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Introduction : Solidarité écologique : quelles perspectives pour un nouveau principe du droit de l’environnement ?

Agnès Michelot

Texte intégral

1Le droit français consacre en 2016 le principe de solidarité écologique en l’élevant au rang de principes fondamentaux du droit de l’environnement par la Loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Au niveau international le rapport de la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) relatif à la dégradation et à la restauration des terres l’a identifié parmi les nouveaux concepts à intégrer : « reconnaissant que les hommes et les écosystèmes, outre qu’ils interagissent ensemble, entretiennent des relations d’interdépendance ». (Scholes et al., 2018, p. 18).

2Ce faisant s’ouvre de nouvelles voies de réflexion pour renforcer les politiques publiques vers la soutenabilité et même plus largement pour déclencher une mutation indispensable de la société moderne occidentale pour faire face à l’urgence écologique, comme le met en avant l'article d’Olivier Barrière, La solidarité écologique, lien de droit d’une interdépendance au vivant, qui ouvre ce numéro hors-série. L’objectif de ce numéro est d’explorer toutes les potentialités de ce principe en mobilisant principalement les sciences juridiques et la science politique en s’appuyant plus largement sur les sciences de l’environnement et l’anthropologie.

3Dans un premier temps, le principe de solidarité écologique est testé dans le contexte d’application qui lui est le plus proche et donc le plus favorable : le contexte métropolitain français. Ensuite, il est questionné sur des terrains plus expérimentaux : en droit international et en territoires français d'outre-mer qui n’ont pas encore introduit le principe. Enfin, il est envisagé sous l’angle d’un nouveau régime de gouvernance des socio-écosystèmes et même d’une mutation ontologique juridique nécessaire pour changer le rapport au vivant. C'est la perspective mise en avant par Sigrid Aubert en soulignant que la solidarité écologique pourrait devenir un déterminant de l’action collective et un vecteur de l’innovation sociale.

4Avec un recul de plusieurs années, un premier bilan de son application en France permet d’en faire une analyse critique dans son domaine d’application de prédilection : le droit de la biodiversité. La solidarité écologique bien établie dans le domaine de droit des aires protégées dispose encore de larges champs d’application à développer dans une approche territoriale notamment en lien avec le respect des continuités écologiques. Dans le domaine du droit des espèces, l’ouverture sur la solidarité entre espèces pourrait largement s’améliorer, car la concurrence entre espèces semble encore conditionner les statuts juridiques qui leur sont applicables. Le principe de solidarité écologique devrait favoriser une reconsidération de toutes les espèces y compris les plus négligées par l’homme, comme le met en avant Simon Jolivet dans son article Le principe de solidarité écologique : une avancée pour le droit de la biodiversité ? Pour le domaine de lutte contre les pollutions, le principe de solidarité écologique pourrait devenir un guide du droit de la responsabilité environnementale sans limites de temps. Les sols dégradés sont ainsi les révélateurs des enjeux de la solidarité écologique et illustrent la dimension novatrice du principe juridique sous l’angle de la restauration des milieux dégradés. Une étude réalisée dans le cœur du Parc national français des Calanques par Maylis Desrousseaux et Alma Heckenroth permet de démontrer que le principe de solidarité écologique est un principe de protection qui vient compléter le principe pollueur-payeur. Dans un autre contexte, la valorisation des usages associée à l’expression de la solidarité écologique peut conduire à promouvoir des innovations sociales. Il s’agit de considérer les usages d’un ensemble élargi d’êtres vivants avec lesquels les communautés humaines partagent leurs ressources. L’existence d’une solidarité sociale et écologique vécue par un collectif d’usagers humains et non-humains génère un droit à l’usage de la terre et des ressources qui s’y trouvent. La démarche vise à caractériser les faits susceptibles de constituer une expression de la solidarité écologique à partir des dispositions qui encadrent l’exercice des usages pastoraux dans les Pyrénées. Ce devoir de solidarité, de prise en compte des interactions qui structurent et organisent les socio-écosystèmes lors de la prise de décision, prend la forme d’une gouvernance intégrant la connectivité de ces territoires. Dans ce contexte, le principe de solidarité écologique apparaît comme la possibilité pour chacun de tenir compte dans ses choix des conséquences de ses actions sur la communauté du vivant, comme le souligne S. Aubert. La solidarité écologique ouvre les perspectives d’un droit de la coviabilité, et ce malgré une définition étriquée dans la loi française, comme le rappelle O. Barrière.

5Le principe de solidarité écologique peut également être exploré dans les systèmes juridiques où il est encore inexistant dans la formulation prévue par le droit métropolitain français alors qu’il y aurait toute sa place pour favoriser la transformation. C’est le cas pour la Polynésie française avec les atolls qui présentent un ensemble des caractéristiques écologiques, physiques et géographiques qui conduisent à considérer la pertinence de leur appliquer le principe de solidarité écologique. Par ailleurs, le statut d’autonomie de cette collectivité d’outre-mer lui permet d’introduire sa propre définition du principe dans la mesure où la solidarité écologique entre en résonnance avec les valeurs de la société polynésienne. La perspective de reconnaître juridiquement des communs naturels serait notamment concrétisée, comme l'analysent Agnès Michelot et Lucile Stahl dans l'article La solidarité écologique et la protection des atolls polynésiens.

6C’est également le cas en droit international dans un contexte où la communauté internationale est confrontée au défi majeur de protéger efficacement les espaces marins au-delà des juridictions nationales. La conclusion d’un traité international à vocation universelle sur la conservation et l’utilisation rationnelle de la biodiversité marine donne l’opportunité de transformer le système de gouvernance mondiale des espaces marins pour le mettre en adéquation avec la réalité écologique. Alors même que les sciences de la nature révèlent le fonctionnement solidaire du système océanique, l’adoption d’un principe juridique de solidarité écologique en droit international de la mer permettrait de garantir la reconnaissance de cette réalité écologique, telle que le met en lumière Justine Reveillas.

7Enfin, la solidarité écologique permet de se pencher sur la représentation juridique des communs, l’objectif étant de participer à la transformation sociale en proposant une nouvelle approche des relations Hommes-Nature en termes d’équilibres et d’interdépendances. Cela se traduit par le déploiement de moyens d’action adaptés à la défense de l’intérêt de communs naturels avec pour conséquence de privilégier les mesures en nature permettant le rétablissement des équilibres antérieurs dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté. Marie-Pierre Camproux met ainsi en avant que les voies d’action en sont également transformées ainsi que les modalités de sanctions judiciaires.

8Pour aller plus loin dans l’appréhension des potentialités de la solidarité écologique, il est essentiel de mettre en discussion les conditions de possibilité et d’impossibilité de faire du concept juridique de solidarité écologique un instrument efficace pour amorcer la transformation vers la soutenabilité. En effet, il permettrait d’engager une réflexion sur « un régime de gouvernance socio-écologique reposant sur une vision intégrative, systémique, conçue du point de vue social comme plus participative et plus juste, polycentrique et égalitaire », tel que l'écrivent Camille Mazé et Olivier Ragueneau dans l'article La solidarité écologique de la science à l'(in)action publique. Les terres australes françaises constituent à cet égard un cadre expérimental privilégié pour confronter le principe à la réalité d’un terrain particulier où se sont développés des forts conflits entre humains et non-humains en matière de pêcheries, comme le révèlent Paul Tixier, Christophe Guinet, Chloé Faure, Anatole Dante et Camille Mazé dans l'article Les terres australes françaises, terrain d'expérimentation de la solidarité écologique.

9Ce numéro spécial offre une réflexion prospective sur un principe juridique dont les potentialités de transformation sociale sont encore largement méconnues et peu explorées. Reconnu en droit français dans le domaine de la biodiversité son champ d’action pourrait par définition s’étendre à d’autres systèmes juridiques et intégrer le droit international. À partir de terrains bien identifiés, les potentialités d’application du principe ont été expérimentées. Il en ressort l’ouverture vers un droit de la reconnexion donc vers d’autres modes d’action conduisant à une transformation soutenable de nos modèles de sociétés.

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Bibliographie

Scholes R., L. Montanarella, Brainich A., Barger N., ten Brink B., Cantele M., Erasmus B., Fisher J., Gardner T., Holland T. G., Kohler F., Kotiaho J. S., Von Maltitz G., Nangendo G., Pandit R., Parrotta J., Potts M. D., Prince S., Sankaran M., Willemen L., 2018, Rapport de la Plénière de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques sur les travaux de sa sixième session, Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, (IPBES)IPBES/6/15/Add.5., 38 p., [En ligne] URL : https://ipbes.net/fr/node/28328

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Pour citer cet article

Référence électronique

Agnès Michelot, « Introduction : Solidarité écologique : quelles perspectives pour un nouveau principe du droit de l’environnement ? »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 37 | Décembre 2022, mis en ligne le 05 décembre 2022, consulté le 30 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/38806 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.38806

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Auteur

Agnès Michelot

Maître de conférences en Droit public, La Rochelle Université, Laboratoire LIttoral ENvironnement et Sociétés (LIENS) - Unité Mixte de Recherche 7266, 2 Rue Olympe de Gouges, La Rochelle, adresse courriel : agnes.michelot@univ-lr.fr 

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