• 1 Le Laboratoire d’Excellence (LabEx) ARBRE est hébergé à l’Institut national de recherche pour l’agr (...)

2L’auteur est microbiologiste et génomicien. Il a dirigé le Laboratoire d’Excellence ARBRE jusqu’en 20211. Cette fédération de laboratoires fait autorité en ce qui concerne les recherches sur la biologie des arbres et l’écologie des forêts, depuis les microbes du sol jusqu’aux échanges entre la forêt et l’atmosphère. Dans une démarche très intégrée, nourrie des données collectées sur de multiples sites ateliers, les chercheurs s’efforcent d’y appréhender les effets du changement climatique. F. Martin travaille à Nancy qui, depuis 1824, est une des capitales européennes de la science forestière. Le choix du récit permet d’alléger le contenu du titre porteur d’une réalité anxiogène : sauvons la forêt pour nous sauver. Les arbres font la guerre. Placés en position de défense, ils sont trop souvent menacés par des endémies qui peuvent se propager en épidémie. Les perturbations climatiques en cours provoquent leurs migrations en altitude et en latitude. Beaucoup de forêts sont menacées par les bouleversements de grande ampleur qu’elles subissent (p.19). L’irruption du phénomène d’Anthropocène, avec ses cercles perçus comme non vertueux, perturbe les enveloppes écologiques de tout ce qui est vivant. Par comparaison, l’homme affectionne une température annuelle de 13° et les canicules nous éreintent. La transposition aux arbres est le fil directeur de ce plaidoyer.

• 2 Bâti sur le modèle de la lithosphère, hydrosphère, etc., ce mot que nous devons à Pierre Teilhard d (...)

4« Vers les cimes » (chapitre 1). La répartition des espèces est désormais ascendante, à l’assaut des pâturages ou refluant en latitude, bousculant les espaces laissés aux toundras. Les montagnes, en particulier les Alpes, forment des zones critiques de biodiversité, des refuges où la variété est amplifiée par l’azonalité (pente, altitude, exposition), avec des variables exprimées dans les températures de l’air (effets de foehn), la quantité et la nature des précipitations, les caténas de sols et éboulis. Les plantes, arbres, animaux, insectes et pollinisateurs pérégrinent vers les hauteurs (p. 46). La comparaison entre les inventaires conduits par Humboldt en 1802 et ce que nous voyons aujourd’hui confirme ces translations sur les flancs du Chimborazo (6268 mètres d’altitude, Équateur) qui sont cultivés jusqu’à 3800 mètres d’altitude. L’auteur voit dans l’exubérance botanique des sources d’espoir pour l’avenir de la biosphère à faire muter en noosphère2 tant l’impact humain est omniprésent. Dans ces mouvements accélérés, le soin à défendre les trames vertes et bleues, les corridors et tout autre objet s’opposant aux segmentations est essentiel.

• 3 Fonds Forestier national ayant œuvré à l’essor des reboisements pour participer à la reconstruction (...)

7L’auteur a voyagé dans les forêts du monde entier, et s’est penché sur les parasites, par exemple les orobanches des maquis côtiers à Banskia de Nouvelle-Galles-du-Sud, en Australie. Ces envahisseurs sont particulièrement performants, inventifs et organisés pour enchevêtrer le tissu de l’hôte et faire perdre l’efficacité de son système de surveillance. En Chine subtropicale, les montagnes du Yunnan et l’immense barrière du Dragon de Jade (6 000 mètres d’altitude) offrent un étagement supérieur de 1400 mètres à ce qui existe dans les Alpes. Cet étagement compartimenté abrite une exceptionnelle biodiversité battue en brèche par les effets du couple surpopulation/déforestation. La richesse mycologique des forêts sacrées s’incarne dans les connivences tissées entre le bolet et le sapin (p. 173), avec des bénéfices mutuels tirés d’une coopération pérenne entre les deux plantes. Il s’agit d’un bel exemple d’équilibre à rechercher entre croissance et défense. Comme le fabuliste Jean de La Fontaine ou plus encore l’écrivain Jean Giono, F. Martin clôture son travail avec « l’homme qui plantait des arbres », mobilisant Elzéard Bouffier, berger allié des arbres. Le goût pour les longues errances forestières relève du bien-être et réveille l’humilité. Les arbres font trait d’union entre la terre et le ciel. Il faut que nos forêts vieillissent pour assumer l’ensemble des externalités que nous attendons d’elles. Aboutissement des grands programmes de reboisement du XIX^ème et XX^ème siècles et de la régénération naturelle qui profite de la déprise agricole, à peine plus de 21% des forêts de France métropolitaine ont plus de cent ans. C’est encore assez peu ! L’efficience du puits de CO² grandit si les forêts augmentent leur volume radiatique et croissent en âge. Ce constat doit nous inviter à paramétrer autrement la gestion forestière pour optimiser la multifonctionnalité des forêts (dont la biodiversité) tout en assurant l’approvisionnement de la filière industrielle qui valorise cette matière première principalement sortie de jeunes forêts à croissance rapide. Il faut probablement revoir ce que sont la patience, la pondération, le pragmatisme dans le contexte actuel (p. 196) et ne pas oublier toute la richesse et la résilience portées par les mosaïques arborées construites sur l’interférence de plusieurs étages. En France, les cinq millions d’hectares de délaissés, espaces flous et friches sont un terrain à prendre pour conduire ces ambitions. Au cours de l’Après-Guerre, le Fonds forestier national (FFN)3 avait permis d’accroître la couverture forestière. Pourquoi ne pas envisager et développer des usages nouveaux, avec des forêts laissées à leur dynamique ?