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AccueilNumérosVolume 23 numéro 1Respirer l’urbain en asthmatique ...

Respirer l’urbain en asthmatique et/ou en allergique. Hospitalité des espaces publics urbains et airs anthropocènes

Anne Bossé, Théo Fort-Jacques et Magdalena Romay

Résumés

Dans quelle mesure l’expérience des espaces publics urbains peut-elle se comprendre comme une expérience atmosphérique qui met les corps humains en prise avec les transformations environnementales contemporaines ? À partir d’itinéraires avec des asthmatiques et/ou des allergiques, soit des individus hypersensibles à la respiration, cet article expose les premiers résultats d’une enquête qui vise à expliciter les manières dont les habitants se saisissent des conditions et des matérialités d’airs à l’heure de l’Anthropocène. Ce travail d’enquête est étroitement articulé à l’expérimentation d’une cartographie comme possible outil critique des mutations des espaces publics contemporains.

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Texte intégral

Introduction

1L’air peut-il permettre de penser le « prendre part » aux espaces publics urbains ? Comment oriente-t-il les pratiques urbaines ordinaires ? La pandémie de covid 19 et son traitement socio-politique l’ont montré avec une acuité sans précédent : qu’il s’agisse de se prémunir d’un air devenu menaçant ou de se ménager des accès aux espaces de plein air, l’air constitue une force de recomposition des espaces habités. Au-delà des effets de sidération, il importe de ne pas convoquer la respiration seulement sous un angle métaphorique et d’examiner les conditions matérielles et sensibles de l’expérience de l’air urbain telle qu’elle se déploie dans des situations ordinaires. Une telle entreprise est d’autant plus légitime dans un contexte où perdurent des discours incantatoires sur les vertus d’un « plein air » dépolitisé, alors même que l’anthropisation de l’atmosphère, les effets des activités humaines sur sa composition et ses dynamiques constituent des marqueurs manifestes de l’Anthropocène (Bonneuil et Fressoz, 2013). Cette notion souligne le rôle majeur des activités anthropiques dans les transformations du système terre, à commencer par la concentration exponentielle de CO2 dans l’atmosphère, aujourd’hui 50% supérieure en 2021 par rapport à l’ère préindustrielle – ce qui conduit Paul Crutzen, l’un des premiers à formaliser la notion, à dater l’Anthropocène aux débuts de l’ère industrielle et à l’invention du moteur à explosion. Si nous n’entrons pas ici dans les débats suscités par cette notion, que ce soit sur le plan historique (datation de l’entrée en anthropocène) ou sémantique (faut-il préférer la notion de capitalocène par exemple ?), précisons toutefois que le constat d’un nouveau régime climatique requiert de nouvelles formes d’attentions, de nouvelles manières de rendre compte de la relation sensible aux milieux.

2Dans cette perspective, il convient d’emblée de dénaturaliser l’air en optant pour le pluriel : nous parlerons ici des airs, voire des airs urbains, pour insister sur des conditions d’airs qui, tout en étant plurielles dans leurs configurations locales (à l’image des formes prises par l’urbain contemporain), sont étroitement liées aux processus d’urbanisation consubstantiels de l’Anthropocène (Lussault, 2022). Les sciences sociales et les humanités environnementales ont largement contribué à cette politisation en déconstruisant l’invisibilité longtemps supposée des airs urbains. Dans une perspective socio-historique pour montrer l’historicité des airs chargés (et de leurs effets dans la spatialisation des sociétés, notamment urbaines) et des différentes formes d’invisibilisation de leur toxicité (Zimmer, 2016 ; Jarrige et Le Roux, 2017). Dans une perspective de justice environnementale, pour montrer les inégalités sociales dans l’exposition aux airs toxiques (Paddeu, 2013). Dans une perspective d’écologie politique et des études urbaines, pour montrer et analyser différentes formes d’engagement par et pour l’environnement – de l’environnementalisme militant à l’environnementalisme ordinaire (Blanc et Paddeu, 2018). Dans une perspective d’anthropologie de la connaissance, pour réfléchir aux rapports entre expérience vécue et mesure scientifique et technique (L’Her, 2021 ; Charvolin et al., 2015 ; Faugère, 2002).

  • 1 La presse générale s’en fait régulièrement le relais. Voir par exemple l’article du Monde, « Maladi (...)

3De manière complémentaire à ces travaux, nous proposons de sonder la dimension politique de l’expérience de l’air depuis une approche sensible ancrée dans les champs de recherche des ambiances et des atmosphères, en assumant de faire porter l’enquête moins sur des formes de discrimination ou de domination à l’œuvre dans l’exposition aux airs toxiques, que sur les expériences ordinaires où peut se nicher le politique (Berger et al., 2011). Ainsi, saisir le politique dans les expériences atmosphériques revient à « documenter (aussi) l’imperceptible », à « apprécier affectivement » les situations, comme le propose Rachel Thomas (2021). Plus précisément, il s’agit ici de saisir en quoi l’expérience des espaces publics est aussi une expérience atmosphérique, qui met les corps humains en prise avec les transformations environnementales. L’augmentation des maladies respiratoires constitue un indice du caractère de plus en plus problématique de cette immersion atmosphérique1 : pour une part croissante de la population, les airs urbains peuvent se faire hostiles, ce qui pose la question de l’hospitalité des espaces publics, et donc la possibilité d’y cohabiter – entre humains, mais aussi avec les non-humains (Stavo-Debauge et al., 2018). Dans cette perspective, nous nous demandons comment les expériences de respiration en milieu urbain recomposent les espaces publics et interrogent leur hospitalité.

4Cet article souhaite ainsi porter à la discussion les bases de construction de notre recherche, actuellement en cours, qui vise à la fois à expliciter l’expérience des airs et à rendre sensible la manière dont la respiration nous engage dans les espaces publics. Nous avons décidé de cibler des individus en raison de leur vulnérabilité aux conditions d’airs et de mener l’enquête auprès de personnes asthmatiques et allergiques. Sollicités sur le principe du réseau d’interconnaissances, les individus que nous interviewons n’ont pas un suivi médical ou un protocole de prise en charge très encadré – voire ils se disent très peu malades -, et de fait ne sont pas membres d’associations de patients. Nous souhaitons tester l’hypothèse selon laquelle l’expérience ordinaire ou quotidienne, sans relever d’un engagement militant ou d’une politisation explicite, n’en est pas moins configurée par cette sensibilité aux airs, dans la mesure où elle engage des manières de sentir, d’agir et d’interagir spécifiques. Nous avons ainsi adopté une démarche relevant d’une « ethnographie pragmatique » (Céfaï et al., 2010) et déployé une méthodologie d’enquête in situ fondée sur la méthode des parcours commentés et des itinéraires. À ce stade, nous ne cherchons pas à dégager des formes de discrimination, mais bien à expliciter des expériences singulières au prisme de la respiration. C’est pourquoi nous visons une pluralité de cas, de l’asthmatique occasionnel ou plus sévère, à l’allergique peu gêné ou au contraire fortement affecté. La démarche ethnographique travaille en effet à partir de la combinaison des cas pour distinguer des structures plus générales – dans la perspective de la jurisprudence ethnographique ou d’une ethnographie combinatoire (Dodier et Baszanger, 1997). Mener ces entretiens en marchant, en suivant les habitants interviewés, c’est ainsi prendre au sérieux leurs respirations, les mots qu’elles appellent, les actes et les gestes qu’elles supposent, les affects par lesquels elles se manifestent, et les territorialités qu’elles dessinent. L’enjeu cartographique accompagne d’emblée la définition de notre recherche, parce que des outils de partage et de compréhension critique des espaces publics en lien avec les changements environnementaux nous semblent nécessaires.

5Afin d’éclairer ces hypothèses et méthodes de notre recherche, le texte adopte la structure suivante : la première partie vise à expliquer pourquoi et comment problématiser les espaces publics à partir de la respiration ; la seconde dresse un premier état des savoirs issus des itinéraires ; la dernière revient sur les enjeux de représentations de l’expérience de la respiration et de ses territorialités à partir d’un exemple de carte d’un itinéraire.

Espaces publics et expériences des airs à l’heure de l’anthropocène

  • 2 Ce que la sociologie urbaine a largement documenté depuis les travaux précoces de Simmel et de l’éc (...)

6En quoi une attention portée à la variabilité des conditions d’airs permet-elle de renouveler la compréhension de l’expérience des espaces publics ? Et en quoi décrire cette expérience sous l’angle de la respiration nous invite à réinterroger l’hospitalité des lieux ? Nous accordons ici une attention plus spécifique aux espaces publics de plein air. Rappelons que les sociabilités en public se déploient dans des espaces pluriels, dont les caractéristiques matérielles et géographiques, comme les pratiques qui les animent et les règlements qui en régulent les usages varient et doivent toujours être situés. En particulier, ces espaces peuvent être aussi bien extérieurs (tels que les classiques rues et places, mais aussi les espaces ouverts des territoires périurbains ou rurbains), qu’intérieurs (au sein d’une enveloppe architecturale, telles que les classiques passages couverts et gares, et les plus contemporains centres commerciaux et aérogares). En tant qu’espaces extérieurs, au sens de l’anglais outdoor, les espaces publics de plein air nous exposent non seulement à l’altérité dans sa dimension sociale2, mais aussi nous immergent au sein d’airs urbains à la fois altérés par des transformations globales et contrastés dans leurs configurations situées.

Le prisme de l’air pour questionner l’hospitalité urbaine au regard des transformations des milieux de vie

7Dans une perspective pragmatique, les espaces publics sont ici considérés non seulement dans leurs matérialités, mais aussi comme des espaces d’actes (Lussault, 2001), procédant de pratiques d’interactions (Joseph, 1996) et de modes sensibles (Chelkoff et Thibaud, 1992). Les espaces publics ne sont ainsi pas seulement sous nos pieds arpenteurs, mais aussi dans l’espace que nous mettons en commun (Fort-Jacques, 2010), et donc dans l’air que nous respirons. Aussi convient-il d’accorder toute son importance aux dimensions sensible et physique engagées dans la relation à l’air et, plus fondamentalement, à « l’émergence d’une sensibilité à l’existence atmosphérique de nos milieux de vie » (Thibaud, 2018a, p. 13). Espaces en devenirs, la labilité des espaces publics tient en outre à une pluralité de régimes d’engagements, entre étrangeté et familiarité (Stavo-Debauge, 2003). Être en plein air engage ainsi des modes de présence et d’interactions spécifiques, des états corporels, sensoriels et émotionnels singuliers (Charvolin, 2017) qui participent de l’expérience des espaces publics. De ce point de vue, l’hospitalité dont ils sont porteurs est moins un principe (Joseph, 1998) qu’une problématique qui tient à la manière dont les prises qu’ils offrent sont actualisées en situation (Bossé, 2015), dont l’air est constitutif.

  • 3 On désigne par pollution de l’air un ensemble de gaz et de particules en suspension dans l’air susc (...)
  • 4 Un travail d'ethnographie des pollens est actuellement mené par Gwendoline l'Her dans le cadre du p (...)

8Dans ce cadre, il apparaît nécessaire d’expliciter plus particulièrement la tension qui est au cœur des conditions d’air entre hospitalité et hostilité. Le plein air renvoie certes au « ″dehors à la fois comme l’exercice public de la citadinité et la pleine jouissance physique du grand air » (Breviglieri et Pattaroni, 2016, p. 18), à la possibilité de s’exposer aux « airs sauvages » (Doutriaux 2020), et de s’engager dans une expérience commune des airs au sens où ce que nous respirons est « le souffle d’autres vivants » (Coccia, 2016, p. 66). Pour autant, ce caractère commun est d’emblée problématique. D’une part, parce que le plein air n’échappe pas à des formes de fermeture ou de contrôle. On observe d’ailleurs que les techniques de conditionnement élaborées pour réguler les climats intérieurs (dans et par l’architecture) tendent à s’étendre à l’ensemble des espaces de vie pour former des milieux hyper-conditionnés (Requena et Siret, 2019). D’autre part, parce que dans un contexte anthropocène, les espaces publics sont traversés par les conséquences transcalaires des dégradations écologiques et climatiques (Roussel, 2010). D’origine anthropique, réchauffement climatique et pollutions transforment les conditions de l’expérience de l’air. Ces processus affectent non seulement les airs dans leurs propriétés3, mais aussi nos sensibilités aux substances qui les composent. D’un même mouvement, l’hospitalité des airs urbains et la capacité des organismes humains à être hôte des particules constitutives de l’air sont transformées. Le cas des pollens allergisants illustre bien ces interrelations entre réchauffement et pollutions, entre humains et non-humains, entre êtres vivants et composants inertes. En se réchauffant, l’air augmente et complexifie la présence des pollens dans l’air4. Les pollutions de l’air, elles, favorisent le développement d’espèces plus pollinisatrices, mais surtout, elles transforment les pollens dans leur structure : les particules fines présentes dans l’air fragmentent l’exine (l’enveloppe des grains de pollen) et libèrent plus d’allergènes.

9Il s’agit alors d’élargir les contours de ce que l’air respiré fait aux pratiques pour penser les compétences des citadins aux prises avec des conditions d’airs plurielles et variables. Revenir aux modalités de l’expérience urbaine, c’est revenir au corps dans l’espace public, à des corps différents, dans leurs capacités, dans leurs sensibilités à être immergés dans un milieu (Thibaud, 2018b ; Ingold, 2012). La crise écologique s’accompagne de réflexions conceptuelles renouvelées sur le corps (Latour, 2004) qui nous éloigne des figures idéal-typiques du passant ou du flâneur pour aborder les singularités propres des publics et étendre le champ de l’expérience urbaine aux parts biologiques et physiologiques de l’humain. Dans cette perspective, vouloir enquêter par la respiration, c’est penser d’emblée les échanges entre des corps sensibles et des atmosphères. Il est ainsi possible de s’attacher à ce qui des milieux s’enchâsse, s’imprègne, affecte en profondeur un corps pensé comme aerostat. Cette proposition conceptuelle de Engelmann (2014), insiste sur la compréhension d’un être vivant, humain ou non-humain, qui est poreux à l'espace aérien. Le corps, immergé, se comprend comme une densité d'air enveloppée, un système de pression, une créature pneumatique – ce qui ne doit pas s’entendre comme une relation harmonieuse ou symbiotique et permet au contraire de penser le rapport à l’air sous l’angle des problèmes qu’il pose dans un contexte de transformation des conditions d’air.

Investiguer l’espace public par la respiration, la condition d’asthmatique et d’allergique

  • 5 Pour plus d’informations, voir le site de l’Institut national de la santé et de la recherche médica (...)
  • 6 Pour plus d’informations, voir le site de l’Institut national de la santé et de la recherche médica (...)
  • 7 Sauf à plus long terme, les asthmes se déclarant tardivement sont en effet plus courants, car les t (...)

10Les pathologies allergiques respiratoires, asthmes et allergies, rendent palpable la manière dont les corps sensibles et situés sont affectés. Ces pathologies se traduisent communément par une difficulté à respirer, qui va de la rhinite à l’asthme sévère, et s’accompagnent d’autres symptômes (éternuements, nez qui coule, yeux qui grattent et piquent). Toutes deux sont étroitement liées à nos manières d’interagir avec nos environnements par la respiration. L’asthme5 est une inflammation chronique des bronches entrainant leur hyperréactivité à certaines substances ; dans les allergies, on constate un dérèglement immunitaire suite à une perte de tolérance vis-à-vis de substances allergènes a priori inoffensives6. Toutefois, nombreux sont celles et ceux chez qui ces interactions entre organismes humains et non-humains constitutifs des airs anthropisés ne créent pas de symptômes7, non que ces existants ne se déposent dans leur organisme, mais leur sensibilité peut être moindre. Par ailleurs, les travaux sur la qualité de l’air montrent, via une approche historique, qu’elle devient hors d’atteinte du sensible : la mesure de l’air se structure et devient une technique sophistiquée qui disjoint pollution et visible, pollution et odeur (Charvolin et al., 2015).

11Aussi, comprendre l’expérience des espaces publics d’individus asthmatiques et/ou allergiques, hypersensibles aux airs respirés, c’est méthodologiquement pouvoir accéder à des savoirs pratiques, des compétences sensorielles et spatiales qui nous importent et qui peuvent être moins conscientisés chez des individus moins sensibles et pourtant affectés. Les hypersensibles peuvent ainsi prendre l’équivalent du statut de lanceurs d’alerte ou de précurseurs (Chateauraynaud et Debaz, 2017, p. 394) au sein de dynamiques de controverses sanitaires et environnementales (Akrich et. al., 2013).

12Pour Nicolas Shapiro pourtant, la capacité à discerner les constituants à peine perceptibles des environnements (dans son cas, les airs toxiques domestiques) relève d’une « susceptibilité somatique et d’une capacité épistémique communes aux humains et souvent informées par des vies non-humaines » (Shapiro 2020a, p. 123). C’est par leur capacité à être « blessés chimiquement, même de manière infime, que les corps ont un pouvoir révélateur » (Shapiro 2020a, p. 124). À la faveur de ce qu’il nomme des syntonisations, les êtres humains peuvent « se transformer avec et s’orienter en fonction des constituants moléculaires des chimies domestiques, sans avoir nécessairement connaissance des substances chimiques auxquelles on est exactement sensible » (Shapiro 2020a, p. 124). Son étude révèle ainsi que « l’attention prêtée à de légères sensations et à de petits dysfonctionnements réoriente les discussions concernant la phénoménologie chimique. Elle nous invite à délaisser les événements olfactifs épisodiques les plus immédiatement évidents, au profit d’une appréhension du bruit de fond chimique de la vie quotidienne et de son pouvoir irritant » (Shapiro, 2020b, p. 161).

  • 8 Pour plus d’informations, voir le rapport de l’ANSES « État des connaissances sur l’impact sanitair (...)
  • 9 Pour plus d’information, voir l’enquête IPSOS pour la société française de pneumologie, « Les Franç (...)

13Nous nous situons ici dans une posture méthodologique similaire, que nous déployons au-delà de la sphère domestique, dans les espaces publics urbains, en nous attachant à comprendre et décrire comment chaque trajet, chaque parcours de la vie quotidienne consiste à s’accorder et à composer avec des conditions d’air dont le caractère problématique reste pour l’heure euphémisé. Si les maladies respiratoires éprouvent les organismes, ces épreuves ne font pas nécessairement l’objet de dénonciation ni d’enquête de la part des individus, en raison de cette quotidienneté, mais aussi parce que les maladies respiratoires sont largement minorées, sous-estimées par les médecins8 ou méconnues des malades eux-mêmes9. Que peut alors nous apprendre l’observation et l’écoute des asthmatiques et allergiques évoquant leurs tactiques, leurs faire avec dans les espaces urbains pour limiter la gêne, éviter la crise ?

Des itinéraires avec des asthmatiques et des allergiques : premiers résultats

14Pour récolter des données sur l’expérience sensible, nous avons mobilisé des méthodes d’enquête in situ inspirées des parcours commentés (Thibaud, 2001) et des itinéraires (Pasquier et Petiteau, 2001), qui consistent à faire coïncider la situation d’énonciation propre à l’entretien et la situation pratique décrite. Ce choix méthodologique permet non seulement de mettre en mots des expériences habituellement silencieuses, mais aussi de suivre l’habitant dans l’exploration de ses territorialités. Dans cette perspective, c’est la personne interviewée qui choisit le lieu où se déploie l’itinéraire. Ce choix du lieu est significatif parce qu’il donne à voir les épreuves respiratoires, mais aussi les ajustements tactiques mis en œuvre pour les limiter, qui relèvent souvent de l’implicite et du mode discret (mouvements du corps, choix de parcours, et cetera). Nos questions ont été posées dans le but de concentrer la perception des personnes vers leur propre gymnastique respiratoire, vers la sensation de leur souffle afin de saisir leurs sensibilités à l'air chargé et d’exprimer les affects de l’air. Les descriptions articulent ressentis corporels et physiologiques, perceptions sensibles et affectives vis-à-vis du milieu respiré dans lequel on est immergé, comme autant d’affordances sensibles. La question de la mémoire est également au cœur du récit (Augoyard, 2001), le parcours activant chez les interviewés une mémoire située, par exemple en relatant des crises passées ou en mentionnant des moments particuliers de leurs parcours résidentiels.

  • 10 À Nantes, plus particulièrement : les bords de Loire autour de l’Île de Nantes, les bords de la Sèv (...)

15Cinq premiers itinéraires ont été menés à partir de l’hiver 2021-2022 dans les espaces urbains de Nantes, Paris et Bordeaux (France) : K., est un homme d’une trentaine d’années, asthmatique allergique et asthme d’effort, diagnostiqué et bénéficiant d’un suivi médical plus ou moins étroit ; L. est une femme asthmatique allergique d’une vingtaine d’années sans suivi particulier de sa maladie ; N. est une femme d’une vingtaine d’années, qui se dit sujette à des allergies, mais sans avoir engagé de démarche de diagnostic ; C. une femme asthmatique d’une trentaine d’années, diagnostiquée dès l’enfance, suivie régulièrement jusqu’il y a trois ans, suite à un déménagement ; F. est allergique chronique, et a déclaré un asthme à l’âge de 60 ans. Nous avons également réalisé un entretien non directif classique avec M., un asthmatique très sévèrement malade, surtout dans l’enfance, et le suivi de groupes de soutien dédiés sur les réseaux sociaux. La diversité des pratiques de l’espace urbain est ici primordiale pour comprendre comment leur sensibilité à l’air influe sur leur expérience. Concernant les situations urbaines explorées, choisies par les personnes interrogées, notons que sur ces cinq premiers itinéraires, ce sont des espaces publics urbains centraux et péricentraux qui ont été ciblés, et, pour quatre d’entre eux, des espaces de berges de fleuve ou de rivière10, caractérisés par une forte présence de végétaux, plantés ou sauvages, plus ou moins imbriqués avec les espaces bâtis. Au fil de ces itinéraires, un élément est exprimé de manière récurrente, et permet de dégager une première caractéristique de l’expérience urbaine des asthmatiques : compte tenu du caractère limite de l’expérience de la crise d’asthme, il s’agit pour les individus interviewés de prévenir sa survenue et d’en limiter les manifestations.

Quand respirer pose problème : à quoi devient-on sensible ?

16Être asthmatique et/ou allergique se traduit d’abord par un régime d’attention singulier qui ancre en continu l’individu au milieu parcouru. Il semble que s’abstraire de cette attention aux ressentis des contacts à l’air soit presque impossible en plein air. De multiples manifestations de l’air sont évoquées. Tout ce qui relève, d’abord, de la météorologie. Les airs saisonniers, plus ou moins secs ou humides sont mentionnés, les airs localisés également, et notamment les différences entre ceux de bord de mer ou de montagne, rapportés aux changements de pression. Précisons néanmoins que les récits sont contradictoires sur ce qui offrirait un confort respiratoire favorable, rappelant que chaque asthme est unique et multifactoriel. Cette dépendance corporelle aux variations météorologiques se manifeste parfois de manière violente, à même de créer une crise : « J’ai un souvenir… Je suis allé me balader à côté de la maison, et je suis rentré en rampant, je ne pouvais plus respirer. Quand je dis en rampant, j’exagère, mais j’avais besoin d’être soutenu pour rentrer. Ça s’est fini à l’hôpital. En fait, il y avait un orage qui s’est déclaré. Avec un gros changement d’hygrométrie et de pression atmosphérique. Et ça a déclenché une crise assez rapidement. » (M., Nantes, 4 février 2022)

17On note qu’il est fait mention de situations reliées à une intentionnalité précise, vouloir se rendre à l’extérieur pour faire une activité particulière, comme courir ou faire du vélo par exemple. Dans cette perspective, des situations peuvent être mises à profit, telle la pluie printanière qui lessive les sols de leurs pollens :

« J'ai bien intégré que l'eau permettait d'éviter que les pollens volent. Ça les fixe au sol ou ça les envoie ailleurs. Pour moi, c'était plutôt bien niveau pollen, mais en même temps l'humidité en général ça ne me réussit pas sur le volet respiratoire. Pour le dire vite, quand c'est humide à cette période-là en novembre, ça va plutôt me gêner. Par contre, s'il a plu, une pluie printanière ou estivale, là ça va être hyper propice à courir sans avoir le risque d'allergie. » (K., Nantes, 24 novembre 2021)

18Les personnes interrogées mentionnent également les non-humains biotiques et abiotiques de l’air : les pollens, les graminées, les allergènes, et les éléments anthropiques, émanations de peintures, gaz d’échappement, fumée de bois, fumée de cigarette. Dans les récits, l’air est ainsi décrit comme étant chargé d’éléments avec lesquels le corps est en interaction problématique. Cela se traduit dans l’observation des pollens sur les berges, des nuages des fumées de barbecues ou de fumeurs, les voitures en accélération, les flux d’airs issus des parkings souterrains ou semi-enterrés. L’urbain est ainsi appréhendé comme un milieu aérien complexe qui est rattaché à des éléments matériels - qui ne sont pas nécessairement les sources d’une crise possible, mais des facteurs qui contribuent à les créer. On repère notamment une attention aux sols et aux microtopographies dans leur captation d’air : « Ce qui était aussi, je pense, désagréable c'était le fait qu'on était sur un sol où il y a, en été notamment, des émanations. Ce n'est pas de la terre, c'est du goudron, tu peux sentir que, pas que l’air est saturé mais… je ne sais pas comment dire. C'est peut-être des polluants ? Il y a quelque chose qui fait que d'un coup l'air, comme à l'image de la pollution de voiture, où là, le sol aussi nous renverrait des choses. » (K., Nantes, 24 novembre 2021)

19Les premiers signes de perturbations sont repérés et décrits : la gorge qui se serre, qui se met à gratter et cetera. Ces réactions corporelles inquiètent et sont des alertes d’une crise qu’il faut réussir à contenir. Un interviewé exprime avoir une sensibilité « à la saturation de l’air ». Sensations de brûlures ou de picotements dans les bronches, quand on inspire profondément, d’expirer avec des sifflements. Un autre explique « écouter ses poumons » et ressentir quand c’est inhabituel, évoquant une sensation d’encombrement ou de gonflement, voire d’eau. Quand les symptômes allergiques se situent dans l'œil, la douleur est décrite comme « un caillou dans l’œil ». En plus d’une attention aux passages de l’air et ses effets, des gestes, des disciplines corporelles s’imposent, en certaines saisons : se peigner les cheveux le soir pour éviter de disperser les pollens, ou, aux prémices de la gêne, s’endormir en position un peu relevée. On repère qu’une hypersensibilité à cette condition immergée dans l’air va ainsi de la gêne à la crise imposant un régime attentionnel qui relève rarement du mode mineur (Rémy et Denizeau, 2015), et plus vraisemblablement de l’hypervigilance à même de créer une fatigue attentionnelle.

20On constate cependant un écart, pointé par la littérature scientifique sur la pollution, entre ce qui est classé comme source potentielle de gêne ou de crise par les individus, et qui relève du visible et de l’olfactif (les fumées blanches ou noires de combustion, les pollens visibles et volants de certaines espèces ou autres) et la connaissance scientifique des pollens réellement allergisants, ou des polluants invisibles et qui entrent en réaction avec d’autres facteurs. On retrouve ce doute sur la justesse de leurs perceptions, par exemple sur une usine à bois et ses fumées : « mais est-ce que c’est pollué ? ». À ce stade de notre enquête, il se confirme que les interviewés n’ont pas une connaissance précise des facteurs et des sources de leurs allergies :

« Par exemple, c'était l'année dernière, mon frère a déclaré beaucoup plus d'allergies aux pollens, et moi j'étais moins embêté. Alors je ne sais pas si c'est en fonction des types de pollen qui se baladent, mais là je n'ai pas le détail de ceux auxquels je suis exactement allergique, du coup c'est globalement les pollens en général. Voilà. Je sais juste que pendant le printemps ça va être pire que pendant l'hiver. Mais après savoir sur les pollens et les différents types de plantes, non, je ne me renseigne pas. Ça ne m'intéresse pas trop... » (K., Nantes, 24 novembre 2021)

21Les interviewés aspirent à une vie normale et mettent à distance une maladie dont les épisodes vraiment critiques renvoient pour la plupart à l’enfance ou l’adolescence ; ils banalisent en effet la gêne liée à la qualité de l’air, le sujet n’est pas mentionné directement par eux-mêmes. Pour autant, il y a bien une écoute de son corps particulière constituée au cours du parcours biographique, fait de choix de traitements, du rapport à la médecine et d’événements singuliers, comme des déménagements qui conduisent à comparer des lieux, comparer ses réactions. : « J'ai vécu toute ma vie à Buenos Aires, et c'est vrai que j'avais plus de crises d'asthme là-bas qu'ici à Paris ! J'ai discuté de ça avec une autre copine, qui m'a dit que elle aussi, elle avait plus d'allergies en Argentine. Mais à Buenos Aires, je connais les rues où il y a les arbres qui ont le pollen qui me gêne. Je sais, quand je dois aller quelque part, les rues où il ne faut pas passer, parce que je sais que ça peut provoquer une crise. » (L., Paris, 1er février 2022)

22On constate une tendance à minimiser la maladie, à en limiter le caractère troublant pour affirmer au contraire un ordre de la vie normale, qui conduit à ne pas engager ne serait-ce qu’une préenquête. Néanmoins, tout en minimisant par le récit les conséquences pratiques d’une sensibilité à l’air, les descriptions situées esquissent une logique de l’adaptation et indiquent que s’il l’on vit normalement en asthmatique, bien vivre requiert un certain nombre d’ajustements. Les itinéraires dévoilent ainsi que circonscrire les manifestations de l’hypersensibilité ne passe pas seulement par le traitement médico-chimique, mais aussi par une série d’attitudes et d’ajustements pratiques qui ont une spatialité, et qui entrent en compte dans le rapport de configuration réciproque entre l’individu et le milieu constitutif des espaces publics.

Quand respirer pose problème : agencer l’urbain

23Les descriptions, notamment lorsqu’elles s’ancrent dans des situations spatiales précises, dessinent les contours d’une puissance de configuration par l’air de l’expérience urbaine au quotidien. Nous avons déjà évoqué cette vigilance (d’anticipation et dans l’action) à des situations où les configurations aériennes peuvent devenir problématiques, et que les interviewés cherchent à éviter. L’air apparaît alors comme un opérateur pratique, au sens où il oriente les pratiques, l’action et l’interaction. Il est ainsi impliqué dans la spatialité des individus qui « font avec » l’air au même titre qu’ils font avec l’espace. Il leur faut par exemple adapter ce qui relève du placement dans l’espace public dans le cadre d’interactions ordinaires, cela afin de prévenir des situations d’empiètement en se plaçant à l’écart et à distance : « Tout ce qui est espace avec des fumeurs, c’est très compliqué. Ça me gêne énormément. Donc du coup j’évite toutes ces genres de zones. Dans la mesure du possible. Après… J’avoue que ça peut être aussi passer derrière un bus, ça peut être pénible pour moi, mais ça fait plaisir à personne de passer derrière l’échappement d’un bus… » (M., Nantes, 4 février 2022).

24Ces adaptations relèvent également d’ajustements tactiques des itinéraires liés aux déplacements quotidiens. Il s’agit alors de choisir un parcours où l’on sera moins exposé à l’air chargé, en optant pour des détours et déviations ou des chemins de traverse. Cette manière de faire avec l’air en adaptant sa pratique est d’autant plus manifeste dans une situation où le corps et le souffle sont particulièrement sollicités, cela dans un contexte urbain contrasté. Par exemple, dans d’autres cas, en raison de variations du relief, modestes en apparence, mais qui constituent une source d’effort pour une personne souffrant d’une pathologie respiratoire. Dans un autre cas, la genèse d’un parcours de course à pied témoigne ainsi d’une série d’épreuves et d’ajustements où la question du souffle et de l’air apparaît centrale, non seulement du point de vue de l’exercice physique, mais aussi de sa dimension sociale. Un interviewé décrit une pratique de la course collective, où les choix des itinéraires ne sont pas arbitrés de la même manière en fonction de la sensibilité des différents individus à l’air. Dans certaines situations, il lui faut renoncer au parcours commun. On court ensemble, à plusieurs, mais respire-t-on le même air, et jusqu’à quel point l’expérience de l’espace est-elle commune ? Dès lors, si le parcours peut être considéré comme relevant d’un agencement (spatial), on peut avancer que l’air forme l’espace du parcours, qu’il oriente cet agencement :

« Des fois on se dit "on va faire dix kilomètres ", mais moi, je sais pas si c'est lié à (mon asthme), mais ce qui est sûr, c'est que j'étais moins attaché au nombre de kilomètres qu'au parcours en tant que tel. Par exemple, jamais je ne m'arrêtais au bout du pont là (Pont Willy Brandt). Ce pont, en fin de course, c'est juste horrible pour l'asthme. En fait, comme c'est un pont (légère montée/ légère descente avec les mains) les voitures accélèrent. Plusieurs fois, j'ai arrêté quand même avec mes amis de courir en bas de l’autre côté du pont. Mais en fait, récupérer sur le pont, c'est juste pas possible. Tu ne récupères pas. Après j'avais pris le pli de leur dire "bah non, on s'arrête là" (Allée Jacques Berque) et on reprend notre air. En plus c'est dégagé, il y a vraiment de l'air. Ça fait partie des petits trucs qui pour moi étaient importants, pour mes amis moins. D'ailleurs c'est vrai que ça a posé parfois problème, puisque moi je refusais vraiment de courir en ville, et en hiver, il y a eu des moments où on n’allait plus courir ensemble. Je m’en rends compte, là. En gros, moi je voulais absolument qu'on aille bord de Loire et très vite sortir d'un cadre urbain, en tout cas d'un environnement automobile… Et en hiver, c’est compliqué, il fait noir, c'est boueux. Eux me disaient "bah non, on va courir par là-bas" et moi je disais "bah moi, j'y vais pas". C'est clair que, si je cours c'est pour, justement, prendre de l'air. » (K., Nantes, 24 novembre 2021)

25Enfin, on repère que la sensibilité à l’air agit comme un discriminant spatial, au sens où elle définit des espaces, des enveloppes de respirabilité où l’on trouve refuge, où l’on reprend son souffle. Dans les situations critiques, liées à la survenue d’une crise, le grand air peut se révéler hostile au point de penser qu’il est préférable de rentrer respirer l’air domestique et de fermer les fenêtres :

« - Je me souviens toujours chez un ami, un fils d’amis de mes parents. On allait toujours chez eux et on ne pouvait même pas ouvrir les fenêtres parce que les petites fleurs, je sais pas, les pollens, commençaient à voler et mon ami et moi, on était tous les deux allergiques, donc il ne fallait pas ouvrir la fenêtre, sinon on allait faire une crise à deux.

- Donc c’était préférable de rester à l’intérieur, fenêtres fermées ?

- Oui, on fermait les fenêtres car c’était impossible sinon. On commençait à éternuer, on se grattait les yeux, on avait les yeux rouges, c’était très gênant. » (L., Paris, 1er février 2022)

26L’espace domestique apparaît dans les récits comme cet espace qui permet à la fois de s’extraire de l’environnement et de mettre en œuvre des techniques du corps pour retrouver son souffle et prendre soin de son corps en éliminant les restes du dehors, les particules de l’air chargé qui se sont déposées sur le corps et que l’on fait entrer dans l’habitacle du logement. En dehors de ces situations critiques, pouvoir rester au plein air suppose de préparer le corps - par la prise d’un traitement antihistaminique, à titre préventif, qui a pour but de désensibiliser - ou de l’équiper - en veillant à garder sur soi un bronchodilatateur de type Ventoline, conditionné sous forme de flacon pressurisé avec embout buccal, et qui vise à agir avant que la crise survienne. « C'est vrai qu'il y a des moments ça peut-être un handicap, j'ai appris à le gérer aujourd'hui, mais comme je le disais tout à l'heure, une allergie aux yeux, ou autre ça empêche de faire certaines activités. Tu rentres chez toi et tu te dis "Je me fous du sérum physiologique et deux coups de ventoline et puis je dors", voilà. Et la ventoline par exemple, maintenant je l'ai toujours sur moi. J'ai vraiment pris le pli de la garder. » (K., Nantes, 24 novembre 2021)

27À la lumière de ces premiers éléments se dégage une tension entre des aspirations à la banalisation de l’expérience et la réalité d’une condition sensible particulière. L’hypersensibilité des asthmatiques allergiques aux qualités de l’air urbain se traduit bien en actes, dans des gestes et dans des territorialités particulières. Elle appelle des ajustements pratiques plus ou moins manifestes et fait entrer l’air chargé dans les logiques de l’expérience et les manières de s’engager au quotidien dans les espaces publics. Mais ces adaptations, tout comme le régime de sur-attention qu’impose le bien respirer (pour ne pas déclencher de crise) restent pour l’essentiel de l’ordre de l’infra-conscient. L’expérience urbaine des asthmatiques allergiques semble politique de part en part, au sens où, d’une part, elle tient à des conditions d’air anthropisées et où, d’autre part, elle se traduit dans les manières d’être et d’être ensemble dans l’espace public. Mais les individus interviewés vivent la maladie comme une affaire privée ou intime. Ils ne la nomment pas en tant que telle, ou la minimisent, et donc ne s’engagent pas dans « un mouvement de victimisation, c’est-à-dire de qualification, en tant que victimes, de personnes atteintes de divers troubles » (Akrich et al., 2013, p. 7-52).

28Quand les individus interrogés ne savent pas exactement avec qui vivre, se désensibiliser et ajuster ses conduites constitue-t-il une manière de « devenir-avec » ou « vivre malgré » (Brives, 2020) les airs urbains ? Pour eux, il s’agit surtout de circonscrire les effets de la maladie en privilégiant des traitements qui visent à se désensibiliser et des ajustements pratiques qui consistent à se mettre à distance des situations problématiques. Le suivi des réseaux sociaux révèle que les individus sensibles focalisent leurs modalités d’action sur la recherche d’un lieu de vie plus favorable : il s’agit alors d’user individuellement de leur stratégie résidentielle, plutôt qu’affiner la connaissance de ce qui crée les symptômes et passer à une gestion spatiale plus micro-locale ou adaptative. S’ils n’endossent pas eux-mêmes la posture de sentinelles, ces individus peuvent néanmoins jouer ce rôle tant les ajustements pratiques qu’ils mettent en œuvre constituent des connaissances sur les comportements possibles à adopter qui pourraient être partagés. En effet, leurs manières d’être avec un milieu en transformations apparaissent comme une condition de l’expérience urbaine contemporaine jusqu’ici peu connue. Si l’on admet qu’un nouveau régime de sensibilité consubstantiel de l’expérience du dehors se met en place sur un mode discret, comment alors faire évoluer ce qu’est concevoir des aménagements ? Dans cette perspective, il importe de rendre ces expériences de la respiration manifestes, en redonnant une localisation au ressenti, ce qui passe ici par le travail de la cartographie sensible.

Expressions de la respiration et enjeux cartographiques : en quête d’un outil critique des espaces publics

29Dans notre recherche, l’hypothèse d’une recomposition des espaces publics par l’expérience ordinaire des conditions d’airs anthropocènes, le choix de la méthode des itinéraires, pour exprimer ces expériences et la manière dont elles interrogent l’hospitalité des lieux, et l’enjeu du recours à la cartographie pour rendre visibles et partageables ces dynamiques sont consubstantiels. Comment alors construire une carte, qui soit à la fois celle de l’expérience respiratoire d’un individu et celle des territorialités que cette dernière dessine ? Comment cartographier les espaces publics en lien avec les changements environnementaux, si l’on s’accorde à penser que la crise écologique demande de nouvelles représentations des territoires, de nos relations humaines aux milieux (Arènes et Grégoire, 2022 ; Brayer et al., 2019 ; Grégoire, 2019) ? La cartographie a été prise comme un outil à plusieurs dimensions et intentions qui se combinent. Si elle tient à la volonté de nourrir le débat, l’élaboration concrète de son dessin ne relève pas seulement de la représentation des itinéraires, qui interviendrait a posteriori. Elle constitue aussi et plus fondamentalement une manière de développer la réflexion sur la problématisation et l’argumentation de la recherche. La carte est ainsi conçue comme une expérience de conception dynamique et réflexive par le dessin, mais aussi comme un médium, qui pourrait se déployer dans la poursuite de cette recherche, dans l’esprit d’une recherche dite recherche-action, visant à contribuer aux évolutions des outils de conception architecturale, urbaine et paysagère.

30Nous proposons de développer ces questions au travers d’une carte en particulier, la première que nous avons élaborée d’après l’itinéraire réalisé avec K. Cet individu, déjà présenté, d’une trentaine d’années est asthmatique et allergique depuis l’enfance (acariens, poils de chat, pollens). Il a fait le choix de nous emmener sur son ancien parcours de course – il a déménagé au moment de l’itinéraire. Pour lui, vouloir faire un footing dans l’espace public urbain, c’est se mettre en situation limite et faire de son corps un dispositif total d’attention, au sens où le footing devient un certain volume d’air consommé, de manière variable et par phases, imposant notamment une gestion de la respiration sur la longueur de la course avec une fatigue qui, au fur et à mesure, devient plus importante. Le parcours en question se déploie sur les berges de Loire, autour de l’île de Nantes, où s’articulent le sol en béton de la promenade piétonne récemment aménagée, la végétation de ripisylve maintenue dans son caractère spontané, les circulations automobiles croisées à chaque franchissement de parcours, un parc urbain, les pratiques de rassemblement qui animent le parc du circuit rustique d'activités de plein air (CRAPA), localisé à la pointe est de l’île et situé sur le parcours.

31Avant de rentrer dans le détail de la construction de la carte, comme dans ce qu’elle nous apprend, donnons quelques points clefs de sa lecture globale. Au centre de la carte se trouve l’espace parcouru, ramené en une ligne horizontale. Au-dessus de cette ligne, des lignes superposées, correspondent chacune à un élément de la légende et peuvent se lire horizontalement, en ligne indépendante, ou verticalement, dans leur superposition, liées à un moment « t » de l’itinéraire. Au-dessous de la ligne du parcours, sept cadres consistent en autant de zooms, ciblant des situations rencontrées sur le parcours. Ces situations sont ensuite détaillées par des lignes de bustes et des pictogrammes de ressentis et de réactions de K. Le travail effectué sur la légende est essentiel et s’empare d’un des enjeux déterminants pour la carte, en relation aux objectifs de la recherche : cartographier l’air en tant que matière et rendre visible le caractère chargé de l’air (épaisseur, matérialité, texture), tout en montrant dans le détail les rapports des corps vivants des individus aux airs, dans leurs gestes, dans leurs diverses actions spatiales engagées.

Figure 1b. Légende de la cartographie de K.

Magdalena Romay

Cartographier l’air, repeupler les cartes

  • 11 Pour plus d’informations, voir le site de la Société d’objets cartographiques [en ligne], URL : htt (...)

32Quelle place l’air occupe-t-il dans les représentations cartographiques contemporaines ? Quelles sont les tentatives de faire de l’air le « thème », c’est-à-dire « la substance » de la carte (Lévy et al., 2004) ? Les sciences météorologiques et atmosphériques, mais aussi, et plus proches de notre sujet, les études urbaines sur des questions d’ambiances dans l’espace public (Tixier et al., 2011) ainsi que les approches bioclimatiques de l’architecture (Rahm et Scuderi, 2020 ; Rahm, 2017, 2009) se construisent autour de l’air et des phénomènes météorologiques de l’atmosphère. Transects, coupes architecturales sont des représentations usuellement investiguées pour rendre compte des flux et des mouvements d’airs, des types d’échanges entre des surfaces et des corps, et annoter des perceptions, des vécus, des ressentis. Dans le domaine plus strict de la cartographie, les recherches graphiques récentes de la Société d’objets cartographiques (SOC)11 pour « repeupler les cartes », mettre en avant les interactions entre humains et non-humains et avoir une compréhension plus écosystémique des milieux – soit accorder par exemple une « place » à l’atmosphère et valoriser les échanges qui la transforment – conduisent à redéfinir et transformer radicalement le langage et les référentiels de cartes dites potentielles (Aït-Touati et al., 2019).

33Ici, la multiplicité spatiale et temporelle des rapports aux airs, et le parti pris de les saisir depuis l’expérience et le récit en mouvement, inscrit notre recherche de représentation dans le domaine des cartographies sensibles (Olmedo, 2015), et plus précisément des parcours ou itinéraires augmentés (Feildel et al., 2016), qui assument une représentation temporelle de l’espace et offrent de travailler à un séquençage. Sans problématiser plus avant cette opération, nous pouvons mentionner des travaux qui nous ont guidé pour le dessin : des approches de représentations architecturales et urbaines qui engagent des procédés cinématiques, des map scores (Christmann, et al., 2018 ; Halprin et Halprin, 1975), ou encore des corpographies (Berenstein et Dultra Britto, 2012). Rendre compte de l’espace parcouru par une ligne horizontale au milieu de la carte permet de déployer une représentation qui se situe entre la cartographie et le graphique bidimensionnel, voire le tableau (entrée abscisse, entrée ordonnée). Ce choix graphique offre deux sens de lecture au document, qui se parcourt de gauche à droite, de bas en haut. Il permet d’agencer différents types de données et de dessins proposés, et invite à chercher des liens, des causalités entre des conditions d’airs et des perceptions.

34Dans cette optique, les lignes au-dessus du parcours ont vocation à mettre en suspension les composants de l’air et à rendre visible ce qui ne l’est pas à l’œil nu en augmentant certains composants.

Figure 2. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Figure 2. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Rendre visible l’air chargé : amplification des pollens et représentation des sols

Magdalena Romay

35Les divers phénomènes météorologiques (température, hygrométrie, courants d’air ou vents) s'expliquent à une échelle moléculaire et l’ensemble des composants biotiques et abiotiques qui habitent ou structurent l’air ont une forme. Ce travail graphique qui vise à décortiquer la matière passe par une approche microscopique, particulaire, voire granulométrique – et commence dès le travail de définition de la légende. Ainsi cohabite de manière synchrone ce qui était exprimé de manière diachronique et fragmentée dans le récit : fumées, émanations, pollens, particules et poussières constitutifs des airs urbains, imbriqués et indissociables d'autres systèmes terrestres, minéraux et animés. Le sol par exemple est décrit dans son épaisseur, dans ses matérialités différentes.

36La carte se complète, dans cette logique, de gestes, de comportements corporels et/ou sensoriels des interviewés sur lesquels nous avons porté notre attention en tant qu’ils sont ce par quoi se traduit la sensibilité atmosphérique (Thibaud, 2018b ; Ingold, 2011). La notation code ainsi des réactions corporelles et des gestes, des manifestations physiques et ressenties et des actions spatiales. Pour aller plus loin, rentrons dans le détail de la carte de K.

Devenir critique de la carte : ce que révèle un parcours de footing de l’espace urbain respiré

37Le travail cartographique consiste en quelque sorte au montage des différents éléments constitutifs de l’itinéraire : le parcours lui-même, comme long plan séquence, qui correspond au récit en marchant, avec tout ce qu’il met en relation : des digressions biographiques, des contingences géographiques et microbiologiques, des gestes sensibles, et cetera. Ainsi se dessine, par la carte, une double mise en tension, qui permet de caractériser l’expérience respiratoire : d’une part, le parcours est à la fois continu et séquencé par des situations d’épreuves ; d’autre part, l’expérience in situ articule une géographie transcalaire et des temporalités qui en excèdent le cadre tout en informant l’expérience.

38Dans le cas de ce parcours de course, la carte permet de restituer à la fois la continuité du parcours – la ligne horizontale - et la discontinuité des conditions d’air et des situations de respiration traversées, notamment via le dessin des zooms qui visent à mettre en évidence des micro-épreuves situées.

Figure 3. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Figure 3. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Focaliser l’attention sur des situations problématiques qui séquencent le parcours

Magdalena Romay

39Pris dans sa globalité en effet, l’itinéraire dessine une territorialité presque familière, qui pourrait être assimilée à un itinéraire routinier. Pour autant, le séquençage montre bien qu’il ne s’agit pas d’une « géographie tranquille » (Di Méo, 1999), mais plutôt d’un agencement complexe où entrent en interaction problématique le corps en activité physique intense et l’ensemble du milieu urbain, qui n’est plus alors un simple support ou terrain de jeu, mais qui participe de l’itinéraire. Dans ce temps du parcours par exemple, on peut saisir comment les émanations du sol, ici le sol d’une « coronapiste » peint en un motif multicolore par une peinture jugée « agressive », se superposent à des conditions atmosphériques.

Figure 4. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Figure 4. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Identifier des conjonctions de conditions d’air qui orientent la pratique

Magdalena Romay

40Ces conditions d’air situées se traduisent autant dans le parcours lui-même que dans l’expérience vécue depuis le corps, par une gêne physique localisée dans les voies respiratoires supérieures et le choix d’une prise d’air en particulier, vers la Loire. Se plonger dans la carte, c’est appréhender sous un nouvel angle des activités telles que longer les berges de Loire, aménagées en un espace public de déambulation, ou traverser un parc accueillant différentes formes de rassemblement, notamment autour de barbecues. Il s’agit de s’immerger dans des conditions d’airs spécifiques liées au climat, mais aussi à la topographie, à la végétation et à la coprésence d’activités qui contribuent à des qualités d’air dont les degrés d’hostilité ou d’hospitalité conduisent à ajuster les parcours. Ainsi conçue, la cartographie rend visible l’intrication de la respiration d’un air chargé et de l’expérience de l’espace public.

41L’itinéraire permet également de relier ce qui se joue dans l’espace-temps effectivement parcouru lors de l’entretien et un hors-champ avec lequel il est en relation dialogique. Ces autres lieux convoqués, les épisodes marquants sont représentés en rouge.

Figure 5. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Figure 5. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.

Figurer des digressions biographiques consubstantielles d’une géographie transcalaire

Magdalena Romay

42Arpenter le lieu en explicitant l’expérience de l’air, c’est aussi articuler des éléments biographiques diachroniques. K. mentionne des souvenirs aériens qui reviennent en cheminant, montrant un rapport à l'air qui n'est pas univoque, ni spatialement ni temporellement. Une période de vie à Munich est notamment déterminante. L’air sec munichois se traduit par une gêne prégnante, qui conduit K. à sortir de la simple attention discrète à sa respiration. Il lui faut en passer par la prise d’une médication permettant d’hydrater et humidifier l’ensemble des voies respiratoires. Dans cette épreuve, K. comprend la totalité de son appareil respiratoire, apprentissage lié à la défamiliarisation de cette période de vie sous un autre climat.

43Chaque itinéraire est ainsi un agencement spatial et temporel, il ne se borne pas à l’espace traversé ni au temps de l'entretien, mais il construit plutôt une aero-biographie. Précisons toutefois que la carte représente l’expérience de l’air telle qu’elle est décrite par l’individu interviewé : elle n’établit pas de lien de causalité entre les différentes manifestations – causalité sur laquelle K. n’enquête d’ailleurs pas, comme cela a été signalé plus haut. Ce n’est pas non plus l’exactitude du parcours qu’elle reproduit, mais la véracité de l’expérience qu’elle traduit – puisque l’itinéraire et sa cartographie constituent un moment d’explicitation et d’interprétation qui inscrivent l’expérience in situ dans un agencement plus large. Pour cette raison même, la carte déstabilise le regard, participe d’un mouvement d’explicitation d’un trouble et revêt par là même une dimension critique et une dimension potentielle, qui engagent deux pistes d’approfondissement.

44La carte se veut critique dans la mesure où sa lecture dénaturalise les conditions de respiration ordinaires. Elle donne à voir les recompositions conjointes des climats et atmosphères et des pratiques, des modes d’être individuels ou collectifs, dans les espaces publics de plein air. L’appréhension globale de la carte crée ainsi un trajet de l’œil qui performe les liens (Brayer et al., 2019) entre aménagements, sensibilités et conditions d’airs, qui se cristallisent dans des épreuves micro-géographiques : si chaque ligne peut être en soi une information, la lecture verticale fait office de portrait des configurations aériennes, plus ou moins hospitalières. Augmenter ce corpus de cartographies doit permettre, nous l’espérons, de contribuer à une critique de la fabrique des espaces publics en offrant une diversité d’expériences vécues – il semblerait possible de constituer une grammaire particulière des affectations atmosphériques dont ils sont le lieu. Chercher, en parcourant la carte, à tracer ce qui porte atteinte au confort respiratoire d’un individu en particulier invite à porter attention aux vécus sensibles des autres et à élargir le concernement. On touche ici à la dimension potentielle de la carte, dans la mesure où elle est susceptible de contribuer au renouvellement de la conception des espaces publics. Grâce à la force de la représentation dessinée, l’objet de cette carte est en effet de conscientiser cette expérience sensible, de signaler ce qui la conditionne et d’en montrer les effets, de décrire les gestes qu’elle implique pour se tenir-là. Dans cette perspective, rejouer la carte, comme une partition, constitue une piste à explorer : déambuler carte en main avec des concepteurs, des aménageurs, des élus, des professionnels de la santé et autres acteurs sur ce territoire engagerait une réflexivité opérationnelle, sur les enjeux et ressorts d’une conception avec les conditions de respirabilité et les dynamiques du vivant.

Conclusion

45Cet article visait à ouvrir une discussion sur les manières dont l’air peut participer à problématiser l’hospitalité des espaces publics à l’heure de l’anthropocène. Il cadre un programme de travail, met en perspectives ces potentiels, qui nous permettent de préciser les suites à donner à cette démarche exploratoire. Ce programme de recherche que nous ouvrons demande de sortir de la représentation d’un air absent, invisible ; les airs que nous respirons orientent les manières de nous engager en public et s’il faut s’attacher à ce qui qualifie des environnements hospitaliers via les activités qu’ils permettent et autorisent, il faut aussi saisir de quoi les airs sont chargés et comment ils interagissent avec les corps, autour et en eux – le virus révèle si parfaitement que l’humain n’est pas séparé de son environnement, mais qu’il en est un des hôtes (Brives, 2020). La respiration des asthmatiques et des allergiques permet alors d’aborder les pistes d’un devenir avec les airs anthropocènes, avec les « vastes écologies chimiques dans lesquelles nous mijotons » (Shapiro, 2020a, p. 127) et d’interroger les configurations précises, d’hostiles à hospitalières, des espaces publics. Nos représentations des espaces publics demeurent aux prises avec un mythe de l’extérieur vertueux, de configurations qui y seraient plus ouvertes, car librement aérées, alors même que la toxicité y est manifeste. En restituant l’intrication problématique des sensibilités, socialités et matérialités qu’implique l’expérience de la respiration, la cartographie expérimentée ici se veut à la fois outil de description critique des espaces publics de plein air et vecteur possible d’un ancrage du débat public dans des situations vécues.

46Sur la piste de quels compromis les asthmatiques et allergiques peuvent-ils nous conduire, eux pour qui bien respirer ne va pas de soi ? Ils confirment que les seules dynamiques d’ouverture et d’accessibilité ne caractérisent pas l’hospitalité des espaces publics, tant les conditions de respiration ne sont pas également distribuées. Ils détaillent les ajustements pratiques situés, emblématiques d’un souci du souffle qui exerce une emprise au quotidien sur le corps. À la manière de sentinelles, ils décrivent les épreuves qui jalonnent l’expérience ordinaire des airs en commun, tant se prémunir de l’irritation prévaut, y compris dans les espaces très végétalisés de la ville renaturée ou des lieux associés aux sociabilités caractéristiques de la ville accueillante. On repère des configurations d’air labiles et dynamiques à même de défaire l’hospitalité d’un espace, mais aussi des configurations où l’hostilité est un déjà là avec lequel les individus composent. Les itinéraires aérographiés donnent ainsi à voir comment l’air forme l’expérience des espaces publics et mérite d’être pris au sérieux. Se prémunir peut en effet passer par l’espace, et l’enjeu d’une conception des espaces publics avec les airs est essentiel.

La recherche au centre de cet article s’intègre et bénéficie du très riche et stimulant environnement de travail de l’équipe de l’ANR Sensibilia, plus d’informations voir le site internet [en ligne] URL : https://sensibilia.hypotheses.org/.

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Notes

1 La presse générale s’en fait régulièrement le relais. Voir par exemple l’article du Monde, « Maladies respiratoires : bien respirer doit devenir un droit fondamental » [en ligne], URL : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/12/06/maladies-respiratoires-bien-respirer-doit-devenir-un-droit-fondamental_6153222_1650684.html

2 Ce que la sociologie urbaine a largement documenté depuis les travaux précoces de Simmel et de l’école de Chicago, de la microsociologie d’Erving Goffman et d’Isaac Joseph, notamment.

3 On désigne par pollution de l’air un ensemble de gaz et de particules en suspension dans l’air susceptibles de nuire à la santé et à l’environnement. S’il est convenu de distinguer des polluants d’origine anthropique (tels que les composés organiques volatiles) et ceux d’origine naturelle (pollens, microparticules issues d’origine volcanique), il apparaît de plus en plus délicat d’isoler ces sources les unes des autres au regard des interactions systémiques qui caractérisent l’atmosphère.

4 Un travail d'ethnographie des pollens est actuellement mené par Gwendoline l'Her dans le cadre du prolongement de sa thèse de doctorat et d'un projet postdoctoral autour de la surveillance de la qualité de l'air (financement Ademe). Nos échanges ont particulièrement nourri ce texte.

5 Pour plus d’informations, voir le site de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale [en ligne], URL : https://www.inserm.fr/dossier/asthme ainsi que le site de l’association Asthme et allergies [en ligne], URL : https://asthme-allergies.org/asthme/.

6 Pour plus d’informations, voir le site de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale [en ligne], URL : https://www.inserm.fr/dossier/allergies Ainsi que l’émission « Allergies respiratoires : sortez les mouchoirs » sur France Culture [en ligne] URL ; https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/allergies-respiratoires

7 Sauf à plus long terme, les asthmes se déclarant tardivement sont en effet plus courants, car les trajectoires de malades ne sont plus seulement génétiques, mais bien environnementales comme nous le développons.

8 Pour plus d’informations, voir le rapport de l’ANSES « État des connaissances sur l’impact sanitaire lié à l’exposition de la population générale aux pollens présents dans l’air ambiant » [en ligne], URL : https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2011sa0151Ra.pdf

9 Pour plus d’information, voir l’enquête IPSOS pour la société française de pneumologie, « Les Français face à la santé respiratoire » [en ligne], URL : https://splf.fr/wp-content/uploads/2021/12/CP_Ipsos-pour-la-SPLF-Les-Franc%CC%A7ais-face-aux-enjeux-d-e-sante-respiratoire-V2.pdf

10 À Nantes, plus particulièrement : les bords de Loire autour de l’Île de Nantes, les bords de la Sèvre nantaise et ceux de la Chézine. Au fil des entretiens, on voit ainsi se dessiner progressivement l’ensemble des ripisylves qui forment « l’étoile verte », nom donné par le paysagiste Gilles Clément à ce réseau de cours d’eau pour souligner son potentiel structurant dans le cadre de stratégies d’aménagement urbain fondées sur la renaturation.

11 Pour plus d’informations, voir le site de la Société d’objets cartographiques [en ligne], URL : http://s-o-c.fr/index.php/about/bios/

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Table des illustrations

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Titre Figure 2. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.
Légende Rendre visible l’air chargé : amplification des pollens et représentation des sols
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Titre Figure 3. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.
Légende Focaliser l’attention sur des situations problématiques qui séquencent le parcours
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Titre Figure 4. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.
Légende Identifier des conjonctions de conditions d’air qui orientent la pratique
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Titre Figure 5. Extrait de la cartographie de l’itinéraire de K.
Légende Figurer des digressions biographiques consubstantielles d’une géographie transcalaire
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Bossé, Théo Fort-Jacques et Magdalena Romay, « Respirer l’urbain en asthmatique et/ou en allergique. Hospitalité des espaces publics urbains et airs anthropocènes »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 23 numéro 1 | Avril 2023, mis en ligne le 03 avril 2023, consulté le 25 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/39895 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.39895

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Auteurs

Anne Bossé

Architecte et géographe, Maîtresse de conférence ENSA Nantes, membre du laboratoire AAU-CRENAU, UMR 1563, France, adresse courriel : anne.bosse@crenau.archi.fr

Théo Fort-Jacques

Géographe, Maître de conférences ENSA Lyon, membre du laboratoire AAU-CRENAU, UMR 1563, membre associé du laboratoire EVS-LAURe, UMR 5600, France, adresse courriel : theo.fort-jacques@crenau.archi.fr

Magdalena Romay

Architecte diplômée d’État, adresse courriel : m.romay.architecture@gmail.com

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Droits d’auteur

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