Introduction

1L’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en 1992 a marqué un moment fondateur pour la gouvernance du climat. La CCNUCC occupe depuis un rôle central dans la coordination des efforts visant à répondre au défi des changements climatiques. Parmi les principes de la CCNUCC ayant suscité nombre de discussions, le principe de responsabilité commune mais différenciée reconnait la responsabilité historique des pays développés face aux changements climatiques. Ces derniers ayant pour la plupart contribué significativement aux émissions de gaz à effet de serre (GES) sont tenus de diminuer leurs émissions, de soutenir l’adaptation et la résilience aux changements climatiques et de faciliter les efforts des autres pays en la matière. Cette dernière responsabilité passe, entre autres, par le transfert de technologies et de savoir-faire, le renforcement des capacités et le soutien financier (Nations Unies, 1992). Le présent article se penche sur le volet du financement et s’attarde à l’une des sources sous-documentées de la finance climatique mondiale : celui des entités infranationales et des gouvernements non centraux, telles les provinces, les régions et autres échelles administratives. Nous répondons à la question suivante : quel est le rôle joué par les gouvernements non centraux en matière de finance climatique ?

2La finance constitue l’un des piliers du régime climatique, comme en témoigne les trois objectifs directeurs de l’article 2 de l’Accord de Paris, soient l’atténuation des émissions de GES, l’adaptation aux changements climatiques et la réorientation des flux financiers vers un développement faible en carbone. Les Parties à l’Accord ont confirmé leur intention de mobiliser au minimum 100G$ annuellement entre 2020 et 2025 pour soutenir financièrement les pays en développement dans l’atténuation et l’adaptation face aux changements climatiques. Néanmoins, à ce jour, l’objectif de 100G$ annuel à compter de 2020 n’est toujours pas atteint. Même les calculs les plus généreux confirment que les pays développés n’ont toujours pas réussi à respecter cet engagement (Carty et al., 2020 ; Mitchell et al., 2021 ; OECD, 2022). Dans un rapport conjoint présenté par le Canada et l’Allemagne en 2021, on estime que cette somme plancher devrait être atteinte seulement à partir de l’année 2023 (Canada et Allemagne 2021). En parallèle, des négociations sont actuellement en cours pour établir un nouvel objectif plus ambitieux en matière de financement climatique mondial à compter de 2025 (UNFCCC 2022).

3Dans ce contexte, certains gouvernements non centraux et entités infranationales ont commencé à contribuer à la finance climatique mondiale. Or, la littérature n’a que très peu couvert, ou encore de manière plutôt indirecte la participation de ces acteurs, bien qu’ils soient appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la gouvernance climatique mondiale (Chaloux, Séguin, et Simard 2022 ; Leffel 2018). La participation des gouvernements non centraux demeure un angle sous-exploré dans la littérature sur la finance climatique mondiale et combler cette lacune analytique constitue une contribution scientifique pertinente. Cet article propose ainsi une analyse descriptive documentant les pratiques de financement climatique mondial de certains gouvernements non centraux parmi les plus actifs dans le domaine. À partir de la littérature sur la finance climatique mondiale ainsi que des recherches documentaires de sources primaires, comme les rapports gouvernementaux, et secondaires tels que les rapports d’organisations œuvrant dans le domaine de la finance climatique, notre étude informe sur les pratiques et le rôle de ces acteurs. Elle fait le point sur l’activité de trois acteurs particulièrement actifs en finance et paradiplomatie climatique, soit le Québec, l’Écosse et la Wallonie. Les cas ont été sélectionnés pour leur proactivité récente en finance climatique et la diversité d’approches et de mécanismes préconisés par ces acteurs.

4L’article est divisé en trois sections principales. La première s’attarde sur la paradiplomatie climatique en matière de finance. La seconde présente un état de lieux de l’architecture de la finance climatique mondiale et des différents types de fonds. La troisième partie, quant à elle, étudie, documente et compare la participation des trois cas d’études à la finance climatique mondiale. Cela permet ultimement d’amorcer, en conclusion, une réflexion quant au rôle et à la participation des gouvernements non centraux dans la gouvernance climatique mondiale et de la finance climatique afin d’atteindre les objectifs fixés à travers l’Accord de Paris.

Paradiplomatie climatique et finance climatique mondiale

Paradiplomatie climatique1

6En effet, alors que la gouvernance mondiale du climat s’est construite initialement autour des États Parties à la CCNUCC, les blocages et points d’achoppement qui sont rapidement apparus ont mené à un effritement du régime, dû, entre autres, au fait que les sources et les conséquences des changements climatiques se trouvent tant au niveau local qu’international. Dès lors, la régulation de cet enjeu doit ainsi intégrer les acteurs à tous les échelons de la gouvernance (Chaloux et al., 2022 ; Hale, 2018). D’ailleurs, selon Dorsch et Flachland (2017, p. 45) : « [i]nternational multilateralism, with the UNFCCC and the Conferences of Parties at its core, remains a central —but not exclusive—forum for global climate governance. Other actors and fora are also contributing to a dynamically evolving web of policies at different scales and on different governance levels ».

7Dans le même esprit, Keohane et Victor ont souligné le fait que le régime climatique mondial actuel était davantage polycentré et à acteurs multiples, considéré comme un « complexe de régimes », où se chevauchent plusieurs institutions ou régimes qui peuvent avoir des objectifs similaires, concomitants ou divergents, avec des membres variés, qui découlent de priorités et d’enjeux différents et qui ne sont pas organisés hiérarchiquement entre eux (Keohane et Victor 2011). Ainsi, ces auteurs reconnaissent que la gouvernance mondiale du climat ne relève pas d’une simple approche descendante (top-down) où l’État central et les organisations intergouvernementales constituent les acteurs clefs. Il s’agirait plutôt d’un chevauchement d’acteurs de différents horizons, se déployant tant du bas vers le haut, au niveau horizontal ou encore verticalement afin de répondre à des normes, valeurs et principes partagés entre eux à des degrés divers (Bäckstrand et Kuyper 2017 ; Hale et Roger 2014). Dès lors, cela conduit à devoir élargir les recherches vers ces autres acteurs, comme les gouvernements non centraux, afin d’y observer leurs efforts, succès, échecs et limites face à l’atteinte des objectifs partagés en regard à l’Accord de Paris et plus largement à la gouvernance mondiale du climat.

8Au cours des trois dernières décennies, de plus en plus d’acteurs infra-étatiques ont investi la scène internationale afin de participer à la gouvernance mondiale du climat. Leurs actions ont pris des formes très variées à travers le temps. Certains ont joint leurs efforts aux délégations d’État lors des Conférences des Parties (CdP) à la CCNUCC. D’autres ont plutôt opté pour des stratégies autonomes, en intégrant des réseaux internationaux d’États fédérés ou encore en adhérant à des engagements internationaux bilatéraux ou multilatéraux avec d’autres acteurs infraétatiques, menant à une multiplication de ce type d’engagements en matière de lutte contre les changements climatiques (Chaloux, 2019 ; Gayard, 2018 ; Leffel, 2018 ; Morin et al., 2022). De surcroît, ces actions se sont concentrées tant sur les aspects d’atténuation des émissions de GES que d’adaptation, deux aspects clefs du régime climatique mondial. Cependant, et de manière plus récente, des entités infranationales ont aussi choisi d’intervenir sur un troisième aspect fondamental, soit celui du financement climatique mondial.

Finance climatique mondiale et paradiplomatie

9La finance climatique mondiale désigne les initiatives de financement locales, nationales et transnationales provenant tant de sources publiques que privées et visant à soutenir les efforts d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques (UNFCCC 2023). Les activités paradiplomatiques en la matière restent largement sous-étudiées. Bien que les États infranationaux ne soient pas les principaux acteurs de la finance climatique mondiale, il reste possible d’étudier ceux qui y participent activement et qui assument un rôle de leadership. Le présent article se penche sur trois cas, soit le Québec, la Wallonie et l’Écosse.

10Bien que ces entités soient parmi les plus actives, d’autres entités infranationales ont aussi contribué ou contribuent toujours au financement climatique mondial (Tableau 1). Il importe aussi de mentionner la contribution de quelques gouvernements non centraux au Future Fund¸ soit les provinces canadiennes de l’Ontario et de l’Alberta, la région allemande de Baden-Württemberg, l’État de l’Australie-Méridionale et le Pays de Galle (Climate Group, 2022). Les contributions à ce Fonds demeurent toutefois modestes. En effet, bien que les contributions de chacune des entités au Future Fund ne soient pas précisées dans leurs rapports, la somme agrégée des contributions depuis 2017 s’élève à moins d’un million (approximativement 700 000 $US) (Climate Group, 2022). Aussi, la Ville de Paris apparait comme l’une des rares municipalités à participer à un fonds multilatéral. En effet, elle a octroyé 1,34 million $US au Fonds vert pour le climat en 2016 (Climate Funds Update, 2020).

Tableau 1. Récapitulatif des principales contributions des entités infranationales à ce jour

Entités infranationales	Fonds ou programmes	Contributions à ce jour (millions $US)
Alberta	Future Fund	Non précisé
Australie-Méridionale	Future Fund	Non précisé
Baden- Württemberg	Future Fund	Non précisé
Bruxelles-Capitale	Fonds pour l’adaptation (FA)	6,8
	Fonds vert pour le climat (FVC)	4,8
Catalogne	Building Local Climate Resilience” programme in Mozambique (MERCIM)	Non précisé
Écosse	Climate Justice Fund	29,17
	Future Fund	Non précisé
	« Pertes et préjudices »	2,4 (promesse)
Flandre	Fonds pour l’adaptation (FA)	9,7
	Fonds pour les changements climatiques en Afrique (FCCA)	4,83
	Fonds vert pour le climat (FVC)	19,73
	Programme d’adaptation pour les petits exploitants agricoles (ASAP)	2,38
Ontario	Future Fund	Non précisé
Paris	Fonds vert pour le climat (FVC)	1,34
Pays de Galles	Future Fund	Non précisé
	Mbale Tree Planting Programme	Non précisé (10 millions d’arbres plantés)
Québec	Fonds pour l’adaptation (FA)	2,3 (7,9 millions supplémentaires promis lors de la CdP26)
	Fonds pour les changements climatiques en Afrique (FCCA)	1,58
	Fonds pour les pays les moins avancés (FPMA)	4,7
	Future Fund	0,15
	Programme de coopération climatique internationale (PCCI)	21,35
Wallonie	Fonds pour l’adaptation (FA)	22,66
	Fonds pour les pays les moins avancés (FPMA)	19
	Fonds vert pour le climat (FVC)	11,4
	Coalition pour le climat et l’air pur	0,58
	Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA)	1
	Projets financés par AWAC	6,19
	« Pertes et préjudices »	1 (promesse)

11Ces différentes implications de la part des entités infranationales s’inscrivent dans la lignée de l’Accord de Copenhague et l’Accord de Paris qui appellent à la contribution de divers types d’acteurs en matière de finance. En effet, en s’appliquant aux Parties signataires, les décisions qui les accompagnent appellent aussi à la participation des acteurs privés, de la société civile et des entités infranationales comme les provinces et les villes (CCNUCC, 2016b, p. 21-22). Par exemple, l’Accord de Paris : « [i]nvite les entités non parties visées au paragraphe 133 [notamment les villes et autres autorités infranationales] à amplifier leurs efforts et à appuyer des mesures destinées à réduire les émissions et/ou renforcer la résilience et diminuer la vulnérabilité aux effets néfastes des changements climatiques » (CCNUCC, 2016b, pp. 21-22).

12La difficulté d’atteindre l’objectif de 100 milliards $US a encouragé l’élargissement de la gamme et du nombre d’acteurs contribuant à la finance climatique mondiale. Ainsi, comme l’illustre le Tableau 1, certaines entités infranationales ont décidé de répondre à l’appel en offrant du financement à travers de multiples fonds et programmes.

Architecture de la finance climatique mondiale

13Le régime climatique mondial peine encore à réunir les éléments nécessaires à la réduction des émissions de GES à l’échelle globale (Pörtner et al. 2022). Néanmoins, depuis plus de trois décennies, des structures et mécanismes ont été mis en place pour faciliter la coordination et relever l’ambition des Parties. La question du financement anime nombre de débats depuis 1992. Notamment, lors de la conférence de Copenhague de 2009, certains pays développés ont annoncé vouloir mobiliser un financement de 30 milliards $US entre 2010 et 2012, vers les pays en développement afin de leur permettre d’atténuer leurs émissions de GES et de s’adapter aux changements climatiques (décision qui a été entérinée ensuite à Cancún en 2010 lors de la CdP16). Intitulée le Fast-Start Finance, cette initiative a encouragé l’Union européenne et neuf autres États à dédier un peu plus de 35 milliards $US durant la période 2010-2012 (Nakhooda et al., 2013). L’initiative adoptée en 2009 à Copenhague devait aussi paver la voie pour l’atteinte d’un objectif supérieur pour 2020, soit une contribution annuelle de 100 milliards $US (Weikmans et Roberts, 2019).

14L’Accord de Copenhague fournit un cadre très général pour définir les sources et les formes de financement climatique pouvant être prises en compte. L’Accord indique que le financement « proviendra de diverses sources, publiques et privées, bilatérales et multilatérales, y compris d’autres sources de financement » (CCNUCC, 2010, p. 7). La comptabilisation des sommes réellement allouées constitue un défi majeur et fait l’objet de nombreuses discussions et débats (Munira et al., 2021; Nakhooda et al., 2013 ; Roberts et al. 2021 ; Venugopal et Patel, 2013). Ainsi, en l’absence d’un cadre clair pour définir et répertorier le financement climatique, celui-ci peut prendre des formes variées et transiter à travers de multiples canaux (Weikmans et Roberts, 2019). Or, les pays en développement s’attendaient à ce que le financement soit principalement sous forme de subventions orchestrées par le Fonds vert pour le climat de la CCNUCC (Robert et al., 2021). La situation aujourd’hui est tout autre. On peut observer un éclatement des formes de transferts (dons, prêts concessionnels, subventions, assurances, et cetera) et des canaux utilisés pour déployer ces transferts (Carty et al., 2020; Shishlov et Censkowsky, 2022). Il est possible de répertorier plus d’une centaine de canaux associés au financement climatique, dont très peu sont administrés par des pays en développement (Robert et al., 2021).

15Cette diversité des sources de financement complique grandement la tâche de suivre l’évolution des contributions, de leurs formes, objectifs et mécanismes. Les écarts entre les exercices de comptabilisation effectués par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et celle d’Oxfam pour les années 2017-2018 illustrent bien la complexité de comptabiliser le financement climatique. En 2020, Oxfam a révisé les calculs de l’OCDE et indiqué que certains transferts ont été surévalués, tels les prêts non concessionnels (Carty, Kowalzigc et Zagema, 2020). Alors que l’OCDE chiffrait la moyenne annuelle de transferts publics consacrée spécifiquement au climat à 59 milliards $US pour 2017 et 2018 (OCDE, 2022), Oxfam soutient que l’assistance nette ne s’élevait pas au-delà de 22,5 milliards $US en moyenne pour ces années (Carty et al., 2020).

16Malgré de nombreux défis, les efforts pour renforcer le financement climatique continuèrent après Copenhague. En 2016, une feuille de route établie par les pays développés projetait que pour atteindre l’objectif des 100 milliards de dollars américains d’ici 2020, un financement public de 67 milliards $US, ainsi qu’un financement de sources privées de 33 milliards $US étaient nécessaires (CCNUCC, 2016a). En 2019, ces deux objectifs de financement n’étaient toujours pas atteints. À l’heure actuelle, le bilan de la CCNUCC est le suivant :

« 62,9 milliards de dollars américains provenaient de sources publiques en 2019, conformément aux projections de la feuille de route 2016, et 4 milliards de dollars américains supplémentaires sont nécessaires en 2020 pour atteindre les projections. […] Les financements privés mobilisés sont restés plus ou moins stables durant la période 2017-2019 à un peu plus de 14 milliards de dollars américains, soit un déficit de 19 milliards de dollars américains par rapport aux projections de la feuille de route de 2016. » (Canada et Allemagne, 2021, pp. 7-8)

17Ainsi, même avec les calculs les plus généreux, les données actuelles indiquent que les pays développés n’ont pas atteint leurs engagements pour les années 2020-2022. Les sous-sections suivantes présentent les principaux canaux où transite le financement climatique international.

Les fonds et initiatives multilatéraux

18Les fonds et initiatives multilatéraux représentent l’un des principaux canaux par lequel transite la finance climatique mondiale. Ce canal regroupe les fonds qui sont généralement administrés par une entité représentant plusieurs États et qui financent des projets dans plusieurs régions, contrairement aux fonds régionaux et bilatéraux. Plusieurs de ces fonds ou programmes ont été créés au sein de la CCNUCC. On retrouve aussi de nombreux fonds multilatéraux administrés par des entités comme la Banque mondiale et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) (Watson et al., 2022).

19Selon Watson et Schalatek (2020), la force des fonds multilatéraux dépend de la place réservée aux pays en développement dans la gouvernance de ceux-ci. En effet, des fonds comme le Fonds pour l’adaptation et le Fonds vert pour le climat ont adopté une structure de gouvernance où les pays en développement peuvent contribuer significativement à la prise de décision et siéger au sein des comités décisionnels. Les auteurs relèvent aussi un degré de transparence plus élevé dans ces fonds comparativement à certaines initiatives nationales (Watson et Schalatek, 2020). Cependant, l’une des limites des fonds multilatéraux est la faible traçabilité des sommes versées par les donateurs. Effectivement, en rassemblant toutes les contributions dans un grand fonds avant de financer les projets, il devient fort difficile pour un contributeur de s’attribuer la participation et les mérites d’un projet précis ainsi que d’étudier son impact.

Les fonds nationaux ou régionaux

20Dans son rapport de 2020 sur le financement climatique, Oxfam évaluait que pour 2017 et 2018, « seulement 20,5 % environ des financements climatiques bilatéraux ont été alloués aux pays les moins avancés (PMA) et 3 % aux petits États insulaires en développement (PEID) » (Carty et al., 2020, p.5). Or, ces États sont généralement ceux qui sont les plus vulnérables aux changements climatiques. Ainsi, face aux difficultés rencontrées dans la recherche de financement climatique pour leurs projets, plusieurs de ces États se sont tournés vers la création de fonds nationaux ou régionaux. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) agit à titre d’administrateur pour nombre de ces fonds, garantissant ainsi le respect de certaines normes fiduciaires (Watson et Schalatek, 2020).

21Comme le soulignent Watson et Schalatek, « [d]ès leur création, ces fonds ont suscité un grand intérêt, notamment parce que leurs structures de gouvernance indépendantes, transparentes et inclusives devaient permettre d’orienter les financements vers des projets adaptés aux circonstances nationales et conformes aux priorités du pays » (2020, p. 5). Malgré les récents développements en matière de création de fonds nationaux ou régionaux, la majorité de ces fonds possède des ressources financières plus limitées que les fonds multilatéraux. Par exemple, le Fonds Climat Mali, financé par la Suède et la Norvège, a une dotation d’approximativement 32,98 millions $US (PNUD, 2022).

Les fonds destinés aux régions en développement et à économie émergente

22Un troisième type de canal de finance climatique mondiale consiste aux fonds destinés spécifiquement aux régions en développement et à économie émergente. Ce type de canal possède actuellement, à l’instar des fonds nationaux ou régionaux, des capacités financières modestes comparativement aux fonds multilatéraux. À titre comparatif, en 2022, la dotation du Future Fund s’élevait à approximativement 700 000 $US (Climate Group, 2022), alors qu’un fonds multilatéral comme le Fond pour l’adaptation possède une dotation de plus d’un milliard (Climate Funds Update, 2020). Ils peuvent cependant représenter une occasion de collaboration entre entités infranationales et permettre un financement plus près des communautés locales.

23Bien que ces fonds soient souvent composés d’entités multilatérales, ils sont distingués des autres initiatives multilatérales, dans le cadre de cette recherche, étant donné qu’ils s’adressent directement aux entités infranationales. Parmi ces fonds, on peut relever le Future Fund, qui été mis en place en 2017 par la Under2 Coalition, et The City Climate Finance Gap Fund, qui a été mis en œuvre par la Banque mondiale et la Banque d’investissement européenne.

Les initiatives de financement direct et collaborations bilatérales

24Enfin, un quatrième type de canal rassemble les initiatives de financement directes ou bilatérales qui sont des programmes mis en place afin d’investir directement dans des projets en collaboration avec un État (Diagne, 2022). Ce type de financement offre une plus grande souplesse dans le choix des activités financées et des partenaires choisis par l’entité donatrice.

25À titre d’exemple, le programme québécois, abordé subséquemment, concentre principalement ses partenariats avec des pays de la francophonie, ce qui s’inscrit en accord avec l’orientation de la Politique internationale du Québec et la « Vision internationale du Québec » (Gouvernement du Québec, 2019). Néanmoins, ces initiatives demandent une plus grande implication de la part des entités donatrices, puisque ce sont ces dernières qui administrent ces fonds, comparativement aux fonds multilatéraux, où les entités donatrices ne font qu’une simple contribution financière. Nous reviendrons sur le cas du Québec et de ses programmes et ferons de même avec la Wallonie et l’Écosse. Avant d’aborder en détail les trois cas étudiés par cette recherche, la prochaine section présente un portrait général de la paradiplomatie et des contributions de plusieurs entités infranationales en matière de finance climatique mondiale.

Pratiques du Québec, de la Wallonie et de l’Écosse en finance climatique mondiale

26Comme le relève le Tableau 1, il existe déjà un certain nombre d’entités infranationales contribuant à l’effort mondial pour le financement climatique. Parmi ces entités, quelques-unes ont occupé un rôle plus significatif par la taille de leur contribution et dans la variété de canaux de financement utilisés. La prochaine section se concentre sur trois d’entre eux, soit le Québec, la Wallonie et l’Écosse, et vise à offrir un constat général de leurs contributions (Tableau 2).

Tableau 2. Sommaire des contributions du Québec, de la Wallonie et de l’Écosse

Canaux de financement	Québec		Wallonie		Écosse
	Fonds et programmes	Montant (millions $US)	Fonds et programmes	Montant (millions $US)	Fonds et programmes	Montant (millions $US)
Canaux multilatéraux	Fonds pour l'adaptation (FA)	2,3	Fonds pour l'adaptation (FA)	22,66
		7,9		5,3
	Fonds pour les pays moins avancés (FPMA)	4,7	Fonds pour les pays moins avancés (FPMA)	19
				2,7
	Fonds pour les changements climatiques en Afrique	1,58	Fonds vert pour le climat (FVC)	11,4
				0,4
			Coalition pour le climat et l’air pur	0,58
				0,1
			Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA)	1
				1
Fonds par des entités infranationales (multilatéraux)	Future Fund	0,15			Future Fund
Canaux nationaux ou régionaux
Programmes directs et initiatives bilatérales	Programme de coopération climatique internationale (PCCI)	21,35	Projets financés par AWAC	6,19	Climate Justice Fund	29,17
						7,23
			Financement à travers l’agence belge de développement (ENABEL)	2,5
Autres			« Pertes et prejudices »	1	« Pertes et préjudices»	2,4
Total financement (transféré et annoncé)		37,98		60,83		29,17
		7,9		73,83		9,63

Québec

27Le Québec est un État fédéré particulièrement actif sur la scène mondiale. La province partage notamment un siège avec le Canada à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en plus d’avoir développé un vaste réseau de représentation à l’étranger depuis les 50 dernières années (Paquin, 2018). L’une des assises du déploiement de l’activité internationale du Québec repose sur la doctrine Gérin-Lajoie, énoncée pour la première fois en 1965 (Painchaud, 1980). Cette doctrine soutient la prolongation des compétences provinciales à l’échelle internationale. Le Québec a ainsi justifié le déploiement de nombreuses activités internationales, dans plusieurs domaines, incluant celui de l’environnement. Au sein du régime climatique mondial, le Québec s’est engagé à respecter les principaux objectifs de l’Accord de Paris, en plus de déployer de vastes activités paradiplomatiques de manière bilatérale et multilatérale (Chaloux et al., 2021, pp. 5-6).

28La contribution du Québec à la finance climatique mondiale constitue une forme de stratégie paradiplomatique assez récente (Chaloux et al., 2021, pp. 6-7). Elle se réalise à travers plusieurs canaux. En matière de fonds multilatéraux, la province a récemment dédié 4,7 millions $US au Fonds pour les pays moins avancés (Gouvernement du Québec, 2020), 2,3 millions $US au Fonds pour l’adaptation de la CCNUCC (Climate Funds Update, 2020), et 1,58 million $US au Fonds pour les changements climatiques en Afrique (Banque africaine de développement, 2021). En 2021, lors de la CdP26 de Glasgow, le Québec a aussi annoncé une intention de rehausser sa contribution au Fonds pour l’adaptation de la CCNUCC à une hauteur de 10 millions $CAN (Gouvernement du Québec, 2021). Le Québec a aussi attribué 150 000 $US au Future Fund pour soutenir d’autres entités infranationales et leurs programmes de lutte contre les changements climatiques.

29En parallèle, la plus grande partie des contributions du Québec à la finance climatique est effectuée à travers son Programme de coopération climatique internationale (PCCI). L’aide financière versée dans ce programme représente 21 millions $US et a permis le soutien de 37 projets, dans 12 pays. Le PCCI vise à : « contribuer aux efforts de réduction des émissions de GES et d’adaptation aux impacts des changements climatiques dans les pays francophones les plus vulnérables, principalement par le transfert technologique et le renforcement des capacités, afin d’y favoriser un développement durable et une économie locale à la fois plus sobre en carbone et résiliente » (Gouvernement du Québec, 2019, p. 4).

30Le programme finance des projets touchant à au moins l’un de ses quatre objectifs directeurs, soit le développement économique, les technologies propres, la recherche, et le renforcement des capacités organisationnelles. Le premier objectif vise à encourager le développement économique local basé sur de faibles émissions de carbone et prône à accentuer la résilience des communautés aux changements climatiques. Le second objectif consiste à encourager le transfert de technologies propres d’origine québécoise et leur adaptation aux contextes locaux. Le troisième objectif touche à la recherche technique et scientifique ainsi qu’à la mise en œuvre des connaissances en matière de lutte contre les changements climatiques par les populations locales. Finalement, le quatrième objectif se concentre sur le renforcement des capacités et des structures de gouvernance locale (Gouvernement du Québec, 2016).

31Comme mentionné précédemment, la mise en place et le bon fonctionnement d’un tel programme demandent une implication beaucoup plus active qu’une contribution à un fonds multilatéral. Une analyse parue en 2021, la contribution du Québec, à travers le PCCI, dépasse largement le montant investi (Chaloux et al., 2021). En effet, le PCCI « vient renforcer le leadership climatique du Québec sur la scène internationale, en plus de mobiliser bon nombre d’acteurs publics, privés et de la société civile du Québec et de la Francophonie autour de projets significatifs pour les populations les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques » (Chaloux et al., 2021, p.14). Le programme et les activités paradiplomatiques du Québec en matière de finance climatique viennent renforcer la pertinence des gouvernements non centraux et leur contribution aux efforts mondiaux.

Wallonie

32La Wallonie constitue l’une des trois régions belges avec la Flandre et la Région de Bruxelles-Capitale. Le modèle de fédéralisme belge garantit de nombreux pouvoirs en matière de relations internationales aux régions fédérées. En effet, comme l’exprime Gayard : « les communautés et les régions ont obtenu au moment du passage à un système fédéral, en 1993, de véritables compétences internationales reconnues par la Constitution. La politique extérieure belge est alors pleinement fédéralisée par la mise en œuvre du précepte in foro interno, in foro externo, c’est-à-dire le prolongement externe des compétences internes » (Gayard, 2020, p. 311).

33Ce prolongement des compétences internes a entrainé, entre autres, la création de mécanismes de concertation entre les gouvernements régionaux et le pouvoir fédéral, afin d’élaborer les positions de la Belgique à l’international (Gayard, 2020). Un comité de concertation chapeaute des conférences interministérielles qui viennent assurer la concertation continue sur différents enjeux internationaux, afin de coordonner les parties prenantes et éviter les conflits entre les entités gouvernementales (Massart-Piérard, 2009, p. 178). Dans le domaine des changements climatiques, on retrouve la Conférence interministérielle de l’environnement (CIE), qui déploie le Comité de coordination de la politique internationale de l’environnement (CCPIE) (Gayard, 2020). Au sein du CCPIE, un groupe de travail est spécialement dédié aux enjeux climatiques. Ces mécanismes de concertation produisent une structure favorisant la participation des régions dans l’élaboration de la position belge sur le climat. De plus, cette dynamique est aussi favorisée par la participation de la Belgique au sein de l’Union européenne (UE). En effet, les régions et le pouvoir fédéral belge doivent fréquemment préparer leur position avant de la présenter à l’UE (Massart-Piérard, 2009). Ainsi, la participation à la finance climatique mondiale de la Wallonie a été grandement influencée par les concertations avec les autres entités belges. En fait, l’ampleur du financement déployé par la Wallonie est déterminée par un accord entre l’autorité fédérale et les régions qui fixe la part de chacun dans ce domaine. L’accord « attribue à la Région wallonne une participation de 8,25 millions d’euros par an jusqu’en 2020 au titre de financement international climat » (Agence wallonne de l’air et du climat, 2020). Alors que la participation de la région atteignait 8,25 millions d’euros par an jusqu’en 2020, la Wallonie a récemment annoncé son intention de bonifier sa contribution à la finance climatique mondiale à 13 millions d’euros (Wallonie, 2022).

34De plus, depuis 2016, la Wallonie a contribué à une hauteur de 22,66 millions $US au Fonds pour l’adaptation (Wallonie, 2020; Lee, 2021). Pour 2022, la Wallonie s’est engagée à offrir 5,3 millions $US supplémentaire (Wallonie, 2022). Le Fonds pour l’adaptation constitue la plus grande part de la finance climatique de la Région wallonne. La Wallonie a aussi offert, jusqu’à présent, un financement de 19 millions $US au Fonds pour les pays les moins avancés (FPMA). Elle prévoit bonifier son financement en 2022 avec 2,7 millions $US pour un total de 21,7 millions (Wallonie, 2022). Finalement, elle a contribué au Fonds vert pour le climat (FVC) pour une somme de 11,4 millions $US. Elle prévoit ajouter une somme de 400 000 $US pour 2022 et ainsi amener sa contribution totale à 11,8 millions $US (Wallonie, 2022).

35Parallèlement, la Wallonie contribue à des projets bilatéraux à travers un appel à projets périodique. Entre 2011 et 2018, la Wallonie a financé une quarantaine de projets dans le domaine des changements climatiques (Agence wallonne de l’air et du climat, 2020). Pour 2022, elle a annoncé collaborer avec l’agence belge de développement (ENABEL) et y contribuer à une hauteur de 2,5 millions $US. Pour gérer cet appel à projets et les contributions aux Fonds multilatéraux, elle a attribué à l’Agence wallonne de l’air et du climat (AWAC) un budget dédié au climat additionnel à l’aide publique au développement qui est déjà mise en œuvre par ses agences de développement (Agence wallonne de l’air et du climat, 2020). Aussi, la Wallonie est la deuxième entité à avoir consacré des sommes au chapitre des « pertes et préjudices », un enjeu considéré comme prioritaire par les pays en développement. Les « pertes et préjudices » peuvent être définis généralement comme les impacts des changements climatiques que les mesures d’adaptation ne peuvent pas prévenir (Carbon Brief, 2021). Ces dommages se produisent plus fréquemment dans les pays les plus vulnérables et les petits États insulaires, qui ont peu contribué aux changements climatiques. Dès lors, la question de la responsabilité du financement des réparations est soulevée. Quelques jours après l’annonce de l’Écosse en novembre 2021, alors qu’aucun gouvernement central ne s’est encore commis envers cet enjeu sur le plan du financement, la Wallonie a promis une contribution de 1 million d’euros pour cette initiative (Schalatek et Roberts, 2021).

Écosse

36L’Écosse a commencé à déployer des activités au sein du régime climatique international plus récemment (Mcewen et Bomberg, 2014). Plusieurs éléments peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, c’est seulement en 1999 que l’Écosse a récupéré son Parlement, ainsi que certains pouvoirs législatifs au sein du Royaume-Uni, après l’adoption du Scotland Act (Kooistra, 2017). Elle n’avait plus d’assemblée législative propre depuis son union avec le Royaume d’Angleterre en 1707. Aussi, comme le rappellent Mcewen et Bomberg (2014), jusqu’au départ du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), à la suite du référendum de 2016 et son retrait officiel en janvier 2020, l’Écosse devait piloter ses activités climatiques dans un jeu à trois niveaux (local, national et supranational). Durant cette période, l’Écosse a tenté d’influencer les positions nationales et les positions du Royaume-Uni au sein de l’UE. La négociation et la collaboration avec les représentants du Royaume-Uni s’effectuent au sein de structure informelle et faiblement institutionnalisée (Mcewen et Bomberg, 2014). En ce sens, le pouvoir d’influence intra-national de l’Écosse est beaucoup plus limité que celui de la Wallonie. Néanmoins, l’Écosse a développé des activités autonomes dans le domaine du climat en collaborant, notamment, au sein de regroupement d’entités infranationales comme la Under2 Coalition et le Regions4 (Gouvernement de l’Écosse, 2021a).

37En 2021, le gouvernement écossais réaffirme officiellement le paradigme de « good global citizen » comme pierre angulaire de son activité internationale (Gouvernement de l’Écosse, 2021a). Cette expression indique l’intention de l’Écosse à faire sa juste part pour s’attaquer aux défis mondiaux, comme la pauvreté, les injustices et les inégalités (Scottish National Party, 2021, p. 74). Ce paradigme, qui justifie et encadre notamment son action climatique, provient entre autres de la reconnaissance de la responsabilité historique de l’Écosse en matière de colonialisme, d’esclavage et de changements climatiques (Gouvernement de l’Écosse, 2022a). C’est dans ce cadre qu’émerge le principal programme de finance climatique mondiale de l’Écosse, le Climate Justice Fund qui s’inscrit dans cette perspective de lutte aux injustices et inégalités (Macdonald, 2021).

38Contrairement à la Wallonie et au Québec qui ont financé des fonds multilatéraux, l’Écosse concentre son financement climatique sous forme de transferts directs et de collaborations bilatérales. Depuis 2012, une part importante du financement climatique de l’Écosse est canalisée à travers son Climate Justice Fund (CJF). En 2012, l’Écosse a octroyé un financement de 3 millions de livres sterling dans ce Fonds, une contribution qu’elle a renouvelée en 2014. Ensuite, en 2015, elle s’est engagée à octroyer 3 millions de livres sterling supplémentaires annuellement de 2016 à 2021 (Gouvernement de l’Écosse, 2021b). En date de 2021, ce serait près de 29 millions $US qui auraient été accordés dans divers projets (Burlace et al., 2021, p. 14).

39Puis, en septembre 2021, l’Écosse a annoncé son intention de doubler sa contribution annuelle au CJF à 6 millions de livre sterling à partir de 2022. Le CJF assure un financement stable et anticipable pour un certain nombre de projets auprès de trois pays partenaires de l’Écosse, soit le Malawi, la Zambie et le Rwanda. À cet effet, l’Écosse et le Malawi ont lancé le Climate Challenge Programme Malawi en 2018 qui vise à favoriser le développement de la résilience aux effets des changements climatiques dans les communautés locales du Malawi. Environ 120 communautés rurales participent à ce programme en fonction de leurs propres besoins d’adaptation (Gouvernement de l’Écosse, 2019). Le Climate Justice Innovation Fund est un autre programme émanant du CJF. Celui-ci soutient des projets favorisant la résilience aux changements climatiques au Malawi, en Zambie et au Rwanda. En plus de ces programmes, l’Écosse a accordé des subventions pour d’autres projets dans l’esprit de justice climatique.

40Finalement, l’Écosse a été le premier gouvernement à offrir un financement dédié aux « pertes et préjudices », en annonçant lors de la CdP26 de Glasgow l’octroi de 2 millions de livres sterling à cet effet (Gouvernement de l’Écosse, 2021c). À l’heure actuelle, il n’existe pas beaucoup d’informations disponibles concernant l’opérationnalisation de cette contribution. Certains analystes suggèrent que cette contribution pourrait être administrée par le Climate Justice Resilience Fund (Kaplan et Dennis, 2021), une organisation de charité américaine créée en 2016 par la Oak Foundation. On retrouve aussi des mentions concernant la mise en place d’un fonds pour les pertes et dommages (Loss and damage fund) (Huq, 2021; Brown et Beer, 2021), bien qu’on ne retrouve pas de précision sur l’approche et les objectifs que celui-ci poursuivrait. Lors d’une allocution en juin 2022, la Première ministre écossaise a indiqué que les actions de l’Écosse sur cet enjeu s’articuleront à travers le partage des meilleures pratiques en matière de pertes et préjudices, le financement de la recherche sur le sujet effectué par le Stockholm Environment Institute et le International Centre for Climate Change and Development du Bangladesh, ainsi que la provision de financement pour adresser les dégâts de la tempête tropicale Ana au Malawi (Gouvernement de l’Écosse, 2022b).

41De plus, le gouvernement écossais utilise déjà une partie des sommes à travers le Climate Justice Resilience Fund pour soutenir les communautés qui ont été touchées par des désastres liés aux climats comme les inondations, les feux de forêt et les tempêtes tropicales (Gouvernement de l’Écosse, 2022b). Comme le démontrent les nombreuses initiatives annoncées, à travers sa contribution aux « pertes et préjudices », l’Écosse effectue un travail de recherche et développement des connaissances afin de paver la voie au développement éventuel d’une finance pour cet enjeu.

42Finalement, afin d’en évaluer sa performance et sa contribution, le gouvernement de l’Écosse a fait appel, en 2021, à une évaluation indépendante de son Climate Justice Fund (Burlace et al., 2021). Cette initiative vise à tirer des leçons et orienter les efforts futurs du gouvernement écossais (Gouvernement de l’Écosse, 2022b). Ce rapport d’évaluation a permis notamment d’illustrer les impacts des projets en cours et de souligner les pratiques à reproduire ou adapter. En plus de développer les connaissances et compétences des partenaires locaux et internationaux, ce type d’évaluation peut informer les autres gouvernements non centraux souhaitant contribuer à la finance climatique mondiale et à la justice climatique des bonnes pratiques et éléments à éviter (Burlace et al., 2021, pp. 74-78).

Discussion et conclusion

43Les changements climatiques représentent l’un des enjeux qui marqueront certainement le 21^e siècle. La gouvernance mondiale du climat ayant d’abord émergé autour des États et gouvernements centraux, les États fédérés, les villes et d’autres entités non étatiques occupent désormais un rôle de plus en plus important et multiplient les engagements internationaux de différentes natures (Morin, Fournier, et Paquin 2022). Il ne fait plus aucun doute que la gouvernance climatique est fragmentée, polycentrée et multi-niveaux (Ostrom, 2010). Face à cette observation, il est pertinent de s’intéresser au déploiement d’activités internationales en lien avec les changements climatiques par d’autres types d’entités que les États, comme les gouvernements non centraux.

44L’analyse de cet article s’inscrit dans un contexte où les gouvernements nationaux peinent à atteindre leurs objectifs en termes de sommes allouées et que peu de littérature existe sur la participation des gouvernements non centraux à la finance climatique mondiale. À ce stade, il est pertinent de comparer les trois cas étudiés et s’intéresser aux apports que ces activités peuvent avoir dans la lutte aux changements climatiques et plus précisément la finance climatique mondiale. Au chapitre de la finance climatique mondiale, le Québec, la Wallonie et l’Écosse figurent parmi les gouvernements non centraux ayant le plus contribué. Leurs contributions ont pris plusieurs formes et ont permis de financer de nombreux projets au sein de pays en développement. La diversité de leurs approches, des programmes qu’ils ont soutenus et créés, ainsi que de multiples canaux de financement auxquels ils ont contribué démontrent la pertinence de leurs activités et l’importance d’accorder une plus grande attention aux acteurs non étatiques en matière de finance climatique mondiale.

45L’étude de trois cas permet de relever une diversité d’approches utilisées par les gouvernements non centraux dans le déploiement de leur activité climatique mondiale en matière de financement. En effet, le Québec, l’Écosse et la Wallonie ont adopté des approches comportant des similitudes, mais aussi plusieurs différences. La Wallonie a principalement déployé son financement à travers les canaux multilatéraux, contrairement à l’Écosse et au Québec. En effet, la Wallonie concentre une grande part des sommes, qui sont déterminées à travers un accord avec les régions et l’autorité fédérale belge, au sein de fonds multilatéraux. Ainsi, depuis 2016, elle déploie environ 8 millions d’euros annuellement au sein de Fonds multilatéraux. À contrario, l’Écosse a presque exclusivement contribué à la finance climatique mondiale à travers son propre programme, le Climate Justice Fund, et semble focaliser son activité sur la collaboration avec quelques États partenaires, soit le Malawi, la Zambie et le Rwanda. De son côté, le Québec a adopté une approche plus diversifiée en contribuant à plusieurs fonds multilatéraux, tout en établissant son propre programme qui occupe une large part de son financement.

46Parallèlement, il est possible de distinguer la participation de la Wallonie à la finance climatique mondiale avec celles du Québec et de l’Écosse. En effet, les contributions de la Wallonie s’inscrivent dans le cadre d’un Accord entre les Régions et l’État fédéral. Ainsi, les contributions minimales de la Wallonie sont déterminées par cet Accord et sont rapportées au nom de la Belgique (Dekleermaker, 2019, p.17 ; Service public fédéral Chancellerie du Premier Ministre, 2018, art. 41). Pour leur part, les contributions des gouvernements de l’Écosse et du Québec sont formulées de manière autonome et parallèlement à celles de leur gouvernement central. Les contributions du Québec et de l’Écosse ont donc un caractère additionnel, comparativement à celle de la Wallonie.

47De plus, l’Écosse et la Wallonie jouent un rôle de pionnier dans la contribution à l’enjeu des « pertes et préjudices ». En effet, l’Écosse et la Wallonie, lors de la CdP26 à Glasgow, ont choisi d’octroyer du financement à l’égard des pertes et préjudices, enjeu considéré comme une priorité pour les pays en développement, mais qui n’avait jusqu’à ce moment fait l’objet d’aucun financement de la part des pays développés. Bien qu’en termes absolus, leur contribution financière reste plutôt modeste, soit approximativement 1 million $US pour la Wallonie et 2,4 millions $US pour l’Écosse, elles démontrent leur solidarité envers les pays en développement sur cet enjeu spécifique et favorisent aussi le développement de nouvelles pratiques porteuses et contributives à la gouvernance mondiale du climat (Åberg et Jeffs, 2022). Non seulement cette démonstration de leadership de la part de ces gouvernements non centraux a pu exercer une certaine pression pour que d’autres entités se joignent à elles (ce que fera le Québec lors de la CdP suivante à Charm-El-Cheikh), mais elle a aussi contribué à mettre à l’agenda politique la question du financement des pertes et préjudices par les pays développés (noter que cet enjeu a ensuite été intégré à l’agenda de la CdP27 en 2022).

48Les trois entités étudiées ont mis en place des programmes et des initiatives porteuses en matière de finance climatique mondiale ayant permis d’encourager d’autres États fédérés à adopter des approches similaires et peuvent constituer des contributions aux efforts de lutte aux changements climatiques. À ce titre, en 2019, la CCNUCC avançait que le PCCI « represents a subnational climate cooperation program that can be replicated by other developed subnational governments. Its success demonstrates that subnational governments can act to provide support and solidarity to the developing nations most impacted by climate change » (CCNUCC, 2019). En effet, les initiatives de ces entités montrent que, malgré les moyens modestes des gouvernements non centraux, leurs contributions peuvent servir d’exemple pour les gouvernements centraux, offrir des apprentissages importants, en plus de mettre à l’agenda politique l’importance de financer certains enjeux et de reconnaitre par conséquent la responsabilité historique des pays industrialisés, comme celui des pertes et des préjudices.

49Les initiatives de ces acteurs peuvent avoir un impact qui dépasse les sommes investies. La participation des gouvernements non centraux à la finance climatique mondiale permet de soutenir des projets conséquents, d’encourager la mise sur pied de nouveaux programmes de financement climatique, de servir d’exemples de collaboration et de mettre en lumière des enjeux très importants des négociations climatiques internationales. En initiant certaines pratiques, les gouvernements non centraux peuvent aussi paver la voie vers de nouvelles approches. S’il faut reconnaitre que les activités des trois cas étudiés ne sont que les premiers germes d’une action paradiplomatique en matière de finance, il n’en demeure pas moins que ceux-ci peuvent laisser présager un accroissement de l’action internationale des gouvernements non centraux et une reconnaissance de leur part de responsabilité dans la lutte contre les changements climatiques.

Nous tenons à remercier Hugo Séguin pour ses conseils sur les versions précédentes de cet article et ainsi que les deux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires. Nous tenons aussi à souligner le soutien du ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) du Québec et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada pour leur soutien financier.