Introduction

2L’objectif de cet article est de quantifier les volumes de petits pélagiques débarqués par les pêcheurs migrants dans les industries de farine de poisson du Sénégal, de la Gambie et de la Mauritanie. La revue de la littérature conclut que ce genre de quantification n’a jamais été conduite et donc cet article présente pour la première fois de tels résultats quantitatifs (Belhabib et al., 2018 ; Tacon & Metian, 2018). Les résultats sont issus de travaux de terrain avec les instituts Nationals de recherche des trois pays et auprès des pêcheurs migrants et mareyeurs pour recueillir des informations. La méthode a consisté d’abord à identifier les différents pêcheurs migrants ciblant les petits pélagiques déployés en Mauritanie et en Gambie. Puis à faire des entretiens auprès de ces pêcheurs migrants et mareyeurs afin de collecter le pourcentage moyen des captures destinées aux usines de farine de poisson. Ce travail a été effectué pour chacun des groupes de pêcheurs migrants localisés : les pêcheurs sénégalais en Mauritanie et en Gambie, et les pêcheurs guinéens en Gambie. En appliquant la ration de conversion poisson / farine (4 kilogrammes de poisson pour 1 kilogramme de farine), les quantités de farine issue des approvisionnements annuels de la pêche migrante ont pu être déterminées (Acosta-Alba et al.2022). Enfin, les résultats de cette étude et une revue de la littérature scientifique sur le sujet ont permis une discussion sur la problématique de l’émergence des industries de farine en Afrique de l’Ouest et les conséquences sur la durabilité des stocks de petits pélagiques et la sécurité nutritionnelle des pays en développement.

3Ce travail constitue une valeur ajoutée indéniable par rapport aux travaux entrepris par des organisations internationales et projets de développement à évaluer les quantités de petits pélagiques transformées annuellement en farine. Des évaluations biaisées cependant par l’absence d’enregistrement des captures et des débarquements de la pêche migrante, que ce soit dans les pays d’origine ou celui de pêche. La plus-value de ce travail est l’identification et l’estimation des quantités annuelles capturées par les pêcheurs migrants ainsi que le fait de déterminer avec les pêcheurs migrants et les administrations des pêches des pays la part destinée aux usines de farine (Dème et al., 2022 ; Dème et al., 2021 ; Failler et Ferraro, 2021). En mettant à jour des données jusque-là inconnues et qui ne sont pas généralement associées à la problématique de la transformation de farine de poisson des petits pélagiques et de la pêche migrante, il contribue à une meilleure connaissance des enjeux. Il appelle par ailleurs les politiques publiques à les associer pour s’engager efficacement dans le processus de gestion des ressources.

4Cet article est structuré en quatre parties. Dans une première partie, nous présentons la pêche migrante en Afrique de l’Ouest ciblant les petits pélagiques dans les pays étudiés. Dans une deuxième partie, nous présentons notre méthodologie. Dans la troisième partie, l’importance des captures des pêcheurs migrants de petits pélagiques débarqués est abordée ainsi que la cartographie de la part destinée aux industries de farine et huile de poisson. Enfin, la quatrième partie engage une discussion sur l’émergence des industries de farine de poisson en Afrique de l’Ouest et de leur collaboration avec les pêcheurs migrants. Nous concluons en recommandant une meilleure gestion de la pêche migrante qui doit être orientée en priorité vers le marché local pour promouvoir la sécurité alimentaire des populations ouest-africaines et assurer la durabilité des stocks de poissons pélagiques.

La pêche migrante ciblant les petits pélagiques en Gambie et en Mauritanie

Cadre théorique et conceptualisation de la pêche migrante

5Les pêcheurs migrants sont une partie intégrante du paysage de la pêche ouest-africaine (Failler et al., 2020). Les pêcheurs Saint-louisiens, Lébous et Nyominkas du Sénégal, les Temnés de Sierra Léone et les Fanti du Ghana ont animé les mouvements migratoires ouest-africains dès la fin du 19e siècle (Dème et al., 2022). En effet, la voie maritime a joué un rôle important dans le développement de l’économie informelle ouest-africaine dans les années 1980-1920 (Binet et al., 2023). Ce nouvel essor économique a permis aux pêcheurs artisans de repérer les zones de pêche propice et d’intensifier la navigation le long des côtes ouest-africaines (Failler et al., 2020 ; Failler et Binet, 2010). C’est ainsi que les débarquements de la pêche artisanale connaissent un essor à la fin du 19e siècle et au début 20e (Failler & Binet, 2010). Ils approvisionnent les marchés nationaux (notamment les centres urbains en expansion) et régionaux (sur les zones du littoral qui concentrent l’activité économique). La pêche artisanale, pratiquée jusque lors dans les foyers maritimes historiques du Nord de la zone (Wolofs et Lébous du Nord Sénégal, Nyominkas du Saloum), se délocalise partiellement vers ces nouvelles zones économiques le long du littoral (Failler & Ferraro, 2021). Ces ethnies assurent ainsi l’essentiel des pêches piroguières de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie et inscrivent les migrations de pêche à l’échelle du littoral atlantique africain tout entier (Déme et al., 2020). Progressivement (au milieu du 20e siècle), ils ont été enrichis par ceux des Soussous de Guinée, des Diolas de la Casamance et des pêcheurs autochtones du fleuve Gambie ainsi que des Wolofs de N’Diago en Mauritanie. Des travaux de Chauveau (2000) ont montré que le développement de l’économie d’échange de 1920 à 1940 a été décisif dans le développement de la pêche migrante. À ce propos, Chauveau mentionne que les migrations s’intensifient avec le développement de l’économie d’échange sur les côtes et l’arrivée de nouveaux pêcheurs dans le secteur, influencés par les pêcheurs migrants exerçant dans leur zone de pêche traditionnelle. Cette période reste marquée par une complexification et une intensification des migrations débouchant sur la constitution de véritables plaques tournantes de la pêche migrante dans l’espace ouest-africain en tant que foyer d’installation, mais aussi de transit et de départ (Asiedu et al., 2022 ; Failler et Ferraro, 2021 ; Sall et al., 2021 ; Failler, 2020 ; Zhang et al., 2020 ; Binet et al., 2013). Et aussi l’élargissement des espaces migratoires pour les pêcheurs les plus expérimentés (cas des sénégalais et léonais). Ensuite, les années 1940 - 1980 sont marqués par l’industrialisation de la production, l’accession à l’indépendance et l’émergence des économies nationales (Dème et al., 2022). Les événements de l’histoire d’Afrique de l’Ouest et les principaux faits marquants de l’histoire de l’exploitation halieutique ont façonné les processus migratoires et leurs aires de répartition. Son importance s’est renforcée depuis les années 1980 avec la motorisation des pirogues, l’utilisation des caisses isothermes et l’embarquement de la glace pour la conservation du poisson (Binet et al., 2010, 2013 ; Dème, 2021). Plus récemment, cette migration est motivée par l’épuisement des ressources dans les zones traditionnelles de pêche des pêcheurs migrants et la disponibilité de la ressource dans les pays d’accueil et les potentiels de leur marché local et international (Dème et al., 2021). Cette évolution socio-historique de la pêche migrante permet de la définir comme le déplacement volontaire de pêcheurs artisans d’un pays à un autre ou d’une Zone Économique Exclusive (ZEE) à une autre, de manière occasionnelle, saisonnière ou permanente, pour des raisons écologiques (ressources abondantes), économiques (rentabilité de la pêche), sociales (influence et / ou pression sociale) (De la Croix, 2021 ; Dème et al., 2021 ; Failler et al., 2020 ; Failler et Ferraro, 2021 ; Sall et al., 2021 ; Binet et al., 2013 ; Failler et Binet, 2010). Environ plus de 5 000 pêcheurs sont engagés dans les migrations couvrant sept pays de la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP). Ainsi, il a été recensé quatre foyers de départ à la migration dans l’espace maritime de l’Afrique de l’Ouest : le Sénégal, la Guinée, la Sierra Léone et le Ghana. Des pays à l’instar de la Gambie, la Mauritanie et la Guinée Bissau sont les principaux foyers d’accueil des pêcheurs migrants (Failler et Ferraro, 2021 ; Failler et al., 2020). La Sierra Léone et la Guinée se présentent à la fois comme des pays de départ et d’accueil des pêcheurs migrants (Failler et al., 2020).

6Malgré l’importance des captures de la pêche migrante, elles sont absentes des statistiques nationales des pays de départ et d’accueil des artisans pêcheurs migrants. En effet, dans le système de collecte des pays de l’espace ouest-africain, la comptabilisation des débarquements ne prend pas en compte l’origine des captures (Dème et al., 2021 ; Binet et al., 2013). À ce propos, Binet et al. (2011) mentionne que tout poisson débarqué est assimilé à un poisson capturé dans la ZEE nationale. Enfin, la tentative de mettre en place un système de collecte nationale de données fiables est déjouée d’avance par la forte dynamique migratoire. C’est cela qui justifie le travail préalable d’identification et d’estimation des volumes des pêcheurs migrants dans les pays étudiés. Cette estimation, réalisée, permettra de voir ensuite la mise en marché des poissons pélagiques et les quantités destinées aux industries de farine de poisson. Cela constitue la plus-value de ce travail. La problématique d’émergence des industries de farine de poissons en Afrique de l’Ouest n’est pas associée à la question de la pêche migrante. Les études sur la farine de poisson se sont intéressées à l’aval de la filière (production et commercialisation de la farine de poisson produite), alors que ce travail se focalise plus sur l’amont en fournissant des informations inédites sur la chaine d’approvisionnement des industries de farine de poisson au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie.

Identification des filières migrantes de petit pélagique approvisionnant les usines de farine de poisson au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie

7La filière migrante renvoie ici à l’ensemble des activités de production et des formes de valorisation d’un groupe d’espèces (t) dans une ZEE étrangère, par des pêcheurs venant du même pays (De la Croix, 2021 ; Failler et Ferraro, 2021 ; Binet et al., 2013). Des travaux récents ont identifié plus de 27 filières migrantes dans l’espace de la CSRP ciblant les espèces démersales, pélagiques, les Elasmobranchii (plus précisément les raies et requins) en Gambie, en Mauritanie, en Guinée et en Guinée Bissau (Dème et al., 2022). Étant donné que les pélagiques restent la matière première des industries de transformation, l’étude s’est focalisée sur les filières migrantes de petits pélagiques. Elles sont au nombre de quatre à l’échelle des pays étudiés (Mauritanie, Sénégal et Gambie). Ainsi, la Mauritanie compte deux filières sénégalaises de petits pélagiques : Celle établie à Nouadhibou (Mauritanie) pour le compte des usines de production de la farine de poisson et celle localisée à Nouakchott (Mauritanie) dans le cadre de l’accord de pêche République Islamique de la Mauritanie – Sénégal (Dème et al., 2022 ; Failler et Ferraro, 2021 ; Failler et al., 2020). En Gambie, il est identifié aussi deux filières de petits pélagiques : il s’agit de la filière guinéenne migrante de petit pélagique et de la filière sénégalaise.

8Si la filière sénégalaise migrante de petit pélagique établie à Nouadhibou travaille exclusivement à alimenter les usines de farine de poisson de la ville, il n’en est pas de même pour les trois autres filières migrantes identifiées qui ravitaillent aussi bien les usines que les marchés locaux et internationaux.

Méthodologie

Cadre de l’étude

9Situés sur la façade atlantique nord-ouest africaine, le Sénégal, la Gambie et la Mauritanie partagent leur frontière maritime (Brochier et al., 2018 ; Corten et al., 2017 ; Thiaw et al., 2017). Avec des Zones Économiques Exclusives – ZEE réputées comme poissonneuses, l’activité de la pêche demeure très importante dans les trois pays (Dème et al., 2019 ; Bâ et al., 2017 ; Diankha et al., 2015). Ainsi, les petits pélagiques y sont particulièrement exploités aussi bien par la pêche artisanale qu’industrielle. En effet, les caractéristiques de l’environnement marin expliquent la forte présence des petits pélagiques dans les pays étudiés (Auger et al., 2016). Les espèces de petits pélagiques pêchées plus particulièrement sont la Sardinelle plate (Sardinella aurita), la Sardinelle ronde (Sardinella maderensis), le Chinchard (Trachurus trachurus), le maquereau (Scomber japonicus), et l’anchois (Engraulis encrasicolus) (Corten et al., 2017 ; Thiaw et al., 2017 ; Chouvelon et al., 2015 ; Diankha et al., 2015). Plusieurs de ces espèces sont caractérisées par leur comportement migratoire qui les amène à entreprendre d’importants déplacements entre le Sénégal, la Mauritanie et la Gambie (Bâ et al., 2019 ; Harper et al., 2017 ; Diankha et al., 2015) (Figure 1). Les pêcheurs sénégalais à travers la pêche migrante semblent suivre ce couloir de migration des petits pélagiques (Failler et al., 2020 ; Failler & Binet, 2010).

10C’est ce qui explique que depuis une décennie maintenant, les industries de farine de poisson s’implantent progressivement sur les côtes ouest-africaines particulièrement en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie. En Mauritanie, de moins de 3 usines en 2008, le recensement de 2020 fait état de 41 usines fonctionnelles disposant d’agrément. L’essentiel des usines sont concentrés à Nouadhibou, soit trente-trois contre seulement huit à Nouakchott. Le nombre d’usines est beaucoup moins important en Gambie et au Sénégal. La Gambie compte trois usines établies sur la façade maritime à Sanyang, Gunjur et Kartong (Acosta-Alba et al., 2022 ; Dème et al., 2021). Quant au Sénégal, il y a 9 usines réparties entre la capitale (Dakar) et sur la petite côte à Yenne et Joal (Figure 1).

Les données sur la pêche migrante et l’approvisionnement des usines de farine de poisson

11Les statistiques sur les débarquements aussi bien au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie ne spécifient pas l’origine des captures. Tout poisson débarqué est assimilé à un poisson capturé dans la ZEE nationale (Failler et al., 2020). Ainsi, les débarquements nationaux ne fournissent pas d’information sur le volume des captures des pêcheurs migrants. Dans cette étude, les données sur la pêche migrante ont été obtenues à la suite d’un travail de terrain dans les trois pays concernés. La quantification des volumes des captures des pêcheurs migrants de petits pélagiques s’est faite en deux temps. Dans un premier temps, le travail a consisté à faire une identification des différents pêcheurs migrants ciblant les petits pélagiques en Gambie et Mauritanie . Ensuite, il s’est agi de renseigner les composantes de la pêche migrante de petits pélagiques tant sur les unités de pêche que sur le volume et la valeur des captures, mais aussi sur la mise en marché des produits. En partenariat avec les instituts nationaux de recherche , un premier séjour a été organisé sur le terrain en septembre 2019. Ce séjour a permis d’identifier clairement les origines des pêcheurs migrants, leur zone de résidence et d’activités dans les pays d’accueil. Ainsi, au Sénégal, les pêcheurs migrants quittent Guet Ndar (Saint-Louis, Nord du Sénégal) et Casamance (Sud du Sénégal) pour pêcher dans la ZEE gambienne et mauritanienne. Une fois en Gambie, les pêcheurs migrants sont localisés à Grand Banjul, Serrekunda et Brikama. Les pêcheurs guinéens partagent avec les Sénégalais (ou pêcheurs sénégalais) les mêmes aires de pêche en Gambie. De plus, ces enquêtes préliminaires ont montré qu’en Mauritanie, plus de 80% des pêcheurs migrants sont basés à Nouadhibou et travaillent directement avec les usines de farine de poisson. Le 20% restant est localisé à Nouakchott et approvisionnent le marché sénégalais de poisson et les usines de farine mauritanienne. Ainsi, ils sont localisés plus précisément au port de pêche artisanale de Nouadhibou (EPBR) et au port de pêche de Nouakchott. Cette première phase de terrain a permis de disposer suffisamment d’informations sur les pêcheurs migrants pour entamer les enquêtes proprement dites sur l’estimation de leur volume de capture annuelle et l’approvisionnement des usines. Cela s’est fait par le biais d’entretiens individuels et de groupe de discussion entre janvier et juin 2020. La méthode s’inspire de l’approche d’évaluation indirecte des captures. Il s’agissait d’avoir la moyenne des prises par unité de pêche et par sortie de pêche. En prenant cette moyenne et en la multipliant par le nombre de sorties annuelles et le nombre total d’unités de pêche, cela a permis de quantifier les captures de petits pélagiques par les pêcheurs migrants. Ensuite, il a été demandé à chaque pêcheur migrant enquêté de fournir la proportion allouée aux usines par sortie. Ce qui a permis de disposer d’un pourcentage moyen d’approvisionnement des usines de farine. Ce pourcentage moyen appliqué aux captures totales a permis de définir une estimation des volumes de petits pélagiques issus de la pêche migrante et transformés dans les usines de farine de poisson. Ainsi, la saturation a été atteinte après des entretiens auprès de 250 acteurs de la pêche dans les trois pays, avec quasiment les mêmes ordres de grandeur avancés par les interviewés (Tableau 1). Ce lot d’enquêtés inclus aussi les mareyeurs qui approvisionnent indirectement les usines de farine à partir des captures des pêcheurs migrants. Pour les mareyeurs, les quantités mareyées reçues des pêcheurs migrants ont été collectées pour chaque atelier de mareyage enquêté, ainsi que le pourcentage moyen alloué aux usines de farine de poisson.

Tableau 1. Synthèse de la collecte des informations sur le terrain

12Enfin, nous avons procédé à une harmonisation du volume des captures et du lieu de débarquement liés à chaque migration entre pays de pêche et pays dont sont originaires les pêcheurs migrants. L’harmonisation des données entre pays étant encadré et validées par les chercheurs et techniciens responsable de la gestion des données statistiques des pêches de ces mêmes pays renforce la crédibilité de ces données. Les données de la pêche se focalisent ici sur les espèces importantes de petits pélagiques faisant l’objet de transformation industrielle dans les trois pays étudiés à savoir la sardinelle ronde (Sardinelle aurita), la sardinelle plate (Sardinella maderensis), et l’ethmalose (Ethmalosa fimbriata).

13Par ailleurs, il était prévu de réconcilier les données des pêcheurs migrants ainsi obtenus et de celles des usines de farine de poisson, mais cela n'a pas été possible. Les entretiens avec les usines de farine n'ont pas permis de disposer de données sur les quantités d’approvisionnement. Les usines de farine de poisson aussi ne dissocient pas les origines des produits qu’ils reçoivent pour la transformation (pêche artisanale ou industrielle). Même les usines coopérantes avec des pêcheurs migrants sénégalais en Gambie et en Mauritanie sont très réticentes à partager leurs données. Cette réticence est liée aussi à la prolifération des mouvements de contestation contre l’implantation des usines de farines dans les pays de la sous-région, surtout au Sénégal.

Revue documentaire et analyse des données

14Afin de s’assurer de la cohérence des données sur la pêche migrante et la transformation de farine de poisson en Afrique de l’Ouest, un certain nombre de publications a été revu dans le cadre de cette étude. Il s’agit d’articles scientifiques, mais surtout de rapports d’études récents produits par des organisations et projets de recherche et développement. C’est ainsi que l’étude de la Commission européenne sur la valeur économique et sociale des petits pélagiques en Gambie, celle du Partenariat régional pour la conservation de la zone côtière et maritime (PRCM) sur le Sénégal, la Gambie et la Mauritanie (Dème et al., 2022 ; Belhabib et al., 2018 ; Failler & Ferraro, 2021 ; Thiaw et al., 2017 ; Jönsson, 2019 ; Brochier et al., 2018), et enfin l’étude de Greenpeace sur la farine de poissons ont été des sources de données secondaires importantes. Enfin les travaux du projet Gestion et Résilience des pêcheries de petits pélagiques - GREPPAO sur la pêche migrante ont permis de disposer d’une base de données conséquente et des informations inédites sur les pêcheurs migrants ciblant les petits pélagiques en Afrique de l’Ouest.

15Toutes les données collectées dans le cadre de cette étude ont été entrées et traitées sur Microsoft Excel. C’est ainsi que nous avons pu obtenir la moyenne des captures des différentes filières de la pêche migrante à partir des informations de terrain, de même que le pourcentage moyen de l’approvisionnement des usines. L’enquête qualitative par saturation a permis de disposer de données quantitatives sur la pêche migrante. Ensuite, pour avoir la quantité de farine de poisson obtenue à partir de l’approvisionnement de la pêche migrante, des calculs ont été effectués sur la base du ratio de conversion poisson/farine de poisson (il faut 4 kilogrammes de poisson pour 1 kilogramme de farine de poisson). Cette quantité soustraite du volume total transformé par les usines a permis d’avoir le pourcentage de contribution de la pêche migrante de petits pélagiques à l’approvisionnement de l’industrie de farine de poisson (Corten et al., 2017 ; Thiaw et al., 2009). Par ailleurs, une collecte des données auprès des institutions de recherche des trois pays a permis d’avoir une base de données sur dix ans (2009 – 2018) sur les captures nationales (pêches artisanale et industrielle), les statistiques sur les petits pélagiques et sur le commerce extérieur. Ces données ont permis de calculer l’approvisionnement net et la consommation par personne de petits pélagiques pour chaque pays.

Résultats

Les petits pélagiques au Sénégal, en Gambie et Mauritanie : Production et consommation

16Dans les trois pays étudiés, la proportion des captures de petits pélagiques vis-à-vis des captures totales a a augmenté substantiellement entre 2009 et 2018. En Gambie, ces captures représentent en moyenne 39% des captures totales. La proportion est beaucoup plus importante en Mauritanie et au Sénégal ou la part des petits pélagiques représente plus de 71% des captures totales. L’importance et l’évolution du volume des captures de petits pélagiques différent d’un pays à un autre. La Gambie enregistre des volumes de capture les plus faibles avec une moyenne de 22 300 tonnes de pélagiques capturés annuellement. Ainsi, avec une production d’un peu moins de 18 000 tonnes en 2009, ce nombre est dépassé en 2017 avec plus de 29 000 tonnes de petits pélagiques capturés. Quant au Sénégal, les captures des petits pélagiques fluctuent selon les années, mais avoisinent les 300 000 tonnes en moyenne sur la période 2009 – 2018 avec une tendance linéaire à la hausse. La production la plus faible a été enregistrée en 2010 avec 266 900 tonnes alors que la plus élevée fut en 2016 avec 339 900 tonnes. Dans le cas de la Mauritanie, de 2009 à 2016, la courbe des captures de petits pélagiques tend vers une hausse ininterrompue. Avec un taux de croissance très important de 80% sur la décennie, la production de petits pélagiques est ainsi passée de 64 000 tonnes en 2009 à plus de 590 000 tonnes en 2018 (Figure 2).

17Globalement les captures de petits pélagiques tendent vers la hausse dans les trois pays avec des volumes de captures de plus en plus importantes. Ainsi, dans cette zone, deux poissons capturés sur trois sont des petits pélagiques.

18Les petits pélagiques sont les espèces les plus capturées et subséquemment les plus consommées au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie. En Gambie et au Sénégal, la consommation de petits pélagiques fluctue selon les années. Au Sénégal, elle tend à baisser chaque année. En Mauritanie, la moyenne de la consommation par personne est de neuf kilogrammes par année pour les 30 900 tonnes d’approvisionnement sur le marché local. La valeur la plus faible de consommation de petit pélagique est enregistrée en 2009, soit six kilogrammes par personne par an et la plus importante en 2015 et 2016 soit dix kilogrammes par personne par an (Figure 4). Elle connaît une baisse en 2017 et 2018 respectivement en passant de huit kilogrammes à sept kilogrammes par personne par an. En Gambie, la fluctuation est beaucoup plus importante et tourne autour d’une moyenne de douze kilogrammes par personne par an, la consommation la plus faible est enregistrée en 2013 avec dix kilogrammes par personne par an. Elle a atteint seize kilogrammes par personne par an en 2017 lié à un approvisionnement plus important des années précédentes (35 600 tonnes). Toutefois, elle a chuté encore à onze kilogrammes par personne par an en 2018 (Figure 4). Au Sénégal, la consommation de petit pélagique connaît une baisse continue. Ainsi, elle est passée de dix-huit kilogrammes par personne par an en 2009 à neuf kilogrammes par personne par an en 2018. Ainsi, l’approvisionnement en petit pélagique du marché a baissé de 50% sur une décennie (Figure 4).

Production des pêcheurs migrants ciblant les petits pélagiques et approvisionnement des usines de farine et huile de poisson

19Les sennes tournantes sénégalaises se sont déployées essentiellement sur l’ensemble du littoral ouest-africain. En déployant la technologie en Mauritanie, il y a aujourd’hui plus de 200 unités de senne tournantes à Nouadhibou affrétées par des opérateurs mauritaniens propriétaires d’usines de production de farine. Elles capturent en moyenne 135 000 tonnes par année. La filière de petit pélagique sénégalaise à Nouakchott établie dans le cadre des accords de pêche entre le Sénégal et la Mauritanie mobilise plus d’unités de sennes tournantes pour des captures plus importantes. En effet, l’accord autorise 400 pirogues ciblant principalement les sardinelles, soit 200 unités de sennes tournantes. Les captures des 200 unités de sennes tournantes sont estimées en moyenne à 150 000 tonnes selon les informations obtenues sur le terrain, soit trois fois supérieures aux volumes fixés dans les accords de pêche, c’est-à-dire 50 000 tonnes. Les Sénégalais pêchent également dans la ZEE gambienne (entre sept et douze miles). Avec plus d’une centaine de sennes tournantes, ils capturent plus de 13 600 tonnes de sardinelles et d’ethmaloses. Enfin, les Guinéens aussi exploitent les petits pélagiques en Gambie. Plus de 300 pêcheurs guinéens ont été recensés possédant près de 45 sennes coulissantes leur permettant de capturer près de 7 000 tonnes annuellement.

Tableau 2. Estimation des captures annuelles des pêcheurs migrants ciblant les petits pélagiques en Gambie et Mauritanie sur la période 2012 - 2018

Pays de départ des pêcheurs migrants	Pays d’accueil des pêcheurs migrants	Espèces	Nombre d’unités de senne tournante1	Estimation des captures annuelles (tonnes)
Sénégal	Mauritanie (Nouadhibou)	Petit pélagique	2002	135 000
Sénégal	Mauritanie (Nouakchott)		200 3	150 000
Sénégal	Gambie		100	13 600
Guinée	Gambie		45	7 000

Les captures de senne tournante ciblant principalement les petits pélagiques peuvent capturer jusqu’à trente tonnes par sortie de pêche. Informations fournies par l’Institut mauritanien de recherche océanographique et des pêches – IMROP. L’accord conclu entre la Mauritanie et le Sénégal autorise plus de 200 unités de senne tournante sénégalaises à pêcher environ 50 000 tonnes de sardinelles. Les enquêtes de terrain montrent que ce chiffre est trois fois plus important et basé sur l’absence de suivi noté. L’essentiel des captures est destiné aux usines de farine mauritaniennes.

20Globalement les unités de senne tournante identifiées en Gambie et Mauritanie capturent annuellement plus de 300 000 tonnes de petits pélagiques.

21Les flux de petits pélagiques de la production à l’approvisionnement des usines de farine de poisson sont illustrés dans la figure ci-dessous. En matière d’approvisionnement, les usines mauritaniennes reçoivent plus des deux tiers de la production des pêcheurs migrants. Cela se traduit par les quantités importantes capturées par les pêcheurs migrants sénégalais ciblant les petits pélagiques établis à Nouadhibou, soit plus de 135 000 tonnes exclusivement destinées aux usines de farine de poisson. Par ailleurs les pêcheurs sénégalais, pêchant dans les eaux mauritaniennes dans le cadre de l’accord de pêche RIM – Sénégal, débarquent plus de 40% (soit 60 000 tonnes) de leur capture dans les usines de farine de Nouakchott. Cette même filière, en collaboration avec les usines sénégalaises, y débarque plus de 10% de ses captures soit près de 15 000 tonnes. Les pêcheurs migrants sénégalais de petits pélagiques en Gambie commercialisent leurs captures entre le Sénégal et la Gambie par l’intermédiaire de mareyeurs sénégalais pour le compte d’usines sénégalaises ou de contrats établis directement avec des usines gambiennes. Ainsi, sur les 7 000 tonnes qu’ils capturent en moyenne annuellement, 40% (2 800 tonnes) sont destinés aux usines gambiennes et moins de 20% (1 400 tonnes) envoyées dans les usines sénégalaises. Enfin, les pêcheurs migrants guinéens recensés débarquent plus de 55% de leur capture dans les usines gambiennes, soit près de 7 500 tonnes par l’intermédiaire de mareyeurs gambiens.

22La Figure 4 montre que, sur les 305 000 tonnes capturées par les pêcheurs migrants de petit pélagique en Gambie et en Mauritanie, plus de 220 000 tonnes sont absorbées par les industries de farine de poisson et moins de 85 000 tonnes se retrouvent sur le marché local ou expédiées congelées sur le marché extérieur.

Discussion et recommandations

23Les résultats ont montré que les pêcheurs migrants constituent un dispositif important d’approvisionnement pour les usines de farine de poisson implantées le long des côtes mauritaniennes, gambiennes et sénégalaises. De l’avis des pêcheurs et mareyeurs, cela s’expliquerait par des raisons diverses. D’abord, l’approvisionnement des usines de farine de poisson est plus rémunérateur que le marché local alors que les prix pratiqués sont souvent de l’ordre de 10 - 20 % supérieurs à ceux des marchés nationaux des trois pays. En outre, les usines de farine sont moins exigeantes vis-à-vis de la qualité et de la taille des espèces ce qui signifie qu’il n’y a quasiment aucun rejet et l’écoulement de l’ensemble des captures est pratiquement toujours assuré. De plus, les poissons transformés en farine ne font pas l’objet de contrôle sanitaire particulier lors de leur passage à l’usine (Failler & Binet ; 2010). Par ailleurs, des armateurs rencontrés indiquent travailler exclusivement au compte des usines de farine de poisson à la suite de l’établissement d’un contrat de travail annuel. C’est autant de raisons qui justifient que les pêcheurs migrants privilégient les industries de transformation moderne plutôt que le marché local. Ainsi, il en est déduit que la forte dynamique de collaboration existante entre la pêche migrante et les industriels ont favorisé l’émergence des industries de farine de poisson en Afrique de l’Ouest.

24Les premières industries minotières en Afrique de l’Ouest se sont installées en Mauritanie à partir de 2005 (Corten et al., 2017). Au début, l’approvisionnement des usines à farine de poissons est resté secondaire par rapport à l’approvisionnement des marchés de vente pour la consommation humaine. Avec la multiplication des investissements turcs, chinois et, dans une moindre mesure des investissements nationaux et européens, l’industrie de farine de poisson a commencé cette dernière décennie à exiger des quantités de plus en plus importantes de petits pélagiques pour la transformation moderne impropre à la consommation humaine (Belhabib et al., 2018). C’est ainsi que sur une décennie seulement, la Mauritanie à travers des accords de pêche signés avec le Sénégal, la nationalisation d’embarcations sénégalaises, les accords avec les navires de pêche industrielle turcs a multiplié presque par six sa production de petits pélagiques. À cela s’ajoute le fait que la sardinelle mauritanienne est l’espèce de petits pélagiques la plus prisée en Afrique de l’Ouest (Failler et al., 2020) en raison de la texture particulière de sa chair qui lui permet d’être cuit au feu de bois ou charbon et ensuite réchauffé sans que ses qualités organoleptiques ne soient altérées. C’est autant de raisons qui expliquent l’implantation très rapide des usines de farine de poisson en Mauritanie. Ainsi, les investissements se sont accrus à un rythme moyen annuel de près de 20%, passant de 90 millions USD en 2013 à 349 millions USD en 2018 (Belhabib et al., 2018). Comparés à la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie connaissent un développement timide des industries de transformation de farine de poisson. N’en demeure pas moins que l’activité s’est bien implantée dans les deux pays.

25Globalement, cette option des états du Sénégal, de la Gambie et surtout de la Mauritanie à accompagner l’investissement étranger dans la production de farine de poisson obéit à des considérations purement économiques en améliorant la contribution du secteur de la pêche à l’économie nationale (Bâ et al., 2017). En effet, le fait d’avoir stimulé davantage la production de petit pélagique dans les trois pays étudiés, surtout en Mauritanie, a, par effet de ricochet, généré des emplois dans le secteur de la pêche, a permis d’augmenter davantage l’excédent commercial de produits halieutiques et a contribué à un apport en devises important. En matière d’emploi en Mauritanie, l’IMROP estime le nombre d’emplois générés par les usines de farine de poisson à 1200 personnes à temps plein (ETP) (Belhabib et al., 2018). En Gambie et au Sénégal, plus de 300 personnes travaillent dans les usines. Ce chiffre n’inclut pas les emplois en mer générés dans les trois pays qui sont encore plus importants, mais reste à ce jour sans estimation. En ce qui concerne les exportations, les trois pays affichent des excédents commerciaux importants en produits halieutiques. Sur la décennie 2009 – 2018, la farine de poisson a contribué autour de 15% de la valeur totale des produits halieutiques exportés. Au Sénégal, la contribution des exportations de farine n’est pas trop significative, c’est en moyenne 3000 tonnes de farine exportées chaque année, soit 2% des exportations de produits halieutiques (dominées jusque-là par les produits congelés et frais). Les retombées économiques des usines de farine et huile de poisson en Mauritanie, en Gambie et au Sénégal ne se soldent pas nécessairement par un bénéfice social dont peut jouir l’ensemble des populations, comme cela peut être constaté avec la raréfaction des petits pélagiques et les conséquences sur la sécurité alimentaire des trois pays étudiés.

26La recherche fait état d’une surexploitation continue des petits pélagiques au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie (Brochier et al., 2018 ; Diankha et al., 2015 ; Thiaw et al., 2009). Dans ce contexte, exacerbé par la transformation des petits pélagiques non propre à la consommation humaine, on entrevoit une menace réelle sur la sécurité alimentaire dont les prémices se font déjà sentir. Au Sénégal, depuis maintenant une décennie, la consommation individuelle de petit pélagique ne cesse de diminuer au point d’être réduite de moitié (dix-huit kilogrammes par personne par an en 2009 contre neuf kilogrammes par personne par an en 2018). Cela est dû en partie aux exportations importantes de petits pélagiques (propre ou impropre à la consommation) qui prennent le dessus sur l’approvisionnement du marché local. En Gambie, le même problème se pose avec une disponibilité apparente qui diminue chaque année. C’est ce qui justifie les fluctuations importantes sur la consommation individuelle de petits pélagiques. Les chiffres concernant la consommation individuelle dévoilent de grandes disproportions entre population urbaine et rurale. En effet, les informations obtenues sur le terrain révèlent que des problèmes logistiques (infrastructures et chaines de froid déficientes, conditions de transport du poisson précaires, difficultés d’accès à certaines zones) font que la consommation en milieu urbain est trois fois plus importante qu’en milieu rural (Soumah et al., 2021). Il y aurait donc un sérieux déficit d’approvisionnement de petit pélagique en Gambie. Pour le cas de la Mauritanie, malgré la croissance importante de la production de petits pélagiques et la faible démographie, sa consommation individuelle de petits pélagiques a chuté ces dernières années. Par ailleurs, la Mauritanie se positionne comme le principal fournisseur de petits pélagiques des pays de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et plus particulièrement de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Nigéria. Au regard des quantités de plus en plus importantes que la Mauritanie transforme en farine de poisson, son approvisionnement national est compromis tout comme ses exportations de produits congelés. En somme, la transformation de farine et huile de poisson destinée à alimenter l’aquaculture en Asie et en Europe compromet sérieusement la sécurité alimentaire des pays ouest-africains d’autant plus que les pélagiques restent des ressources stratégiques. En effet, ils sont souvent vendus à des prix en adéquation avec les revenus faibles des populations africaines. C’est ce qui justifie qu’au Sénégal et en Gambie, les pélagiques assurent en moyenne 65% des besoins en protéines animales (Dème et al., 2019 ; Tacon & Metian, 2018). Cette importance stratégique doit aujourd’hui amener les pays ouest-africains à réfléchir à un mécanisme de domiciliation des ressources pélagiques à l’échelle régionale et prioriser la consommation humaine. Pour ce faire, un travail de fond doit dès à présent être entrepris dans les trois pays étudiés afin de définir une politique nationale en matière d’approvisionnement net de produits halieutiques au sein de laquelle l’approvisionnement des usines de farine de poisson sera considéré au même titre que les accords de pêche, c’est-à-dire comme un moyen de se départir du surplus nécessaire à la satisfaction des besoins de la population (Binet et al., 2013). Cela demandera au préalable d’intégrer la pêche migrante dans la gestion des ressources halieutiques à l’échelle de la sous-région afin d’en contrôler les quantités capturées et la mise en marché des captures des filières migrantes de petits pélagiques.

Conclusion

27La pêche migrante contribue de manière significative à l’approvisionnement des usines de farine et huile de poisson en Afrique de l’Ouest au même titre que la pêche industrielle nationale et étrangère et la pêche artisanale nationale. L’étude a montré que les pêcheurs migrants sénégalais ont pu établir une chaine importante d’approvisionnement de petits pélagiques au profit des industries de farine mauritaniennes et gambiennes et sont de ce fait un dispositif important d’approvisionnement en matière première. Ceci, au point que plus de deux tiers des captures de la pêche migrante sont destinés aux usines de farine de poisson alors que moins du tiers sont destinés aux marchés de consommation humaine. Cela a pour conséquence que la pêche migrante contribue à l’émergence des usines de farine de poisson en Afrique de l’Ouest. Au-delà du caractère illicite, non déclaré et non réglementé (INN) de cette pêche, tel que défini par les Nations Unies, sa contribution à la sécurité alimentaire des pays ouest-africains est discutable si nous considérons que les captures des pêcheurs migrants démersales sont destinées aux exportations dans les pays européens, et celles des petits pélagiques aux usines de farine de poisson. Ainsi, la pêche migrante profiterait plus aux pays européens et asiatiques qu’elle ne profiterait aux populations locales africaines. En d’autres termes, les captures des pêcheurs migrants et la mise en marché de leur capture sont en dehors du contrôle des pays d’accueil et des pays de départ des migrants. Cela pose avec acuité la nécessité pour les pays de la CSRP de construire un cadre et des instruments de politique particuliers pour gérer cette pêche migrante.

28De telles politiques devront s’orienter en priorité vers l’intégration de la pêche migrante dans les politiques de pêche, les plans de gestion des pêches et les programmes de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS). Ensuite, les captures et les débarquements de la pêche migrante doivent être comptabilisés aussi bien dans les pays d’accueil que ceux de départ. Enfin, des politiques publiques de mise en marché des captures de la pêche migrante doivent être engagées afin de la positionner comme dispositif central d’approvisionnement complémentaire des marchés ouest-africains. En se faisant, la pêche migrante ne sera plus au solde d’entreprises étrangères pour une transformation impropre à la consommation humaine, mais plutôt, un dispositif central de sécurité alimentaire des pays de la CSRP dans un contexte de croissance rapide de la population et parallèlement de la demande en produits halieutiques.

Ce travail a été soutenu par le projet Gestion et Résilience des pêcheries de petits pélagiques transfrontaliers en Afrique de l’Ouest - GREPPAO (financé par l’Union Européenne dans le cadre du programme PESCAO (EuropeAid/158370/DD/ACT/Multi), et piloté par l’Université de Portsmouth).