macrofaune du sol). La pédosphère est l’un des compartiments essentiels de l’écosystème, qui exprime une diversité de fonctions qui illustrent sa complexité interne et externe, et notamment : habitat de biodiversité très élevée, une source de matières organiques et minérales, un régulateur des cycles biogéochimiques (Gobat et al., 2013). Ainsi, dans les environnements terrestres, le sol est le support de la productivité et le siège de nombreux services écosystémiques essentiels à la vie et au bien-être humain (Millenium Ecosystem Assessment, 2005). Il apparaît donc comme une évidence que la dégradation, voire la destruction des sols, représentent une menace bien au-delà du compartiment sol en lui-même. À titre d’exemple, il est désormais démontré que la dégradation du permafrost causée par le réchauffement des températures entraîne notamment la libération d’importants stocks de gaz à effets de serre et réactive des bactéries et de potentiels virus. À l’opposé, leur conservation et leur bon fonctionnement sont des caractères essentiels à différentes échelles à la santé des écosystèmes et des organismes qui s’y développent, et in fine à celle de l’humain, dans la mesure où ils sont à la base de notre alimentation, participent à la qualité de l’air et de l’eau et servent d’habitat pour une biodiversité encore largement méconnue (Millenium Ecosystem Assessment, 2005).

4La relation de dépendance qui lie l’homme à son milieu s’exprime vis-à-vis des sols au même titre que vis-à-vis de l’air ou de l’eau. Pour reprendre la distinction opérée par Thompson et al. (2011), il y aurait une solidarité de fait entre la société humaine et son environnement, qui appellerait à une solidarité d’action. Autrement dit : « La mise en lumière des interdépendances existantes conduit à ce que chacun tienne compte des conséquences de ses choix sur la communauté du vivant. La solidarité écologique est alors volontaire » (Lucas, 2020, p. 718). Dans le prolongement de cette définition, cet article interroge le caractère opérationnel de la définition de la solidarité écologique retenue par le législateur, dans le contexte d’un environnement dégradé et plus précisément des sols pollués.

  • 3 Par exemple, la protection découlant de l’article L. 411-1 du code de l’environnement s’appuie sur (...)

5Sa formulation n’empêche pas, a priori, que ce principe s’y applique. En effet, les mécanismes du droit de l’environnement s’appuient généralement sur des critères de distinction qualitatifs. Ils recherchent l’intérêt3, le rare (Calmette, 2004), voire le patrimonial, même si depuis plus récemment l’ordinaire et le fonctionnel peuvent utilement servir au fondement de décisions, comme ce peut être le cas pour les paysages (Mougenot, 2018) ou la nature au sens large (Treillard, 2019). Au centre de ce débat entre le remarquable et le banal résident notamment les sols, auxquels le premier qualificatif s’applique peu (sauf distinction particulière) ou de manière prospective pour relever l’intérêt d’une nature abiotique par exemple (Portal, 2013), tandis que le second, l’ordinaire, aurait tendance à trop les qualifier, conduisant à leur dégradation puisque leurs caractéristiques ne les distinguent pas : la distinction entre les sols dignes de protection et les autres, manque en effet de critères objectifs et juridiquement définis (Desrousseaux, 2016).

6Partant de ce constat d’un droit des sols défaillant, le principe de solidarité écologique, qui s’applique aussi bien aux milieux naturels qu’aménagés, offrirait donc aux autorités publiques une base renouvelée dans le cadre de leur mission de gestion et de contrôle des sols, mais surtout dans le cadre des obligations découlant de l’article L. 556-3 du code de l’environnement relatives à la gestion de la pollution ou du risque de pollution des sols présentant des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques et l'environnement (Billet, 2018).

7Afin d’illustrer ce propos, les problématiques soulevées par la gestion du site pollué de l’Escalette, situé dans les Calanques de Marseille, serviront de terrain d’étude et de point d’ancrage au développement de cette hypothèse juridique. Les Calanques de Marseille (département des Bouches du Rhône, France), soumises au climat méditerranéen, ont été classées parc national en 2012. Le cœur terrestre du parc, c’est-à-dire la zone de protection stricte dont l’Escalette fait partie, s’étend sur 8500 hectares et compte 80 kilomètres de littoral. Ce parc présente un important patrimoine végétal et animal (140 espèces terrestres protégées), associé à une problématique aiguë de surfréquentation et à la proximité immédiate de la 2e plus grande ville de France.

8L’Escalette est une ancienne fonderie de plomb fermée en 1925 et située dans la partie sud-est du parc national des Calanques. Elle a été étudiée de manière approfondie durant deux projets de recherches, dont le dernier (SynTerCalM, 2014-2016) portait notamment sur la mise en place d’un protocole de phytostabilisation des polluants présents dans les sols (Heckenroth et al., 2017). Le terrain d’étude de ce projet, situé à proximité immédiate de la ville de Marseille, se caractérise par la présence de sols hautement contaminés en plomb, zinc, cadmium et antimoine dont le diagnostic a été réalisé lors du projet MARSECO (2008-2013) et qui a révélé des transferts de polluants vers l’ensemble des compartiments biotiques et abiotiques de la zone (Heckenroth et al., 2016) . Aussi, le projet SynTerCalm propose de tester des solutions de gestion de cette pollution par les écotechnologies en apportant une méthodologie innovante basée sur l’ingénierie écologique utilisant la phytoremédiation par des espèces végétales indigènes (plantes halophiles ou halotolérantes) et leurs micro-organismes associés. L’objectif est de développer une méthodologie transposable pour une utilisation optimale des plantes indigènes pour la phytoremédiation des zones polluées de la Méditerranée. Cela implique de se concentrer sur : la réduction du transfert de polluants et de leur biodisponibilité, la conception d’outils conduisant à la réhabilitation écologique, cela en améliorant les connaissances scientifiques sur les espèces végétales méditerranéennes utiles pour la phytostabilisation4.

9L’observation des phénomènes de transfert de ces polluants, causés notamment par la faible capacité de rétention des sols a fait émerger l’hypothèse que la solidarité écologique devenait un levier de mise en visibilité d’une pollution diffuse. Non formulée dans la problématique de départ du projet SynTerCalm, la notion de solidarité écologique démontrée par ces transferts ouvre des perspectives d’interprétation des résultats dans le domaine des sciences humaines et sociales, et plus particulièrement en droit, dans la mesure où elle définit un véritable territoire d’action. En outre, ce territoire unit les éléments terrestres et marins, ce qui interroge d’autant plus les schémas classiques de gouvernance des sols pollués.

10Cet article n’a pas pour objet de détailler les résultats obtenus au cours de ce projet, mais de s’y appuyer afin d’illustrer la problématique principale qui est celle de la solidarité écologique. Cette démonstration, qui invite au dialogue de l’écologie et du droit, apportera un éclairage appliqué d’un principe qui se veut territorialisé, c’est-à-dire ayant pour ancrage un territoire écologiquement cohérent. Il s’agira ainsi d’analyser la réalité écologique des interactions et des interdépendances qui peuvent être observées dans les milieux naturels ou aménagés. Les notions d’interaction et d’interdépendance renvoient, écologiquement et philosophiquement, à deux niveaux de lien et il s’agira de les associer, à la fois au phénomène de transfert des polluants et au concept de « sol polluant » qui semble en découler. Afin de compléter cette approche spatiale de la solidarité écologique, des questionnements liés à la forte rémanence des polluants dans les sols permettront d’aborder sa dimension temporelle.

La solidarité par l’interaction

11De nombreux auteurs regrettent que le législateur ait choisi d’appuyer le principe de solidarité écologique sur « les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés », et non sur leurs interdépendances (Lucas, 2020). Si l’on comprend la force philosophique et juridique du terme d’interdépendance, on peut en revanche s’interroger sur sa réalité écologique et son applicabilité à des échelles diverses et des contextes écologiques très différents. Dans l’hypothèse d’une graduation des solidarités écologiques, la notion d’interdépendance s’appliquerait à des territoires restreints (par exemple un milieu insulaire) ou à des habitats très spécialisés, tandis que celle plus lâche d’interaction correspondrait davantage aux solidarités qui unissent des territoires plus vastes. Nul ne sait si tel était le souhait du législateur.

12D’un point de vue écologique, la notion d'interaction serait plus facile à démontrer que l’interdépendance, donnant alors un ancrage concret au principe, même si cela devait en réduire la portée dans un premier temps. Partant de cette nuance entre interaction et interdépendance, qui n’est pas sans conséquence, émergent des pistes de réflexions pouvant servir à l’appui d’une délimitation territoriale jugée « impérative » (Lucas, 2020). Suivant le modèle des « zones tampons » (Conseil de l’Europe, 1996), comme cela a été établi (Thompson et al., 2011), la solidarité s’exprimerait de prime abord entre deux territoires aux qualifications juridiques différentes. Du protégé vers le non protégé plus exactement, afin de faire bénéficier au second d’un peu de la protection du premier. Toutefois, comment se matérialise cette frontière de solidarité lorsqu’elle s’exprime au sein d’un espace soumis au même régime juridique ? La recherche de la qualification d’un territoire d’expression des solidarités écologiques apparaît comme évanescente et peut-être que les hypothèses doctrinales inspireront les autorités publiques. Pour Simon Jolivet (2016), la solidarité, dans le même esprit de la loi Biodiversité, « amplifie (le mouvement de) déplacement progressif de certaines des « frontières » classiques de la protection ». Interactions, interfaces et interdépendances relèguent au second plan l’idée d’une protection classique, aujourd’hui considérée comme désuète, qui consistait alors essentiellement « à assurer une étanchéité de ces espaces naturels sauvages avec le monde. » (Meynier, 2020, p.68).

  • 5 Loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur p (...)
  • 6 Dans le sens où la délimitation d’un espace, ici la zone cœur, n’est pas un prétexte pour négliger (...)
  • 7 Une calanque est une formation géographique méditerranéenne correspondant à une vallée karstique do (...)

13Seulement, au-delà du « territoire pensé » (Jolivet, 2016), le droit doit pouvoir s’appuyer sur des éléments probants de ces interactions pour être mis en œuvre. Or, le niveau de précision de la démonstration de la solidarité écologique attendue n’est pas donné par la loi, bien que l’on sache par exemple que la notion de solidarité peut embrasser une échelle territoriale très vaste, comme celle d’un bassin versant5. Une des grandes avancées mise en avant est que la solidarité « confère « un statut aux phénomènes d’interfaces »6, sans limiter ces derniers aux seuls espaces adjacents » (Fèvre 2016, p.616). En revanche, on ignore si elle permettra de fonder des actions ultra localisées, c’est-à-dire à l’échelle d’une calanque7, voire d’une parcelle à une autre. La définition de la notion « d’incidence notable » qui figure dans la formulation du principe, apportera ici un éclairage attendu. Parmi les hypothèses que l’on peut formuler, il est probable que l’administration se fonde sur d’autres mécanismes juridiques y ayant déjà recours, tels que celui des évaluations environnementales qui concerne les projets, plans et programmes susceptibles d’avoir une « incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine » (Articles L. 122-1 et L. 122-4, code de l’environnement). Si tel était le cas, alors une fois de plus la question des pollutions diffuses resterait exclue, tout comme un grand nombre de dégradations.

14C’est pourtant la pollution diffuse qui illustre sans équivoque les interrelations entre les compartiments de l’environnement. À l’Escalette, la gravité des effets de la contamination en métaux et métalloïdes varie selon les expositions : notable pour les riverains, anecdotique pour les promeneurs, elle nécessite dans tous les cas un ajustement des comportements (Lasalle, 2007). La perception de la pollution varie tout autant et pour l’heure, les mobilisations des associations de riverains sont plus tournées sur la pollution de la mer par des rejets (station d’épuration et usine Altéo qui produit de l’alumine) que sur la pollution des sols, bien qu’un changement de pratiques, notamment concernant la cueillette ou l’entretien de petits potagers hors-sol, soit apparu avec le temps et au fil du dialogue avec les chercheurs (Barthélémy, 2016). Il demeure que ce site, qui n’a jamais fait l’objet d’une réhabilitation, se trouve fortement contaminé et que cette pollution s’est diffusée sous l’effet du vent et des précipitations, à l’ensemble des éléments du vallon et sur une large portion du massif de Marseilleveyre (Laffont-Schwob et al., 2016), révélant leurs interactions, si ce n’est leur interdépendance.

15Si pour les écosystèmes le niveau d’interaction entre espèces et/ou habitats peut être très élevé, l’interdépendance stricte est plus rare. Du moins, elle pourrait se rapprocher davantage aux notions d’interactions, de coévolution - dont les mécanismes peuvent aboutir à des interactions très spécifiques comme le parasitisme ou la symbiose - et d’endémisme. La notion d’interdépendance réfère donc à un certain degré de spécialisation des espèces, de la dépendance forte de celles-ci à un habitat, à une ressource voire, dans certains cas, à une autre espèce. Les cas d’interdépendances strictes ont des implications fortes sur la survie des espèces dans un contexte de changement global et de fait sur l’équilibre des écosystèmes – ces espèces étant fortement vulnérables aux stress et perturbations environnementales, car inféodées à un habitat ou dépendantes des dynamiques de populations d’une autre espèce, réduisant leurs capacités de résistance et résilience. Néanmoins, on peut considérer que plus le niveau de spécialisation d’une espèce est élevé (endémique, inféodée à un type d’habitat) et plus son habitat est rare, plus l’interdépendance pourra être importante entre cette espèce et son habitat, ses ressources, les autres espèces, le contexte environnemental, et cetera. Ce degré d’interdépendance entre une espèce et son habitat pourrait aussi avoir été sous-estimé, comme le suggère une étude au sujet de la co-extinction (Pin Koh et al., 2004). En effet, certaines espèces d’insectes ou de champignons affiliées à leurs hôtes pourraient bien disparaître avec eux, ce qui représente, sur plus de 12 000 espèces animales et végétales étudiées, une augmentation de 50 % du nombre d’espèces menacées d’extinction, ou plutôt de coextinction, soit 6500 espèces supplémentaires. Il sera toutefois plus complexe d’évaluer un niveau d’interdépendance à l’échelle de l’écosystème, de l’habitat, et le degré d’interdépendance entre plusieurs d’entre eux.

16Si des phénomènes de résilience sont observés dans les écosystèmes contaminés, au niveau des sols, et notamment dans les Calanques, les polluants modifient les caractéristiques physico-chimiques des sols, affectent les communautés de micro-organismes qui s’y développent, la composition des communautés de plantes locales et les trajectoires écosystémiques (Heckenroth et al., 2016) (Figure 1). Ces mécanismes révèlent également les capacités de tolérances aux polluants de certaines espèces de plantes et microorganismes associés, qui pourront à leur tour être utilisées pour la gestion des sites et sols pollués, et entrer ainsi dans le champ des solutions basées sur la nature (nature-based solutions) ou de l'ingénierie écologique. La biodiversité, même perturbée, apparaît comme un outil de la restauration écologique (Heckenroth et al., 2017 ; Ngom, 2021). Il est cependant difficile de prédire les impacts à long terme de ces contaminations sur les écosystèmes, associés à ceux de l’ensemble des changements globaux.

17Les interactions seraient donc plus faciles à établir que les interdépendances, ce qui renforcerait la portée du principe et donc son efficacité. Une des formes d’interactions de nature à enclencher impérativement des actions est celle qui se manifeste lorsque, par les transferts de pollution, le sol devient polluant et dessine de nouveaux territoires d’action.

Les transferts de pollution : révélateurs de la solidarité écologique

18En l’absence de réhabilitation, les sites de production et transformation de minerais, où les métaux et métalloïdes se sont accumulés dans les sols des zones d’activités et se sont diffusés alentour, peuvent devenir une source de pollution qui persiste dans le temps et l’espace (Adriano, 2001). En effet, en exerçant des contraintes physico-chimiques sur les sols, les contaminants peuvent avoir une action de dégradation des sols, conduisant dans certains cas à une réduction du couvert végétal (Figure 1). Par les processus d’érosion par le vent (envol de particules contaminées) et l’eau (ruissellement et lessivage), les contaminants des sols vont être transférés hors site à l’ensemble des compartiments biotiques et abiotiques à proximité, et contaminer les réseaux trophiques. Certains facteurs externes peuvent affecter le devenir des polluants, comme la direction des vents dominants, les distances et obstacles (bâtis, reliefs, et cetera), et/ou certains paramètres anthropiques comme les modifications de l’environnement, des usages, les choix en matière de gestion des sols. La mobilité et la biodisponibilité des polluants, qui dépendent de leur nature, des conditions environnementales (le pH du sol par exemple) et des interactions plantes-sols-microorganismes, ont également une forte incidence sur le risque de transfert au réseau trophique et la toxicité. Consommation de plantes (chaîne alimentaire), ingestion directe de sol (notamment par les enfants) et inhalation de particules atmosphériques contaminées sont les principales voies d’exposition de l’humain. Dans certains milieux, où les conditions ne sont pas ou plus favorables à l’établissement d’un couvert végétal, et par conséquent à la formation de sol, l’absence de végétation aggrave les phénomènes d’érosion, de lixiviation et lessivage des métaux et métalloïdes (Figure 1). Dans d’autres cas, des phénomènes de résilience pourront se mettre en place à plus ou moins long terme.

Figure 1. Illustration de l’amplification des effets de transfert des éléments traces métalliques et métalloïdes (ETMM) dans les milieux en absence de réhabilitation

Figure 1. Illustration de l’amplification des effets de transfert des éléments traces métalliques et métalloïdes (ETMM) dans les milieux en absence de réhabilitation

Conception A. Heckenroth, publié dans Heckenroth et al., 2017.

19Dans le cas du massif de Marseilleveyre où se situe la friche industrielle de l’Escalette, les transferts de métaux et métalloïdes ont été mis en évidence dans l’ensemble des compartiments biotiques et abiotiques continentaux, mais également dans les compartiments marins puisqu’on retrouve la pollution dans les sédiments et les organismes marins de la côte (Lasalle, 2007 ; Laffont-Schwob et al., 2016). À cet égard, on relèvera que la charte du parc national des Calanques présente la liste des grands défis que se fixe l’établissement public, le premier étant de « Considérer les espaces marins et terrestres comme un seul territoire interdépendant » (Charte parc national des Calanques, 2012, p.52). Il vise pour cela « l’amélioration de la prise en compte des interactions entre terre et mer, que ce soit en termes d’aménagement, de gestion des usages et de diminution des pollutions d’origine terrestre ». Il s’agit bel et bien de solidarité écologique.

20Cette démonstration illustre à quel point les transferts de contaminants affectent l’ensemble des compartiments, bien que cette dégradation demeure invisible à l’œil nu ou non aguerri. Les éléments en contact direct et indirect avec le sol pollué, doivent donc être appréhendés comme un tout au regard de la pollution qui agit comme le bleu de méthylène, dont on peut suivre la trace, en mettant en lumière ces interactions.

Le concept de sol polluant

21Le régime juridique qui encadre la pollution des sols est inscrit, depuis la création du code de l’environnement, dans le livre 5 relatif à la prévention des pollutions, des risques et des nuisances. Ce positionnement au sein du droit dit « industriel » de l’environnement est révélateur de la façon dont sont appréhendés les sols, c’est-à-dire comme les réceptacles de produits polluants, déversés accidentellement ou non, sur des sites d’exploitation identifiés par l’administration, ou bien en totale infraction de la réglementation (comme c’est le cas par exemple des décharges sauvages). Par ailleurs, depuis la transposition du régime de responsabilité environnementale, « constituent des dommages causés à l'environnement […] les détériorations directes ou indirectes mesurables de l'environnement qui […] créent un risque d'atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols résultant de l'introduction directe ou indirecte, en surface ou dans le sol, de substances, mélanges, organismes ou micro-organismes » (Article L. 161-1, code de l’environnement).

22Le principe de solidarité écologique qui peut sembler bien éloigné des sols l’exprime pourtant implicitement mais nécessairement : la migration des polluants, autrement dit leur « transfert », force à la reconnaissance de la solidarité écologique qui unit les différents éléments d’un même écosystème. L’idée n’est pas novatrice, elle serait juste confidentielle dans le sens où aucune institution ne s’est saisie de la question, à l’exception toutefois des situations de transfert vers d’autres éléments protégés tels que l’eau. En l’occurrence, le droit, bien que lacunaire, encadre avec plus ou moins de justesse les différentes situations qui conduisent à la pollution du sol et aux obligations de remise en état susceptibles d’en découler (Labelle et Thierry, 2018). Ce déséquilibre dans la production normative, par comparaison à la très faible reconnaissance juridique de la valeur environnementale des sols, s’explique notamment par le fait qu’un sol pollué voit se restreindre le panel des usages que l’on peut en faire, mais aussi parce qu’un sol pollué est un sol potentiellement polluant. Ce dernier point est central dans le cadre de cette réflexion, dans la mesure où il traduit la « consubstantialité » du sol avec les substances avec lesquelles il est en contact (Mauléon, 2003 ; Billet, 2008). Dans son travail portant sur le fait juridique de pollution des sols, Eléonore Mauléon proposait une définition « objective » de la pollution du sol qui semble s’appuyer sur l’idée que le sol a une vocation, du moins une capacité naturelle à recevoir des pollutions, comme s’il s’agissait d’une de ses fonctions écologiques ou d’un service écosystémique rendu à l’homme. L’autrice considère en effet que le sol « peut être dit pollué lorsque, saturé, il a dépassé sa capacité d’autorégénération ». Alors il peut devenir polluant à partir du moment où « il exerce une influence polluante sur l’extérieur » (Mauléon, 2003, p. 34).

23Bien que cette approche soit tout à fait contestable du point de vue de la prise en compte des fonctions du sol, dans la mesure où elle se concentre sur les effets de la pollution et non sur le fait de pollution, elle présente une approche en deux temps de la pollution qui témoigne d’une réalité juridique : c’est surtout lorsque le sol devient polluant qu’en découlent des conséquences qui enclenchent alors tout une chaîne de responsabilités partant de la solidarité de fait des éléments naturels pour remonter jusqu’à une solidarité d’action, obligeant ainsi le responsable ou le propriétaire négligent (Article L. 556-3, code de l’environnement).

  • 8 Directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pol (...)

24La dégradation du sol est un agent révélateur de la solidarité écologique, mais la façon dont le droit l’a intégrée appelle des améliorations. Pour l’heure, elle est cantonnée soit à une approche anthropocentrée, c’est-à-dire tournée vers la protection de la santé humaine, soit à la préservation d’autres éléments de l’environnement bénéficiant quant à eux d’un régime juridique de protection. C’est notamment le cas de l’eau et des milieux aquatiques dont la consubstantialité avec les sols est d’ores et déjà un objet de recherche (Farinetti, 2013). Par exemple, parmi les zones soumises à contrainte environnementale au regard des problématiques de gestion de la ressource en eau (Articles R. 211-66 et suivants, code de l’environnement), la plupart prennent en compte les caractéristiques des sols ou des terres. Plus précisément, le régime de transposition de la directive « Nitrates »8 prévoit un mécanisme d’identification des zones vulnérables, au sein desquelles certaines pratiques agricoles sont encouragées si ce n’est imposées, afin de limiter la pollution des eaux par des excès de fertilisants (Articles R. 211-75 et suivants., code de l’environnement). On retient de ces dispositions que la faible capacité d’absorption et de rétention des intrants par les sols participe grandement à la délimitation desdites zones. Autrement dit, la qualité de l’eau y est plus vulnérable parce que le sol y est trop mince et poreux (Cheverry et al., 1982). En l’occurrence, plus qu’une interrelation, on peut considérer ici que la qualité de l’eau est dépendante de la qualité du sol.

  • 9 « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

25Cette transition de sol pollué à sol polluant devrait naturellement se traduire par une extension des mécanismes de responsabilité à l’encontre des responsables ou propriétaires, ce qui in fine pose la difficile question du contenu du droit de propriété, mais aussi de la garde. Ce qu’implique la propriété volumique du sol énoncée à l’article 552 du Code civil9, révèle la responsabilité du propriétaire envers les éléments écologiquement solidaires de sa parcelle.

  • 10 Circulaire du 26/05/11 relative à la cessation d’activité d’une installation classée chaîne de resp (...)

26Sur le site de l’Escalette, les responsables de la pollution ont depuis longtemps disparu et on a perdu la trace de leurs héritiers (Daumalin et al., 2016). Ce site qualifié d’orphelin au sens de la circulaire relative à la défaillance des responsables10 doit alors faire l’objet d’une mise en sécurité par l’Agence de la transition écologique (ADEME). Il n’est donc plus pertinent ici de chercher à remonter une quelconque chaîne de responsabilité. Toutefois, les actions envisagées par l’établissement public ne tiennent pas compte du principe de solidarité écologique au sens du code de l’environnement. En effet, dans le cadre de ses missions, ce dernier n’est nullement tenu à une restauration écologique de la zone. En effet, on constate que l’exigence de mise en sécurité des sites peut être satisfaite dès lors qu’une signalétique indiquant la présence d’un risque ainsi que des mesures d’éloignement par l’élévation de barrières ont été mises en place.

27Également, aux alentours de l’Escalette, il a été procédé à des projections de béton et des excavations en certains endroits, afin d’empêcher les scories de dévaler dans la mer. Ces actions ponctuelles et informationnelles ne sont pas à la hauteur des enjeux environnementaux du site : la forte volatilité de la pollution en cas de vent (ce qui est fréquent), ajoutée à l’important ruissellement des polluants des sols vers la mer qui se trouve juste en contrebas, appellent à une appréhension globale du vallon. Or, pour mémoire, la solidarité écologique « appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés » (Article L. 110-1 6°, code de l’environnement). La condition de la décision publique semble ici satisfaite, et l’on peut considérer que le fait que l’action se situe dans un cœur de parc national, qui plus est à l’endroit même où sont localisées des espèces protégées, satisfasse également la condition de « l’incidence notable ». La haute qualité environnementale du site « joue » en la faveur du principe, bien qu’il ait été préférable que le législateur ne l’encadre pas strictement par des critères limitants réduisant sa portée pratique comme philosophique.

28Ce cas d’espèce est loin d’être une situation isolée et permet d’entrevoir une possibilité de mise en œuvre du principe de solidarité écologique inversée dans le cas des sols : il s’agirait, ni plus ni moins, d’un levier qui plaiderait en faveur d’une restauration écologique au lieu de mécanismes beaucoup moins exigeants d’un point de vue environnemental, que sont la remise en état ou la mise en sécurité (Desrousseaux, 2017).

Les sols pollués : une solidarité nécessairement intemporelle

29La pollution de l’Escalette par les métaux et métalloïdes a débuté au milieu du 19e siècle, pour se poursuivre jusqu’au début de la 1ère Guerre mondiale. Cent ans plus tard, elle est toujours présente, et elle s’est diffusée sur une vaste portion du territoire du parc national (Laffont-Schwob et al., 2016). On retrouve notamment dans les sols du massif de Marseilleveyre de l’arsenic, de l’antimoine, du cuivre, du plomb et du zinc à des concentrations qui dépassent en de nombreuses zones les valeurs limites de concentrations en ETMM admises dans les sols par la règlementation (Arrêté du 8 janvier 1998). La temporalité des possibles actions juridiques ne permet pas qu’elles soient gérées par un acteur autre qu’une personne publique qui agira alors sur le fondement de l’intérêt général. Le parallèle est alors permis avec la protection de l’intégrité du domaine public. Le mécanisme des contraventions de grande voirie, outil domanial de répression, y est imprescriptible. De jurisprudence constante, le Conseil d’État considère que « la prescription résultant des dispositions combinées des articles 7 et 9 du code de procédure pénale ne s'applique pas, en raison de l'imprescriptibilité du domaine public, à la réparation des dommages causés audit domaine » (Conseil d’État, sous-sections 6 et 2 réunies, 1er juillet 1983, n° 40393).

30La persistance de la pollution dans les sols, confrontée au pas de temps du droit, est un sujet on ne peut plus d’actualité. La possible extinction des actions juridiques à l’encontre des responsables ayant autorisé et épandu le chlordécone dans les bananeraies antillaises, soulève la colère et l’incompréhension des martiniquais et des guadeloupéens. Le chlordécone est un pesticide organochloré extrêmement rémanent dans l’environnement et largement épandu dans les Antilles, afin de faire face à des conditions climatiques exceptionnelles qui avaient causé une recrudescence du charançon dans les bananeraies. En dépit de l’arrêt de sa commercialisation aux États-Unis en 1976 et d’inquiétants rapports de l’OMS quant à ses répercussions sur la santé humaine (Programme des Nations unies pour l'environnement, OIT, OMS, 1984), il a continué à être utilisé en Guadeloupe et en Martinique jusqu’en 1993 (la France a fini par en interdire l’épandage en 1990). Ce décalage est dû, entre autres raisons, aux protestations des producteurs et exportateurs qui demandaient une période de transition afin de leur permettre de trouver un produit de substitution Mais ce n’est que vers les années 2000 que des recherches menées notamment par l’INRA ont révélé que le chlordécone, loin de disparaître, contamine les sols et qu’en outre cette contamination se répand « des sols vers différents légumes-racines, des eaux vers les ressources halieutiques, de différents milieux vers les animaux » (Gaumand et al., 2005). Catastrophe d’autant plus grave qu’elle se déroule sur des territoires où l’eau douce est rare. Les études sanitaires font craindre une multiplication des cancers de la prostate et du sein ainsi qu’une baisse de la fécondité et précisent, contrairement au rapport parlementaire, que « ce n’est plus seulement le principe de précaution qu’il convient d’appliquer, tant la pollution est aujourd’hui devenue prégnante et ses effets évidents, mais la gestion d’une véritable crise, tant au plan de la qualité des eaux, des sols et de l’alimentation que de la santé » (Belpomme, 2007, p.14 ; Lechtimy S. et Benin J., 2019, pp. 59-65). Les effets de ce pesticide nécessitent une prise en compte intégrée de l’ensemble des éléments de l’environnement et de l’ensemble des impacts (sanitaires et environnementaux).

31À nouveau, l’impossibilité de contenir la pollution illustre non seulement la solidarité écologique des écosystèmes, mais questionne le rôle des autorités publiques comme devant incarner cette solidarité d’action, sans limites de temps. Nul doute que la seule réaction consistant en la création d’un fonds d’indemnisation des victimes, qui en outre ne concerne que les travailleurs agricoles, ne peut être satisfaisante (Arhab-Girardin, 2020). Solidarité écologique et intérêt général se fondent l’un dans l’autre là où les questions sanitaires et sociales rejoignent les préoccupations environnementales et clarifient les responsabilités : « La solidarité ici écologique ne peut plus dès lors être cantonnée à sa dimension originelle, celle de technique du droit de la responsabilité pour devenir un guide de ce droit de la responsabilité » (Langlais, 2016).

32Le principe de solidarité écologique est un principe de restauration et de réparation autant qu’il est un principe de protection. Il vient alors utilement compléter le principe pollueur-payeur selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur » (Article L. 110-1, 3°, code de l’environnement). La création du régime de responsabilité environnementale par la loi du 1er août 2008 en constituait déjà un rapprochement, mais la limite temporelle fixée par le législateur, qui exclut de son champ d’application les dommages dont le fait générateur daterait de plus de trente ans (L. 161-4, code de l’environnement), est un véritable cadeau offert aux industriels lorsque l’on sait la lenteur avec laquelle certaines pollutions du sol peuvent se manifester. Un tel cadeau n’est d’ailleurs pas passé inaperçu (Billet, 2009) et contribue, entre autres choses, à son « absence totale d’application » en France.

33Malgré la persistance de la contamination dans le sol, des phénomènes de résilience peuvent se mettre en place à plus ou moins long terme, de manière spontanée ou grâce à des actions de restauration écologique (Heckenroth et al., 2022). À l’Escalette, malgré des niveaux de contamination en métaux et métalloïdes très élevés, une recolonisation spontanée des communautés végétales natives s’est mise en place en l’espace d’une centaine d’années et en absence d’intervention (Heckenroth et al., 2017). Cette recolonisation illustre la régénération d’une partie des fonctions écologiques des sols contaminés, de la biodiversité des sols et des communautés de plantes. La capacité de résilience des écosystèmes contaminés contribue à la réduction des transferts de polluants, tout en rendant parfois non visible la contamination en métaux et métalloïdes dans certaines zones qui paraissent pour des zones de garrigue normale. Ces mécanismes de résilience en œuvre sur certaines zones naturelles aux alentours de l’Escalette ne doivent cependant pas devenir un prétexte à l’inaction des pouvoirs publics face à des phénomènes de dégradation et de contamination. Ils peuvent au contraire inspirer des méthodes innovantes et écologiques de gestion des pollutions, en se basant sur les capacités de tolérance des métaux et métalloïdes par les plantes natives et leurs microorganismes associés, notamment leur capacité de stabilisation des contaminants (phytostabilisation).

Conclusion

34Cette approche ultra localisée du site de l’Escalette, quadrillé par une escouade d’écologues, offre au juriste le confort intellectuel de lui permettre de se fonder sur des éléments probants : une usine s’y trouvait. Sa production causait des envols de poussières chargées de métaux lourds. Ses résidus de production étaient entassés dans un vallon, formant au fil des ans un impressionnant crassier. Un siècle plus tard, les métaux lourds sont partout. Dans l’air quand il vente, dans les sols, dans les eaux de ruissellement et jusque dans les fonds marins.

Figure 2. Crassier de plomb

Figure 2. Crassier de plomb

Crédit photo : Isabelle Laffont-Schwob

35Et pourtant, les acteurs chargés de l’application du droit de l’environnement semblent ici incapables de prendre la mesure des enjeux d’un espace d’une telle qualité, d’une telle rareté et bénéficiant d’un des plus hauts niveaux de protection juridique. Un tel constat est loin d’être rassurant et questionne le droit sur sa capacité à rendre effective une solidarité écologique que l’on devrait considérer comme « déterritorialisée », puisque désormais le changement est global. À juste titre, Mélodie Fèvre relevait, dans le contexte de la législation sur les parcs nationaux, que « La distinction opérée par l’article entre « les continuités géographiques » et « les solidarités écologiques » exprime le fait que des territoires peuvent être co-dépendants, sans forcément être contigus » (2016, p.616, à propos de la charte). Cette solidarité s’exprime pour des territoires éloignés et vaut également pour des territoires situés au-delà des frontières. En bref, elle s’inscrit dans une logique résolument internationale (Michelot, 2020) qui vient compléter utilement son application à une échelle locale.

36Aux réponses apportées à ces deux questions posées dans l’optique d’un principe de droit international de l’environnement, « Pourquoi un nouveau principe ? Pourquoi ce principe ? » (Michelot, 2020), nous nous permettons d’y ajouter un élément : La solidarité écologique représente une opportunité pour la protection des sols et la prise en compte de leurs fonctionnalités écologiques. Objets de droit national par excellence (Desrousseaux, 2016), les sols ne bénéficient pas d’une protection globale à l’échelle internationale (Doumbé-Billé et Steichen, 2010). Cette protection ne se manifeste qu’indirectement ou de façon sectorielle, à travers des enjeux climatiques ou de lutte contre la désertification par exemple. C’est pourquoi voir le droit se doter d’un “méta principe” (Michelot, 2020) offrirait une lecture nouvelle des textes, fédérée autour d’une reconnaissance des processus et non plus des différents éléments de l’environnement répartis en catégories juridiques (Camproux-Duffrène, 2009).

Ce travail de réflexion s’appuie sur les résultats du projet de recherche Synergie dans le territoire des Calanques de Marseille (SynTerCalM) financé par le programme A*MIDEX (n°ANR-11-IDEX-0001-02) et coordonné par Isabelle Laffont-Schwob. Il a contribué grandement à faire la lumière sur cette pollution ancienne d’origine industrielle, autant importante qu’elle est ignorée.

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Notes

1 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Journal Officiel n°0184 du 9 août 2016.

2 Article L. 110-1 al. 2, code de l’environnement ; Loi n° 2016-1087.

3 Par exemple, la protection découlant de l’article L. 411-1 du code de l’environnement s’appuie sur « un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel ».

4 Pour plus d’informations, voire le site de l’IMBE, [en ligne], URL : https://www.imbe.fr/projet-amidex-syntercalm.html

5 Loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

6 Dans le sens où la délimitation d’un espace, ici la zone cœur, n’est pas un prétexte pour négliger les phénomènes extérieurs, et les relations entretenues avec cet extérieur.

7 Une calanque est une formation géographique méditerranéenne correspondant à une vallée karstique dont une partie est submergée, formant une crique aux parois rocheuses, parfois constituée de falaises.

8 Directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.

9 « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

10 Circulaire du 26/05/11 relative à la cessation d’activité d’une installation classée chaîne de responsabilités – défaillance des responsables, Bulletin officiel du MEDDTL, n° 2011/14 du 10 août 2011.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Illustration de l’amplification des effets de transfert des éléments traces métalliques et métalloïdes (ETMM) dans les milieux en absence de réhabilitation
Crédits Conception A. Heckenroth, publié dans Heckenroth et al., 2017.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/38336/img-1.png
Fichier image/png, 171k
Titre Figure 2. Crassier de plomb
Crédits Crédit photo : Isabelle Laffont-Schwob
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/38336/img-2.png
Fichier image/png, 388k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Maylis Desrousseaux et Alma Heckenroth, « Les sols dégradés révélateurs de la solidarité écologique »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 37 | Décembre 2022, mis en ligne le 05 décembre 2022, consulté le 24 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/38336 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.38336

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Auteurs

Maylis Desrousseaux

ESGT-CNAM, Laboratoire Géomatique et Foncier (GeF), 1 boulevard Pythagore, Le Mans, France, courriel : maylis.desrousseaux@lecnam.net

Alma Heckenroth

Laboratoire Population Environnement Développement (LPED), UMR 151 AMU-IRD, Aix Marseille Université, Marseille, France, courriel : alma.HECKENROTH@univ-amu.fr

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Droits d’auteur

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