Navigation – Plan du site

AccueilHors-sérieHors-série 37La solidarité écologique de la sc...

La solidarité écologique de la science à l’(in)action publique

Les asymétries de pouvoir (power gap) : un facteur bloquant dans la transformation vers la soutenabilité
Camille Mazé et Olivier Ragueneau

Résumés

Cet article est destiné à discuter des conditions de possibilité et d’impossibilité de faire du concept juridique (et donc normatif) de solidarité écologique, un instrument efficace pour renforcer l’entrée des politiques publiques dans la transformation vers la soutenabilité. Pour ce faire, il propose de décrypter de manière épistémologique et théorique, les dichotomies socialement construites telles que nature/culture, science/décision ou encore humains/non-humains, et qui structurent aujourd’hui encore les formes de gouvernabilité de nos environnements et des ressources naturelles dont nous dépendons. Nous soutenons que, dans le contexte du changement global, les régimes de gouvernement des relations humains/milieu doivent être réinventés, adaptés à la complexité, au changement et aux incertitudes, défragmentés et désectorisés afin de mieux intégrer les interdépendances comme substrat même de la soutenabilité. Le concept de gouvernance des socio-écosystèmes, fondamentalement basé sur la reconnaissance du principe de solidarité écologique au fort pouvoir transformateur, a selon nous la capacité de rendre ce principe opérationnel pour les politiques publiques. Mais pour ce faire, il est nécessaire de procéder à une introspection anthropologique et à une analyse combinée entre sciences sociales et sciences de la nature, seule capable de mettre au jour les conditions de possibilité et d’impossibilité du transfert de ce concept de la science juridique et de l’écologie elle-même, à l’action publique environnementale. C’est tout l’enjeu de cet article que d’expliciter ce qu’il ressort de cette analyse critique : au-delà des incitations, des injonctions normatives et des initiatives éparses, l’institutionnalisation de la transformation vers la soutenabilité continue d’être freinée à cause de trois types d’asymétries (gaps), étroitement imbriquées : la connaissance, l’implémentation et le pouvoir.

Haut de page

Texte intégral

1Les colibris n’éteindront pas l’incendie.

2Mickaël Faujour, Le Monde diplomatique, octobre 20171

Introduction

3Réveiller les esprits de la Terre (Glowczewski, 2021), sentir-penser avec la Terre (Escobar, 2018), penser ensemble l’humain et le non-humain (Latour, 1991, 1996) ; redonner la parole aux choses et reconnaître leur agentivité (Callon, 1896; Latour, 2018) ; reconnecter les peuples à leurs environnements en repensant les politiques de la nature (Latour, 1999); faire le pari de la réconciliation (Teyssèdre et Couvet, 2004) ; désanthropiser notre vision du monde ; réécrire le récit fondateur pour réinventer nos cosmogonies ; pratiquer une écologie décoloniale (Ferdinand, 2019) ; penser et mettre en œuvre une gouvernance socio-écologique pour inverser les trajectoires insoutenables (Mazé, 2020) ; et pour ce faire, insuffler une culture écologique (Charbonnier, 2022)… Nous pourrions ici multiplier les références, qui, dans la littérature en sciences sociales, multiplient les appels à repenser et reconstruire notre rapport à la Terre, au vivant, au concept de nature tel qu’il nous été historiquement légué.

4Anthropologie du développement et de la soutenabilité, droit de l’environnement et gestion des ressources naturelles, écologie politique comme courant disciplinaire (Political Ecology en anglais) ou encore humanités environnementales, études de résilience et sciences de la soutenabilité invitent de plus en plus à adresser la question du pouvoir pour mettre en évidence les inégalités de pouvoir, l’injustice environnementale, les stratégies d’accaparement des terres ou d’accès aux ressources qui pèsent sur les régimes de régulation de la nature par les sociétés humaines qui en dépendent. La prise en compte des relations, interactions et interdépendances nécessaires à la soutenabilité semble toutefois difficile, notamment pour les acteurs publics comme privés de l’action environnementale.

  • 2 Traduit de l’allemand Der Kosmos – Entwurf einer physischen Weltbeschreibung. Cosmos vise à décrire (...)

5Pourtant, au 19e siècle, des penseurs hautement pluridisciplinaires et interdisciplinaires évoquaient déjà la nécessité de penser ensemble (Humboldt, 1855). Le grand partage entre nature et culture (Charbonnier, 2015), historiquement identifié par les sciences sociales à propos de l’Occident, est aujourd’hui en grande partie tenu pour responsable de la situation écologique et sociale critique dans laquelle nous nous trouvons. S’il n’a pas d’existence pertinente pour l’écologue, il en a pour le sociologue wébérien et durkheimien, alors même qu’il n’a pas toujours existé en science et en société. Humboldt, au XIXe siècle, fondateur de l’écologie moderne, nous le rappelle à travers la vision décloisonnée qu’il nous donne à voir du monde et des sciences, dans Cosmos. Esquisse d’une description physique du monde2 (Humboldt, 1855) ; un décloisonnement qui permet d’appréhender la complexité du monde et qui explique son retour en grâce aujourd’hui (Wulf, 2017 ; Latour, 2017), face à la nécessité d’oser affronter la complexité (Morin, 2005), entre humain et non-humain (Latour, 1999).

6Ainsi, des anthropologues ont étudié des cas concrets de communautés pour lesquelles cette distinction n’a aucun sens (Descola et Pálsson, 1996 ; Descola, 2005) tant elles dressent, à grands coups d’antonymes, des frontières propres à notre cosmogonie, entre nature et culture, sauvage et civilisé, primitif et moderne, exotique et européen, autochtone et immigré, humain et non-humain, bref, entre nous et les autres - où l’autre est souvent l’enfer, qui plus est dans le contexte social et écologique actuel. Cette pensée a inspiré la méthodologie interdisciplinaire que nous déployons sur nos terrains d’étude ethnographique, autour de la mise en œuvre de la gouvernance des socio-écosystèmes (Liu et al., 2011), fondée sur le principe de solidarité écologique et la reconnaissance des interdépendances de soutenabilité, dans un contexte de dépassement des limites planétaires (Rockström, 2009), une approche que nous avons nommée COSMOS en hommage à la vision d’Humboldt.

Figure 1. Schéma global de notre approche ©COSMOS forgée à partir de 2015

Figure 1. Schéma global de notre approche ©COSMOS forgée à partir de 2015

Complex system modeling for sustainability - resituée dans l’histoire des sciences avec focus sur l’impact sociétal de cette approche de la gouvernance et de la gestion des socio-écosystèmes par l’analyse des asymétries de pouvoir (power gap) qui permettent d’expliquer les trajectoires insoutenables

Conception schéma C. Mazé et O. Ragueneau – Graphisme S. de La Villefromoit (2015).

Le concept d’asymétrie de pouvoir (power gap

7Le champ lexical que nous mobilisons dans nos travaux de recherche est largement issu de la littérature anglo-saxonne qui gravite autour de la notion de durabilité ou soutenabilité en français (sustainability en anglais), et dont les notions ne sont pas toujours évidentes à traduire en français. Nous gardons soutenabilité dans le texte.

Figure 2. Petit lexique des sciences de la soutenabilité

Figure 2. Petit lexique des sciences de la soutenabilité

8À partir de cette littérature, nous avons mobilisé les outils analytiques de la sociologie politique francophone autour de la notion de pouvoir. Nous sommes partis du constat que, pour faire face à des situations de plus en plus intenables socialement et écologiquement, les citoyens eux-mêmes s’activent pour accélérer la transformation vers la durabilité, en parallèle de cette sphère ultra active de production scientifique consacrée à la complexitécomme nouveau paradigme. Tous rivalisent d’inventivité pour développer des outils dits « frontières », transdisciplinaires et transformationnels, en mobilisant leur capacité transformative. Pas à pas, chacun est de plus en plus appelé « à faire sa part » comme le martèle par exemple le réseau Colibri en France. L’individu et le collectif, le privé et le public se mêlent et s’entremêlent afin de contribuer à modifier le système dominant, afin d’accélérer et de concrétiser la transition dite écologique et plus fréquemment aujourd’hui « socio-écologique » (Mazé, 2020). Il ne s’agit plus, simplement, de s’adapter mais de transformer les représentations, les valeurs, les pratiques, les règles, les relations de pouvoir elles-mêmes et donc les inégalités fondamentales.

9Nous désignons par Power Gap les écarts de pouvoir, c’est-à-dire les inégalités d’accès aux capitaux et aux ressources, le poids variable des intérêts et des modes de représentation dans les processus de décision. C’est ce phénomène des asymétries de pouvoir, qui joue un rôle bloquant dans la transformation vers la soutenabilité, que nous désignons en anglais par le terme de Power gap. Nous avons choisi cette appellation pour faire écho aux concepts de knowledge gap, relatif au déséquilibre et au déficit de savoirs ou encore d’implementation gap, qui renvoie à l’inertie des politiques publiques en matière de réforme. Ces deux facteurs sont souvent mis en avant pour tenter d’expliquer le fossé existant entre l’intention et l’action. Notre hypothèse est que ce Power gap constitue un troisième élément explicatif des difficultés de l’action publique à se transformer.

10De fait, il est essentiel d’investiguer et d’objectiver au prisme des outils des sciences sociales du politique, les relations de pouvoir, le poids des inégalités dans les processus de décision en matière de gouvernement et de gestion environnementale – souvent qualifiées à tort de « gouvernance » environnementale, puisque la notion de gouvernance implique justement une répartition équitable des parties prenantes, des voix, des intérêts et donc des pouvoirs (Le Galès, 2014) : « Les colibris n’éteindront pas l’incendie » comme le dit à juste titre Mikaël Faujour (2017) – du moins, pas tous seuls – ce sont les inégalités de pouvoir dans l’action publique elle-même, qui doivent être rééquilibrées, par le droit et la transformation du fonctionnement des institutions. Les chercheurs en sciences sociales du politique (sociologues, politistes, anthropologues), en coordination avec les juristes et les acteurs de l’action publique, ont un rôle crucial à jouer dans cette transformation, en contribuant à poser des diagnostics sur le fonctionnement politique lui-même afin de formuler des propositions de modifications scientifiquement fondées. En appliquant cette approche, nous nous donnons les moyens d’atteindre les objectifs d’une écologie décoloniale (Ferdinand, 2019) en favorisant un changement politique rapide et à grande échelle, sans lequel la contraction démocratique ne cessera d’augmenter (Villalba, 2010).

11Pour l’heure, les transformations restent mineures, trop lentes, trop rares et très localisées ; elles sont décrites comme autant de graines ou semences, désignées par l’appellation « Graines ou semences pour un bon Anthropocène » (Seeds of a good Anthropocene) dans l’initiative portée par Elena Bennett de l’Université McGill au Canada, membre de la Resilience Alliance (Bennett et al., 2016). Ces semences sont identifiées dans les innovations sociales et technologiques comme autant d’exemples vivants permettant d’augmenter les capacités pour envisager des futurs alternatifs, basés sur des visions et des valeurs justes, prospères et durables. Le changement de valeurs occupe une place fondamentale dans la transformation en regard de l’ère politique dans laquelle nous nous trouvons désormais. Nous serions entrés dans une « politique de la survie » (Abélès, 2006), marquée par la conscience de la précarité, de la menace et de la possible extinction de l’espèce humaine, de la vie et du vivant tout entier sur Terre, qui implique une prise en compte de la notion de risque et de justice. Dans cet horizon de la survivance, déjà évoqué par Roger Heim, président de l’Académie des sciences et directeur du Muséum national d’histoire naturelle, dans sa préface à Printemps silencieux en 1963 (Carson, 1963), il s’agit toujours d’éviter le pire pour assurer l’avenir des humains et des non-humains dans un contexte caractérisé par la précarité et l’insécurité, où l’absence de projet commun et d’ampleur suffisante en terme de gouvernance mondiale et de déclinaisons territoriales, adaptées à chaque contexte social et biophysique, géographique et climatique, fait cruellement défaut.

12Dès lors, la responsabilité de l’action publique devient majeure. Elle doit savoir anticiper les risques (Beck, 1986), en particulier dans le domaine environnemental et sanitaire (Akrich et al., 2010), modifiant ainsi tout notre rapport au politique et le sens même de l’action publique et le rôle de l’État. Alors que les sociétés occidentales ont longtemps fonctionné à partir du principe de recherche d’une harmonie sociale (convivance, en anglais) et que l’État-nation, et en particulier l’État-providence, en était le principal artisan, c’est aujourd’hui le principe de survivance (survivance, en anglais) qui régit le politique (Abélès, 2006). Auparavant, on cherchait à déterminer les causes et à établir une politique de prévention uniquement en cas de dommages ; désormais, dans l’horizon de la survivance, il s’agit d’éviter le pire, compte tenu des connaissances que nous avons des différentes trajectoires possibles, dessinées par les scénarios scientifiques, d’où le rôle fondamental accordé à la science comme en attestent le rôle du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC) ou de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques est un groupe international d'experts sur la biodiversité (IPBES). Le principe de précaution s’est ainsi imposé dans les débats publics et les textes officiels pour générer une révolution dans la gestion du risque (Akrich et al., 2010) et mettre au point une véritable politique de planification du futur (Norberg et Cumming, 2008). Mais rien n’est simple à l’interface sciencedécision ; on sait à travers la science politique et la sociologie (politique) des sciences que le processus d’expertise n’est pas linéaire (Beck, 2011 ; Frickel et Moore, 2006 ; Jasanoff, 2004). Ici qualifiée de catastrophiste, là de réaliste, cette vision est éminemment liée à la perspective de la fin du monde qui menace la survie de l’espèce humaine et celle de toutes les autres espèces du vivant. Cette vision de l’effondrement a été diffusée en France à partir de l’Institut Momentum cofondé par Yves Cochet et Agnès Sinaï, avant d’être nommée et portée à la connaissance du grand-public par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur essai Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Servigne et Stevens, 2015).

13Et pour cause. La biodiversité est décrite comme étant déjà largement en déclin (Billé et al., 2014) en raison de nos manières de vivre (sur) la planète, de l’occuper, de la consommer, de la consumer. Un changement radical de paradigme de pensée et d’action s’impose donc, qui nous place face « au plus grand défi de l’histoire de l’Humanité » (Barrau, 2019) et nous impose « d’atterrir » (Latour, 2017) pour chercher et trouver des solutions en direction d’un avenir et d’un monde meilleur. Dans cette conjoncture critique, c’est l’action publique elle-même qui doit se transformer en profondeur. Ce changement s’est fait attendre, tandis que les années de transition s’annonçaient hautement conflictuelles (Villalba, 2010) en raison des problèmes géopolitiques qu’elles poseraient et dans lesquels nous sommes en plein : migrations climatiques, guerres pour les ressources (Gemenne, 2009). Le temps serait donc venu d’arrêter de disqualifier le délai face au cumul des urgences, tant ce délai génère une inévitable contraction démocratique ; il faudrait prendre des décisions à long terme, en intégrant l’obsolescence de la durée, en tenant compte des conséquences de cette restriction temporelle sur notre conception de la démocratie qui se traduira par la limitation des choix des générations futures. Et ceci devrait être sérieusement considéré, au-delà de tout alarmisme ou catastrophisme (Dumont, 1974) : la prise en compte du délai devrait être « un puissant levier émancipateur » et permettre de « renégocier l’ordre des priorités du projet politique » (Semal et Villalba, 2013).

14C’est là, sans doute, le grand objectif de la Décennie d’action dans laquelle nous entrons aujourd’hui et au cours de laquelle il conviendra de suivre les recompositions du politique, afin de redonner de la valeur à l’implication du savant dans les affaires de la Cité et de restituer son sens le plus noble au politique (Weber, 1968). Car là où le citoyen, sous prétexte d’incarner le demos, revêt toutes les responsabilités et travaille d’arrache-pied pour pallier la défaillance des dirigeants, c’est la violence et la « restriction du délai démocratique » qui se profilent, la révolte musclée et la limitation des choix et des libertés qui se dessinent, faisant courir le risque d’instauration autoritaire d’une dictature verte ou d’un écofascisme contre lequel nous devons, collectivement, œuvrer (Ragueneau, 2020). Dans cette entreprise, le droit revêt un caractère majeur ; plus précisément, le principe de solidarité écologique tel que décrit par ailleurs dans ce numéro mérite toute notre attention, comme fondement possible d’un autre mode de penser et de gouverner la nature, en donnant à l’humain toute sa place comme espèce intégrante de la nature et en reconnaissant les interactions et interdépendances comme fondement même de la durabilité : la reconnaissance scientifique et profane de la solidarité écologique et son institutionnalisation comme principe juridique pourrait en faire un instrument de politique publique novateur, particulièrement efficace pour transformer les régimes de gouvernance environnementale et les adapter au paradigme de la durabilité.

15Cette déclaration est toutefois normative et il convient de la mettre à l’épreuve du terrain, au prix d’un refroidissement théorique (Fontaine et Hassenteufel, 2002), tout en restituant la profondeur historique et l’épaisseur anthropologique de cet apparente révolution ontologique, censée rééquilibrer les rapports de force et les déséquilibres de pouvoir entre humains et non-humains, entre nature et culture et entre les humains eux-mêmes dans la perspective de la justice environnementale. Pour ce faire, il convient de décrypter de manière épistémologique et théorique, ces dichotomies socialement construites par les sociétés européennes modernes dites occidentales, qui structurent aujourd’hui encore les formes de gouvernabilité de ce que nous appelons « nature ». Dans le contexte du changement global, les régimes de gouvernement des relations humains/milieux doivent être réinventés, adaptés à la complexité, au changement et aux incertitudes, défragmentés et désectorisés afin de mieux intégrer les interdépendances comme substrat même de la durabilité – des écosystèmes et des espèces, humaines et non-humaines, qui les peuplent et en dépendent.

16Le concept de gouvernance des socio-écosystèmes, fondamentalement basé sur la reconnaissance implicite de la solidarité écologique, sans pour autant le formuler ainsi, nous semble avoir la capacité de rendre ce principe opérationnel pour les politiques publiques. Mais il nécessite une introspection anthropologique et une analyse combinée en science politique pour mettre au jour les conditions de possibilité et d’impossibilité de son transfert de la science à l’action publique. Passer ces concepts au crible des sciences sociales du politique, de l’histoire des sciences et de leur usage en politique est dès lors déterminant pour saisir ce qui se joue ici et maintenant, à travers cette vision scientifique occidentale qui fait la promesse d’une reconnexion entre les humains et la nature. Comment cette vision du monde peut-elle passer de catégorie analytique à catégorie d’intervention publique ? Quels sont les leviers et les blocages dans cette grande opération de transformation de nos manières de gouverner et de réguler la nature ? C’est tout l’enjeu de cet article que de présenter les cadres d’une démarche réflexive et opérationnelle sur ces catégories dont l’institutionnalisation est freinée par trois types de d’asymétrie, étroitement imbriquées (la connaissance, l’implémentation et le pouvoir). Les études sur le pouvoir comme facteur bloquant à la transformation vers la soutenabilité font cruellement défaut comparativement à la place accordée aux deux autres dimensions (Mazé, 2020).

De la nécessité de mobilier les sciences sociales et de réaliser un état de l’art critique

17Dans la littérature en sciences de l’environnement, gestion des ressources naturelles, études de la résilience et sciences de la durabilité, largement dominée par le champ de production anglo-saxon, la catégorie de socio-écosystème incarne la notion de solidarité écologique. Ce concept est de plus en plus fréquemment utilisé pour appuyer l’idée qu’il convient de mieux considérer les interactions, interdépendances et rétroactions des systèmes écologiques complexes – incluant donc l’humain comme partie prenante et force anthropique – et ceci, de l’échelle globale (planétaire) à l’échelle locale (territoriale). La littérature sur les systèmes socio-écologiques et la gestion co-adaptative (Olsson et al., 2004) en vue de la résilience (Holling, 1973 et 2001) est basée sur le projet d’une écologie complexe (Curtin et Allen, 2018) qui propose une théorie dynamique des systèmes adaptatifs et met en évidence la transformabilité, ainsi que la résilience et l’adaptabilité, en tant que propriétés clés des systèmes socio-écologiques (Folke et al., 2010 ; Folke, 2006 ; Berkes et al., 2008).

18Ces catégories doivent être passées au crible des sciences sociales du politique, en étroite interaction avec les sciences de la nature, pour comprendre comment la notion d’interdépendances écologiques peut devenir – ou pas – un instrument de gouvernance efficace, au-delà du contexte juridique français qui reconnaît le principe de solidarité écologique depuis 2016. Devant la menace de l’effondrement de la vie sur terre, les interactions au sein d’un système - entre sous-systèmes et à l’échelle du système planétaire lui-même – font l’objet d’une prise de conscience grandissante, faisant ainsi résonner l’hypothèse Gaïa du scientifique britannique James Lovelock (Latour, 2015).

  • 3 La zone critique désigne la pellicule la plus externe de la planète terre, celle qui est le siège d (...)

19C’est cette pensée des systèmes complexes, incarnant une vision holistique, qui a fait l’objet d’une riche discussion entre le sociologue des sciences Bruno Latour, mon collègue biogéochimiste Olivier Ragueneau et moi-même, socio-anthropologue du politique, lors d’une rencontre que nous avions organisée à Brest, en 2018 et d’où émanent les réflexions que nous livrons ici et qui sont développées plus longuement ailleurs (Ragueneau, 2020 ; Mazé, 2020) et antérieurement (Mazé et Ragueneau, 2017). La discussion portait sur le réseau comme cristallisateur d’interdisciplinarité, pour saisir les interactions, les interdépendances et les rétroactions propres à la théorie générale des systèmes. Ainsi, alors qu’après une visite de la station biologique d’Argenton, Bruno Latour se penchait pour ramasser du sable sur les dunes de Porspoder et l’observait en évoquant la zone critique3, nous nous demandions « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ? » (Latour, 2017). Comment, dans le monde actuel, penser le gouvernement de la nature par les humains ? Comment anticiper et gouverner face aux chocs et aux incertitudes (Callon et al., 2001), en cas de crise ou de guerre, qui plus est, face au changement global ? Comment s’adapter ou transformer les politiques publiques, les valeurs et les pratiques collectives ? Comment garantir la soutenabilité (écologique, sanitaire, économique, équitable) dans ses nécessaires interdépendances (Carter, 2018 ; Mathevet et al., 2018) ?

Figure 3. B. Latour, C. Mazé, M. Alunno - Site expérimental Ifremer d’Argenton (LEMAR)

Figure 3. B. Latour, C. Mazé, M. Alunno - Site expérimental Ifremer d’Argenton (LEMAR)

Visite de la station biologique d'Argenton avec Bruno Latour (C) Ragueneau & Mazé .

20Hors de la vie de laboratoire (Latour et Woolgar, 1979), c’est la question anthropologique, politique et ontologique des rapports nature/culture, humains/milieux, humains/non-humains, sciencedécision qui se pose ; c’est le gouvernement des relations humains / nature qui semble à revoir (Larrère et Larrère, 2015). C’est l’expérience de nature elle-même qui est en cause, l’appropriation et la distanciation par l’humain (Ingold, 1986), la notion de service écosystémique (Daily, 1997) ou de disservice (Jacobs et al., 2014). Dans ce contexte, c’est le rôle de l’État lui-même dans la régulation de la nature et la vision historique du pouvoir (Holeindre, 2014) sur les non-humains dans ses interactions avec le savoir (Jasanoff, 1990) qui doit être questionné, dans les jeux de recomposition du politique et l’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène de la gouvernance environnementale.

21L’obéissance ou la résistance à la gouvernabilité de la nature, les diversités de régimes de gouvernement ou au contraire leur standardisation, les choix décisionnels et leurs impacts, l’indépendance, l’allégeance ou l’impertinence des scientifiques et des experts, le poids des intérêts et des lobbys industriels et scientifiques, le rôle des controverses en science et les polémiques dans les médias, l’inertie des politiques publiques descendantes (top-down en anglais) et le dynamisme des solidarités citoyennes ascendantes (bottom-up en anglais), et cetera, constituent autant de sujets pour les sciences sociales du politique qui doivent être analysés sur le terrain en regard de l’institutionnalisation du principe de solidarité écologique, qui constitue une révolution ontologique pour les institutions dominantes des sociétés occidentales modernes, européennes. Il en va de même de l’évolution du référentiel, controversé, de services écosystémiques, élargi récemment à celui de contribution de la nature aux personnes (nature’s contributions to people en anglais) par les organisations environnementales internationales (IPBES) ou celui de solution fondée sur la nature (nature-based solution en anglais), auraient dû y être à l’honneur. Ces concepts scientifiques, ces paradigmes au sens de Kuhn (1962), font autorité en science et cheminent pour s’imposer dans l’action publique, par leur traduction en droit et la production d’instruments de politiques publiques.

Le concept de gouvernance socio-écosystémique, une manière opérationnelle d’incarner le principe de solidarité écologique ?

22Les promoteurs des concepts de gouvernance des socio-écosystèmes et de gestion adaptative ou transformative voudraient aujourd’hui les institutionnaliser, en les faisant transiter de la science à l’action publique. Ils constituent, de ce point de vue, un nouveau modèle épistémique, un paradigme à interroger, de sa production à son appropriation sociale, en intégrant dans l’analyse les résistances, les blocages, les freins à sa traduction et mise en œuvre. Ces concepts, forgés pour faire face au changement global et accompagner la société dans sa transformation vers la soutenabilité, doivent s’implanter à l’interface science/décision/gestion. Entendue comme la qualité d’un bien qui dure, la notion de durabilité fait office de référentiel, cognitif et opérationnel, dans la régulation des relations humain/milieu (dit « naturel »). Désignée en français dans la filiation du paradigme du développement durable par les termes durabilité puis soutenabilité pour se distancier de la notion de croissance elle-même, de profit et de progrès assimilé à la production et consommation incessante, ce paradigme est utilisé, depuis les années 1990, pour qualifier une configuration de la société humaine en rapport avec son milieu (l’environnement) lui permettant d’assurer la pérennité à la fois du milieu dit naturel et des sociétés humaines et non-humaines qui en dépendent. Cette idée repose sur le maintien d’un environnement vivable, permettant un développement économique et social à l’échelle planétaire, basé sur une organisation sociale équitable. C’est le concept – politique, normatif sans normes (Theys, 2001) – de développement durable (sustainable development en anglais), défini par le rapport Brundtland en 1987, dans lequel s’inscrit la notion contemporaine de transition écologique, énergétique et sociale à laquelle le principe de solidarité écologique ouvre une voie sans précédent et que nous choisissons de dénommer par le terme soutenabilité plutôt que durabilité en français pour les rasions que nous venons d’évoquer.

23L’économie néo-classique identifie l’objectif de soutenabilité par la non-décroissance dans le temps du bien-être individuel. En se distinguant de l’écologie de l’environnement, l’économie écologique prend le contre-pied de cette posture épistémologique. Elle affirme que la problématique environnementale doit être placée au centre de la démarche économique et que le capital créé par les humains n’est pas parfaitement substituable au capital naturel. Ici, les capitaux sont conçus comme complémentaires et peuvent être articulés entre eux, grâce au capital social, à travers l’action collective. Elle introduit ainsi la notion de durabilité forte par rapport à la durabilité faible, qui renforce la prise de conscience de la non-substituabilité du capital naturel et donc, sa limite (une notion que l’on retrouve dans les concepts de seuils critiques et de limites planétaires) :

« La durabilité forte devient ainsi un marqueur de l’économie écologique, par opposition à la durabilité faible, associée aux approches standard de l’économie des ressources et de l’économie de l’environnement. Elle affirme que le capital naturel n’est pas complètement remplaçable par du capital manufacturé, soulignant ainsi le caractère irremplaçable de certains éléments ou aspects de l’environnement naturel, d’où l’hypothèse de l’existence d’un seuil de “capital naturel critique”, en dessous duquel on ne pourrait pas descendre » (Boisvert et al., 2020).

24Cette nuance, qui signale les variantes existantes du concept de développement durable, dans la lecture qui en est faite et dans ses traductions, est toutefois controversée en raison de sa trop faible efficacité à permettre une protection de la nature suffisante et efficace, tant elle maintient en vigueur la vision économiciste de la nature comme capital. C’est pourtant bien dans l’optique de la conservation qu’elle s’est développée, face au constat amer de l’échec du développement durable, depuis son émergence il y a 30 ans, à inverser les tendances d’un développement non durable. Elle propose de nouveaux outils et valeurs pour renforcer la conservation de la nature, conçue comme capital. C’est notamment la vocation du concept de service écosystémique qui invite à une évaluation des valeurs de la nature, monétaires comme non-monétaires.

25L’économie écologique, qui a élargi l’évaluation économique du monétaire au non-monétaire, prend cette question et ce défi sociétal à bras le corps. Elle a ainsi inclus la dimension de valeur symbolique de la nature dans ses évaluations (par exemple, les aménités des paysages ou la valeur patrimoniale de la biodiversité comme service). L’évaluation des services, l’analyse institutionnelle des mécanismes de régulation autour des mesures compensatoires et de restauration écologique, ou encore l’étude du rôle des coûts de transactions dans les modes de coordination autour des usages de la biodiversité et des services écosystémiques sont, en ce sens, largement développées aujourd’hui (Levrel, 2006). La notion de paiements pour services environnementaux pose notamment question du point de vue juridique et éthique (Michelot, 2019a). Cette vision s’appuie sur des instruments concrets de politiques publiques et juridiques, notamment la notion de service écosystémique évoquée ci-dessus, qui s’est fortement institutionnalisée depuis la moitié des années 2000, à travers des initiatives internationales faisant la promotion de la valeur de la nature mettant en avant l’intérêt de l’évaluer économiquement (Millenium Ecosystems Assessment, MEA, 2005). Le concept de service écosystémique qui a été introduit à la fin des années 1980 dans le cadre d’un renouvellement du discours écologique fait ainsi aujourd’hui figure de référentiel permettant de concevoir largement les enjeux de la durabilité (Prevost et al., 2016). Mais il fait l’objet d’interprétations et de réceptions différenciées, en fonction des disciplines, des parti-pris idéologiques et des objectifs visés par ceux qui le mobilisent, en science comme dans l’action publique.

26Du point de vue des écologues et des économistes qui souscrivent au courant de l’économie écologique, ce concept a des vertus pour conserver la biodiversité et maintenir un lien durable entre l’humain et la nature. Saper sa légitimité ferait ainsi courir le risque, aux yeux de certains écologues, biologistes de la conservation, de rater le pari de la réconciliation entre l’humain et la nature (Teyssèdre et Couvet, 2004). En ce sens, le concept de disservice (disservice en anglais), qui renvoie une vision négative de la nature et correspond à une vision inversée des services, est mis à distance, afin de privilégier l’image de la nature comme capital positif à préserver. Du point de vue des anthropologues, qui s’attachent à démêler les liens entre l’humain et son milieu et à comparer divers contextes culturels, la notion de service écosystémique est anthropocentrée – considérant que la nature rend un service aux sociétés humaines qui l’utilisent et l’exploitent. De plus, elle repose sur une vision clivée et non holistique du monde, fondée sur le clivage humain/nature, propre à la pensée européenne et occidentale (Descola et Pálsson, 1996 ; Descola, 2005 ; Latour 1999 et 1991 ; Charbonnier, 2015). Du point de vue des sciences sociales du politique, du droit et de l’économie politique (Prevost et al., 2016), ce concept, en tant que référentiel pour concevoir les enjeux de la durabilité en regard du paradigme de développement durable et de la notion de croissance, nécessite une lecture institutionnaliste le replaçant dans le contexte social de sa construction en science et de sa légitimation dans les politiques publiques. Il ressort de ces analyses que la notion de service attachée à la nature est intimement liée au paradigme néo-libéral, capitaliste, qui fait voler en éclats la valeur intrinsèque, éthique et orientée vers la justice, du droit :

« La reconnaissance de la notion de services écosystémiques marque ainsi […] la remise en question de tous les mécanismes et instruments juridiques environnementaux s’appuyant sur les obligations de protection organisées autour des principes fondamentaux de prévention et de précaution. Par ailleurs, la perspective des “services écosystémiques” se fonde sur une logique toute autre que la logique réglementaire : celle de l’échange. Les relations sujet-objet de droit sont alors bouleversées. En effet, les relations juridiques relatives à l’environnement ne sont plus fondées sur l’identification, la protection voire la mise en valeur des fonctions écologiques qui, par définition, n’appartiennent à personne et ne font pas l’objet d’une évaluation économique. La notion de “service” implique, en particulier, d’identifier le fournisseur et le bénéficiaire du service. Cela ouvre le champ à toutes les formes de contractualisation, mais dont la protection de l’environnement n’est en réalité juridiquement plus l’objet (les techniques contractuelles étant très utilisées par ailleurs pour atteindre des objectifs environnementaux ; Boutonnet, 2015) » (Prevost et al., 2016).

27Pourtant, pour l’heure, le concept de service écosystémique fait office de référentiel. Il fait partie intégrante du concept de socio-écosystème (Liu et al., 2011), destiné à marquer les interactions entre les cadres biophysique et social et les boucles de rétroaction. La notion de transformation vers la soutenabilité mobilise le cadre de socio-écosystème et, partant, celui de service écosystémique en arrière-plan, et semble ainsi se faire l’héritière de la vision précédemment décrite. Conscients de ce problème, les concepteurs de la transformation travaillent depuis peu à développer de nouveaux cadres conceptuels, associant la boucle de la gestion adaptative à celle des services écosystémiques. Ils aspirent à proposer un nouveau modèle conceptuel (cognitif) et opérationnel (pragmatique) de représentation et de régulation des relations humain/nature (Bretagnolle et al. 2019). La notion de transformation vers la soutenabilité induit ce changement, cette transformation du modèle conceptuel lui-même (framework en anglais), basé sur la notion d’interdépendance (Carter, 2018) et donc, de solidarité (Michelot, 2019b).

28L’objectif de cette manière de penser est de contribuer, grâce à une association de compétences disciplinaires et à un travail constant aux interfaces, à inverser les tendances actuelles de franchissement des seuils critiques ou points de basculement (tipping points en anglais) ne garantissant plus l’habitabilité terrestre. Leur dépassement nous conduirait tout droit vers l’insoutenable (Röckstrom et al., 2009). Cela implique de transformer nos manières de penser et de faire, pour éviter l’irréparable, comme le rend possible la « reconnaissance du crime d’écocide » (Neyret, 2014 et 2015). Cela suppose de penser les éléments naturels comme des sujets de droit, à l’instar de ce qui se fait déjà en Équateur. Ce pays précurseur du droit de la nature a adopté en 2008 une nouvelle Constitution intégrant un outil législatif pour ses forêts tropicales. Celui-ci fait de la Pacha Mama (la Terre-mère) un sujet de droit devant être respecté et même réparé en cas de dommages. Il en va de même en Nouvelle-Zélande où le fleuve Whanganui a obtenu le statut d’entité vivante, devenant ainsi une « personnalité juridique et personne morale » qui lui permet d’être défendu devant un tribunal ; cela représente une vraie victoire pour les populations autochtones (la tribu Whanganui) liées spirituellement et matériellement à leur fleuve ancestral. Cette évolution dans les représentations, les valeurs accordées aux éléments de nature et l’octroi de statuts juridiques spécifiques invite à appréhender ces entités comme des sujets ethnographiques en tant que tels (Wagner et al., 2018). Mais cela implique, on le comprend, nombre de transformations en profondeur, dont celle de notre vision du monde, de la Terre, de notre rapport à elle et à ses habitants humains et non-humains, ainsi que de notre manière de la gouverner (Latour, 2018).

29Dès lors, le concept de socio-écosystème, intégrant l’idée d’interaction et d’interdépendance et donc de solidarité écologique et de justice sociale, constitue-t-il un nouveau modèle conceptuel capable de rééquilibrer la dérégulation des relations humain/nature et de diminuer les inégalités sociales ? Comment les concepts de gouvernance de socio-écosystèmes et de gestion adaptative, pour l’heure travaillés en science, peuvent-ils passer dans les politiques publiques ? Comment celles-ci peuvent-elles les absorber, dans leurs formes actuelles, ou se transformer pour les intégrer comme nouveaux référentiels de pensée et d’action ? En quoi permettent-ils de repenser la vision, pour l’heure largement économique, du rapport humain/nature ? La notion de solidarité écologique, qui a du sens à la fois du point de vue des écologues, des anthropologues, des politistes et des juristes de l’environnement, semble ouvrir une piste concrète pour asseoir cette vision socio-écosystémique. Elle permet d’intégrer la notion de complexité des (socio)-écosystèmes et d’envisager des pistes concrètes pour protéger efficacement leurs fonctions essentielles et leurs interactions, de manière durable (Michelot, 2018).

Repenser « la gouvernance de la nature », terreau fertile pour asseoir le principe de solidarité écologique

30L’idée d’un régime de gouvernance socio-écologique repose sur une vision intégrative, systémique, conçue, du point de vue social comme du point de vue des relations humains/non-humains, comme plus participative et plus juste, polycentrique et égalitaire (Ragueneau, 2020 ; Bennett et al., 2019). Elle devrait également reposer sur la science légitime et savante (knowledge-based decision-making en anglais) et hybrider d’autres types de savoirs, notamment les savoirs autochtones et profanes, comme le propose la littérature de la résilience depuis plus de vingt ans (Berkes et al. 2000 ; Gadgil et al., 2009). L’expertise scientifique (Chateauraynaud, 2008) dans la gouvernance environnementale se voit parfois reprocher une certaine « confiscation des pouvoirs » (Bérard et Crespin, 2010), de telle sorte qu’on en appelle à plus de participation (par exemple le dialogue entre scientifiques, pêcheurs, ONG environnementalistes et gestionnaires). Seul ce type de démarche, composant avec une multiplicité d’acteurs, d’enjeux et de valeurs, d’échelons et d’instruments, permettrait de mettre en œuvre les trajectoires de soutenabilité pour les sociétés humaines et les écosystèmes dont elles dépendent. C’est ce à quoi appellent les grandes initiatives internationales sur le futur planétaire (dont l’initiative de Future Earth, Science-based pathways for sustainability). Dans ce faisceau prospectif, ce qui nous intéresse est précisément la manière dont les politiques publiques peuvent ou non, et vont ou pas, évoluer (Palier et Surel, 2010 ; Fontaine et Hassenteufel, 2002) en regard du paradigme de soutenabilité (Church, 2015).

31Très liée à l’idée de justice (Bennett et al., 2019), la notion de gouvernance des socio-écosystèmes est aujourd’hui en vogue en regard de l’agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU qui puise son cadre théorique et opérationnel dans les sciences de l’environnement et dans la gestion des ressources naturelles revisitées par le courant de la Résilience. Elle est adossée à l’idée même d’une gestion adaptative (Folke et al., 2005) ou cogestion adaptative (Kofinas, 2009) en vue de la résilience (Holling, 1973, 2001). Ils reposent sur l’idée fondamentale selon laquelle l’action sociale organisée dans la direction de la soutenabilité (valeurs comparables, intérêts communs, parti-pris partagés), devrait permettre la mise en place des trajectoires de soutenabilité, garantissant la résilience des socio-écosystèmes : « Un processus auto-organisé de développement de cogestion adaptative, facilité par des règles et des incitations de niveaux supérieurs, a le potentiel de rendre… les systèmes socio-écologiques plus robustes au changement » (Olsson et al. 2004). Cela a été bien mis en évidence par Ostrom (1990) au sujet des communs.

  • 4 De la gestion adaptative (adaptative management en anglais) à la gestion modulée (adjustive managem (...)

32La notion de bien commun ou commons en anglais (sans la notion de bien) a percé ces dernières années. Mais elle nécessite d’être redéfinie au-delà de la notion ostromienne (Cornu et al. 2017) et pose aujourd’hui de nouvelles questions face aux défis mondiaux (Leyronas et Bambridge, 2018). Elle semble, en effet, pouvoir répondre aux ambitions en termes de gestion écosystémique portée par les grandes organisations internationales de conservation de la nature (comme l’UICN) dans la suite de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (MEA, 2005), et proposer des solutions concrètes aux Objectifs développement Durable de l’ONU (ODD). Ainsi, aujourd’hui, la recherche sur les systèmes socio-écologiques met en avant le besoin d’une gouvernance ou gestion adaptative face à l’incertitude et à la complexité, par rapport à la nécessité de s’adapter au changement climatique à l’échelle mondiale : autrement dit, elle fait des recommandations en termes de gouvernance et de gestion. Il en résulte un méli-mélo de concepts et de schémas, indifféremment et de manière imprécise nommés et décrits en fonction des écrits : gestion adaptative (adaptive management en anglais), co-gestion adaptative (adaptive co-management en anglais), gestion modulée (adjustive management en anglais)4.

Transformer la gouvernance elle-même

33L’idée de transformer la gouvernance elle-même s’est ensuite affirmée dans le champ, afin d’aller dans le sens « d’un système de cogestion adaptatif » (Transforming governance into an adaptive co-management system en anglais) (Olsson et al., 2014). Depuis environ cinq ans, l’idée de gouvernance adaptative s’est imposée (Schultz et al. 2015 ; Chaffin et al., 2014). Elle repose sur l’hypothèse que pour engendrer la transformation, les institutions elles-mêmes doivent être adaptatives (Koontz et al., 2015). Dès lors, pour les piloter, il faudrait élaborer un système de gouvernance, lui-même adaptatif. Cette idée qui fleurit aujourd’hui dans la littérature spécialisée, n’est en réalité pas neuve (Gunderson, et Holling 2002, d’après Holling, 1973). Elle puise son origine dans la science des systèmes complexes en écologie et études de résilience qui considèrent que les systèmes eux-mêmes sont adaptatifs. Or, plutôt que d’être adaptatives, ce sont les institutions elles-mêmes et les régimes de gouvernance qui devraient se transformer, être transformés, pour mieux intégrer la notion de solidarité écologique (Mazé, 2020).

34L’idée sous-jacente est qu’il existe une très grande diversité de situations, de telle sorte qu’il est impossible de préconiser une solution unique face à la complexité du fonctionnement et de l’évolution des socio-écosystèmes. D’où les défis qu’ils posent en termes de gouvernance, dans le contexte du changement global. Le modèle théorique de la résilience est ici mobilisé, tant il permettrait la mise en œuvre d’une gestion durable des socio-écosystèmes, grâce à une méthodologie intégrant à la fois une étude des communautés écologiques, des systèmes socio-écologiques liés (Berkes et Folke 1998) et des dispositions institutionnelles et organisationnelles (Anderies et al., 2003). Pour faire face à l’incertitude et aux discontinuités de l’évolution des systèmes écologiques et sociaux, liées au changement climatique, la gestion adaptative prône l’apprentissage (Armitage et al., 2008) et l’expérimentation. Elle implique une approche intégrée et multidisciplinaire, en jouant sur des variables fortement contrôlables (Curtin et Allen, 2008). Les connaissances des scientifiques doivent ici être combinées avec celles des communautés, historiquement mobilisables (Mawyer et Jacka, 2018). Dans cette dynamique, les spécialistes des systèmes socio-écologiques se sont attachés à comprendre comment la gouvernance adaptative peut faciliter l’adaptabilité et la transformabilité (Folke et al., 2005). Les principes de la (co-) gestion adaptative ont ainsi été identifiés : ils sont basés sur les principes de la gouvernance polycentrique, de l’apprentissage et de la prise en compte de l’incertitude ou encore, des boucles de rétroaction, qui caractérisent les socio-écosystèmes et leur capacité de résilience. La cogestion adaptative ajoute à celle de gestion adaptative, l’idée de la coopération entre les différents acteurs et institutions impliqués pour faire émerger des scénarios de gestion alternatifs (Kofinas, 2009). Autrement dit, elle intègre l’idée de communauté, désignée en anglais dans la littérature spécialisée par l’appellation gestion communautaire des ressources naturelle (Community-based natural resource management en anglais).

35De là, comprendre les trajectoires de changements permettant d’obtenir une gestion adaptative efficace apparaît donc résolument déterminant (Folke et al., 2005). Il convient notamment de renforcer la connaissance de la fabrique de la gouvernance des socio-écosystèmes elle-même (en la posant en catégorie à investiguer à partir de l’étude de la gouvernance effective des territoires et de la régulation des relations humain/nature). La possibilité sociale de la (co-)gestion adaptative devient dès lors, non pas une catégorie en soi, mais un objet d’étude pour les sciences sociales du politique, à travailler au prisme du pouvoir. C’est la perspective ouverte par l’écologie politique (au sens de courant scientifique) qui propose d’appliquer sa vision à l’étude des relations socio-écologiques en puisant dans les sciences sociales du politique et en mobilisant notamment le concept wébérien puis foucaldien du pouvoir, afin de saisir le pouvoir de manière dynamique, de son acception comme possession à celle de relation (Holeindre, 2014).

36Notre démarche conjointe consiste à combler le manque d’analyse en sciences sociales sur le pouvoir et ses effets sur la soutenabilité en mobilisant le cadre des socio-écosystèmes, non pas comme une catégorie d’action effective en soi, mais comme un horizon permettant de poser ces questions et de les mettre à l’épreuve de l’empirique. Le courant de l’écologie politique a mis cette question au cœur de ses préoccupations. La théorie des communs, quant à elle, privilégie le volet institutionnaliste de la gouvernance environnementale, en mettant de côté le pouvoir pour se concentrer sur les relations entre les institutions et la soutenabilité. A travers notre approche, nous combinons les deux dimensions : l’institution et le pouvoir, évidemment étroitement liés. De plus, nous voulons pallier le déficit d’écologie dans les approches concernant la gouvernance et la gestion des socio-écosystèmes. Cette écologie manquante (missing ecology en anglais) dans la théorie des communs, comme dans l’écologie politique, a été identifiée par les héritiers d’Ostrom eux-mêmes (Epstein et al., 2013) et par les théoriciens qui invitent aujourd’hui à combiner écologie politique et études de la résilience (Boonstra, 2016 ; Ingalls et Stedman, 2016), et nous incitent à étudier les socio-écosystèmes au prisme du pouvoir (Epstein et al. 2014).

37Il est reproché à l’institutionnalisme ostromien - centré sur l’idée d’un intérêt partagé, celui-là même qui permet de s’entendre et de s’organiser en vue de la gestion durable des ressources communes - d’avoir négligé les rapports de pouvoir, les rapports de force entre intérêts divergents, qui amenuiseraient l’efficacité des communs. Ostrom a en effet placé la question du capital social au centre de l’analyse de la gouvernance des socio-écosystèmes (Brondizio et al., 2013) ; somme toute floue car pas suffisamment abordée à la lumière du politique et du pouvoir (Schoon et Cox, 2012). Des chercheurs en science politique travaillent aujourd’hui à affiner le cadre conceptuel de la gouvernance des socio-écosystèmes, en posant clairement l’idée que tout système de gouvernance est un cadre adaptatif (Church, 2020).

38Dans l’institutionnalisme, la question du pouvoir est trop peu prise en compte, alors que les dynamiques de pouvoir agissent justement sur la trajectoire de gouvernance du socio-écosystème, en termes de soutenabilité. Le savoir scientifique y est également faiblement problématisé, notamment parce que la manière dont il se forge à l’interaction entre des réseaux d’acteurs variés, semble aller de soi et ne pas représenter une source de pouvoir en tant que telle. La façon dont se forme la connaissance sur les socio-écosystèmes, à partir de différentes sources de savoirs, est pourtant un point crucial, façonnant les modalités de coopération et d’action des différents acteurs concernés par la régulation de ces systèmes. La question du pouvoir concernant la notion de gouvernance des socio-écosystèmes ne saurait se réduire à celle des équilibres au sein de systèmes autonomes de délibération, de règles et de sanctions ; elle doit interroger les coalitions d’intérêts transversales aux dimensions cognitives, normatives et instrumentales des politiques publiques.

39Il est donc crucial de saisir comment la notion même de soutenabilité donne naissance à des dispositifs cognitifs et instrumentaux spécifiques en fonction des appréhensions de la soutenabilité (Tsing Lowenhaupt, 2017) et de comprendre comment ces derniers suscitent des asymétries de pouvoir et des inégalités. Interroger le concept de la soutenabilité, qui oriente la gouvernance des socio-écosystèmes, suppose de saisir sa dimension anthropologique en identifiant son sens et ses déclinaisons au sein de divers contextes sociaux, politiques et écologiques, du niveau institutionnel jusqu’au niveau individuel. Il convient dès lors d’explorer les évolutions du concept de soutenabilité dans différents contextes socio-anthropologiques, comme dans des écosystèmes particuliers, tout en appréciant la façon dont le concept de soutenabilité et ses différentes représentations influencent les décisions sur la gouvernance environnementale. L’objectif est de chercher à comprendre comment les sociétés promeuvent des instruments cognitifs et des processus de décision qui formulent des critères de soutenabilité à travers différentes échelles de régulation, tout en explorant les conditions sociales de possibilité ou d’impossibilité de la mise en œuvre d’une gouvernance socio-écosystémique en tant que telle.

40Il a, en effet, été montré dans la littérature récente que trop peu d’études combinent les dimensions du savoir et du pouvoir et les saisissent à partir de l’observation empirique (Fabinyi et al., 2014), évinçant ainsi la question de l’étude du pouvoir dans le processus de décision de l’étude la gouvernance et de la gestion des socio-écosystèmes (Epstein et al., 2014). Le pouvoir est ici à considérer comme la capacité d’influencer les processus cognitifs, les processus de décision, et d’être saisi dans sa dimension productive, c’est-à-dire la capacité d’influencer les relations et de conduire à des processus d’adhésion au niveau des subjectivités collectives et individuelles. Nous avons ainsi mis au point une méthode théorique et opérationnelle destinée à saisir les dynamiques de pouvoir à partir de la notion d’intérêt et ceci en étudiant les processus, les groupes, les coalitions d’intérêt (Offerlé, 1998), en analysant la nature et le poids des rapports de pouvoir qui se forgent à l’interface entre connaissance et décision dans la gouvernance environnementale globale et territoriale. Autrement dit, nous travaillons la question du politique à partir d’une attention particulière portée aux acteurs, aux représentations et aux intérêts dans une perspective constructiviste critique afin de déconstruire la catégorie de « gouvernance » elle-même (Epstein, 2005, 2009).

41Cette approche est régulièrement qualifiée de French Touch (Boussaguet et al., 2015), par référence au courant de la théorie française (French Theory), ce corpus postmoderne de théories philosophiques, littéraires et sociales issues de penseurs et auteurs français, mais formalisé en tant que théorie française aux États-Unis. Si la French Theory a eu peu d’effet sur les sciences sociales françaises, en particulier celles consacrées au politique (Le Galès, 2014), les travaux de Michel Foucault, de Pierre Bourdieu en sociologie comme ceux de Lévi-Strauss en anthropologie ont fortement imprégné une certaine frange des sciences sociales françaises. Nous contribuons à les importer dans des courants largement anglo-saxons en sciences sociales : néo-institutionnalisme et économie écologique anthropologie postmoderne, études de sexe, études de genre et études postcoloniales, études des sciences et technologies, sciences de l’environnement, gestion des ressources naturelles (natural resource management), écologie complexe , sciences du développement durable (sustainability science), études de la résilience, écologie politique (political ecology).

42Ce cadre d’analyse, appliqué à des réalités de terrain, rend compte de la complexité du nœud de relations qui lie les groupes d’acteurs privés, publics, scientifiques et associatifs, et la nécessaire construction d’un réseau d’interdépendances pour parvenir à transformer les modes de gestion de façon responsable. Le hiatus entre la réalité du territoire et les grandes rencontres politiques et scientifiques internationales, les injonctions descendantes (top-down en anglais) à la bonne gouvernance et à la gestion écosystémique, la distance totale et l’ignorance de l’existence des concepts produits dans la littérature sur les socio-écosystèmes en termes de gestion des ressources naturelles, sautent aux yeux. Il en va de même de la très grande ignorance de la construction sociale du « grand partage » et de la déconnexion très forte entre sciences sociales et sciences de la nature que le projet d’une écologie globale devrait pourtant réunifier. Ce sont ces écarts, ces fossés (gaps en anglais) qui doivent constituer un objet de recherche en soi pour identifier les blocages et les leviers à la transformation vers la soutenabilité, en étudiant les trajectoires de transformation intégrant le principe de solidarité écologique comme fondamental et efficace à la fois, au-delà du seul aspect normatif. Pour ce faire, il convient d’interroger la transformation vers la soutenabilité, à partir de la notion de fossés entre la science et l’action publique en raison du déficit de connaissances (Jasanoff, 2004) dans les politiques publiques elles-mêmes en raison de leur difficulté à se réformer (Pierson, 2000 ; Skocpol et Pierson, 2002) et dans la distribution asymétrique des pouvoirs, à travers le concept de power gap que nous avons forgé en regard des deux autres (Mazé, 2020 ; Mazé et Ragueneau, 2017 ; Mazé et Ragueneau, 2016).

43Le concept de déficit de connaissances a été mobilisé pour expliquer les difficultés à passer de manière linéaire dans le processus de décision et d’action publique de la production de connaissances, de recommandations ou d’alertes scientifiques, en raison du manque ou de l’imperfection des connaissances, mais aussi du fait de la complexité des relations science-politique face à l’incertitude et aux risques (Callon et al., 2001). Dans ce contexte, le principe de précaution justifierait la lenteur, voire l’absence de décision ou les erreurs en regard des préconisations scientifiques. Cette déconnexion très forte entre la science et le politique a été mise en évidence depuis longtemps (Gingras, 2013 ; Jasanoff, 1990 ; Weber, 1968), jusqu’aux propositions pour abolir cette frontière entre science et politique (Latour, 2018).

44De plus, l’inertie de l’action publique, sa difficulté à changer, a bien été mise en évidence par la science politique, en Europe comme aux États-Unis depuis les années 1950. Le néo-institutionnalisme a théorisé la notion de dépendance au sentier (path dependency en anglais), puis les limites dans la réforme du système ont été démontrées (Pierson, 2000 ; Skocpol et Pierson, 2002) à travers les notions de verrouillage (policy lock in en anglais) expliquant ainsi l’incrémentalisme (Lindblom, 1979 ; Jönsson, 2014). Le changement dans les politiques publiques ne pourrait se faire, d’après ces analyses, que de manière très progressive, graduelle, expliquant ainsi que la plupart des changements politiques sont évolutifs plutôt que révolutionnaires. C’est ce que dit le néo-institutionnalisme consacré à l’étude des politiques publiques (DiMaggio et Powell, 1983). Il invite à une saisie constructiviste, critique et dynamique de l’action publique, à travers les acteurs, les processus, les représentations, les valeurs et les intérêts. Il appréhende l’action, non pas à partir de la position sociale des individus (de manière fixiste) ou de la structuration organisée entre des individus et des groupes en fonction des intérêts (théorie de l’action organisée et du choix rationnel désociologisé), mais en fonction de leurs raisons et manières d’agir, en fonction de leurs valeurs, ressources et contraintes dans la représentation de leurs intérêts. Travailler sur la catégorie de gouvernance des socio-écosystèmes en mobilisant les sciences sociales du politique autour du concept du principe de solidarité écologique le permet. Cela revient à poser la question de la justice sociale, elle-même au cœur de la transformation vers la soutenabilité, d’après certains théoriciens des socio-écosystèmes :

« Nous suggérons que les transformations de la soutenabilité ne peuvent être considérées comme un succès sans justice sociale. En effet, l’un des principes fondamentaux des objectifs de développement durable des Nations unies est de “ne laisser personne de côté”. Pour atteindre cet objectif louable, il faudra que la justice sociale soit au cœur des pratiques de soutenabilité. Le chemin vers la soutenabilité environnementale peut être poursuivi de manière inclusive ou exclusive et augmenter ou diminuer la justice distributionnelle. Intégrer la prise en compte de la justice sociale au cœur de la recherche et de la gestion des transformations est notre meilleur moyen d’assurer des voies plus inclusives et justes vers la soutenabilité. […] Nous définissons les transformations justes comme des changements radicaux dans les configurations des systèmes socio-écologiques par des processus forcés, émergents ou délibérés qui produisent des résultats équilibrés et bénéfiques pour la justice sociale et la soutenabilité environnementale ». (Bennett et al., 2019).

45Notre hypothèse est que, si les concepts peinent à passer de la science à l’action publique, en raison de deux difficultés déjà identifiées – le déficit de connaissances et la difficulté à se réformer, il convient d’envisager une troisième difficulté autour de la notion de pouvoir et de son asymétrie :

  1. La difficile percolation des concepts produits en sciences de l’environnement dans les politiques publiques due à la dissociation entre le savant et le politique, induisant un déficit de connaissances. Celui-ci porte premièrement sur la connaissance de l’état, du fonctionnement et de l’évolution des socio-écosystèmes, autrement dit, sur leur complexité. Deuxièmement, il est dû à la trop faible connaissance ou à l’ignorance, dans l’action publique, des concepts prescriptifs liés à la gouvernance socio-écosystémique et à la gestion adaptative, orientés Résilience. Ce déficit de connaissances semble pouvoir être dépassé par un processus d’apprentissage (le concept de Learning basé sur l’idée selon laquelle « le savoir, c’est le pouvoir, et le partage du savoir peut donner du pouvoir », très mobilisé dans la littérature spécialisée dans ce domaine et travaillé par la théorie de l’innovation par la conception).

  2. La délicate transformation des politiques publiques, leur inertie, en raison de la dépendance au sentier, de facteurs de verrouillage ou effets de cliquet (ratchet effects en anglais) qui empêchent les retours en arrière (par exemple en raison de la lourdeur de la bureaucratie), ne rendant possibles que des transformations incrémentales, graduelles qui ralentissent la transformation profonde et radicale des politiques publiques : c’est la difficulté à réformer qu’il faudrait dépasser pour pouvoir faire entrer les politiques publiques dans la transformation vers la soutenabilité.

  3. L’asymétrie, les déséquilibres dans la répartition des pouvoirs et le poids du pouvoir lui-même, comme facteur bloquant ou potentiellement favorisant dans la transformation vers la soutenabilité et saisissable à travers les stratégies d’organisation et de représentation des intérêts, dans les processus de décision concernant la gestion environnementale et lagouvernance -des socio-écosystèmes. Les coalitions d’acteurs autour de valeurs communes, les inégalités dans les processus de négociation, les ressources (capital social, économique, symbolique) mobilisables pour peser dans la décision finale, sont autant de facteurs à prendre en compte. C’est ce que nous proposons de nommer l’asymétrie de pouvoir, ce nouveau fossé que nous formalisons en regard des deux autres, déjà bien identifiés dans la littérature, pour expliquer – justifier – les difficultés, les lenteurs ou les résistances à entrer dans la transformation vers la soutenabilité.

46Ainsi, nous avons forgé et rendu opérationnel le concept d’asymétrie de pouvoir, pour saisir le poids des asymétries de pouvoir et l’influence du pouvoir lui-même, comme facteur bloquant ou facilitant la transformation vers la soutenabilité. Nous testons cette hypothèse à trois entrées (les trois fossés), sur plusieurs chantiers de recherche et d’action depuis plusieurs années, en combinant sciences humaines et sociales et sciences de la nature, de manière à décrypter les processus de décision en matière de gestion environnementale à partir de cas d’étude concrets. L’enjeu est d’analyser et d’accompagner la capacité transformatrice de l’action publique territoriale (Pasquier et al., 2007), et en particulier régionale (Pasquier, 2012), à s’approprier les paradigmes, concepts et indicateurs scientifiques pour entrer dans la transformation vers la soutenabilité.

Conclusion

47Cette approche originale et opérationnelle, qui fera l’objet d’une description plus approfondie dans de futures publications présentant nos cas d’étude ethnographiques, nous permet de tester les conditions de mise en œuvre, à la fois sociales et écologiques, du principe de solidarité écologique à travers l’implémentation de la catégorie de gouvernance des socio-écosystèmes. Pour l’heure, simple construction intellectuelle, essentiellement scientifique, cette catégorie analytique n’est pas une catégorie d’intervention publique dont il convient de reconstituer la sociogenèse pour interroger ses potentialités comme instrument de gouvernance territoriale (Pasquier et al., 2007).

48Si cette catégorie ouvre une perspective stimulante pour repenser la Terre aujourd’hui (Escobar, 2018), elle reste à asseoir dans l’action publique, sans ignorer la diversité et l’historicité des formes de rapports à la Terre ; c’est tout l’enjeu de l’intégration dans l’action publique et collective du principe de solidarité écologique, faisant ainsi écho au projet d’une écologie décloisonnante et décoloniale (Ferdinand, 2019 ; Bambridge, 2014) du point de vue social, mais ouvrant la voie à une écologie globale concrète, telle qu’elle est conçue par les écologues qui identifient les solidarités écologiques. Le système de gouvernance des relations humains/nature doit être repensé, réorganisé, à partir de la force performative des concepts juridiques et des visions cosmogoniques différenciées et territorialisées des rapports des sociétés humaines à leurs environnements, tout en tenant compte des déséquilibres, des inégalités et des rééquilibrages des pouvoirs et des savoirs dans ces processus complexes de régulation des écosystèmes et de leurs habitants non-humains par les sociétés humaines. Autrement dit,c’est l’action publique qui doit être transformée, pour faire de l’idée de vertu révolutionnaire de l’écologie (Castoriadis, 2014) une réalité efficace en politique et en société. Cela n’est possible qu’à travers une traduction des principes écologiques en droit de l’environnement respectant sa mission fondamentale de formalisation des principes éthiques, en tant « qu’instrument social finalisé vers la justice » (Apostolidis et Chemillier-Gendreau, 1993). Dans cette perspective, le défi à relever pour les années qui viennent est de proposer, au-delà de cette vision socio-écologique décloisonnante, une écologie intégrative reliant l’humain et le non-humain, rééquilibrant les pouvoirs (Mazé et al. 2017) et capable de diffuser une vision du monde « décolonisée » (Ferdinand, 2019 ; Bambridge, 2014).

Figure 3. Poster « Ouvrir la boîte noire de la gouvernance des systèmes socio-écologiques littoraux et marins »

Présenté au premier congrès du réseau international des Sites d’observation à long-terme en écologie (International Long term ecological research site) en Afrique du sud, 2016

Haut de page

Bibliographie

Abélès, M., 2006, Politique de la survie, Paris, Flammarion, 242 p.

Akrich, M.Y. Barthe, C. Rémy, (dir.), 2010, Sur la piste environnementale :Menaces sanitaires et mobilisations profanes, Paris, Presses des Mines, 308 p.

Anderies, J. M., M. Janssen et O. Ostrom, 2003, A Framework to Analyze the Robustness of Social-Ecological Systems from an Institutional Perspective, Ecology and Society, 9, 1, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol9/iss1/art18/

Armitage, D. R., M. A. Marschke et R. Plummer, 2008, Adaptive co-management and the paradox of learning, Global Environmental Change, 18, pp. 86-98.

Apostolidis, C., M. Chemillier-Gendreau, 1993, L’apport de la dialectique à la construction de l’objet juridique, Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 3, pp. 611-639.

Bambridge, T. (dir.), 2014, The Rāhui: legal pluralism and environment in Polynesia, Australian National University press, 270 p.

Barrau, A., 2019, Le plus grand défi de l’histoire de l’Humanité, Paris, Éditions Michel Lafon, 211 p.

Beck, S., 2011, Moving beyond the linear model of expertise? IPCC and the test of adaptation, Regional Environmental Change, 11, pp. 297-306.

Beck, U., 1986, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Éditions Flammarion, Champs Essais, 528 p.

Bennett, N. J., J. Blythe, A. M. Cisneros-Montemayor, G. G. Singh, U. Rashid Sumaila, 2019, Just Transformations to Sustainability, Sustainability, 11, 14, [en ligne], URL : https://www.mdpi.com/2071-1050/11/14/3881

Bennett, E. M., M. Solan, R. Biggs, T. McPhearson, A. V. Norström, P. Olsson, L. Pereira, G. D. Peterson, C. Raudsepp-Hearne, F. Biermann, S. R. Carpenter, E. C. Ellis, T. Hichert, V. Galaz, M. Lahsen, M. Milkoreit, B. M. López, K. A. Nicholas, R. Preiser, G. Vince, J. M. Vervoort et J. Xu, 2016, Bright Spots: Seeds of a Good Anthropocene, Frontiers in Ecology and Environment, 14, 8, pp. 441-448.

Bérard, Y., R. Crespin (dir.), 2010, Aux frontières de l’expertise. Dialogues entre savoirs et pouvoirs, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Res Publica, pp. 83-98.

Berkes, F., J. Colding et C. Folke, 2000, Rediscovery of traditional ecological knowledge as adaptive management, Ecological Applications, 10, pp. 1251-1262.

Berkes, F., J. Colding et C. Folke (dir), 2008, Navigating social-ecological systems: building resilience for complexity and change, Cambridge, Cambridge University Press, 416 p.

Berkes, F., C. Folke (dir.), 1998, Linking social and ecological systems: management practices and social mechanisms for building resilience, Cambridge, Cambridge University Press, 436 p.

Billé, R., V. Maris, M. Loreau et P. Cury, 2014, Biodiversité : vers une sixième extinction de masse, Paris, La Ville brûle, 200 p.

Boisvert, V., L. Carnoye et R. Petitimbert, 2020, La durabilité forte : enjeux épistémologiques et politiques, de l’économie écologique aux autres sciences sociales, Développement durable et territoires, 11, 2, [En ligne], URL : https://journals.openedition.org/developpementdurable/17502

Boonstra, W. J., 2016, Conceptualizing power to study social-ecological interactions, Ecology and Society, 21, 1, [En ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol21/iss1/art21/

Boussaguet, L., S. Jacquot, P. Ravinet et P. Muller, 2015, Une French touch dans l’analyse des politiques publiques ? Paris, Presses de Sciences Po, 440 p.

Bretagnolle, V., M. Benoit, M. Bonnefond, V. Breton, J. M. Church, S. Gaba, D. Gilbert, F. Gillet, S. Glatron, C. Guerbois, N. Lamouroux, M. Lebouvier, C. Mazé, J.-M. Mouchel, A. Ouin, O. Pays, C. Piscart, O. Ragueneau, S. Servain, T. Spiegelberger et H. Fritz, 2019, Action-orientated research and framework: insights from the French long-term social-ecological research network, Ecology and Society, 24, 3, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol24/iss3/art10/

Brondizio, E. S., E. Ostrom et O. R. Young, 2013, Connectivité et gouvernance des SES multiniveaux : le rôle du capital social, Management et Avenir, 7, 65, pp. 108-140.

Callon, M., 1986, The Sociology of an Actor-Network: The Case of the Electric Vehicle, dans : M. Callon, J. Law et A. Rip (dir), Mapping the Dynamics of Science and Technology, London, Palgrave Macmillan, pp. 19-34.

Callon, M., Y. Barthe et P. Lascoumes, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Éditions du Seuil, La couleur des idées, 368 p.

Carson, R., 1963, Printemps silencieux, Paris, Plon, 319 p.

Carter, C., 2018, Interdépendance, dans : C. Hay, A. Smith (dir.), Dictionnaire d’économie politique, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 277-281.

Castoriadis, C., D. Cohn-Bendit, 2014, De l’écologie à l’autonomie, Lormont, Le Bord de l’eau, 2e ed., 108 p.

Chaffin, B. C., H. Gosnell et B. A. Cosens, 2014, A decade of adaptive governance scholarship: Synthesis and future direction, Ecology and Society, 19, 3, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol19/iss3/art56/

Charbonnier, P., 2015, La fin d’un grand partage. Nature et société, de Durkheim à Descola, Paris, CNRS Éditions, 306 p.

Charbonnier, P., 2022, Culture écologique, Paris, Presses de Sciences Po, 342 p.

Chateauraynaud, F., 2008, Les mobiles de l’expertise, Experts, 78, pp. 122-125.

Church, J. M., 2020, La gouvernance des systèmes socio-écologiques, Mémoire d’Habilitation à diriger des recherches, Volume III : Contribution scientifique originale, Reims, Université de Reims Champagne-Ardenne, 237 p.

Church, J. M., 2015, Gouvernance environnementale régionale, dans : F. Gemenne, L’enjeu mondial, l’environnement, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 136-138.

Cornu, M., F. Orsi et J. Rochfeld (dir.), 2017, Dictionnaire des biens communs, Paris, Presses universitaires de France, 2e ed., 1392 p.

Curtin, C., T. Allen, 2018, Complex Ecology: Foundational Perspectives on Dynamic Approaches to Ecology and Conservation, Cambridge, Cambridge University Press, University Printing House, 574 p.

Daily, G. C., 1997, Introduction: what are ecosystem services?, dans : G. C. Daily (dir.), Nature’s services: societal dependence on natural ecosystems, Washington, DC, Island Press, pp. 1-10.

Descola, P., G. Pálsson, (dir)., 1996, Nature and Society. Anthropological perspectives, Londres et New York, Routledge, 328 p.

Descola, P., 2005, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 620 p.

DiMaggio, P. J., W. W. Powell, 1983, The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields, American Sociological Review, 48, 2, pp. 147-160.

Dumont, R., 1974, À vous de choisir : l’écologie ou la mort. La campagne de René Dumont et de ses prolongements, Objectifs de l’écologie politique, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 142 p.

Epstein, G., A. Bennett, R. Gruby, L. Acton et M. Nenadovic, 2014, Studying power with the social-ecological system framework, dans : M. J. Manfredo, J. J. Vaske, A. Rechkemmer, E. A. Duke (dir.), Understanding society and natural resources, Forging New Strands of Integration Across the Social Sciences, Dordrecht, Springer, pp. 111-135.

Epstein, G., J. M. Vogt, S. K. Mincey, M. Cox et B. Fische, 2013, Missing ecology: integrating ecological perspectives with the social-ecological system framework, International Journal of the Commons, 7, 2, pp. 432-453.

Epstein, R., 2009, Après la territorialisation : le gouvernement à distance, dans : M. Vannier (dir.), Territoires, territorialité, territorialisation, Controverses et perspectives, Rennes, Presses universitaires de Rennes, pp. 131-139.

Epstein, R., 2005, Gouverner à distance, Quand l’État se retire des territoires, Esprit, pp. 96-111.

Escobar, A., 2018, Sentir-penser avec la Terre, L’écologie au-delà de l’Occident, Paris, Éditions du Seuil, 288 p.

Fabinyi, M., L. Evans et S. J. Foale, 2014, Social-ecological systems, social diversity, and power: insights from anthropology and political ecology, Ecology and Society, 19, 4, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol19/iss4/art28/

Faujour, M., 2017, Les colibris n’éteindront pas l’incendie, Le monde diplomatique, octobre 2017, p 25.

Ferdinand, M., 2019, Une écologie décoloniale, Paris, Éditions du Seuil, 461 p.

Folke, C., S. R. Carpenter, B. Walker, M. Scheffer, T. Chapin et J. Rockström, 2010, Resilience thinking: integrating resilience, adaptability and transformability, Ecology and Society, 15, 4, [en ligne], URL : http://www.ecologyandsociety.org/vol15/iss4/art20/

Folke, C., 2006, Resilience: The emergence of a perspective for social-ecological systems analyses, Global Environmental Change, 16, 3, pp 253-267.

Folke, C., T. Hahn, P. Olsson et J. Norberg, 2005, Adaptative governance of social-ecological systems, Annual Review of Environment and Resources, 30, pp. 441-73.

Fontaine, J., P. Hassenteufel, 2002, To Change or not to Change? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 306 p.

Frickel, S., K. Moore (dir.), 2006, The New Political Sociology of Science: Institutions, Networks, and Power, Madison, University of Wisconsin Press, 520 p.

Gadgil, M., P. Olsson, F. Berkes et C. Folke, 2009, Exploring the role of local ecological knowledge in ecosystem management: Three case studies, dans : F. Berkes, J. Colding et C. Folke (dir.), 2009, Navigating social-ecological systems: building resilience for complexity and change, Cambridge, Cambridge University Press, pp. 189-209.

Gemenne, F., 2009, Géopolitique du changement climatique, Paris, Armand Colin, 255 p.

Gingras, Y., 2013, Sociologie des sciences, Paris, Presses universitaires de France, 128 p.

Glowczewski, B., 2021, Réveiller les esprits de la Terre, Éditions Dehors, 288 p.

Gunderson, L. H., C. S. Holling (dir), 2002, Panarchy: understanding transformations in human and natural systems, Washington, DC, Island Press, 536 p.

Holeindre, J.-V. (dir.), 2014, Le pouvoir. Concepts, lieux, dynamiques, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 400 p.

Holling, C. S., 2001, Understanding the complexity of economic, ecological, and social systems, Ecosystems, 4, 5, pp. 390-405.

Holling, C. S., 1973, Resilience and stability of ecological systems, Annual Review of Ecological Systems, 4, pp. 1-23.

Ingalls, M. L., R. C. Stedman, 2016, The power problematic: exploring the uncertain terrains of political ecology and the resilience framework, Ecology and Society, 21, 1, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol21/iss1/art6/

Ingold, T., 1986, The appropriation of nature: essays on human ecology and social relations, Manchester, Manchester University Press, 287 p.

Jacobs, S., N. Dendoncker et H. Keune (dir.), 2014, Ecosystem Services: Global Issues, Local Practices, Elsevier, 228 p.

Jasanoff, S., 2004, States of Knowledge: The Co-production of Science and the Social Order, Abingdon, Routledge, 332 p.

Jasanoff, S., 1990, The fifth branch: science advisers as policymakers, Cambridge, Harvard University Press, 320 p.

Jönsson, A., 2014, Incrémentalisme, dans : L. Boussaguet, S. Jacquot, P. Ravinet (dir.), Paris, Dictionnaire des politiques publiques, Presses de Sciences Po, pp. 317-325.

Kofinas, G. P., 2009, Adaptive co-management in social-ecological governance, dans : F. S. Chapin, G. P. Kofinas et C. Folke (dir.), Principles of ecosystem Stewardship, Resilience-based natural resource management in a changing world, Springer, pp. 77-101.

Koontz, T. M., D. Gupta, P. Mudliar et P. Ranjan, 2015, Adaptive institutions in social-ecological systems governance: a synthesis framework, Environmental Science & Policy, 53, Part B, pp. 139-151.

Kuhn, T., 1970, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 288 p.

Larrère, C., R. Larrère, 2015, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte, 280 p.

Latour, B., 2018, Esquisse d’un parlement des choses, Écologie et politique, 1, 56, pp. 47-64.

Latour, B., 2017, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, Éditions La Découverte, 160 p.

Latour, B., 2015, Face à Gaïa : Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, Éditions La Découverte, 400 p.

Latour, B., 1999, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, Éditions La Découverte, 392 p.

Latour, B., 1996, On Actor-network Theory: A few clarifications, Soziale Welt, 47, 4, pp. 369-381.

Latour, B., 1991, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, Éditions La Découverte, 210 p.

Latour, B., S. Woolgar, 1979, Laboratory life: The social construction of scientific facts, Beverly Hills, Sage Publications, 296 p.

Le Galès, P., 2014, Gouvernance, dans : L. Boussaguet, S. Jacquot, P. Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 299-308.

Levrel, H., 2006, Biodiversité et développement durable : quels indicateurs ?, Thèse, Économies et finances, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, HAL Open science, 406 p.

Leyronas, S., T. Bambridge (dir.), 2018, Lecture croisée de la gouvernance des communs. Revue internationale des études du développement, 233, Paris, Éditions de la Sorbonne, 240 p.

Liu , J., T. Dietz, S. R. Carpenter, M. Alberti, C. Folke, E. Moran, A. N. Pell, P. Deadman, T. Kratz, J. Lubchenco, E. Ostrom, Z. Ouyang, W. Provencher, C. L. Redman, S. H. Schneider et W. W. Taylor, 2011, Complexity of coupled human and natural systems, Science, 317, 5844, pp. 1513-1516.

Lindblom, C. E., 1979, Still muddling, not yet through, Public Administration Review, 39, 6, pp. 517-526.

Mathevet, R., F. Bousquet, C. Larrère et R. Larrère, 2018, Environmental Stewardship and Ecological Solidarity: Rethinking Social-Ecological Interdependency and Responsibility, Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 31, 2, pp. 1-19.

Mawyer, A., J. Jacka, 2018, Sovereignty, Conservation, and Ecological Futures, Environmental Conservation, 45, 3, pp. 238-251.

Mazé, C., 2020, Le concept de transformation vers la soutenabilité : de la science à l'(in)action publique, Le cas brûlant de la gouvernance des socio-écosystèmes marins et côtiers dans le climat du XXIe siècle, Thèse, La Rochelle Université, 273 p.

Mazé, C., T. Dahou, O. Ragueneau, A. Danto, E. Mariat-Roy, M. Raimonet etJ. Weisbein, 2017, Knowledge and power in coastal zone management, A political Anthropology perspective, Compte-rendu Géosciences, 349, 6-7, pp. 359-368.

Mazé, C., O. Ragueneau, J. Weisbein et E. Mariat-Roy, 2015, Pour une anthropologie politique de la mer, Revue internationale d’ethnographie, 5, pp. 189-202.

Mazé, C., O. Ragueneau, 2017, La gouvernance de l’océan, un chantier politique multi-niveaux, L’Océan à découvert, Éditions CNRS, pp. 254-255.

Mazé C., O. Ragueneau, 2016, Opening the black box of the governance of coastal and marine social-ecological systems, Power in action, ILTER First Open science meeting, Skukuza Rest Camp, South Africa.

Michelot, A., 2019a, Les paiements pour services environnementaux à l’épreuve du droit et de l’équité. Réflexion critique, dans : A. Langlais, L’Agriculture et les paiements pour services environnementaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, pp. 101-111.

Michelot, A., 2019b, Le « système Océan », un enjeu de solidarité écologique, Revue juridique de l’environnement, 44, 2, pp. 231-242.

Michelot, A., 2018, La solidarité écologique ou l’avenir du droit de l’environnement, dans : D. Misonne (dir.), À quoi sert le droit de l’environnement ? Réalité et spécificité de son apport au droit et à la société, Bruylant, pp. 27-45.

Morin, E., 2005, Introduction à la pensée complexe, Point, Essais, 158 p.

Millenium Ecosystem Assessment, 2005, Les écosystèmes et le bien-être humain, synthèse.

Neyret, L., 2014, Pour la reconnaissance du crime d’écocide, dans : Le droit répressif : quelles perspectives pour le droit de l’environnement ? Revue Juridique l’Environnement, 39, Hors-série n°1, Éditions Lavoisier, pp. 177-193.

Neyret, L., 2015, Des écocrimes à l’écocide. Le droit pénal au secours de l’environnement, Bruylant, 465 p.

Norberg, J., G. S., Cumming, 2008, Complexity theory for a sustainable future, New York, Columbia University Press, 312 p.

Offerlé, M., 1998, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 158 p.

Olsson, P., C. Folke et F. Berkes, 2004, Adaptive co-management for building resilience in social-ecological systems, Environmental Management, 34, pp. 75-90.

Olsson, P., V. Galaz et W. J. Boonstra, 2014, Sustainability transformations: a resilience perspective, Ecology and Society, 19, 4, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol19/iss4/art1/

Ostrom, E., 1999, Coping with Tragedies of the Commons, Annual Review of Political Science, 2, pp. 493-535.

Ostrom, E., 1990, Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action, New York, Cambridge University Press, 298 p.

Palier, B., Y. Surel, 2010, Quand les politiques changent : Temporalités et niveaux de l’action publique, Paris, Éditions L’Harmattan, 422 p.

Pasquier, R., 2012, Le pouvoir régional. Mobilisations, décentralisation et gouvernance en France, Paris, Presses de Sciences Po, 379 p.

Pasquier, R., J. Weisbein, (dir.), 2004, L’Europe au microscope du local, Politique Européenne, 12, pp. 5-21.

Pasquier, R., V. Simoulin et J. Weisbein (dir.), 2007, La gouvernance territoriale : pratiques, discours et théories, LGDJ, 235 p.

Pierson, P., 2000, Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics, American Political Science Review, 94, 2, pp. 251-267.

Prevost B., A. Rivaud et A. Michelot, 2016, Économie politique des services écosystémiques : de l’analyse économique aux évolutions juridiques, Revue de la Régulation, 19, Varia, [en ligne], URL : https://journals.openedition.org/regulation/11848

Ragueneau, O., 2020, Changement clim-éthique. Agir global, penser local et autres retournements jubilatoires, Librinova, 859 p.

Ragueneau, O., M. Raimonet, C. Mazé, J. Coston-Guarini, L. Chauvaud, A. Danto, J. Grall, F. Jean, Y.-M. Paulet et G. Thouzeau, 2018, The impossible sustainability of the Bay of Brest? Fifty years of ecosystem evolution, interdisciplinary knowledge construction and key questions at the science-policy-community interface, Frontiers in Marine Science, 5, 17 p.

Rockström, J., W. Steffen, K. Noone, Å. Persson, F. S. Chapin, E. Lambin, T. M. Lenton, M. Scheffer, C. Folke, H. Schellnhuber, B. Nykvist, C. A. De Wit, T. Hughes, S. van der Leeuw, H. Rodhe, S. Sörlin, P. K. Snyder, R. Costanza, U. Svedin, M. Falkenmark, L. Karlberg, R. W. Corell, V. J. Fabry, J. Hansen, B. Walker, D. Liverman, K. Richardson, P. Crutzen et J. Foley, 2009, A safe operating space for humanity, Nature, 461, pp. 472-475.

Schoon, M., M. Cox, 2012, Understanding disturbances and responses in social-ecological systems, Society and Natural Resources, 25, 2, pp. 141-155.

Schultz, L., H. Osterblom et P. Olsson, 2015, Adaptive governance, ecosystem management, and natural capital, PNAS, 112, 24, pp. 7369-7374.

Semal, L., B. Villalba, 2013, Obsolescence de la durée. La politique peut-elle continuer à disqualifier le délai ?, dans : F.-D. Vivien, P. Marty et J. Lepart, (dir.), L’évaluation de la durabilité, Éditions Quae, Indisciplines, pp. 81-100.

Servigne, P., R. Stevens, 2015, Comment tout peut s’effondrer, Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, 304 p.

Skocpol, T., P. Pierson, 2002, Historical Institutionalism in Contemporary Political Science, dans : I. Katznelson et H. V. Milner, Political Science: State of the Discipline, New York, W.W. Norton, pp. 693-721.

Teyssèdre, A., D. Couvet, 2004, Le pari de la réconciliation, dans : R. Barbault, B. Chevassus et A. Teyssèdre (dir.), Biodiversité et changements globaux, ADPF, pp. 180-188.

Theys, J., 2001, À la recherche du développement durable : un détour par les indicateurs, dans : M. Jolivet (dir.), Le développement durable, de l’utopie au concept, Paris, Elsevier, pp. 269-279.

Tsing Lowenhaupt, A., 2017, Le champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, 416 p.

Villalba, B., 2010, L’écologie politique face au délai et à la contraction démocratique, Ecologie et Politique, 40, pp. 95-113.

von Humboldt, A., 1855, Cosmos : essai d’une description physique du monde, Legare Street Press, 604 p.

Wagner, J. R., J. K. Jacka, E. Hviding, A. Mawyer et M. Muru-Lanning, 2018, Introduction: Rivers as Ethnographic Subject, dans : J. R. Wagner et J. K. Jacka (dir.), Island Rivers: Fresh water and place in Oceania, ANU Press, Chapitre 1, pp. 1-26.

Weber, M., 1968 [1919], Le savant et le politique, Paris, Union Générale d’Éditions, 186 p.

Wiebren, J., W. J. Boonstra, 2016, Conceptualizing power to study social-ecological interactions, Ecology and Society, 21, 1, [en ligne], URL : https://www.ecologyandsociety.org/vol21/iss1/art21/

Wulf, A., 2017, L’invention de la nature : Les aventures d’Alexander von Humboldt, Éditions Noir sur Blanc, 624 p.

Haut de page

Notes

1 Article disponible sur le site [en ligne] du Monde Diplomatique, URL : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/FAUJOUR/57981

2 Traduit de l’allemand Der Kosmos – Entwurf einer physischen Weltbeschreibung. Cosmos vise à décrire la totalité des phénomènes célestes et terrestres rapportés à la planète en employant une langue élégante. Cette œuvre est la fois scientifique, littéraire et philosophique. Les deux premiers – et principaux – des cinq volumes sont publiés en 1845. Son auteur, le baron prussien Alexander von Humboldt (1769-1859), y intègre toutes les observations qu’il a pu effectuer lors de ses voyages sur plusieurs continents, ses recherches géographiques mais aussi physiques, géologiques, magnétiques, météorologiques, botaniques et même linguistiques et ethnographiques. Cosmos, un des ouvrages fondateurs de la géographie moderne, analyse aussi les relations que les humains entretiennent avec la nature depuis l’Antiquité. » (J. Grange, Encyclopédie Universalis).

3 La zone critique désigne la pellicule la plus externe de la planète terre, celle qui est le siège d’interactions chimiques entre l’air, l’eau et les roches. C’est un milieu poreux issu de la transformation des minéraux au contact de l’oxygène, du CO2 et de l’eau à la surface de la terre. Elle est le siège de la vie et l’habitat de l’espèce humaine. Elle est donc critique au sens physique du terme car c’est une des interfaces de la planète mais aussi car c’est là que nous cultivons, c’est là que se forme et évolue la ressource en eau et en sol, et c’est là que nous stockons nos déchets,  [En ligne] URL : https://www.ozcar-ri.org/fr/ozcar-observatoires-de-la-zone-critique-applications-et-recherche/ [consulté le 19 janvier 2023].

4 De la gestion adaptative (adaptative management en anglais) à la gestion modulée (adjustive management en anglais) : cette notion intègre non seulement la dimension d’incertitude liée à la connaissance mais aussi la part subjective de rapport à la biodiversité dans les stratégies de conservation.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1. Schéma global de notre approche ©COSMOS forgée à partir de 2015
Légende Complex system modeling for sustainability - resituée dans l’histoire des sciences avec focus sur l’impact sociétal de cette approche de la gouvernance et de la gestion des socio-écosystèmes par l’analyse des asymétries de pouvoir (power gap) qui permettent d’expliquer les trajectoires insoutenables
Crédits Conception schéma C. Mazé et O. Ragueneau – Graphisme S. de La Villefromoit (2015).
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/38499/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 74k
Titre Figure 2. Petit lexique des sciences de la soutenabilité
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/38499/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 429k
Titre Figure 3. B. Latour, C. Mazé, M. Alunno - Site expérimental Ifremer d’Argenton (LEMAR)
Crédits Visite de la station biologique d'Argenton avec Bruno Latour (C) Ragueneau & Mazé .
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/38499/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 20k
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/38499/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 131k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Camille Mazé et Olivier Ragueneau, « La solidarité écologique de la science à l’(in)action publique »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 37 | Décembre 2022, mis en ligne le 05 décembre 2022, consulté le 30 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/38499 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.38499

Haut de page

Auteurs

Camille Mazé

Chargée de recherche CNRS, UMR LIENSs, CNRS-La Rochelle, Université – Réseau de recherche international Apolimer, France, courriel : camille.maze@cnrs.fr

Articles du même auteur

Olivier Ragueneau

Directeur de recherche CNRS, UMR LEMAR, Université de Bretagne occidentale – Réseau des zones ateliers du CNRS, France, courriel : olivier.ragueneau@univ-brest.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/

Haut de page
  • Logo Les Éditions en environnement VertigO
  • Logo Institut des sciences de l'environnement
  • Logo FQRSC
  • Logo SSHRC CRSH
  • DOAJ - Directory of Open Access Journals
  • OpenEdition Journals
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search