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Politique de gestion et dégradation persistante des aires naturelles protégées en Côte d’Ivoire : cas de la forêt classée de l’Anguédédou.

Vincent Kouman Mouroufie Kouassi, Oleh Kam et Thierry Ouattara Kouadio Kra

Résumés

Notre article analyse la manière dont les déficiences de gestion de l'aire naturelle protégée de la forêt sacrée d’Anguédédou, en Côte d'Ivoire, impactent sur sa dégradation. Cette étude repose sur une démarche qualitative ayant conduit à la réalisation d'entretien de vingt-cinq (25) personnes, sélectionnées selon le principe de l’échantillonnage des données à choix raisonné. Les résultats de l’étude révèlent d’abord que les acteurs impliqués dans la gestion de la forêt d’Anguédédou ont des intérêts divergents. Ensuite, l’étude montre que les représentations socio-économiques de la forêt déterminent les attitudes et comportements des populations, c’est-à-dire leurs pratiques sociales et symboliques vis-à-vis de celle-ci. Enfin, cette étude met en avant l’incohérence de la coordination des stratégies des acteurs qui traduit la faible synergie d’actions des parties prenantes impliquées dans la gestion de l'aire naturelle protégée. Ces résultats sont ici considérés comme des facteurs explicatifs de la dégradation persistante de la forêt classée d’Anguédédou. Cette étude amène ainsi à interroger le mode de gouvernance environnementale des ressources forestières de la forêt d’Anguédédou, mais également des autres aires naturelles protégées de Côte d'Ivoire.

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Texte intégral

Introduction

1La gestion des aires naturelles protégées a été et demeure au centre des préoccupations majeures des pays d’Afrique subsaharienne dans leur volonté de sauvegarde de la nature. Contrairement aux pays de l’Afrique de l’Est, les aires naturelles protégées d’Afrique de l’Ouest sont moins attractives dans les domaines du tourisme (Belliot, 2021, p.2).

2Les ressources forestières des pays d’Afrique de l’Ouest sont confrontées à une forte dégradation en raison de la superposition des changements climatiques et des pressions anthropiques, à savoir l’exploitation minière, les pratiques agricoles et pastorales non durables, les feux de brousse récurrents, l’urbanisation croissante, les conflits fonciers (CEREEC/CEDEAO, 2015, p.115) ainsi que l'exploitation illégale des ressources forestières. Cette dernière a notamment donné lieu à une récente saisie de l’équivalent de 216 millions de dollars (USD) en bois de rose, qui a eu lieu dans neuf pays d'Afrique de l'Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Mali, Niger, Mauritanie, Sénégal et le Togo), (LRF, 2022, p.6). Ainsi, les aires protégées de ces pays subissent une dégradation continue. Plusieurs travaux le confirment (DNEF, 2014, p.11 ; Diedhiou et Crawhall, 2015, p.6. ; Mauvais et al, 2018, p.7 ; Gansaonré et al, 2021, p.2 ; Sinsin, 2021, p.1). En effet, le patrimoine floristique et faunique riche et varié du Mali, Niger et du Togo est malheureusement menacée de disparition à cause des actions anthropiques (défrichement, surpâturage, braconnage, pêche illicite, feux de brousse, lutte chimique antiparasitaire et anti-aviaire, utilisation des pesticides) et par les aléas climatiques : déficits pluviométriques notamment ainsi que le système de gestion (Diedhiou et Crawhall, 2015,p.5; Neuenschwander et al., 2011 cité par Sinsin, 2021, p.50). Au Burkina Fasso, la régression du couvert végétal s’est faite au profit des champs dont les superficies ont plus que doublé, passant de 20,2 % à 46,4 % entre 1984 et 2015 et s’explique par la mauvaise gestion des ressources naturelles (Gansaonré et al, 2021, p.38).

  • 1 Le ministre Mathieu Babaud DARRET, Ministre des Eaux et Forêts, était l’invité du Centre d’Informat (...)

3Cette tendance n’est malheureusement pas circonscrite dans les pays suscités de l’Afrique de l’Ouest, on constate un phénomène similaire d’appauvrissement de la biodiversité en Côte d’Ivoire. Cela est perceptible à travers la destruction des habitats, le braconnage, les impacts des réchauffements climatiques, la pression démographique, les raisons pouvant expliquer cette tendance sont légion. Au rythme actuel de cette déforestation, la Côte d’Ivoire est en voie de perdre la totalité de son couvert forestier national d’ici à 2034. Car, le développement agricole en Côte d’Ivoire reste plus que jamais consommateur de forêts (Proforest, 2014, p.2 ; Kadjo, 2014, p.90). Depuis lors, les aires protégées naturelles ivoiriennes subissent une dégradation continue. Plusieurs travaux le confirment (Kra, 2019, p.2 ; Kouassi, 2021, p.66). En effet, lors d’une conférence de presse tenue en février 20151 à Abidjan, le ministre ivoirien des Eaux et forêts affirmait : « La forêt ivoirienne vit une tragédie. La faune, la flore ainsi que nos eaux sont en danger. La forêt ivoirienne se meurt. Elle est en voie de disparition simplement. Au vu des désastres, les autorités ivoiriennes affichent une volonté politique pour la relance de leur conservation. Le gouvernement a décidé de prendre des mesures en vue de protéger la forêt et la faune ». Malgré la volonté politique affichée par les autorités ivoiriennes pour la relance de la conservation des aires naturelles protégées, l’on assiste à une recrudescence de la destruction du couvert forestier national. Après quelques années d’exploitation et d’aménagement du territoire, la couverture a en grande partie disparu. La littérature sur les aires naturelles protégées dans la périphérie des villes en Côte d’Ivoire présente deux principaux facteurs de dégradation : l’urbanisation et les stratégies de gestion (Kra, 2019, p.2). L’urbanisation ne semble plus épargner les forêts en périphérie des villes alors qu’au début des indépendances, la majeure partie de la ville d’Abidjan était recouverte par une végétation forestière.

4Cette réalité qui est perceptible à la forêt classée de l’Anguédédou, forêt limitrophe à la ville d’Abidjan est devenue depuis les deux dernières décennies l’une des dernières reliques forestières dont dispose la ville d’Abidjan. Il ressort de l’enquête de terrain que cette forêt est malgré son statut de conservation menacée par diverses pressions anthropiques dues à des prélèvements de ressources plus importants pour répondre aux besoins de certains acteurs et riverains (le braconnage, l’exploitation forestière, l’exploitation agricole) et aux insuffisances de gestion, lesquelles favorisent sa dégradation. Elle est à cet effet infiltrée, occupée et morcelée de toute part de ses limites. Elle est fortement secondarisée (88 % de sa superficie originelle est dégradée), (Yeo, 2014, p.41; Yeo et Amani, 2016, p.49 ; MINEDD, 2018, p.11).

5Car pour les populations riveraines de la forêt d’Anguédédou, les ressources naturelles représentent pour elles un intérêt socio-économique certain. Les produits de la forêt leur permettent de satisfaire leurs besoins fondamentaux, par exemple à travers l’exercice d’activités agricoles et de pêche. Aussi, les populations autochtones et riveraines n’ont jamais cessé de la considérer comme un héritage inaliénable. Cette considération s’est accentuée avec l’urbanisation galopante et le développement des cultures de rente (ananas, hévéa, palmier) qui ont réduit l’essentiel des terres qu’ils possédaient. On assiste alors à une augmentation des surfaces anthropisées (cultures vivrières, plantations d’hévéa et sols nus). Les populations accordent une valeur socio-culturelle à la forêt pourtant la Société de Développement des Forêts (SODEFOR) néglige une grande partie des interconnexions maintenues entre la forêt et ses populations riveraines.

6La négligence des valeurs socio-culturelles accordée à la forêt remet en cause la cogestion et la gestion participative engagées par la SODEFOR. Cette remise en cause est perceptible par le sentiment d’exclusion qu’expriment les populations et qui apparaît comme l’une des logiques opératrices de leur désaveu aux actions de sauvegarde de la forêt, estimant que l’État se charge seul de la gestion de la forêt sans les impliquer. Cela explique les actions menées par ces populations depuis des années pour obtenir le déclassement de cette forêt auprès des autorités. On assiste alors à une opposition entre la gestion endogène et la gestion gouvernementale qui se traduit en conflit opposant les riverains aux acteurs étatiques, dont la SODEFOR. Cela témoigne des échecs de la politique de préservation des forêts aux alentours de la ville d’Abidjan, où la forêt classée d’Anquédédou est fortement dégradée en dépit des lourdes conséquences que cela pourrait avoir sur l’équilibre écologique et social de la capitale ivoirienne. Par ailleurs, la faible collaboration entre les acteurs a été soutenue comme la principale raison de la faible synergie d’actions entre les institutions étatiques et les acteurs civiles, ce qui a favorisé la surexploitation des ressources naturelles de cette forêt périurbaine (l’urbanisation, l’agriculture). Tous ces constats nous amènent à nous interroger sur la gestion environnementale de cette forêt classée de la ville d’Abidjan : comment et pourquoi la forêt classée d’Anguédédou se dégrade-t-elle continuellement nonobstant la volonté des pouvoirs publics d’y mettre un terme ?

7Pour répondre à cette préoccupation, notre article vise à étudier la politique de gestion et son impact sur la dégradation persistante de la forêt classée de l’Anguédédou.

Méthodologie

8La démarche méthodologique de l’étude est qualitative et privilégie respectivement le culturalisme qui renvoie à une position théorique qui accorde une place prépondérante aux dimensions culturelles des acteurs et sociétés analysés. Cette approche détermine une homogénéité de conduites avec une stabilité des représentations et des attitudes collectives (Streiff-Fénart, 2021, p.5). Nous avons également retenu une approche participative, pouvant être décrite comme l'ensemble de moyens et de techniques qui amènent les acteurs notamment les populations cibles à assumer volontairement une plus grande responsabilité dans la gestion de leur existence et de leur environnement. Dans notre cas, elle met en lumière la participation des acteurs tels que la Société de développement des forêts (SODEFOR), Ministère des Eaux et Fôrets (MINEF), les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les populations) à l'aménagement de la forêt classée d’Andéguédou.

9Aussi, les données collectées dans le cadre de cette recherche ont été analysées selon l’approche culturaliste mettent en évidence la valeur symbolique de la forêt et l’influence prépondérante de la culture et des habitudes culturelles d’éducation sur la gestion de la forêt. Elle combine le terme patrimoine qui renvoie dans le cadre de la présente étude à un legs, un bien commun venant du passé et destiné à des générations futures (Ngono, 2017, p.23). Les données ont été collectées selon le mode de l’échantillonnage non probabiliste, et plus précisément l’échantillonnage à choix raisonné où le chercheur sélectionne un échantillon qui parait typique à la population cible des personnes enquêtées. Les critères qui ont orienté ce choix concernent les personnes vivant au bord de forêt, les personnes exploitant la forêt sacrée, l’enracinement socio-culturel des riverains, les acteurs responsables de la gestion du patrimoine forestier et de l’environnement. Au total, nous avons interrogé 25 personnes issues de catégories diversifiées et impliquées dans la gestion durable de la forêt classée d’Anguédédou.

10En effet, au niveau communal, nous avons interrogé 2 responsables de la gestion de l’environnement de la commune. En ce qui concerne les institutions étatiques nous avons interrogé 2 responsables de projet du ministère ivoirien de l’Environnement, de la salubrité et du développement durable (MLSDDS), 2 agents de la Direction de la Protection de la Nature (DPN), ainsi que 2 agents de la SODEFOR. Par ailleurs 3 membres de la notabilité et 5 membres de la communauté autochtone riveraine ont également été interrogés. Aussi nous avons interrogé 3 membres du bureau de la Communauté de gestion de la forêt d’Anguédédou ainsi que 2 représentantes d’association de femmes, 2 représentants d’association de jeunes, 2 chefs communautaires et 11 agriculteurs et chefs de ménage (autochtones, allochtones et allogènes). Des entretiens individuels ont été menés sur le terrain, auprès des gestionnaires, des occupants et des communautés riveraines des aires protégées. Ils ont porté sur la dynamique de la dégradation et les intérêts qui la sous-tendent.

11La recherche documentaire auprès des structures responsables de la conservation et une revue de la presse locale et internationale qui montre comment les médias (journaux et magazines, radios, télévision...) traitent les faits et les présentent à leurs publics sur la question du couvert forestier ivoirien complètent les entretiens réalisés. L’observation directe sur le terrain a permis de voir les actions produites par les acteurs intervenants dans la gestion de la forêt et découvrir les pratiques des populations locales dans la forêt classée. Ce qui a été déterminant dans la compréhension de l'origine de la dégradation avancée de la forêt classée d’Anguededou. Pour rendre l’observation plus objective, une grille d’observation a été mobilisée. Les principes de la triangulation et du seuil de saturation nous ont permis de constituer un corpus de données primaires et un corpus de données secondaires. Cette étude a été soumise à une analyse empirique visant l’identification des facteurs qui interviennent sur les représentations et la coordination dans la gestion de la forêt classée. Les données qualitatives ont été retranscrites pour ce qui est des entretiens avant d’être codées pour faire l’objet d’une analyse de contenu à l’aide d’une grille d’analyse. Les données issues de la recherche documentaire ont aussi fait l’objet d’une analyse de contenu. Cette analyse de contenu a permis d’étudier des idées, la manière d’être, de faire des populations. Elle a permis de cerner les thèmes qui découlent du discours des acteurs. Elle a permis aussi de faire l’analyse structurale et formelle des discours des parties prenantes.

12D’abord le site d'étude a été choisi en raison des difficultés de gestion que la forêt classée d’Anguédédou rencontre. Il est à noter que le Parc National du Banco (PNB) et la Forêt Classée de l’Anguédédou (FCA) ont des similitudes, ces deux aires naturelles protégées sont deux forêts mitoyennes situées aux environs immédiats d’Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire. On note une facilité d’accès dans ces deux forêts, cependant, contrairement au PNB qui couvre 3200 hectares, la FCA couvre 5700 hectares dont la majorité est occupée par des plantations industrielles d’hévéas Hevea brasiliensis. La surface restante est une mosaïque de forêt naturelle (quelques dizaines d’hectares seulement), de forêt dégradée, de plantations, de reboisement (au total 1700 hectares de surface boisée) et de clairières. Aussi, contrairement au PNB, plusieurs infrastructures routières ont été réalisées au détriment de la forêt de l’Anguédédou. Il s’agit de l’autoroute du nord (qui traversa la forêt sur 7 kilomètres) ; la route Yopougon- Agboville (qui borde la forêt sur 4 kilomètres) et de plusieurs pistes de desserte rurale. Ensuite, la forêt de l’Anguédédou a été constamment réduite en superficie en dépit de l’étalement de l’habitat. La menace d’extinction de la forêt primaire de la périphérie abidjanaise est réelle alors que les mesures de lutte contre la dégradation de l’environnement urbain ne semblent pas prendre en compte le problème de l’étalement de la métropole. Mieux, l’intensité de la pression anthropique dans cette forêt y est plus élevée par rapport aux autres forêts notamment le PNB. Enfin, l’intérêt pour ce sujet réside au fait qu’il existe une contradiction au niveau de la cohérence de la gestion gouvernementale et des différents plans d'aménagement du patrimoine forestier en particulier celui d’Andéguédou.

Figure 1. Carte de la localisation la forêt d’Anguédédou

Figure 1. Carte de la localisation la forêt d’Anguédédou

Résultats

13Les résultats de l’étude se structurent autour de l’identification et des actions des acteurs (profil) ainsi que de la représentation de ceux-ci dans la gestion de la forêt d’Anguédédou d’une part, et sur la coordination des stratégies de gestion de la forêt classée d’autre part.

Identification, représentation sociale et actions des acteurs

14Plusieurs acteurs participent à la gestion de la forêt d’Anguédedou tout en étant en interaction les uns par rapport aux autres. Les propos d’un membre de la notabilité, l’attestent : « En plus de l’Etat et ses structures dérivées, d’autres acteurs en l’occurrence les structures privées, les acteurs civils et locaux jouent un rôle crucial dans la compréhension de l’exploitation de la forêt d’Anguédédou » (Entretien réalisé en 2022).

15Le président de l’association des jeunes ajoute :

« L’État est représenté par le ministère (ivoirien) de l’Environnement de la salubrité urbaine et du développement durable, les Eaux et forêts, la SODEFOR les sous-préfectures et préfectures (autorités déconcentrées et décentralisées de l’État). Les acteurs de la société civile concernent les ONG comme le REED+ et les acteurs privés les industriels. Les structures privées sont les industriels du bois… Les autochtones sont les tchamans ou ébrié, peuple lagunaire et le peuple Akyé ou Attié. Leur activité principale est la pêche. Toutefois, certains pratiquent l'agriculture et produisent des vivriers (banane plantain, igname, taro, manioc et des produits d'exportation (café, cacao, hévéa, palmier à huile, banane douce... À cela s’ajoutent les allochtones baoulé et les allogènes principalement les Burkinabè). » (Entretien réalisé en 2022)

16De là, il ressort que la gestion de la forêt mobilise des acteurs qui jouent chacun un rôle important puisqu’ils sont directement et/ou indirectement concernés par l’utilisation de cette forêt. Par ailleurs, les acteurs locaux, notamment les populations locales se structurent de la manière suivante : les autochtones, les allochtones et les allogènes.

17Au-delà des populations autochtones riveraines de la forêt classée d’Anguédédou, on trouve aussi des populations allochtones et allogènes. Les populations allochtones viennent du Nord, du Centre, de l’Est et de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Il s’agit des Baoulés, des Malinkés, des Guéré, et cetera. Par ailleurs, les populations allogènes sont des étrangers de la communauté de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDAO) et sont principalement issues des communautés peules du Mali et des Burkinabès. De ce qui précède, il ressort que la forêt est un espace qui attire des populations de diverses origines. Selon leurs appartenances, une panoplie d’ethnies de Côte d’Ivoire et de nationalités africaines sont représentées près de la forêt d’Anguédédou. Mieux, la forêt est un enjeu pour tous les acteurs impliqués dans la gestion de cette forêt classée.

Représentations socio-culturelles de la forêt classée

18Les représentations socio-culturelles de la forêt classée sont à la fois socio-culturelles et symboliques. Les attitudes et comportements des populations riveraines dans leur rapport avec la forêt classée sont guidés par un fondement culturel, à partir duquel, ils se font une image de ce patrimoine. Ainsi, un chef de ménage fait les révélations suivantes : « la forêt classée c’est notre héritage…nos grands-parents l’ont exploité maintenant c’est nous que ça doit servir… » (Entretien réalisé en 2022). Un notable ajoute : « la forêt est importante pour nous, c’est un endroit où nous invoquons nos génies pour la communauté villageoise, on ne peut pas la vendre » (Entretien réalisé en 2022).

19Cette réponse illustre très bien le sens que la plupart des riverains attribuent à la forêt classée. La forêt étant le symbole de la famille, son obtention ou son attribution obéit à une observation stricte des pratiques coutumières en vigueur. Les peuples Atchans et Akyés pratiquant le système matrilinéaire, c’est dans ce seul cadre qu’ont lieu les transactions. C’est pourquoi selon la coutume elle ne doit pas être l’objet de vente. Dans l’entendement de la population autochtone, la forêt classée demeure le prolongement du patrimoine ancestral. Ce qui amène les populations à faire de la forêt un référent culturel, car la forêt reste une base culturelle pour les collectivités, un moyen de partage identitaire, un repère permettant de se lier et de se reconnaître à travers des expériences et des symboles communs.

20L’essentiel des avoirs économiques dans le sud forestier provient de la forêt classée d’Anguédédou. La vie des populations est donc liée à la forêt. Sa préservation est synonyme de la survie de la lignée. Seule la famille a le plein droit d’utiliser la forêt tout en restant attachée au serment de la famille de ne pas la brader et la gaspiller. Autrement dit, la famille perdrait un bien légué par les ancêtres.

21Ce qui signifierait un déshonneur pour la famille, car la forêt est aussi la source de vie. C’est pourquoi un patriarche fait les déclarations suivantes : « la forêt fait partir intégrante de notre vie. Elle constitue un symbole pour nous. Elle nous procure un honneur et un grand prestige » (Entrevue réalisée en 2022). En ce sens un enquêté ajoute : « …bon y en a qui ont des petits champs, mais d’autres aussi on fait des grands champs eux c’est des chefs » (Entrevue réalisée en 2022).

22Il ressort que de ces propos que la forêt est représentée comme un véritable symbole de respect et de considération par les populations. Mieux, elle est perçue comme l’expression de la grandeur et de la puissance de la famille. Car, le propriétaire du foncier est un acteur fondamental dans la production de l’espace forestier. La possession de superficies plus importantes indique un lien d’appropriation plus dense et être grand propriétaire terrain confère une notoriété, car la possession de la terre est l’expression des vertus que sont : le courage, l’abnégation, la dignité la fierté. C’est pourquoi celui qui n’a pas de terre est perçu comme un paresseux et un pauvre. Il est victime de marginalisation, car l’image de la famille est fonction de la possession terrienne ou forestière. C’est sûrement au vu de ces différentes représentations qu’ils s’infiltrent dans la forêt classée pour s’adonner à des activités qui ne sont pas compatibles aux ressources de la forêt telles que : la création des plantations (d’hévéa, de manioc, de maïs, et cetera), les prélèvements de produits forestiers, la chasse et bien d’autres choses. Au total, la perception symbolique de la forêt par les populations riveraines met en péril les relations entre ces communautés autochtones et les structures gouvernementales. Car pour les structures étatiques, ce sont les actions anthropisées (mettant en péril la biodiversité) qui ont amené l’État à adopter une politique au service de l’écosystème urbain avec la création d’un parc national à l’intérieur d’Abidjan et d’une forêt classée (Anguédédou) à la périphérie nord de la ville.

Appropriation économique de la forêt

23L’Appropriation économique de la forêt par les populations revient à son anthropisation. Celle-ci conduit à la destruction des éléments écologiques à des fins économiques. À cet effet pour les riverains, la forêt classée se révèle comme un bien et un service environnemental. Ainsi, un enquêté affirme : « nous on n’a pas fait papier longueur donc c’est dans la forêt là on débrouille un peu un peu pour gagner à manger » (Entretien avec un riverain réalisé en 2016). Un agent de la SODEFOR renchérit : « alors que la forêt naturelle n’occupe à peine que 1,5 % de la superficie d’Anguédédou, plus de 61 % de l’aire de cette forêt classée est aujourd’hui occupée par des plantations agricoles. Pour des implantations agricoles en forêt, il y a eu des concessions légales (2 185 hectares) et des occupations sur attribution ou autorisation (540 hectares) et 417 hectares d’occupations spontanées » (Entretien réalisé en 2022).

24De ces propos, il ressort que les riverains voient la forêt classée comme un endroit de ravitaillement. Mais également, un site propice à la pratique de l’agriculture pour assurer le quotidien. Ainsi, tous ces éléments qui sous-tendent les représentations des riverains fondent également leurs attitudes de prélèvement des ressources naturelles de la forêt classée. Par ailleurs, des habitations dans des villages ou campements appartenant à des sociétés agro-industrielles tels que Tropical Rubber Côte d’Ivoire (TRCI), Palm Côte d’Ivoire (PALM CI) et Centre National de Recherche Agronomique de Côte d’Ivoire (CNRA) ont été construites dans la forêt. Les manœuvres de ces structures développent des cultures vivrières avec un système extensif de culture itinérante sur brûlis. Voici les propos d’un enquêté à ce sujet : « On plante un peu de manioc…un peu de maïs pour vendre…d’autres mêmes coupes bois pour aller vendre parce que ce qu’on gagne à la société ici ce n’est pas beaucoup. En plus, la forêt est pauvre en ressources animales à cause des braconniers et les chasseurs de papillons qui font la vente aux collectionneurs. » (Entretien réalisé en 2022). I.D., un autre employé renchérit en ces termes : « Après le travail à la société, on devient des planteurs. Pour arrondir les fins du mois, il faut faire un peu de champ de manioc dans la forêt, sinon on va manger quoi ? » (Entretien réalisé en 2022).

25De ce qui précède, il ressort que la forêt devient un cadre idéal pour la pratique d’activités socio-économiques qui sont le fait surtout de la pratique agricole, mais aussi de la chasse. Aussi, la forêt n’est également pas à l’abri de la disparition d’espèces animales. Au-delà, une forme d’urbanisation tend à se développer au sein de l’environnement forestier. L’extension urbaine se fait au détriment de l’environnement forestier et de l’agriculture, la principale activité des populations autochtones Ébriés. Les pertes d’espaces ruraux environnants sont remarquables du fait de la construction d’habitats urbains. Aussi, la menace d’extinction de cette forêt est réelle alors que les mesures de lutte contre la dégradation du couvert forestier ne semblent pas prendre en compte le problème d’extension de la ville d’Abidjan.

26Le témoignage suivant l’atteste bien : « la parcelle ״Ayakro״ de 74 hectares initialement agricole est en train de devenir urbaine après un lotissement sommaire non officiel » (Entretien avec un riverain réalisé en 2016). Un Agent de la SODEFOR ajoute : « la forêt passe successivement d’un espace rural à un espace en voie d’urbanisation à cause des populations qui continuent à s’installer à l’intérieur de celle-ci » (Entretien réalisé en 2022). L’installation des populations est loin d’être un problème lié à la gestion endogène des terres et de la forêt, c’est plutôt un problème lié à la gestion gouvernementale de la forêt. Car la politique environnementale d’Abidjan reste peu perceptible du fait de nombreuses faiblesses. L’extension urbaine se fait au détriment de l’environnement forestier et de l’agriculture, la principale activité des populations autochtones Ébriés.

27Ici, il ressort que le processus d’installation d’habitats et d’espaces agricoles entraine la disparition de l’espace forestière au détriment de l’extension de l’espace rural. En plus, à côté des plantations agricoles, les riverains autochtones (Éébriés), originaires des communautés endogènes, et les riverains allochtones et allogènes du fait de l'expansion de l’urbanisation s’infiltrent encore de façon volontaire dans la forêt classée, pratiquent la chasse et prélèvent des produits forestiers à des fins médicinales ou commerciales. La plupart de ces infiltrations se font tard dans la nuit, les jours fériés et pendant les grandes pluies. D’autres coupent les branches, les tiges de certaines plantes pour faire du bois de chauffe. À ce propos, un allogène de la forêt classée d’Anguededou fait les révélations suivantes : « quand on est malade et qu’on veut faire médicament africain, c’est dans la forêt qu’on va prendre les feuilles et les écorces des arbres…donc on attend la nuit pour aller prendre » (Entretien réalisé en 2022). Un autre enquêté affirme ceci : « on n’a pas toujours l’argent pour payer gaz donc comme la forêt est à côté-là on va casser fagot pour venir préparer et chauffer l’eau dans temps de froid…d’autres aussi vont vendre pour se dépanner un peu » (Entretien réalisé en 2022).

28À travers ces dires, il ressort que la proximité de la forêt est une occasion pour les populations riveraines qui n’hésitent pas à l’utiliser pour la satisfaction de leurs besoins ménagers. La forêt devient un site d’approvisionnement pour les populations.

Pratiques des acteurs liés à la gestion de la forêt

29La gestion de la forêt d’Anguédedou mobilise en interdépendance les acteurs concernés par son exploitation dans un jeu de rôle où chacun fait valoir son pouvoir pour atteindre ses objectifs. Cette réalité est mise en exergue dans les propos d’un agent de la SODEFOR en ces termes : « la Sodefor s’occupe de la participation de la population dans la gestion forestière, certains acteurs privés lui viennent en aide et d’autres entreprises privées exploitent la forêt malgré cela la population continue de s’infiltrer dans la forêt » (Entretien réalisé en 2022).

30Un notable d’un village riverain renchérit en ces termes :

« Depuis quelques années, la forêt classée d’Anguédédou se meurt à petit feu. Les populations locales doivent être associées à la gestion forestière avec les autres structures étatiques et privées. Ainsi, chacun jouera son rôle. La forêt appartient aux populations qui la considèrent comme sa source de respiration ou de ravitaillement. Les ONG viennent nous sensibiliser rarement sur la préservation de notre forêt. Mais, je pense qu’on (population) ne participe pas vraiment… » (Entretien réalisé en 2022)

31De ces propos, il ressort que l’État a mis en œuvre la gestion participative par l'intermédiaire de la Société de Développement des Forêts (SODEFOR). Les ressources forestières issues de la forêt d’Anguédédou sont également une source de revenus les sociétaires privés, c’est-à-dire les industriels du bois. Cela à travers les activités commerciales notamment la production des biens de consommation utiles aux populations. A contrario, les acteurs de la société civile représentés par des Organisations Non Gouvernementales (ONG) locales et d'autres structures comme la Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation forestière (REED+) exercent une influence sur les politiques nationales de conservation de la faune et de la flore en vue de sauvegarder la forêt classée d’Anguédédou. Les actions de ces ONG interviennent sur la gestion de l'aire naturelle protégée de l’Anguédédou. Toutefois, ces actions n’ont pas pu empêcher sa dégradation persistante. Au total, cette récurrence de dégradation de la forêt étudiée montre l’inefficience de la gestion de cette forêt périurbaine qui dénote aussi du manque de collaboration entre la SODEFOR et les populations.

La coordination des stratégies de gestion de la forêt

32Cette coordination est perceptible à travers les stratégies des acteurs d’une part et la synergie d’action des acteurs ainsi que les incohérences dans les relations de pouvoir entre ces acteurs d’autre part. L’administration et la protection de la forêt sont l’apanage de l’État. Cela est perceptible par ses structures dérivées qui ont des rôles bien définis. Les stratégies des acteurs étatiques (le ministère ivoirien des Eaux et forêts, la SODEFO) sont perceptibles à travers la décentralisation, la cogestion, la sous-traitance et les mesures sociales de lutte contre la déforestation ainsi que l’unité de Gestion forestière d’Anguédédou. En effet, le ministère ivoirien des Eaux et forêts (MINEF), avec l’appui du gouvernement ivoirien, a adopté une stratégie dénommée la politique de préservation, de réhabilitation et d’exécution des forêts, créée le 23 mai 2018. Cette stratégie comporte des enjeux pertinents qui la distinguent des initiatives antérieures.

33C’est ce qui ressort des propos d’un des responsables de ce ministère en ces termes :

« …Cette stratégie a pour but de mettre en avant les efforts qui devraient être fournis par l’ensemble des acteurs étatiques, privés, de la société civile et des partenaires techniques et financiers. C’est ensemble que nous pouvons vaincre la déforestation de cette relique qui est la forêt d’Andéguédou. Car cette politique permet au MINEF de concevoir un cadre d’orientation globale pour promouvoir une gestion rationnelle de l’environnement dans une optique de développement durable dans tous les secteurs d’activités » (Entretien réalisé en 2022).

34Un chef de projet au ministère ivoirien des Eaux et forêts adjoigne :

« La politique du gouvernement en matière d’environnement et du cadre de vie est d’assurer la prévention, la protection et la préservation des milieux et des écosystèmes contre toutes les formes de nuisances. Seulement, avec l’originalité de cette stratégie qui se distingue des autres initiatives précédentes, on peut espérer, car elle associe tout le monde dans la gestion de cette forêt ». (Entretien réalisé en 2022)

35De ces propos, il ressort de manière spécifique que la mission de l’État à travers son ministère des eaux et forêt vise la protection et la sauvegarde de l’environnement. Cela passe par la lutte contre la dégradation de la biodiversité et des écosystèmes, la sensibilisation, la formation et l’éducation des populations à la protection de l’environnement. Cette stratégie est initiée pour la préservation, la réhabilitation et l’extension des forêts, et en particulier celle d’Andéguédou. Cette stratégie a pour finalité de promouvoir une approche tant participative qu’inclusive. Ce qui permet de changer la perception des populations à l’égard de la forêt et l’intégration de celle-ci à travers un appui technique et financier.

36Pour mener à bien ses missions, la SODEFOR a adopté les stratégies suivantes : la décentralisation, la cogestion, la sous-traitance, des mesures sociales de lutte contre la déforestation et la participation des riverains.

37En ce qui concerne la décentralisation, la volonté de la SODEFOR est d’être plus proche des forêts dont elle a la charge de faire aboutir à la proposition d’une gestion de type décentralisé. À ce titre, un agent de la SODEFOR réagit en ces termes : « L’arrêté conjoint n°1081 du 11/09/1992 a créé les délégations régionales (centre de gestion). À ce jour il existe cinq 5 centres de gestion (Abengourou, Agboville, Bouaké, Daloa et Gagnoa) composés de 29 divisions, elle-même subdivisée en 81 secteurs » (Entretien réalisé en 2022). Dans la même lancée un autre agent de la SODEFOR renchérit : « L’organigramme découlant de la réorganisation et visant à mieux asseoir le processus de décentralisation et de déconcentration (qui) a été adopté par le conseil de l’administration de la SODEFOR en Juillet 1999. À l’horizon de 1997, avec le projet sectoriel forestier 2, la SODEFOR a été organisée en 8 centres de gestion, 40 divisions et 120 secteurs » (Entretien réalisé en 2021).

38Ici, il ressort que la décentralisation de la SODEFOR est une réalité du point de vue institutionnel dans la mesure où elle est l’objet de projet de loi voté par les institutions étatiques. Aussi, des secteurs de cette institution sont déployés sur l’étendue du territoire pour une meilleure action. Ainsi, la décentralisation au niveau des secteurs permet une efficacité sur le plan budgétaire, technique et opérationnel ainsi qu’une certaine autonomie de gestion tant au niveau de son personnel que de ses ressources financières.

39La cogestion telle que perçue par la SODEFOR consiste à associer effectivement les populations locales à la gestion forestière. Ainsi à terme, la forêt devient une partie intégrante de la vie des paysans qui la considère comme une source de revenus potentiels (l’écotourisme, projets communautaires) et non seulement comme un espace à détruire. Cette cogestion s’articule autour de la participation aux prises de décisions et développement d’emplois en amont et en aval. Cela est mis en exergue par un notable d’Aguédédou de la manière suivante :

40« L’instrument principal de la cogestion est la Commission Paysans-Forêts (CPF) qui a été élaborée depuis 1992 et qui se présente comme un organe de concentration, de conciliation et de proposition. Les Commissions paysannes forêt (CPF) locales sont créées pour chaque forêt classée. Présidé par le préfet de région où s’étend la plus grande partie de la forêt, chaque CPF rassemble les responsables administratifs et économiques, locaux, les élus, les structures de développement et une délégation majoritaire des paysans riverains ou installés en forêts. Je pense aujourd’hui que si cela peut engendrer des recettes au profit des villageois notamment des populations autochtones, alors cela motiverait les populations… » (Entretien réalisé en 2022).

41Un autre agent de la SODEFOR ajoute : « quant aux actions à entreprendre pour atteindre les objectifs fixés en matière de réhabilitation et d’aménagement des forêts, l’État doit mettre tout en œuvre dans l’optique d’une participation des populations locales à la gestion forestière » (Entretien réalisé en 2022). Ces propos expliquent l’importance de la coopération des populations dans la gestion forestière avec la SODEFOR qui représente l’État. La politique forestière doit intégrer la participation des populations pour sa réussite au sein des Commissions paysannes forêt (CPF) locales. À cet effet, Les CPF sont régies par la charte pour la réhabilitation du domaine forestier de l’État qui constitue le contrat de confiance entre tous les acteurs intervenants dans les forêts et leurs zones périphériques.

42S’agissant de la sous-traitance, qui est une des stratégies adoptées par la Sodefor, elle consiste à réduire les coûts des travaux d’aménagement (reboisement, pépinière, plantation). Cela ressort dans les propos d’un agent de la SODEFOR en ces termes : « La SODEFOR a besoin de mains-d’œuvre dans sa mission de gestion forestière. La sous-traitance est la bienvenue pour une meilleure politique forestière » (Entretien réalisé en 2022). Cela est relaté par un autre agent de la Sodefor en ces termes : « Pour réaliser des travaux d’envergure généraux, la SODEFOR fait appelle à la population pour pouvoir mieux gérer la forêt » (Entretien réalisé en 2022). De là, il ressort que la sous-traitance est une pratique qui vise également à associer et à impliquer plus activement les populations à la réhabilitation et à la conservation forestière par le biais de groupements villageois de travailleurs ou de coopératives forestières.

43Les mesures sociales de lutte contre la déforestation sont aussi une des stratégies menées par la Sodefor. Ainsi, dans son souci permanent de préserver le patrimoine forestier, et dans ses stratégies de lutte a mis un accent particulier sur un certain nombre de mesures sociales. Les propos d’un chef de projet à la SODEFOR l’attestent si bien : « Par la sensibilisation, l’encouragement aux nouvelles pratiques culturales moins dévoreuses d’espace et à l’incitation à d’autres activités telles l’élevage afin de préserver la forêt, la SODEFOR a mis en place des mesures sociales » (Entretien réalisé en 2022).

44Un autre agent de la SODEFOR ajoute : « plusieurs mesures sociales ont été élaborées par la SODEFOR pour la réhabilitation les forêts et leur sauvegarde, car sa disparition signifierait l’avancée du désert, le manque de pluies et donc un désastre écologique » (Entretien réalisé en 2022). Par-là, il ressort que les mesures sociales créent par la SODEFOR amènent les populations à mieux entretenir la forêt. Ainsi, la conscience éveillée, les populations doivent s’accorder à reconnaître la nécessité de préserver la forêt même si la mise en application des mesures sociales exige des efforts et des sacrifices à tous les niveaux.

45Pour réduire les risques liés à la dégradation très avancée de la forêt classée d’Anguédédou, la SODEFOR a pris ses responsabilités. Pour ce faire, plusieurs actions ont été menées par l’Unité de Gestion Forestière d’Anguédédou dans le souci de restaurer le couvert de la forêt classée. C’est ce qui ressort d’un entretien réalisé avec un responsable de la SODEFOR : « L’Unité de Gestion forestière de l’Anguédédou (UGFA) fait partie du Centre de Gestion d’Abidjan (CGA). Elle a la responsabilité de gérer la forêt classée d’Anguédédou et de trouver des moyens pour sa préservation et son bon fonctionnement » (Entretien réalisé en 2022)

46Un autre agent de la SODEFOR ajoute à cela que « pour réduire la dégradation de la forêt d’Anguédédou, nous avons procédé par la sensibilisation, par le déploiement des agents forestiers, l’enrichissement, l’implication des populations riveraines dans la gestion de la forêt classée avec l’Unité de Gestion forestière de l’Anguédédou (UGFA) qui nous aide pour le reclassement de parcelles » (Entretien réalisée en 2022). Ici, les initiatives au niveau de la SODEFOR sont prises en vue de la préservation durable de la forêt. Ces initiatives voient la participation des populations qui aident la SODEFOR dans ses actions de préservation de la forêt.

47Par ailleurs, une autre stratégie de conservation de cette forêt est d’utiliser les moyens contraignants (rapport aux normes et sanction en cas d'infraction). Dans le cadre de la gestion de la forêt classée d’Anguédédou, il existe un cadre institutionnel et règlementaire, cependant celle-ci est dégradée et infiltrée par la population. C’est ce que pense un chef de ménage issue d’une communauté riveraine de la forêt : « entre nous, est-ce que normalement on doit gâter les choses qui sont dans la forêt. Si c’est fini les populations font comment si la forêt disparait autour d’Abidjan ceux qui prennent les lois vont en subir. Je pense qu’il faut concilier concrètement les stratégies institutionnelles et communautaires pour faire comprendre le bien-fondé de la préservation de la forêt pour les générations futures » (Entretien réalisé en 2022).

48Dans cette perspective, un notable du même village affirme : « si on veut conserver la forêt, il faut certes punir les actions déviationnistes des populations, mais surtout construire les règles de gestion des forêts avec les populations et trouver une réponse aux besoins de celles-ci. Jusque-là, la volonté politique est en mon sens quasi inexistante. L’État ivoirien a sa part de responsabilité qu’elle doit assumer pour le bien-être de l’humanité. Sinon notre forêt va disparaitre et la température va augmenter partout à Abidjan » (Entretien réalisé en 2022).

49Au regard de ce qui précède, il ressort de cette situation qu’en dépit des normes établies, les populations infiltrent la forêt classée d’Anguédédou. La responsabilité des acteurs étatique est remise en cause. Aussi, la faible participation des populations dans les stratégies de gestion de cette forêt traduit l’incohérence institutionnelle. La gestion communautaire des ressources forestières et les besoins des populations sont parfois négligés dans les mécanismes de gestion des forêts classées. Dès lors, la réconciliation entre les politiques forestières et les stratégies des populations dans le cadre de la gestion forestière est nécessaire.

Le manque de synergie entre services techniques et populations

50L’on note une faible synergie dans les actions des acteurs par rapport à la gestion de cette forêt. Un riverain estime en ce sens qu’« à (son) avis, on ne peut pas vraiment dire qu’il existe en ce moment une instance de concertation entre la SODEFOR, les populations riveraines et les autres acteurs (acteurs privés, municipalité, ministères, ONG, et cetera) » (Entretien réalisé en 2022).

51Un notable du village renchérit :

« il y a beaucoup d’acteurs, mais on ne sait pas ce que chacun fait ; c’est vraiment bizarre. Pour moi, l’une des causes de l’état de dégradation de la forêt de l’Anguédédou provient directement de l’absence avérée de synergie d’actions entre plusieurs structures étatiques, dont le ministère (ivoirien) de l’Environnement et du Développement durable, le ministère (ivoirien) des Eaux et forêts, les structures dérivées responsables de la gestion du patrimoine forestier de l’État. Je me demande si le MINEF collabore avec les autres structures… » (Entretien réalisé en 2022).

  • 2 Selon Boudieu (2000, p.272), (L’habitus désigne un système de préférences, un style de vie particul (...)

52Il ressort de ce qui précède que la concertation et l’absence avérée de synergie d’actions constituent une faiblesse institutionnelle. Les stratégies à travers les actions des ONG sont déterminantes. Cela est traduit à travers les propos d’un membre d'une ONG : « les actions de sensibilisation, d’information, d’éducation et de communication avec l’implication et la participation des Organisations non gouvernementales (ONG) tentent de modifier les comportements dommageables des populations sur leur environnement et leur cadre de vie. C’est une façon pour nous de soutenir le gouvernement même s’il n’existe pas une franche collaboration entre nous » (Entretien réalisé en 2022). Il ressort de là que les ONG jouent un rôle crucial dans la gestion et la préservation des ressources naturelles, des parcs et réserves dont la forêt classée d’Andéguédou. L’on note aussi une collaboration entre ces ONG et les populations riveraines dans la gestion de cette forêt. L’implication de ces ONG permet de modifier les perceptions des populations et leur habitus2 (manières de faire).

53Ici, chaque acteur a son pouvoir qui lui permet de se maintenir dans le système organisationnel mis en place. Cela est perceptible à travers les logiques des populations riveraines et l’État. Ainsi, dans la gestion de la forêt classée d’Anguédédou, les diverses logiques socio-économiques des populations et la légitimation du droit coutumier jouent en défaveur des actions de la SODEFOR visant à la gestion durable de cette forêt. Cela est traduit par un agent de la SODEFOR en ces termes : « vous savez que nous avons la volonté de concilier gestion et bien-être des populations. Seulement, la logique de ces populations est un frein pour nous. Elles pensent être le propriétaire de ce qui est légitimé par le droit coutumier. Ces populations n’ont jamais cessé de la considérer comme un héritage inaliénable » (Entretien réalisé en 2022). Cependant, un riverain, autochtone, de la foret affirme :

« L’État dit, la forêt lui appartient, c’est pour lui, nous les populations, on dit qu’elle appartient à nos ancêtres ou aïeuls. Parce que c’est trop facile, nous on doit vivre et se nourrir. Entre nous eux, ils votent les lois et viennent les appliquer ici et ils disent de ne pas utiliser la forêt. Leurs salaires sont gros, mais nous notre salaire se trouve dans la forêt ou la terre, voyez-vous, ils (Agent de la SODEFOR) ont frustré les populations riveraines et cette frustration est née à partir du moment où les populations voient leur patrimoine exproprié » (Entretien réalisé en 2022).

54Le droit coutumier et le droit institutionnel s’opposent dans la gestion de la forêt classée d’Anguédédou. Les revendications de ces populations apparaissent alors pour la plupart comme légitimes. Même si elles semblent de premier abord orientées vers l’acquisition du capital foncier que représente cette forêt : celles-ci s’inscrivent dans une logique de survie.

Discussion

55La mise en avant des efforts qui devraient être fournis par l’ensemble des acteurs étatiques, privés, de la société civile et des partenaires techniques et financiers est déterminante pour la gestion efficace et durable de la forêt classée d’Anguédédou. Ainsi, pour une bonne gouvernance des ressources forestières, il faut prendre en compte les intérêts de tous les acteurs et en particulier ceux des populations locales (MINEF, 2019, p.47). À ce sujet, Bédard (2015, p.3) montre qu’il y a une réelle plus-value si l’on implique activement les populations locales dans la prise de décision sur les ressources forestières desquelles elles dépendent. Dit autrement, un mouvement de protection de la forêt qui part de la population locale a plus de chances de réussir. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer le lien entre les forêts et les populations dans la gestion et la gouvernance durables des forêts (FAO, 2016, p.3).

56Toute intervention extérieure qui chercherait à restreindre l'utilisation des forêts contre la volonté de ceux qui y vivent serait vouée à l'échec. Pour que la forêt reste écologiquement stable, il est indispensable de respecter les volontés de ses habitants. Par ailleurs, ces communautés villageoises reçoivent très souvent l’appui des ONG nationales ou internationales dans la réalisation de leurs activités agricoles. En plus, ces ONG les sensibilisent sur la sauvegarde de la forêt. Puisque, l'amélioration des conditions de vie des communautés paysannes et la conservation de l'environnement forestier sont des problématiques interdépendantes et on ne saurait résoudre l'une au détriment de l'autre, d'où la nécessité d'établir, dans les faits, un véritable partenariat. C’est dans la perspective d’établir et d’atteindre ce partenariat solide que l’État intervient en cogestion avec les populations de la forêt d’Anguédédou. Il se sert dans cette quête de ces structures et notamment de la SODEFOR.

57Les représentations socio-économiques de la forêt s’expliquent par les valeurs socio-culturelles associées à la forêt, la perception symbolique de la forêt par les populations riveraines et l’appropriation économique de la forêt. Premièrement, les populations accordent une valeur socio-culturelle à la forêt dans la mesure où elle n’est pas qu’une ressource à exploiter comme le suggère l’économie conventionnelle.

58C’est ce que pense Ngono (2017, p.6) quand il affirme que «la forêt est un milieu de vie véritable espace symbolique qui définit et structure les conditions de vie des populations à proximité, elle ne constitue plus une structure vitale pour les seules communautés qui vivent à proximité ». Cette économie néglige une grande partie des liens des humains avec la forêt. Ainsi, les populations par le canal de leur coutume voient les forêts comme des partenaires et pas seulement comme des ressources, mieux comme ayant une valeur sacrée. Les logiques socioculturelles des populations liées à la forêt en général et à la forêt d’Anguededou en particulier jouent un rôle prépondérant dans la mobilisation sociale, surtout celle des populations riveraines, en suscitant chez celles-ci un intérêt particulier pour la préservation de cette forêt. Ainsi, le fait que la grande majorité des villages aient en commun une tradition basée sur l’adoration des lieux et sites sacrés favorise leur adhésion à toute mesure visant à assurer directement ou indirectement la pérennisation de cette tradition.

59Deuxièmement, la perception symbolique de la forêt par les populations riveraines présente l’image de la forêt en tant qu’une entité qui permet aux humains de donner du sens au monde, à leur vie au-delà des considérations liées à ce qu’elle est ou à ce qu’elle rapporte. Ainsi, l’harmonie des relations entre l’homme et le milieu naturel est fondamentale pour garantir la pérennisation des ressources de l’environnement (Yameogo, 2015, p.88). Aussi, les populations locales considèrent généralement la forêt comme une essence de la vie et par conséquent leur richesse. Elles estiment que la forêt constitue un endroit de cérémonie et de méditation (fonctions culturelles et cultuelles), (Muchiza et al, 2022, p.111).

60La prise en compte des logiques socio-culturelles liées à la forêt en général et à la Forêt classée d’Anguédédou en particulier joue un rôle prépondérant dans la mobilisation sociale (surtout celle des populations riveraines) en suscitant chez celles-ci un intérêt particulier pour la préservation de cette forêt. Elles permettent de comprendre comment les populations appréhendent de l’intérieur et par analogie à l’importance que revêtent pour elles les pratiques culturelles, les stratégies traditionnelles de protection des lieux sacrés et les objectifs de conservation de celle-ci. Ces populations vont percevoir clairement la nécessité de préserver leur patrimoine forestier et ses ressources si elles s’appuient sur leurs repères culturels. Ainsi, le fait que la grande majorité des villages aient en commun une tradition basée sur l’adoration des lieux et sites sacrés favorise leur adhésion à toute mesure visant à assurer directement ou indirectement la pérennisation de cette tradition. Dans cette perspective, Adou et al. (2013, p.12) note que la sacralité des rapports des communautés autochtones à Bokassô (forêt sacrée) est incontournable dans les politiques de conservation, car les populations croient fermement que toute mauvaise action dans la forêt a une répercussion sur les villages et sur elles-mêmes. Elles s’identifient dans beaucoup de choses à cette forêt : le génie les protège et leur donne des enfants. Dans cette arène, la forêt qui est perçue comme un don divin traduit souvent un certain respect vis-à-vis de la forêt par égard au Bienfaiteur, la représentation divine qui l’a créée et mise à la disposition des populations. C’est ce que pense (Diop et al, p.12) lorsqu’ils affirment que la forêt n’est pas perçue comme le résultat d’un ensemble de circonstances géologiques et biologiques, mais plutôt comme un signe de l’action bienveillante d’une Puissance supérieure (Dieu) à l’égard d’un groupe ou d’une communauté donnée et à un moment précis.

61Il est non seulement déraisonnable de nier l’importance des différentes significations que revêtent les forêts pour les différentes cultures, mais c’est aussi irrespectueux pour certains peuples qui se voient ainsi privés d’une partie de leur identité. L’éthique et la symbolique font partie du problème et de la solution pour que les forêts jouent pleinement leur rôle dans l’économie verte. La forêt est un milieu de culture et de vie sociale. La vie humaine est pleine et signifiante si elle est en lien avec la nature. Ainsi, il est déraisonnable de nier l’importance des liens éthiques et symboliques des populations à la forêt. Ainsi, la forêt est un élément d’intégration de l’espace, de l’identité et de la culture. C’est pourquoi plusieurs populations vivent dans et à proximité des écosystèmes forestiers. Cette cohabitation a engendré au fil du temps des relations complexes entre elles et ce milieu naturel particulier (Huybens, 2011, p. 13 ; Ngono, 2017, p.15).

62Troisièmement, l’appropriation économique de la forêt est mise en exergue dans le comportement d’une frange de la population par rapport à la forêt classée d’Anguédédou. Cela est déterminé par la représentation qu’ils se font de ce patrimoine. De ce point de vue, le rapport des acteurs avec la forêt classée, leurs pratiques, leurs modes d’exploitation des ressources de la forêt classée ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt d’un ensemble d’informations, de croyances et de faits. Ainsi, toute connaissance est le résultat d’une action ou d’une série d’actions.

63Ces éléments qui sous-tendent les représentations fondent également les attitudes des acteurs vis-à-vis des ressources de la forêt classée. Alors la représentation n’est donc pas un simple reflet de la réalité, mais elle est une organisation qui a une signification. Elle régit les relations des différents acteurs à leur environnement physique et social, détermine leurs comportements ou leurs pratiques.

64Les attitudes des acteurs étudiés envers la forêt se construisent autour de leur perception et favorisent la destruction de la forêt classée d’Anguédédou. Par exemple les politiques économiques très interventionnistes de l’État dans les deux premières décennies d’indépendance de la Côte d’Ivoire ont contribué au déboisement du couvert forestier, même si des efforts ont été mis en œuvre au cours des dernières décennies. Par exemple l’abus de prélèvement des espèces commerciales au gré du marché entraine un manque réel de planification dans l’utilisation de la ressource. Les pratiques sociales des populations ne favorisent pas non plus la conservation de la forêt malgré les actions des ONG intervenant dans la gestion de l'aire naturelle protégée (Anguédédou). Ces actions n’ont pas pu empêcher sa dégradation persistante. Cette situation a amené Dossou-Yovo et al (2017, p.2) à dire que les attitudes envers la forêt sont majoritairement orientées vers sa destruction. Cela dénote de l’impuissance de l’État et ses dérivés dans la gestion efficiente de cette relique abidjanaise (forêt d’Anguédédou) et surtout de l’incohérence des stratégies de gestion à l’égard de cette forêt. Toutefois, les attitudes des populations peuvent favorisent la conservation de la forêt si et seulement si l’on identifie les attributs des communautés locales sur lesquels un modèle de participation peut être construit, par exemple en considération la perception de la forêt comme bien de la communauté et gage de son unité, le pouvoir traditionnel comme institution de proximité ou encore l'actualisation des savoirs locaux (Nyange, 2014, p.3).

65Les stratégies des acteurs (des structures dérivées de l’État, les ONG et les populations) sont diverses et se résument aux logiques de chaque acteur. Il est dans un premier temps important de souligner les failles existantes au sein du dispositif institutionnel de gestion de la forêt d’Anguédédou. Au niveau du cadre légal et juridique, il convient de savoir que lorsque ce cadre est convenablement appliqué, il constitue un outil de choix pour la gestion durable des ressources forestières. Cependant, malgré ces textes modernes et les actions significatives déjà engagées, la mise en œuvre des principes de gestion durable des ressources forestières est restée inadéquate. Il en est de même pour les efforts entrepris en faveur de la protection de la biodiversité. En effet, la gestion inadéquate relève des droits de propriété mal définis ou inexistants en raison de la superposition d’un régime juridique foncier moderne aux droits coutumiers. De même la loi non promulguée du 20 mars 1963 a légitimé la dégradation forestière. La loi de 1998 est par la suite créée pour corriger les insuffisances de la loi de 1963. Elle essaie de répondre par une conscience des erreurs passées et un souci d’équité, mais ses effets sont des plus aléatoires et ne garantissent pas la résolution du problème foncier que traverse la Côte d’Ivoire depuis son indépendance. C’est pourquoi la question de la gestion des ressources forestières et en particulier d’Anguédédou ne doit pas être vue seulement sous l’angle des lois, mais comme une question globale de gouvernance environnementale. À cet effet, Bigombe (2004, p.3) pense que la réconciliation entre les politiques forestières des pays et leurs populations est nécessaire pour assurer la protection des écosystèmes forestiers. L'objectif de cette réconciliation est de tenir compte de la conception de la politique environnementale en privilégiant certains paramètres comme la mentalité des populations et leurs conceptions (Gammar, 2019, p.13).

66C’est dans cette perspective que la décentralisation, la cogestion, la sous-traitance et les mesures sociales de lutte contre la déforestation définie par le MINEF et la SODEFOR ont été initiées. Cependant, ces initiatives ont connu des incohérences dans leur exécution. Ces stratégies suscitées qui avaient pour finalité de promouvoir la gestion participative n’ont pas connu de succès à cause du fait qu’il existe un écart entre les intérêts de la population autochtone et la politique de conservation de l’environnement, un écart qui constitue une source de conflits (Kra, 2019) or, la forêt est un espace d’action et d’interaction (Ngono, 2017, p.18).

67À cela s’ajoutent les ONG dont les objectifs sont de soutenir l’État ivoirien dans la mise en œuvre de sa politique de conservation de la Forêt classée d’Andéguédou et de défendre les intérêts des populations riveraines, cependant dans les faits, ces ONG ne travaillent que rarement en collaboration à l’État, ce qui explique la faible synergie d’actions entre diverses institutions et la population, entre l’État et les ONG. Les autochtones des communautés riveraines qui, profitant de l’ambiguïté de la politique de protection des aires protégées, nouent des accords avec des allochtones ou des allogènes pour faciliter leur infiltration (Kra, 2019, p.22).

68Par rapport à la participation des acteurs, il ressort que les politiques de gestion des ressources forestières n’ont pas suffisamment pris en compte l’implication de tous ceux qui interviennent dans le milieu forestier. La dégradation continue de la forêt montre que l'approche participative telle que menée par l’État et ses structures ne peut pas réellement nous amener à gérer de façon durable les ressources forestières, et ce, à cause de l'effectivité de sa mise en œuvre par l'État. Car cette participation se limite aux séances d'information et de consultation. Ainsi, l'approche participative est d'abord passive et pourra devenir active si elle implique réellement les populations (Monnet, 2005, p.220). Les allochtones installés en communauté ne sont généralement pas pris en compte dans ces projets de conservation de la forêt. Toutefois, la participation des villageois ne dépend pas seulement de leur statut social. En effet, un autre facteur explicatif de la participation est l'intérêt que l'individu porte au projet (Scotto di Rinaldi, 2019). Dans cette logique, la prise en compte des droits des populations autochtones dans les politiques forestières et de conservation est une donnée sur laquelle les acteurs du secteur ne peuvent plus faire l’impasse, qu’ils soient conservateurs ou exploitants forestiers (Eba’a Atyi et al, 2021, p.423). Aussi, pendant longtemps, la forêt a été considérée sous l'angle de la conservation environnementale de sorte que l'aspect population a été sous-estimé, bien qu'il y ait eu quelques progrès dans la prise en compte de cette faiblesse au cours des deux dernières décennies avec les concepts de gestion des forêts communautaires, de cogestion, de gestion des produits arboricoles et des aspects des systèmes agroforestiers (FAO, 2016). De même, selon Nyange (2014), le modèle de participation des communautés locales à la gestion de la forêt dont le village est le noyau de référence et pour lequel la gouvernance à mettre en place par les institutions de proximité que représente le pouvoir coutumier. Pour être efficace, ce modèle de participation doit intégrer l’impératif d’améliorer les conditions de vie des communautés locales à travers l’aménagement durable de finage villageois et la nécessité de la conservation de la forêt. Mieux, la sauvegarde durable de l’environnement requiert l’engagement volontariste et la participation franche de la population. L’engagement affiché des gardiens des bois sacrés à accompagner les autorités municipales dans une gestion concertée présage ainsi d’une mutation du sacré vers le fonctionnel (Yameogo, 2015, p.88). Le processus (la patrimonialisation) et son objet (le patrimoine) s’étendent aux ressources naturelles a été mobilisée pour cerner l’appropriation forestière et le développement durable (Ngono, 2017, p.23).

69Ainsi, l'implication des populations dans l'aménagement des forêts communales demeure largement superficielle. Tous ces aspects de la participation cités plus haut relèvent d’une défaillance dans la gouvernance environnementale. Cela est également perceptible en ce sens que par exemple, les populations locales ivoiriennes, et particulièrement celles vivantes autour de la forêt classée d’Anguédédou, ont toujours interprété les classements des forêts en aires protégées comme une expropriation, la frustration est née à partir du moment où les populations voient leur patrimoine exproprié. Dans cette arène, les sociétés rurales africaines ont organisé l’espace en privilégiant des lieux sacrés dotés d’interdits. Mais, les bois sacrés sont rattrapés par les dynamiques urbaines qui leur disputent l’espace (Yameogo, 2015, p.71).

70Des villages ont été déplacés, éloignant les habitants des lieux de cultes et des sépultures. Tout cela a provoqué de profonds sentiments de frustration qui se transmettent de génération en génération (Ibo, 2005, p.51). Par contre concernant la forêt classée d’Anguédédou, la frustration est née à partir du moment où les populations voient leur patrimoine exproprié. Au-delà, l’approche de gestion participative encourage l’intervention de toutes les parties prenantes (acteurs publics, privés, civils) dans la gestion des forêts. Or, dans certains cas, l’approche participative semble mettre en présence un nombre assez limité d’acteurs. Ainsi, l’État demeure l’acteur principal et presque incontournable compte tenu de la forte emprise qu’il exerce sur l’allocation des titres d’exploitation et le contrôle des activités forestières au détriment des autres.

71Cela nous amène à comprendre les relations de pouvoir entre acteurs dans la gestion de la FCA. Dans cette relation, le droit coutumier donne un pouvoir aux riverains pour influencer les stratégies des acteurs étatiques. Dans ce rapport, l’État et ses structures dérivées subissent le pouvoir des riverains et se situent dans une zone d’incertitude. Cela traduit un problème de conciliation entre les acteurs étudiés, ce qui traduit une faible interaction entre les parties prenantes. La faible interaction entre ces acteurs constitue un handicap majeur à la gestion durable de cette forêt. Au niveau du MINEF la collaboration reste embryonnaire avec les structures suscitées. C’est le cas entre ses structures dérivées et les populations riveraines. Le manque de synergie pourrait s’expliquer par le fait que les gouvernants ivoiriens manquent de vision globale en matière de développement durable. Autrement dit, cela est lié à un manque de volonté politique de la part du gouvernement ivoirien. L’on note un pouvoir coercitif à travers le pouvoir juridique de l’État dans la gestion de la FCA. Sur le plan institutionnel, l’étude révèle une faible coordination des actions des acteurs dans la gestion de cette forêt. Les travaux de Bokoto de Semboli et al (2013, p.1) concordent avec les données de notre étude lorsqu’ils mettent en lumière la faible concertation et implication des usagers de la forêt dans l’élaboration des politiques et la gestion des produits forestiers non ligneux (PFNL). Tout cela semble traduire que nos gouvernements n’accordent que très peu de place aux sociétés dans les problématiques environnementales. Cet état de fait explique la persistance de la dégradation de cette forêt classée.

Conclusion

72Notre préoccupation consiste à répondre à la question suivante : comment et pourquoi la forêt classée d’Anguédédou se dégrade-t-elle continuellement nonobstant la volonté des pouvoirs publics d’y mettre un terme. Pour y parvenir, la démarche méthodologique de l’étude a privilégié la théorie culturaliste et l’approche participative.

73Aussi, nous avons procédé à une démarche méthodologique privilégiant l’approche qualitative avec une analyse de contenu thématique. Ce qui nous a conduits à l’utilisation des techniques spécifiques telles que les entretiens semi-directifs et une observation directe. Ces techniques nous ont permis d’identifier les principales raisons des pratiques des populations riveraines. Dans notre analyse et sur la base des résultats obtenus, nous pouvons conclure d’abord que beaucoup d’acteurs interviennent dans la gestion de la FCA avec des logiques et des intérêts divers qui ont un impact sur celle-ci. Ensuite, l’étude a révélé que les représentations socio-économiques de la forêt justifient donc les pratiques des populations riveraines. Les pressions anthropiques (les plantations agricoles, le braconnage) au sein de la forêt classée d’Andéguédou se justifient par la perception socio-économique liée à cette forêt. Enfin, le niveau de coordination entre les acteurs est faible. Les politiques de gestion des ressources forestières n’ont pas suffisamment pris en compte l’implication de tous ceux qui interviennent dans le milieu forestier. La culture des populations riveraines et la participation de celles-ci sont limitées dans le processus de conservation et de préservation durable de cette relique (FCA). La négligence de ces facteurs déterminants suscités (la culture, la participation) est un élément sous-jacent qui dérive de manière globale de la faible gouvernance environnementale. Cette gouvernance doit véritablement tenir compte du rôle, du pouvoir de chaque acteur, sa participation dans la gestion de la forêt. Pour cela, il faut promouvoir une gestion concertée, intégrée et inclusive des aires protégées (AP) et particulièrement de la forêt classée de l’Anguédédou. Cela passe par une volonté d’étendre la gestion des AP aux riverains. Elle doit être traduite par la mise en place des contrats de gestion de terroirs permettant d’associer les populations riveraines des AP à la gestion des parcs ou des réserves.

74Devant le constat d’échec de ces récentes politiques, repenser la question relative au rôle de chaque intervenant dans la mise en œuvre de la politique forestière devient une nécessité. Ainsi, la foresterie participative est désormais reconnue comme une condition essentielle à la durabilité de la gestion du patrimoine forestier. Cette étude fait partie des voies qui ont été explorées dans ce sens.

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Notes

1 Le ministre Mathieu Babaud DARRET, Ministre des Eaux et Forêts, était l’invité du Centre d’Information et de Communication Gouvernementale (CICG) dans le cadre des « Rendez-vous du Gouvernement », ce jeudi 26 février 2015, au 20è étage de l’immeuble SCIAM. A l’occasion, il a animé une Conférence de presse sur le thème « Le Nouveau Code Forestier : Enjeux et Perspectives pour une Gestion Durable du Patrimoine Forestier Ivoirien.

2 Selon Boudieu (2000, p.272), (L’habitus désigne un système de préférences, un style de vie particulier à chacun. Il ne relève pas d’un automatisme mais d’une prédisposition à agir qui influence les pratiques des individus au quotidien : leur manière de se vêtir, de parler, de percevoir.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Carte de la localisation la forêt d’Anguédédou
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/39616/img-1.png
Fichier image/png, 425k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Kouman Mouroufie Kouassi, Oleh Kam et Thierry Ouattara Kouadio Kra, « Politique de gestion et dégradation persistante des aires naturelles protégées en Côte d’Ivoire : cas de la forêt classée de l’Anguédédou. »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 23 numéro 1 | Avril 2023, mis en ligne le 01 avril 2023, consulté le 24 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/39616 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.39616

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Auteurs

Vincent Kouman Mouroufie Kouassi

Institut d’Ethno-Sociologie (IES) de l’Université Félix Houphouët Boigny, Laboratoire d’Études et de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Sociales (LERISS), Côte d’Ivoire, adresse courriel : vincentkouassikouman@gmail.com

Oleh Kam

Institut d’Ethno-Sociologie (IES) de l’Université Félix Houphouët Boigny, Côte d’Ivoire, adresse courriel : olehfr@yahoo.fr

Thierry Ouattara Kouadio Kra

Institut d’Ethno-Sociologie (IES) de l’Université Félix Houphouët Boigny, Côte d’Ivoire

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Droits d’auteur

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