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Considérer les stress urbains comme potentielles sources de désastres et de catastrophes : cas de l’habitat lacustre de Ganvié au Bénin

Fèmy A. D. D. Fagla, Alexia Pilon Diabaté et Yona Jébrak

Résumés

En situant l'urbain comme une invention humaine qui s’adapte dans le temps, notre article aborde la perception du désastre urbain résultant non pas de chocs, mais plutôt de stress. Notre cadre conceptuel démontre qu’au-delà de l’échelle psychosociale, il existe des stress qui naissent des interactions existantes entre les institutions sociales organisationnelles, les formes d'aménagement conçues et les différentes urbanités vécues. Nous nommerons ce type de stress « les stress liés aux systèmes urbains » ou « stress urbains ». Précisons ici que le mot « urbain » employé pour pondérer ces stress nous vient des travaux de Louis Wirth (1938) sur le phénomène urbain. Notre développement partira du bilan analytique de la cité lacustre de Ganvié, située dans le sud du Bénin, et qui était inscrite sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’Unesco. Sa particularité est d’être un habitat vernaculaire né d’un processus de résilience ethnoculturel. Avec une très forte croissance démographique, elle connaît des enjeux de transformation abrupte qui entrainent une baisse qualitative systématique du niveau de vie de sa population. En la prenant comme cas d’étude, l’objectif est de partager les valeurs empiriques sur une échelle de temps comprise entre 2000 et 2016. Ces expériences acquises servent à comprendre pourquoi les stress urbains peuvent être considérés comme des sources de désastres et de catastrophes au même titre que les chocs.

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Texte intégral

Ce travail est dédié à Gougbonou Pipi Joseph. Un merci spécial à l’endroit des professeurs Bruno Sarrasin et Lucie Morisset pour tout le soutien et l’accompagnement reçu. Merci à la direction de thèse composée des professeurs François Racine et Dominic Lapointe. Merci à la formidable équipe composée de Faïzoun Dominique, Lanyan Harry et Kpegouni Gafar pour leur aide précieuse à la collecte des données à Ganvié en 2021 dans le cadre du fonds de recherche du CRDI. Merci au comité scientifique de la revue pour leur travail de relectures et de corrections ayant permis à cet article d’exister. Merci aux évaluateurs pour l’ensemble des idées apportées et des orientations conceptuelles ayant permis d’améliorer la qualité du texte. Ce travail a été financé grâce à une subvention du Centre de recherches pour le développement international, établi à Ottawa, au Canada. Les opinions exprimées ne représentent pas nécessairement celles du CRDI ou de son Conseil des gouverneurs. Ce travail a aussi été financé par la bourse ESG² de la Fondation de l’UQAM, attribuée au recrutement pour le département d’études urbaines et touristiques (DEUT).

Introduction

1Depuis les travaux sur les stress par le précurseur Selye (1998), la notion de stress reste très documentée dans la littérature des sciences psychosociales (Adams et Boscarino, 2005 ; Brown et al., 2020 ; Mubi Brighenti et Pavoni, 2019 ; Shah et al., 2020 ; Spielberger, 2021 ; Stephenson, 2011) et celle des infrastructures vertes (Hedblom et al., 2019 ; Høj et al., 2021 ; Sterk et al., 2013 ; Yang et al., 2019). La littérature portant sur les stress en études urbaines est encore à ses balbutiements (Sterk et al., 2017). Les articles qui abordent le stress comme un concept sont ceux qui s’intéressent aux liens entre la durabilité, la résilience urbaine et les transformations (Elmqvist et al., 2019). Dans ces travaux, le passage entre les études psychosociales et les études en sociologie urbaine se fait de façon naturelle. Pour le professeur Dante Cicchetti en effet, la biologie, la psychologie et la sociologie doivent être mobilisées de manière transdisciplinaire afin de faciliter l'étude de la notion de stress (Juster, 2013b). Les connaissances sur le stress sont assimilables à l’idée d’un spectre à bande qui varie d’un individu à un autre ; d’une structure sociale à une autre. Par conséquent, les approches transdisciplinaires, ou encore les approches multiniveaux théoriques et/ou pratiques sont plus efficientes. Ces approches font discuter des cadres théoriques divers et favorisent la compréhension de la complexité liant vécu, perception et représentation. Compte tenu du fait que les humains bâtissent des sociétés qui sont des systèmes construits interreliés aux écosystèmes naturels, la logique transdisciplinaire semble plus idéale à l’étude du stress à l’échelle de l’individu, des organisations et de la communauté.

2Dans le domaine d’étude portant sur la résilience, le stress est abordé de façon spécifique, de façon distinctive et souvent à une échelle psychosociale humaine (Anaut, 2015 ; Michallet, 2009). Quant à sa dimension axée sur la sociologie urbaine, le stress est peu documenté. Pourtant, les humains résident dans des milieux écosystémiques, dynamiques, variés et culturellement divers. Au-delà de l’échelle psychosociale, il existe des stress qui exercent un cycle constant entre les formes d'organisation de la société et les formes aménagées des milieux construits. Un bon exemple de ce type de stress est celui de l'accroissement géographique qui, à Ganvié (Bénin), exerce une double pression constante, d'une part pour les autorités responsables de la planification urbaine et d'autre part, pour l'architecture vernaculaire devant s'adapter compte tenu des conditions économiques, de la disponibilité des matériaux locaux, et cetera. Ces stress urbains ont la particularité d’agir par interactions lors des transformations urbaines existantes entre une société et son milieu construit. Si on considère que la résilience n’est pas forcément liée à des chocs, mais amène aussi la considération de la persistance d’un système urbain qui subit des changements sur un long terme (Elmqvist et al., 2019), alors il devient important de documenter les stress urbains. Face à ce constat, nous avons décidé d’analyser les résultats empiriques issus de l’observation des stress urbains d’un milieu vernaculaire en pleine transformation. Il s’agit du bilan analytique effectué sur un habitat vernaculaire en 2017 : celui de Ganvié au Bénin. Étant donné que les chocs ponctuels sont déjà acceptés comme étant des sources de désastres et de catastrophes dans la littérature scientifique, nos résultats d’analyse permettront d’introduire un autre regard : celui des stress considérés comme des sources de désastres et de catastrophes (au même titre que les chocs ponctuels). Dans un contexte transdisciplinaire, nous donnerons quelques exemples de ce que peut être un choc ou un stress urbain et quels désastres ou quelles catastrophes ils peuvent engendrer. La nuance ou la différenciation entre ces évènements est difficile à clarifier. C’est pour cela que notre travail apporte sa contribution à une compréhension des stress en comparaison aux chocs. Le plan de travail s’articule en trois parties : une revue de littérature sommaire et transdisciplinaire ; une proposition méthodologique pour aborder l’analyse des stress urbains ; une proposition heuristique inductive sur les stress urbains.

3La revue de littérature synthétise les travaux portant sur les stress dans trois domaines scientifiques : les études sur les risques et catastrophes, les études sur la résilience systémique et les études sur la résilience psychologique. L’objectif premier est de partager au lectorat quelques pistes de lectures portant sur les stress. L’objectif second est d’illustrer les sous-concepts qui portent sur les stress dans les trois domaines cités. Le troisième objectif est d’illustrer le caractère polysémique qui pondère les stress dans les domaines où la résilience est employée comme principal concept, la résilience étant elle-même polysémique. Cependant, compte tenu des divergences d’échelles et d’intérêts, nous n’essayons pas d’entrecouper les regards par domaines, mais de les illustrer. Il n’y a pas de démarche méthodologique précise pour étudier les stress. Nous expliquons donc ensuite au lectorat la démarche méthodologique inductive que nous avons employée, en espérant que cela ouvre un débat méthodologique. Enfin, nous concluons par une proposition heuristique inductive portant sur les stress en études urbaines.

Revue de littérature transdisciplinaire sur les stress

Le stress dans la littérature sur les risques et les catastrophes

4Notre siècle est marqué par l’avènement de nombreux évènements qui ne cessent de remettre en question nos modes de vie et de production spatiale. Que ce soit la montée des eaux due aux changements climatiques (Hellendorff, 2012), la pandémie de la covid-19 ou encore l’urbanisation galopante (Blásquez Martínez, 2009) due à une surpopulation urbaine mondiale (Véron, 2007), on constate une simultanéité et des conséquences à court, moyen et long termes. Le jour du dépassement annuel démontre le clivage entre nos besoins urbains toujours en accélération et les services écosystémiques toujours au ralenti (purification de l’air, cycle de l’eau, régulation climatique, qualité des sols cultivables, et cetera) (Jiménez et al., 2020). La pression exercée sur l’ensemble de l’écosystème entraine la disparition d’espèces cruciales aux cycles écosystémiques et crée d’autres effets dominos. Les stress urbains, quelles que soient leurs origines, entrainent des « tendances lourdes, tel que le vieillissement démographique, la résurgence de phénomènes de pauvreté et de précarité entre autres » (Tabet, 2016), auxquelles doivent faire face les mécanismes de gouvernance et de gestion (Elmqvist et al., 2019). Dans un exercice de prospective, on peut définir les tendances lourdes comme « des phénomènes inévitables, qui structurent nos sociétés » (Tabet, 2016). Cependant, les stress urbains sont aussi l’occasion de tirer de précieuses leçons en documentant des expériences (Evans, 2011).

5Des chercheurs ont documenté la phase de transition d’un milieu urbain à la suite d’une catastrophe liée à un choc ponctuel (incendie, tremblement de terre, éruptions volcaniques, et cetera) (Comfort et al., 2010). Ces recherches ont par exemple permis la découverte de plusieurs dimensions affective et cognitive (Jébrak, 2010). Les risques, les catastrophes et leurs effets dominos restent très documentés (Agrawal, 2020 ; Anisimov, 2020 ; Clube, 1989 ; Devès et Le Bars, 2020 ; Généreux, 2020 ; Ozer, 2020 ; Quenault, 2014). Néanmoins, il n’y a pratiquement pas de travaux majeurs ou cadres théoriques clés qui s’intéressent aux regards conceptuels sur les différences et convergences entre les notions de stress et de chocs (vus comme sources de désastres et de catastrophes). De même, des définitions claires des termes « choc » ou « stress » n’ont pas été réalisées dans la littérature sur les risques et les catastrophes. Cependant, le rapport au temps sur lequel un évènement se manifeste et les phases de rétablissement qui circonscrivent un évènement ont été abordés dans les travaux de Jébrak (2010).

6En considérant l’étude des stress en résilience urbaine, il est constaté que la gestion des catastrophes se focalise sur des facteurs de stress uniques (non combinés) (Sterk et al., 2017) tels que la gestion du deuil post-catastrophe ou encore la gestion de reconstruction post-catastrophe. Toutefois, les enjeux croisés du deuil et de la reconstruction sur une durée donnée (intégrant la variation démographique, les changements de gouvernance urbaine ou encore les aménagements post-catastrophes) sont moins abordés. Cela peut s’expliquer par la difficulté à saisir plusieurs angles qui complexifieraient la gestion. Pour Sterk et al. (2017, p. 110), le passage d'une gestion centrée sur un seul facteur à une approche ciblant plusieurs facteurs offre de nouvelles perspectives de recherche dans le contexte mondial actuel. Ainsi, il faut chercher à comprendre comment les facteurs de stress multiples et combinés agissent sur la résilience systémique. Sterk et al. (2017) indiquent aussi que le regard pour comprendre comment différents facteurs de stress interagissent dans un système nécessite l’établissement d’une science interdisciplinaire, voire transdisciplinaire. Cela permettrait de réduire les risques induits par les stress combinés sur les villes. Entre choc et stress, le regard efficient à porter sur les changements reste complexe (Généreux, 2020). La combinaison des changements climatiques, la surpopulation mondiale et l’amenuisement des ressources écologiques sont d’autres exemples qui montrent l’importance d’étudier les combinaisons de stress. Pour comprendre la notion de stress, il faut s’intéresser à son évolution conceptuelle en sciences sociales, plus précisément, dans les domaines d’étude portant sur la résilience des systèmes urbains (systémique urbaine) et la résilience psychologique.

Le stress urbain dans la littérature sur la résilience systémique

7L’opérationnalisation de la résilience s’appuie sur la systémique (systémique urbaine, écosystème) comme outil opérationnel (Lhomme et al., 2010, 2013). Or en analyse systémique, Toubin et al. (2012, § 6) proposent que « la durabilité soit une propriété, innée et/ou acquise de tout système, une grandeur descriptive » et que « son échelle spatiale est donc bien plus large que celle de la résilience ». Ceci assure l’autoréglage et la pérennité dans le temps et dans l’espace de tout système. D’après Piaget (1968), l’autoréglage est ce qui réfère à la capacité du système à se régler lui-même. Cette caractéristique permet au système de se conserver lui-même. Ceci n’est pas pour suggérer que le système est statique, une autre de ses caractéristiques est la transformation où les activités structurantes du système sont possibles parce que le système est en continuelle transformation (Piaget, 1968). Cependant, se représenter la durabilité comme une mesure systémique descriptive en fonction d’une échelle spatiale large demeure toujours difficile malgré l’existence de dénominateurs communs. La dichotomie entre les concepts de résilience et de durabilité est liée aux valeurs mobilisées et aux échelles temporelles. Elles posent des difficultés quant à leur capacité à être articulées selon un point de vue opérationnel (Meerow et Stults, 2016). De plus, Adger (2003, p. 1‑3) indique que les aspirations non focalisées de la durabilité sont incluses dans la notion de résilience – la capacité de persister et de s’adapter. Pour Toubin et al. (2012, § 2) : la durabilité serait « un idéal à atteindre » et la résilience « un outil, un moyen de concrétiser cet idéal ».

8En systémique urbaine, la résilience connaît un véritable tournant. « Elle va s’affranchir presque totalement des concepts de retour à l’équilibre et tendra à s’adresser presque exclusivement aux capacités adaptatives des systèmes » (Lhomme et al., 2010: 491), associant résilience et adaptabilité (Folke et al., 2010). Mais la résilience étant un concept polysémique et transdisciplinaire, il est difficile de le mobiliser seul pour expliciter l’adaptabilité liée aux diverses transformations urbaines (Toubin et al., 2012). Cette situation entraine un profond glissement conceptuel marqué par le passage des études sur les infrastructures résilientes vers celles des communautés résilientes. Généralement, « la recherche en résilience est centrée sur la compréhension de l’effet de facteurs de stress uniques » (Sterk et al., 2017, p. 6), mais « un changement de paradigme dans la compréhension de l'interaction de différents facteurs de stress nécessite une science interdisciplinaire, voire transdisciplinaire » (Sterk et al., 2017, p. 6). On peut aussi considérer des méthodes mixtes qui procèdent à des analyses multivariées. Cette idée, émise comme une critique de la pensée de Sterk et al. (2017), se justifie. Étudier plusieurs variables ne nécessite pas forcément plusieurs disciplines, surtout avec l’existence d’une multitude de modèles de résilience (écosystémique, panarchie, cycle adaptatif, et cetera) : « la plupart des études concernant la résilience ont tendance à dépasser le stade traditionnel [...], pour rejoindre des approches en termes de processus résilients, c’est-à-dire en s’intéressant à la dynamique de la résilience et à son fonctionnement dans ses aspects multifactoriels. » (Anaut, 2015, p. 46)

9Cette situation induit un besoin qui est celui des croisements dimensionnels pour rendre le concept plus pertinent. « Jusqu'à présent, il y a eu peu de fertilisation croisée entre les différentes disciplines explorant les mesures de résilience malgré la présence fréquente de fondements théoriques communs » (Sterk et al., 2017, p. 4). « Par conséquent, la capacité de comparer des études et à synthétiser les résultats reste un défi. Néanmoins, les chercheurs travaillent sur ces approches et améliorent la fiabilité des mesures » (Sterk et al., 2017, p. 4). Opérationnaliser la résilience à partir de la durabilité reste un défi face aux ambiguïtés et contextes liés à ces deux concepts. Malgré cette situation, favoriser une amélioration de la résilience d’un système, quel qu’il soit, permet d’augmenter sa persistance dans un monde globalisé où l’avenir reste imprévisible (exemple de la pandémie de la covid-19) et l’incertitude des risques, une monnaie courante (Folke et al., 2002 ; Meerow et Stults, 2016). Il est difficile de concevoir l'amélioration de la résilience d'un système, quel qu'il soit, sans prendre en compte la manière dont nous les définissons et les choix que nous faisons pour le développer. Cette réflexion intègre aussi la destination de ces choix (pour qui ?) et leurs boucles de rétroaction (à quelle échelle ?). De plus, ce qui peut être bénéfique pour certains acteurs, qu'ils soient humains ou non, ne l'est pas nécessairement pour l’ensemble des acteurs en même temps. Enfin, l'analyse de la responsabilité ou de la culpabilité de l'individu ou du groupe dans un contexte libéral est tout aussi cruciale. Fondamentalement, nous retenons des auteurs Elmqvist et al. (2019) une suite d’idées qui sera clairement énoncée par Toubin et al. : « […] la durabilité constitue le concept normatif cible et la résilience un concept descriptif permettant de comprendre le processus d’évolution du système qui pourra mener ou non à sa durabilité. » (Toubin et al., 2012, §13)

10Le stress en résilience systémique est lié à l'opérationnalisation de la résilience via la durabilité. L'opérationnalisation de la résilience est un défi pour les chercheurs et praticiens, avec une piste populaire étant l'opérationnalisation via la durabilité. La définition de la durabilité inclut plusieurs aspects, tels que les besoins des générations futures, les personnes vulnérables et la disponibilité des ressources (Brundtland et Khalid, 1988, p. 51). Le concept de durabilité implique des principes tels que l'interdépendance, l'équité sociospatiale et la concertation sur les projets de société. Cependant, certains garantissent que la durabilité est un concept anthropocentrique et subjectif en raison des indicateurs choisis (Martin, 2002 ; Toubin et al., 2012). Tout comme la résilience, la durabilité est un concept multifactoriel qui demande une précision sur l’angle théorique et sur l’échelle d’analyse (Sterk et al., 2017). Les points communs entre les deux concepts sont la persistance (Liao, 2012 ; Toubin et al., 2012) dans la dimension spatio-temporelle et dans la prise en compte de l’incertitude (évènements imprévus et déstabilisateurs). En revanche, la grande différence se situe au niveau de la conception théorique de la durabilité (Toubin et al., 2012). Cette dernière n’a pas été forcément pensée pour la gestion des perturbations, bien qu’elle prenne en compte les incertitudes. Pour Adger (2000), la résilience est la clé de la durabilité. Nous pouvons ainsi poser la question suivante : l’idée d’une ville résiliente suit-elle ou s’oppose-t-elle à l’idée d’une ville durable ? En considérant la résilience comme un concept positif (Meerow et al., 2016 ; Meerow et Newell, 2016), nous acceptons l'idée qu’elle est un trait contribuant à la durabilité (Leichenko, 2011, p.166). Pris comme un concept positif, Meerow et Newell (2016) indiquent que la résilience doit être opérationnalisée à travers un processus collaboratif et inclusif qui prend en compte les différentes priorités des parties prenantes. Puisque les décisions politiques sur la résilience et la durabilité entrainent souvent des gains ou des pertes pour différents acteurs. Malgré cela, il ne faut pas négliger le dilemme politique que cachent ces idées vagues au profit du dilemme technique ou fonctionnel qui consiste à évaluer la durabilité ou la résilience.

Le stress urbain dans la littérature sur la résilience psychologique

La résilience en psychologie et son rapport avec le stress

11Pour les études en psychologie, notre revue de littérature prend appui sur les cinq articles scientifiques du volume 13 de la revue Mammouth Magazine publiée à l’été 2013. Ce numéro a pour titre « Stress et résilience ». Il met en valeur les travaux du centre d’études sur le stress humain de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal. Précisons que ce centre a pour mission « d’améliorer la santé physique et mentale des individus en leur fournissant une information scientifique de pointe sur les effets du stress sur le cerveau et le corps » (Juster et Marin, 2013, p. 1). Dans ce magazine, la résilience est définie comme étant « le processus par lequel les gens exposés à des niveaux sévères de stress, à des traumas ou à de l’adversité, arrivent à se développer et à survivre malgré leurs difficultés » (Juster et Marin, 2013, p. 1). On note que les notions de résilience et de stress ne sont pas dissociées. L’un est le déclencheur naturel de l’autre et par suite vient la capacité à s’adapter et/ou à surmonter le trauma vécu, perçu et/ou représenté. En s’imprégnant de la pensée de Darwin (1859), Bourdon (2013, p. 2) fait le lien entre adaptation et résilience : « face à une situation d’adversité précise, l’adaptation positive d’un individu se nomme résilience ». Précisons que cette définition prend appui sur la psychologie non axée sur la pathologie (Bourdon, 2013) afin d’amener une nouvelle dimension : l’espoir comme vecteur de rebondissement psychologique. C’est une idée que l’on retrouve fortement imprégnée dans la psychanalyse existentialiste et humaniste de Frankl, psychologue et survivant d’Auschwitz. Sans forcément conceptualiser l’espoir, on retrouve chez cet auteur un optimisme tragique axé sur la recherche constante de sens dont les êtres humains font preuve face aux catastrophes de la vie (Frankl, 2004). Or, par le passé, pour illustrer la place conceptuelle de l’espoir dans la résistance individuelle, il fallait prendre en compte le concept d’adaptation (coping), qui mettait en avant la vulnérabilité ou l’invulnérabilité qui découle d’une épreuve difficile. Ces deux notions permettaient de différencier l’échelle de résistance face à la souffrance psychologique d’une personne : « L’invulnérabilité fut alors représentée par une poupée en acier, ne se déformant pas du tout quand elle heurte le sol, tandis que la vulnérabilité fut représentée par une poupée de verre, se brisant facilement au moment de l’impact. » (Bourdon, 2013, p. 3)

12Mais le concept d’adaptation (coping) est vite critiqué ainsi que le couple de sous-concepts [vulnérabilité et invulnérabilité] qui « fut vite remis en question, tout simplement parce qu’un humain ne peut pas être vulnérable ou invulnérable en tout temps ». Inversement, la résilience devient plus valorisée en psychologie puisqu’elle permet un regard sous forme de processus face à une situation donnée et à un temps donné, contrairement au concept d’adaptation (coping) qui lui désigne « un attribut stable qui fonctionne en tout temps ». Sur la question du stress en psychologie, les travaux de Masten et Garmezy (1985) vont mettre en avant trois conclusions : (1) la résistance au stress est relative, (2) la résistance au stress est due à la génétique et à l’environnement et finalement (3) la résistance au stress dépend du contexte sociospatial. Bien qu’intéressante, cette tripartition fait néanmoins germer plusieurs critiques. Premièrement, bien que le mot résistance soit employé, nous avons adapté la portée théorique de ces trois conclusions. Deuxièmement, la tripartition proposée ne semble pas laisser de place aux caractéristiques et au choix individuel. Or, c’est l’élément central de la psychanalyse de Frankl que de mettre la liberté de choix au centre de la tragédie (fait qu’il a observé dans les camps de concentration). Si l’on applique la logique de Frankl aux travaux de Masten et Garmezy (1985), nous proposons d’ajouter une quatrième catégorie portant sur la liberté de choix ou du choix d’approche d’une perturbation. Cela permet aussi de lier la logique de Frankl au courant d’autonomisation (empowerment) (où les gens sont habilités et encouragés à faire face au désastre de la vie tout en soutirant un sens). On peut donc souligner la dimension du choix individuel (ou de groupe par extension) dans l’expérimentation de la tragédie et dans la manière d’en faire sens pour guider l’action par la suite. Ainsi, nous bonifions la pensée de Masten et Garmezy (1985) en tenant compte des deux critiques précédentes : (1) le stress est relatif ; (2) le stress est influencé par la génétique et l’environnement ; (3) le stress est lié au contexte social et (4) le stress tient compte de la signification que les individus font de leur expérience vécue.

Le stress en psychologie : regard positif ou négatif ?

13Par le passé, le manque de résilience individuelle était vu comme la conséquence visible d’une maladie qui est ici la souffrance psychologique (Bourdon, 2013). Mais ce regard évolue avec le temps. En psychologie, le stress n’est plus seulement représenté comme un élément négatif, mais aussi une source d’opportunité individuelle (Bourdon, 2013). Il a permis « à nos ancêtres d’être alertes et ainsi continuer à vivre et se reproduire » (Juster, 2013a, p. 4). Pour reprendre la pensée darwinienne, précédemment mentionnée et prégnante en psychologie neurocognitive, le stress permet aussi l’adaptation et l’évolution de l’espèce. Cette réflexion appuie celle de Masten et Garmezy (1985) sur le fait que la résilience est liée à la génétique et le stress est un « résidu […] de notre évolution qui fera toujours partie de notre bagage biologique ». Par exemple, à notre époque moderne, nos villes connaissent le stress sous diverses sources : changements climatiques, montée des eaux, covid-19, crise économique, crise environnementale, et autres. Et nous même nous en connaissons à notre échelle : stress de l’emploi, stress des prêts hypothécaires, stress de la cohésion sociale, et cetera (Juster, 2013a). Avec cette même perspective en biologie, les docteurs Karatsoreos et McEwen (2011) expliquent pourquoi le stress est indispensable à notre survie. Il aide à garder notre cerveau et notre corps dans un état qui favorise la persistance face aux incertitudes et difficultés de la vie matérielle et cognitive. En explorant l’inconnu et en y extirpant de la connaissance, du connu, l’humain forme des schèmes cognitifs explicatifs de son monde qui lui permettent d’agir dans celui-ci (Peterson, 2002). Cette exploration ne se fait pas sans affronter le stress et le chaos de l’inconnu. Toutefois, cette aide à notre corps n’exclut pas la dimension chronique du stress qui est néfaste pour la santé d’une personne. Elle interpelle juste de nouveaux concepts : l’adaptation et l’autonomisation face aux circonstances difficiles. Pour Bourdon (2013), il s’agit d’un passage de regard de l’environnement à celui de l’humain, qui est pointé du doigt pour expliquer les répercussions sur la santé d’un individu à la suite d’une épreuve difficile.

Le stress positif, le stress tolérable et le stress toxique

14Le stress en biologie peut avoir jusqu’à trois ramifications : le stress positif, le stress tolérable et le stress toxique (Juster, 2013a). Ces ramifications sont liées aux réponses (sécrétion d’hormones) du cerveau face à une situation stressante. Ainsi notre cerveau lance plusieurs mécanismes instantanés et réponses adaptatives qui canalisent l’énergie, font augmenter la pression artérielle, libèrent différentes hormones et renforcent notre système immunitaire en cas d’infection (Juster, 2013a). Le stress positif fait « référence à une activation modérée de notre système de stress qui est normale, de courte durée et rapidement désactivée » (Juster, 2013a, p. 4). Et tout comme l’allostasie, le stress positif est un concept qualifié d’adaptatif puisqu’il facilite l’accélération de l’adaptation lors d’une situation stressante. L’allostasie se définit comme un « ensemble des processus physiologiques et comportementaux permettant d’atteindre la stabilité (homéostasie) en réponse aux changements environnementaux » (Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine de France, 2023)

15Le stress tolérable est un stress « qui est suffisamment puissant pour causer des dommages potentiels à notre corps et notre cerveau, mais qui peut heureusement être atténué par un effet tampon » (Juster, 2013a, p. 4). L’effet tampon représente tous les contextes sociocommunautaires qui vont infléchir les risques de maladies mentales et physiques à la suite d’évènements traumatisants (catastrophes naturelles, deuil, guerre, et cetera). L’apprentissage conscient ou inconscient de l’adaptation face à un stress tolérable accroît l’effet protecteur et la résilience contre d’éventuels stresseurs à intensité variable. Le stress toxique est quant à lui « une activation fréquente, féroce et incertaine de notre système de stress qui est dangereuse pour notre santé » (Juster, 2013a, p. 4). Elle se caractérise par un ou des stresseurs de nature physique et/ou psychologique agissant sur une période longue. Les résultats finaux sont souvent dévastateurs pour l’individu et/ou la communauté ; cela en absence du soutien sociocommunautaire. Face à une multiplicité de stresseurs toxiques, le mécanisme de réponse entraine une perte importante et régulière d’énergie qui favorise l’usure du corps et du cerveau (Juster, 2013a). C’est pour cette raison que Peterson (1999) souligne qu’il vaut mieux pour un individu d’affronter lui-même l’inconnu que d’être surprit par une situation pour laquelle il n’aurait aucune carte ni aucun repère : le stress est moindre dans la première situation. Enfin, sur ces trois stress, il est important de comprendre que :

« le stress toxique est la pomme pourrie qui donne au stress la mauvaise réputation. Il nous faut donc garder à l’esprit que des doses de stress positif et de stress tolérable peuvent nous inoculer contre le stress et même favoriser la résilience. L’idée que les réactions au stress sont fondamentalement bonnes et qu’elles peuvent nous aider à résister et à rebondir face au stress doit être considérée. » (Juster et Marin, 2013, p. 5)

Les 3-R de la réponse de stress

16La réponse de stress est l’ensemble de mécanismes biologiques du corps qui aide à résister, à rebondir, à s’adapter et à progresser lorsque nous traversons des périodes de stress d’intensité variable. Pour les docteurs Karatsoreos et McEwen (2011), il existe diverses réponses de stress, mais elles assurent toutes un continuum allant de l’adaptation à l’inadaptation. La résilience, la résistance et la récupération sont les trois principales réponses au stress (Juster, 2013a). Si le stress positif et le stress tolérable accroissent la résilience alors, l’allostasie favorise la résistance et offre au corps la capacité de s’adapter et de fonctionner. Les 3-R (résilience, résistance et récupération) se définissent comme suit :

« La résilience est définie comme étant la capacité d’un organisme à rebondir face à l’adversité, lorsque sa capacité à fonctionner a été ébranlée de façon négative […]. La résistance est définie comme étant la capacité d’un organisme à supporter l’adversité et à faire face à des stresseurs subséquents avec une réponse de stress faible ou même inexistante […]. La récupération est définie comme étant la capacité de l’organisme à se calmer et arrêter la réponse de stress ainsi que d’autres activités biologiques qui y sont liées, afin de revenir à des niveaux de base. » (Juster, 2013a, p. 5)

17La revue de littérature sommaire essaye de synthétiser quelques travaux portant sur les stress dans trois domaines scientifiques : les études sur les risques et catastrophes, les études sur la résilience systémique et les études sur la résilience psychologique. Nous rappelons que cette revue sommaire vise trois objectifs : partager au lectorat quelques pistes de lectures portant sur les stress ; illustrer les sous-concepts qui portent sur les stress dans les trois domaines cités ; illustrer le caractère polysémique qui pondère les stress dans les domaines où la résilience est employée comme principal concept.

18Cependant, en tenant compte des différentes échelles et des différents intérêts au niveau transdisciplinaire, nous n’avons pas entrecoupé les regards par domaines. En nous appuyant sur ces illustrations, nous allons maintenant proposer notre cadre conceptuel, qui a pour objectif de permettre l’étude des stress en études urbaines.

Quel cadre conceptuel pour étudier les stress urbains ?

19Cette partie fait état de notre cadre conceptuel et est issue du croisement des connaissances obtenues à partir des lectures et de notre analyse inductive. Pour construire ce cadre, nous nous sommes posé la question qui suit : quelle est la différence entre un choc et un stress urbain ? De l’échelle psychologique à l’échelle de la systémique urbaine, il est conceptuellement impossible de strictement définir un stress urbain en comparaison à un choc urbain. Nous proposons que lorsque les individus, les organisations et les collectivités (IOC) font face à un évènement dont la perturbation s’opère sur un moyen ou un long terme, le contexte est celui d’un stress (la covid-19 par exemple). À contrario, si les IOC font face à un évènement dont la perturbation s’est effectuée à court terme (un tremblement de terre par exemple), le contexte est celui d’un choc. Cette proposition s’appuie sur le fait que la différence fondamentale entre un stress et un choc réside au niveau des échelles à partir desquelles on observe une perturbation (qu’elle soit d’origine anthropique ou naturelle). Comme échelles pour l’observation, nous nous sommes basés sur la figure d’Elmqvist et al. (2019) intitulé : « Interlinkages between sustainability, resilience et transformations ».

Figure 1. Liens entre durabilité, résilience et transformations

Figure 1. Liens entre durabilité, résilience et transformations

Elmqvist et al., 2019

20Cette figure propose deux échelles utiles à l’analyse des évènements perturbateurs et/ou traumatisants, qu’ils soient vus comme chocs ou comme stress. Il s’agit de l’échelle de persistance dont les bornes sont : [forte durabilité (high sustainability) - faible durabilité (low sustainability)] et l’échelle du temps.

21L’échelle de persistance amène à considérer l’intensité qu’une situation a sur les IOC. Elle amène aussi à considérer les réponses résilientes et adaptatives des IOC pour progresser face aux contraintes vécues. Ces réponses sont liées aux différentes capacités des communautés à résister aux évènements externes de leurs infrastructures sociales (Adger, 2000). Les capacités dépendent des moyens matériels, des moyens humains, de la force psychologique individuelle et/ou collective, du climat, des opportunités territoriales et surtout des ressources écologiques en présence. En cela, notre regard rejoint celui des docteurs Karatsoreos et McEwen (2011) lorsqu’ils expliquent l’importance du stress dans le processus de persistance face aux incertitudes et difficultés de la vie matérielle et cognitive. L’échelle du temps, quant à elle, amène à considérer le contexte historique et la rétrospective évolutive. Par exemple, une situation ayant eu lieu en telle année n’a pas les mêmes ampleurs socioécologiques et psychologiques que si elle survient quelques années plus tard. Le temps est un allié méthodologique, car il offre des repères orthonormés (date, année, heure, durée, et cetera) où le triptyque « perception-vécu-représentation » des IOC est documenté.

22Pour le stress urbain, nous reprenons les mêmes échelles à la différence de l’objet qui subit le stress : ici les milieux sous influence du phénomène urbain de Wirth (1938). Wirth (1938), dans son article « Le phénomène urbain comme mode de vie », critique les définitions démographiques de la ville, affirmant que la taille de la population n'est pas suffisante pour la caractériser. Il souligne l'importance de la densité de la population et de l'hétérogénéité culturelle pour comprendre la ville en tant qu'entité sociale. Wirth insiste sur la nécessité de prendre en compte l'impact de la culture sur la ville, et propose une définition de la ville comme « un établissement dense et permanent d'individus socialement hétérogènes » (Fijalkow, 2017, § 18). Cette définition est suffisamment riche pour inclure toutes les caractéristiques essentielles et communes à toutes les villes. Wirth suggère d'esquisser une théorie du phénomène urbain comme mode de vie en utilisant cette définition.

23Lorsque nous évoquons le contexte, nous attirons l’attention sur l’origine du stress urbain. Et comme origine du stress urbain, nous distinguons deux cas :

  • un stress urbain issu d’une catastrophe naturelle ou anthropique (regard influencé par la littérature sur les risques et catastrophes d’origine humaine ou anthropique) ;

  • un stress urbain issu de tendances lourdes (regard influencé par les littératures sur la résilience systémique et la résilience psychologique).

24Lorsqu’un stress urbain a pour origine une catastrophe, nous proposons de parler de stress urbain découlant d’évènements catastrophiques (tremblement de terre, volcanisme, tsunami, inondations, et cetera). Lorsqu’un stress urbain a pour origine des tendances lourdes, nous proposons de parler de stress urbain d’écoulant d’évènements tendanciels (variations démographiques, changements climatiques, amenuisement des ressources écologiques, pandémie, et cetera). Nous estimons que les évènements catastrophiques et les évènements tendanciels sont tous des évènements perturbateurs pour les IOC. Un évènement perturbateur a plusieurs effets dominos qui agissent dans le temps et dans l’espace (exemple des déplacements de réfugiés à la suite d’une crise sociale, les difficultés d’approvisionnement logistique durant la pandémie de la covid-19, la perte de mobilité à la suite d’un accident de la route, et cetera). La gestion d’un évènement perturbateur permet de mesurer la persistance dans le temps d’un stress urbain. Par exemple, la gestion de la covid-19 entre 2020 et 2022 n’a pas été la même d’un pays à un autre et les effets dominos (chaîne d’approvisionnement, accès aux vaccins, politiques sanitaires, et autres) n’ont pas été ressentis de la même manière dans les différents pays du monde.

25En synthèse de notre cadre conceptuel, le stress est un facteur important et une composante des circonstances dans lesquelles les individus et les groupes sociaux s’adaptent au changement (Adger, 2000). Ainsi, au-delà de l’échelle psychologique, il existe des stress qui naissent des interactions entre les institutions sociales organisationnelles, les formes d'aménagement conçues et les différentes urbanités vécues. Nous nommerons ce type de stress : les stress liés aux systèmes urbains ou stress urbains. Rappelons ici que le mot « urbain » employé pour pondérer ces stress nous vient des travaux de Wirth (1938) sur le phénomène urbain.

Méthodologie

26Quelle serait la méthodologie adaptée pour étudier un stress urbain ? Compte tenu du caractère dynamique des milieux construits face aux changements accélérés, l’échelle de persistance et l’échelle de temps à elles seules ne sont pas faciles d’emploi. À partir de notre cadre conceptuel, il convient d’adopter une démarche méthodologique qui analyse les effets dominos d’un stress (Elmqvist et al., 2019). Les effets dominos sont des traces tangibles d’un stress dans le temps. En d’autres termes, il faut avoir une démarche basée sur des indicateurs qui témoignent des manifestations tangibles du stress et facilitent l’analyse des transformations urbaines (Adger et al., 2004). De plus, l’observation et la description des différents changements sont une manière indirecte d’employer les échelles de persistance et de temps pour documenter les stress. Ensuite, il faut opter pour une démarche qui s’appuie sur la documentation du triptyque « perception-vécu-représentation » des IOC à partir d’études des cas analysés (Jiménez et al., 2020).

27Dans notre article, le cas d’étude choisi est la cité lacustre de Ganvié en République du Bénin. Une cité lacustre est un établissement humain qui a été bâti et qui a prospéré sur un lac. Nous avons choisi ce cas d’étude parce que c’est un milieu vernaculaire auto-construit, dont l’évolution n’a pas été trop influencée par les théories d’aménagements urbains actuels. C’est donc un système socioécologique apte à fournir des données provenant de l’évolution d’une communauté autochtone. En faisant le choix de travailler sur le cas de Ganvié, nous mettons en avant l’exemple des communautés lacustres qui connaissent des transformations poussées de leurs habitats vernaculaires. Les stress urbains étudiés dans le cas de Ganvié découlent d’évènements tendanciels : perturbations climatiques, forte croissance démographique et amenuisement des ressources écologiques. Ces évènements tendanciels perturbent le milieu construit en orientant qualitativement la transformation urbaine (Clauzel, 2009 ; Elmqvist et al., 2019) et en agissant sur les conditions de vie des Hommes de l’eau (nom attribué aux populations résidentes à Ganvié). Nous avons eu recours à l’observation participante tout au long de notre terrain. Cela a impliqué que nous fassions partie du contexte reflété, tout en interagissant avec les personnes pour poser des questions. Le matériel employé était composé d’une fiche d’observation, un crayon, un carnet et un appareil photographique. Nous présenterons par la suite les effets dominos observés et partagerons notre propre regard.

28Dans le cas de Ganvié, nous avons choisi d’étudier la période allant de 2000 à 2016 comme échelle de temps. Ce choix est lié à l’âge des données grises rendues disponibles par l’administration et la banque d’images disponibles pour cette période. Pour apprécier l’échelle de persistance des IOC sur cette échelle de temps, nous avons fait un diagnostic sur la qualité de vie au sein du système urbain. Le diagnostic s’appuie sur les critères des Nations unies qui définissent un bidonville (Fagla 2017) : l’accès inapproprié à de l’eau salubre, l’accès inapproprié à l’assainissement, le manque de qualité structurelle des logements, la surpopulation et le statut résidentiel non sûr. Nous avons mesuré et évalué ces critères en analysant les données statistiques et les réponses obtenues lors de nos échanges. Ces cinq critères ont l’avantage d’aborder des éléments ayant trait à la qualité du niveau de vie de la communauté résiliente, mais aussi de confronter les transformations dans l’environnement construit. Nous faisons l’hypothèse que les critères choisis aient une prééminence plus élevée sur l’échelle de durabilité que sur celle du temps. Néanmoins, cela se compense lorsque l’on considère que le temps joue le rôle de marqueur (date, heure, durée, vitesse, période, et cetera), à partir duquel les évènements sont observés pour être communiqués ou discutés. Ainsi, dans notre démarche, les critères témoignent de l’état du système urbain face aux stress qu’il subit. Globalement, ces critères permettent d’apprécier les effets dominos liés aux transformations de la cité lacustre entre 2000 et 2016.

29La cité lacustre de Ganvié est incluse dans la commune de Sô-ava. Administrativement parlant, elle est circonscrite à deux arrondissements (Ganvié 1 et Ganvié 2) et environ 56 sous-localités regroupés en 11 zones répertoriées en 2017 (Photo 1).

Photo 1. Une prise de vue d'un secteur de la cité via drone en 2021

Photo 1. Une prise de vue d'un secteur de la cité via drone en 2021

30Notre démarche globale est mixte avec un accent plus prononcé pour la méthode qualitative. Nous avons obtenu des données statistiques grises compilées par divers services décentralisés de la commune de Sô-ava et de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INStaD) du Bénin. Ces informations ont été obtenues directement sur les sites officiels de ces institutions. Dans un premier temps, nous avons procédé à une classification par catégorie en retenant les données se rapportant aux indicateurs à partir d’Excel. Dans un second temps, nous les avons analysées par lecture orientée. Ensuite, un terrain a été effectué en 2016 afin de réaliser des entretiens avec les services communaux en charge : de la statistique locale, de la gestion en eau potable, de l’assainissement et des recettes fiscales. Sur la base d’un mini questionnaire d’enquête, nous avons posé des questions influencées par les indicateurs retenus pour l’étude. Les données obtenues ont été manuellement retranscrites puis analysées par lecture orientée. De plus, nous avons procédé à plusieurs visites de la cité entre 2015 et 2016 pour la prise de photographies. Les prises de vue ont pour objectif de matérialiser les vécus des stress statistiquement et analytiquement documentés puisqu’une image vaut mille mots. Toutes prises de vue ont porté essentiellement sur l’habitat et ont été faites en accord avec les personnes visibles sur les photos.

Cas de l’habitat lacustre de Ganvié

31La cité lacustre de Ganvié se caractérise par un principe de production spatiale très originale et témoin de la dynamique culturelle observée dans le milieu socioécologique. Nous la qualifions de division sociospatiale. Ce qualificatif fait écho au fait que la production spatiale est comparée à une division cellulaire, où des familles issues d’un même groupe social doivent, par saturation, migrer afin de coloniser des espaces vierges.

Figure 2. La division sociospatiale à Ganvié

Figure 2. La division sociospatiale à Ganvié

Fagla (2017) sur la base du travail de Gnacadja (1983)

32La migration a pour but de faciliter l’accès aux ressources écologiques (espèces de poissons, berges exondées, sable lagunaire, et cetera). L’organisation spatiale et l’accès aux ressources écologiques sont donc intimement liés à la répartition sociodémographique dans le milieu écologique. Cette division sociospatiale entraine une nomenclature où le sinta (unité résidentielle), le hennu (concession familiale/îlot urbain) et le komey (aire construite sans limites géographiques fixes) sont les principaux marqueurs spatiaux. En employant cette nomenclature spécifique à la culture du lieu, les conclusions que nous tirons de l’analyse, basée sur les cinq critères choisis pour l’étude, sont assez évocatrices.

Surpopulation

33À l’analyse des différents recensements généraux de la population effectués au Bénin, on remarque que la démographie à Ganvié est très dynamique (Photo 2).

Photo 2. Les femmes jouent un rôle clé dans la dynamique socio-économique de la cité

Photo 2. Les femmes jouent un rôle clé dans la dynamique socio-économique de la cité

34Estimée à 20768 habitants en 2002, elle est passée à 24501 habitants en 2006 puis à 30153 en 2011. En 2016, le recensement général de la population du Bénin (RGPH4) a présenté une estimation de 37172 habitants, soit 6287 ménages. Il s’agit d’une augmentation de plus de la moitié de la population répertoriée en 2002. Ces chiffres relevés en 2016 n’indiquent pas la disparité observée selon les villages qui composent la cité. On note une légère différence démographique entre les deux arrondissements de Ganvié, avec une différence de 1138 habitants, soit 3,06% en faveur de Ganvié 1, qui a pourtant un village de moins que Ganvié 2. Les populations des deux arrondissements s’illustrent comme suit en 2016 : 19155 habitants soit 51,53% pour Ganvié 1 et 18017 habitants soit 48,47% pour Ganvié 2.

Tableau 1. Effectifs de la population et des ménages des villages de Ganvié en 2016

Divisions

administratives

RGPH4-2016

N. ménages

Total

Masculin

Féminin

Taille ménage

Sex ratio

Ganvié 1

3361

19155

9926

9229

5,7

107,55

Agonmèkomey

374

1950

1066

884

5,2

120,59

Agoundankomey

537

2890

1553

1337

5,4

116,15

Kpassikomey

213

1260

656

604

5,9

108,60

Sokomey

2040

12155

6205

5950

6,0

104,29

Towokomey

197

900

446

454

4,6

98.24

Ganvié 2

2926

18017

9289

8728

6,2

106,43

Agbongamey

225

1257

622

635

5,6

97,95

Ahouanmongao

255

1567

837

730

6,1

114,66

Dakomey

1531

9451

4885

4566

6,2

106,99

Dossougao

178

1130

569

561

6,3

101,43

Gounsoégbamey

288

1789

938

851

6,2

110,22

Guèdèvié

449

2823

1438

1385

6,3

103,83

Total

6287

37172

19215

17957

5,95

107,00

RGPH-2016, Résultats définitifs de février 2016

35Un regard global de l’accroissement démographique indique qu’à ce rythme, il est possible d’émettre l’hypothèse d’un nouveau doublement de population en vingt ans.

36En dehors des données sur l’accroissement, il existe de grandes difficultés de collecte de données sur les décès. Cette situation est liée aux représentations culturelles locales. Les populations ne déclarent que les naissances au service de l’état civil ou dans les maternités. Le calcul du taux de natalité entre 2008 et 2015 nous donne un chiffre de 26,06 pour mille avec une dominance des effectifs de Ganvié 1 par rapport à Ganvié 2.

Figure 3. Évolution démographique entre 2002 et 2021

Figure 3. Évolution démographique entre 2002 et 2021

État civil, Mairie de Sô-ava.

Figure 4. Évolution des naissances entre 2008 et 2015 à Ganvié

Figure 4. Évolution des naissances entre 2008 et 2015 à Ganvié

État civil, Mairie de Sô-ava.

37Cette situation fait que le principal facteur lié à l’évolution démographique à Ganvié est le solde naturel fortement impacté par le taux de natalité. La dynamique démographique impactée par le taux de natalité agit principalement sur la densité au sein de la cité. La densité est principalement liée au mode d’occupation spatiale et à la structure sociale. En 1983, la densité de la cité était estimée à 80 hab/km² (Gnacadja, 1983). En 2016, la densité moyenne de Ganvié est de 581 hab/km² avec les densités respectives de 675,66 hab/km² pour Ganvié 1 et 505,67 hab/km² pour Ganvié 2. Elle est supérieure à la densité communale (543,79 hab/km²), ce qui traduit donc un état de surdensité par rapport à la commune en général. D’après les projections faites en 2021, cette densité passera à 713,21 hab/km² avec une population totale de 45631 habitants. Soit une augmentation de 132,21 hab/km². Dans ce même temps, la population de Ganvié est une population jeune, comme en témoigne la figure 5 sur la structure par âge de la population communale de Sô-ava en 2016.

Figure 5. Structure de répartition des âges de la population de Sô-ava

Figure 5. Structure de répartition des âges de la population de Sô-ava

RGPH4-2016, résultats définitifs de février 2016

38La structure par âge à Ganvié en 2016, en comparaison aux autres localités au sein de la commune indique une dominance de la population jeune de 10 à 14 ans (36 %), suivie de la tranche de population des 15-59 ans (29,3 %). Dans cette population jeune, on observe une dominance du genre masculin (51,69%) par rapport au genre féminin (48,31%). Ganvié 1 (51,53%) est plus peuplé que Ganvié 2 (48,47%) en dépit de sa part de ménages (5,7) qui est plus basse que celle de Ganvié 2 (6,2). En 2016, la ville de Ganvié doit faire face a un phénomène de surpopulation, caractérisé par une forte proportion de jeunes et un fort taux de natalité.

39La tendance démographique observée dans la cité n’a pas toujours connu un accroissement positif. La baisse de la productivité des eaux du lac et la dégradation de l’habitat ont eu raison de la détermination des populations à demeurer dans le site lacustre. Selon les enquêtes de Bourgoignie (1972), 25% des populations lacustres résidentes de Ganvié et Sô-zounko ; soit le tiers des travailleurs ont émigré depuis 1955. Les détails liés à l’exode de ces populations nous sont fournis par Gnacadja (1983, p. 31). Il nous apprend que le mouvement initial était assez hésitant, mais l'année 1969 a été décisive avec un pourcentage de départ de 63% : un pêcheur sur trois (soit précisément 33% des hommes âgés de 15 à 60 ans) a quitté Ganvié. Ainsi, la population active est celle qui émigre. De plus, les pêcheurs emmènent avec eux un cinquième de l'aide (20% des garçons âgés de 10 à 14 ans). La participation des femmes à ce mouvement était faible. 77% des départs se sont dirigés vers le Nigéria. Ganvié a perdu près de 40% de sa population totale, soit 4000 habitants entre 1967 et 1970. Il est également important de noter que les hommes qui ont choisi l'exode ne sont jamais partis définitivement et revenaient au moins deux fois par an pour contribuer à l'économie de la cité. L'exode saisonnier se produisait pendant les crues du lac.

40De nos jours, cet exode s’est renforcé et son caractère saisonnier tend à disparaître. Les mouvements migratoires vont majoritairement en direction de Cotonou et Abomey-calavi au Bénin, Gbadagry et Lagos au Nigéria. Les successions de migrations, majoritairement en direction de Lagos, ont contribué à la naissance d’une grande communauté de pêche installée dans la baie de la ville. Il s’agit de Makoko, plus connue sous le nom de « bidonville de Makoko ». À Cotonou sont nés des quartiers périphériques, situés à la limite entre le nord de la ville et le lac Nokoué (Ladji, Ahouansori, et cetera). Les principales caractéristiques communes des quartiers périphériques de Cotonou et du bidonville de Makoko sont le caractère de vie précaire, l’accès inapproprié à l’assainissement et aux infrastructures. On remarque ici que les populations qui quittent Ganvié pour habiter d’autres villes en essayant d'échapper à ces stress reproduisent les mêmes stress auxquels elles tentent de fuir (surpopulation, etc.).

Accès inapproprié à de l’eau salubre

41Occupée à près de 98% de son territoire par l’eau du lac en période de décrue, Ganvié connaît d’énormes problèmes d’accès à l’eau potable (Photo 3).

Photo 3. De l'eau potable pour la famille

Photo 3. De l'eau potable pour la famille

42Autrefois, la communauté se contentait simplement de l’eau du lac pour satisfaire tous ses besoins domestiques (boisson, lessive, vaisselle, douche, cuisine, et cetera). Depuis, le service d’adduction en eau potable (AEP) de la commune de Sô-ava a obtenu un appui financier du fonds du programme pluriannuel d’appui au secteur de l’eau et de l’assainissement en phase II (PPEA-II). Cette programmation a pour objectif spécifique d’ « assurer […] un accès équitable et durable à l’eau potable pour un taux de desserte d’au moins 75% » de la population de Ganvié » (Commune de Sô-ava, 2014, p.2). Les investissements issus de différents partenaires financiers nationaux, régionaux et internationaux ont permis d’équiper graduellement la cité en infrastructures d’eau potable. À titre d’exemple, le tableau 2 présente les caractéristiques du parc d’adduction d’eau dans la cité en 2016.

Tableau 2. Parc d’adduction d’eau villageoise de la cité lacustre de Ganvié

Nom de

l’AEV

Arrondis

sement

État de

l’AEV

Localités

desservies

Population

2014

Borne

fontaine

Robinet

Robinet

fonctionnel

AEV Ganvié 1

Ganvié 1

Fonctionnel

11

4635

15

28

26

AEV Ganvié 2

Ganvié 2

Fonctionnel

13

5750

15

30

23

Programmation Communale Eau, 2015-2017

43Malgré cette aide apportée, la joie d’accéder à des sources d’eau potable a laissé progressivement place à la désolation, car la qualité de l’eau puisée aux divers forages et bornes-fontaines s’est révélée assez douteuse, comme en témoigne cet extrait de la Programmation communale en eau (PCE) :

« l’eau est jugée d’une part de goût salé et d’autre part elle contiendrait des particules en suspension qui souvent après quelques heures de repos, sont observées sous forme de dépôts jaunâtres qualifiés de boues par la population. Ainsi les autorités ont porté une attention particulière à la qualité de l’eau sortie des robinets. Cette qualité sera contrôlée à la mise en service des ouvrages, et pendant l’exploitation de ces derniers. » (Commune de Sô-ava, 2014, p. 21)

44Cette situation a agi sur la perception de la communauté résidente et a semé un doute sur le changement de pratiques à adopter. En lieu et place de l’eau potable issue de l’adduction, certaines populations préfèrent consommer les eaux du lac pour les usages domestiques. En analysant le taux de desserte à Ganvié, les enquêtes ont révélé que la consommation d’eau potable par personne est en dessous de la norme prescrite par l’OMS (soit 20 litres d’eau par habitant et par jour). Pour éviter une sous-évaluation du nombre de personnes desservies, il a été tenu compte du nombre de robinets fonctionnels par borne-fontaine ou rampe avec un maximum de 250 personnes par robinet. Le Tableau 3 illustre le taux de desserte de la cité en 2014.

Tableau 3. Estimation de la desserte par arrondissement durant l’an 2014

Arrondissement

Pop.

rurale

2014

Pop.

totale

Pop.

milieu

rural

Taux de

desserte

globale %

Prévision

en m3

Production en m3

Distribution en m3

Comparaison

à la norme admise

de 10%

Ganvié 1

12498

12498

6500

52,01

23191,92

5501

3861

Écart sup. à la norme

Ganvié 2

12067

12067

6250

51,79

23209,74

2883

1656

Écart sup. à la norme

Total

24565

24565

12750

51,90

46401,66

8384

5517

Écart sup. à la norme

Programmation Communale Eau, 2015-2017

45En comparant les taux de desserte moyens de la cité (51,90%) et celui de la moyenne communale globale (49,43%), on se rend compte que la cité est assez bien desservie dans l’ensemble. Cependant, ce taux de desserte moyen ne reflète pas le fait que l’eau du lac est la plus consommée, compte tenu des perceptions liées aux eaux potables. De plus, la comparaison de la distribution d’eau par rapport à la production d’eau en 2014 montre une différence globale de 2867 m³ d’eau, soit une perte sur réseau de 34,20%. La perte enregistrée dépasse les normes admises qui sont comprises entre 0,96% et 4,7%. En comparant le niveau de consommation d’eau à la prévision de consommation, on constate que la prévision de consommation en 2014 n’a pas été couverte. L’écart de prévision s’élève à 88,11% de non-produits pour la distribution. Nous avons pu illustrer cette situation en réalisant cette même comparaison sur le trimestre de mai à juillet 2016.

Figure 6. Pertes financières liées à l’écart de distribution des AEV entre mai et juillet 2016 sur les AEV de Ganvié 1 et de Ganvié 2

Figure 6. Pertes financières liées à l’écart de distribution des AEV entre mai et juillet 2016 sur les AEV de Ganvié 1 et de Ganvié 2

Fiche récapitulative mensuelle de gestion d’AEV

Figure 7. Écart de distribution de l’eau potable entre mai et juillet 2016 sur les AEV de Ganvié 1 et de Ganvié 2

Figure 7. Écart de distribution de l’eau potable entre mai et juillet 2016 sur les AEV de Ganvié 1 et de Ganvié 2

Fiche récapitulative mensuelle de gestion d’AEV

46Les tableaux montrent des niveaux de productions faibles par rapport aux niveaux de consommations prévisionnelles. Cela s’explique par les pertes sur réseaux.

47Les pertes sur les réseaux de Ganvié 1 et 2 sont dues aux fuites constatées sur les réseaux, notamment aux lavages répétés du château d’eau par suite du dépôt des débris de fer et de sable fin après chaque pompage à Ganvié 2. Les pertes sur le réseau d’eau constituent des manques à gagner, car les revenus issus de la distribution de l’eau n’arrivent pas à couvrir les dépenses dans la péréquation du système d’adduction en eau. Par conséquent, la performance financière et la capacité de renouvellement des équipements d’adduction en eau sont menacées sur plusieurs années successives. On en conclut donc que la population consomme moins l’eau issue du service d’adduction en eau potable et que le service responsable fait face à d’importantes pertes financières. Quant à la détermination de la consommation journalière en litre et par habitant (l/jr/hab), l’observation d’écart de prévision de consommation à la consommation réelle nous fait déduire une consommation journalière de 0,94 litre/jr/hab en 2016. On note que la consommation d’eau est très faible sur l’ensemble du réseau et peut être une source de déséquilibre financier des comptes municipaux. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’on constate presque tous les jours une affluence très importante aux points d’eau potable, et ce, malgré la méfiance vis-à-vis de ce réseau d’eau potable. Cela s’observe surtout à Ganvié 1.

Figure 8. Carte SIG comparant les zones de couverture du système d’adduction en eau potable à la densité résidentielle

Figure 8. Carte SIG comparant les zones de couverture du système d’adduction en eau potable à la densité résidentielle

Fagla (2017)

48Une hypothèse liée à la répartition démographique peut expliquer cette affluence. Nous estimons que si une forte concentration de personnes qui ont confiance au réseau se localise au même endroit, alors cela crée une affluence monstre aux heures de pointe.

Accès inapproprié à l’assainissement

49Avec sa caractéristique lacustre, Ganvié se distingue par son statut aqueux, s’écartant ainsi des méthodes expérimentales en matière de gestion des déchets appliquées sur les villes terrestres. De plus, l’occupation spatiale sous forme de division cellulaire ne facilite pas la mise en place des programmes de gestion des déchets adaptés au contexte d’occupation spatiale du milieu. L’assainissement ici sera analysé sur deux aspects : la gestion des déchets solides ménagers et l’assainissement du lac à proprement parler. Le service urbain des déchets solides ménagers (DSM) à Ganvié est intimement lié à celui de la commune de Sô-ava. La commune, en absence d’un plan de gestion des DSM et des ressources limitées pour faire face aux nombreuses sollicitations en matière d’assainissement, reste impuissante dans la gestion des déchets. La production des déchets est estimée à partir des données de l’étude sur l’élaboration de la stratégie nationale de gestion des déchets solides ménagers. La quantité de déchets produite par habitant par jour entre 2015 et 2016 est estimée à 0,34 kg dans la commune de Sô-ava. Ainsi, la production quotidienne estimée des déchets solides ménagers à Ganvié est de 12,64 tonnes par jour entre 2015 et 2016. La composition des déchets est fonction des activités journalières de la population. La plus grande partie des déchets est générée par les activités quotidiennes d’échanges commerciaux de la population au sein des marchés flottants. On observe l’absence totale de structure de précollecte et l’absence d’une fourniture de service communal d’enlèvement et de gestion des DSM (Zonon, 2015). Ils sont purement et simplement rejetés dans la rivière ou dans le lac Nokoué.

50Aussi, la santé écosystémique du lac en ressort grandement affectée. La gestion des DSM constitue un problème fondamental de la dégradation de l’équilibre écosystémique. En dehors des DSM, un autre problème d’assainissement est celui de la gestion des excréta qui se pose avec acuité. Ganvié dispose de quelques blocs de latrines construits en matériaux définitifs. Ces latrines ne sont pas à la disposition de toute la population et sont aussi mal réparties au sein des komeys qui composent la cité. La population dispose donc de peu de lieux aménagés pour les fèces et les urines, hormis quelques cachettes surélevées. Face à cette situation, le lac constitue le seul et véritable réceptacle des fèces des ménages en dehors de quelques tertres inondables. En conséquence, le fond aqueux est couvert d’excréta, surtout en période d’étiage. Cette situation est surtout observée au niveau des concessions qui bordent les accumulations d’alluvions. En outre, certains individus rejettent leurs excrétas directement dans ou aux abords immédiats du lac. La conséquence immédiate est le risque de santé publique, surtout de maladies d’origine fécale dues à la contamination de l’eau par les agents pathogènes.

51Cette cohabitation entre humain et zones polluées est la cause de fréquentes de maladies et d’épidémies. Selon un médecin du centre de santé communautaire : « les populations de Ganvié souffrent très souvent de maladies hydriques et hygiéniques. Chaque année, 9% d’enfants de cette localité en meurent » surtout en saison de pluie. Le choléra, la dysenterie sont les principales causes de mortalité infantile à Ganvié » (Akouete, 2000, p. 13). Les apparitions périodiques des épidémies de fièvre typhoïde, de bilharziose, de paludisme et d’affections gastro-intestinales sont aussi à signaler, « ce qui induit de lourdes dépenses en soins de santé publique, de même qu’une baisse des rendements de production des populations actives » (Akouete, 2000, p. 13) Cette situation compromet tous les secteurs vitaux de développement de la cité. Elle affaiblit le développement du tourisme, rend vulnérable la santé de la population et réduit considérablement leur capacité au développement local et à la production de richesse.

Figure 9. Densification progressive et pollution du lac

Figure 9. Densification progressive et pollution du lac

Fagla (2017) et Pétrequin (1984)

Manque de qualité structurelle des logements

52La qualité générale du cadre d’habitat dans la cité est relativement basse. L’un des facteurs qui expliquent cette situation est la qualité structurelle des logements. La qualité structurelle est évaluée suivant les normes d’habitabilité, le confort au sein des logements et les moyens financiers employés pour l’amélioration du cadre bâti. Pour ONU-Habitat, cela consiste à relever le nombre de ménages sur ou près des sites à risque ou à évaluer la proportion des ménages vivant dans des structures temporaires et/ou délabrées. D’après les normes d’habitabilité, une surface habitable suffisante ne comprend pas plus de trois personnes partageant une même pièce. L’habitabilité d’un logement s’exprime aussi en fonction de son occupation (comparaison des pièces principales et le nombre de personnes qui occupent le logement). En 1983, sur la base d’un échantillon aléatoire de 10 concessions, Gnacadja (1983) a recensé un total de 74 cases dont 56 ont une fonction de logements, et cela pour une population évaluée à 310 personnes. Cela revenait donc à 7 ou 8 cases en moyenne par concession, dont 5 ou 6 servants de logements. L’effectif d’occupation de ces cases étant de 5 ou 6 personnes par case. En 2016, nos enquêtes nous ont montré que la moyenne de 7 à 8 cases par concession avec 5 ou 6 servants de logements n’a guère changé. Toutefois, l’effectif d’occupation est passé d’au moins 10 à 12 personnes par case, soit un doublement de l’effectif moyen d’occupation des cases.

53La surdensité résidentielle à l’échelle de l’agglomération a donc pour origine l’effectif d’occupation à l’échelle des concessions résidentielles. Le stress démographique a ainsi une grande incidence sur la qualité structurelle des logements. La surdensification impacte la qualité de vie au sein d’une concession. Puisque le mètre carré par pièce lié aux principes architecturaux n’a pas évolué dans le temps par rapport à une densité toujours croissante, le mètre carré des logements actuels est déphasé. De plus, la surdensification entraine une surexploitation des ressources écologiques, dont les matériaux locaux font partie intégrante. Ces matériaux locaux, témoins d’une architecture typique du milieu au caractère sobre et rustique, servent essentiellement à la réfection des cadres bâtis. Face à leur raréfaction et/ou leur coût exorbitant à l’achat, les populations de Ganvié se tournent vers des matériaux exogènes au milieu (tôle en aluminium pour la toiture, ciment pour réaliser des parpaings et du béton). Ces derniers ne sont pas adaptés au milieu humide puisqu’en les utilisant, les populations font face à l’inconfort thermique et à l’humidité.

54Jusqu’en 2017 et avant l’avènement des panneaux solaires, la cité n’avait aucune source en énergie électrique, hormis quelques groupes électrogènes possédés par des particuliers. Les concessions et logements ne disposaient pas non plus de système d’assainissement individuel respectueux de l’environnement. Lors de nos enquêtes, 45% des ménages enquêtés ont mentionné être insatisfaits de leurs conditions d’habitabilité. Cette grande part d’insatisfaction peut s’expliquer par les dépenses pour la réfection des bâtis au sein des concessions. En 2016, la part de dépense s’élève au moins à 5000 CFA/jr/bâti, soit au moins 150000 CFA/mois/bâti pour les moins aisés et au moins à 10000 CFA/jr/bâti, soit au moins 300000 CFA/mois/bâti pour les plus aisés. Le coût élevé de la réfection des bâtis est dû en partie à la rareté et à la difficulté d’approvisionnement en matériaux locaux. Pour une population en moyenne jeune et souvent pauvre, il s’agit d’une fortune à investir pour l’amélioration du confort dans un milieu écosystémique sous influence des changements climatiques.

Statut résidentiel non sûr

55Le statut résidentiel est un facteur important pour clarifier la légitimité d’occupation et d’exploitation d’un espace par une communauté résidente. Le caractère lacustre, qui pondère l’occupation à Ganvié, en fait un cas très intéressant. La cité est plus vieille d’au moins deux siècles par rapport au pays qui l’administre officiellement : la République du Bénin (née le 1er août 1960). De fait, il existe un point d’ombre quant à la reconnaissance officielle du droit d’usage et du droit coutumier des peuples lacustres au nord du lac Nokoué. Au Bénin, les eaux territoriales sont régies par la loi de la gestion de l’eau. Les articles 17 et 18 de cette loi, au chapitre 3 portant sur le statut juridique de l’eau, définissent : « L’eau, élément du patrimoine commun national, fait partie du domaine public. Le domaine public de l’eau comprend les eaux superficielles et les eaux souterraines ainsi que leurs dépendances et les ouvrages publics affectés ou nécessaires à leur gestion » (République du Bénin, 2010, p. 7)

56Le code foncier et domanial vient renforcer cette loi par son article 332 du TITRE V, portant sur le domaine immobilier de l’État et des collectivités territoriales, au chapitre 6 portant sur la gestion des ressources naturelles. On note :

« L’État reconnaît aux populations riveraines des plans et des cours d’eau, les droits d’usage établis ou acquis selon la coutume. Ces droits sont exclusivement transmissibles par succession et ne sont susceptibles d’aucune transaction. L’exercice de droit de pêche traditionnelle se fait dans le strict respect des dispositions des textes en vigueur, notamment celles de la législation sur la pêche ainsi que celles du présent code et dans le cadre des normes techniques établies par le ministère compétent en matière de pêche » (République du Bénin, 2013, p. 72)

57Lors de nos entretiens avec les populations, ces dernières définissent leur droit d’usage du foncier lacustre comme un droit d’occupation et uniquement d’après le régime coutumier. De même, elles considèrent leur droit de pêche comme indéniable (Photos 4 et 5).

Photo 4. Installation d'une pêcherie « Acadja » sur le lac Nokoué

Photo 4. Installation d'une pêcherie « Acadja » sur le lac Nokoué

Photo 5. Vue de dessus d'un Acadja sur le lac Nokoué en 2021

Photo 5. Vue de dessus d'un Acadja sur le lac Nokoué en 2021

58Dans cet état d’esprit, on remarque plusieurs tendances d’extension et de colonisation rapide des espaces vierges et protégés à l’est et à l’ouest de l’agglomération, les limites géographiques de la cité n’étant pas clairement définies. De même, la surexploitation des ressources halieutiques est aussi une autre conséquence de cette situation. La revendication des espaces colonisés ou la définition d’une limite physique par les autorités administratives pourraient entrainer un statut résidentiel non sûr pour les populations lacustres installées dans les nouvelles zones d’habitat récemment colonisées. Cette colonisation donnant un prélude à de futurs mouvements d’extension incontrôlés.

Discussion

59Des cinq critères de ONU-Habitat pour définir ou caractériser un bidonville, plusieurs informations ressortent dans le cas de Ganvié. À Ganvié, le problème de surpopulation se caractérise par le fort taux de natalité entrainant une surdensité en comparaison à la densité communale. Cela crée un déséquilibre de l’occupation spatiale entrainant des conflits fonciers, une mauvaise gestion des mouvements d’extensions et de colonisations des espaces naturels. Cette surpopulation provoque une mutation dans la structure des logements. Le manque de qualité structurelle des logements est marqué par la densité élevée au sein des logements (10 à 12 personnes par pièce), de mauvaises conditions d’habitabilité (absence d’éclairage et d’assainissement individuel), la mutation du cadre bâti (difficulté d’approvisionnement en matériaux locaux, matériaux exogènes inadaptés au milieu) et le coût élevé des réfections des bâtis.

60Ensuite, l’accès inapproprié à de l’eau salubre est marqué par une faiblesse de couverture, une surproduction entrainant un gaspillage par des pertes sur réseau (surproduction et faible distribution). La consommation journalière d’eau est 1,6 fois inférieure à la norme internationale. Dans le même temps, la qualité de l’eau distribuée est remise en cause par les populations, ce qui n’aide pas à infléchir la tendance de consommation des eaux du lac. L’accès inapproprié à l’assainissement et aux infrastructures est marqué par un déséquilibre du parc des infrastructures face à une démographie croissante ; une absence totale de politique en matière d’assainissement et de gestion des déchets solides. Cette situation est préoccupante, car on estime à 12,64 tonnes la production journalière de déchets solides et une quantité plus grande de liquides noirs (excréta plus fèces) déversée dans l’environnement en 2016.

61Quant au parc des équipements, il existe une disproportion entre la taille de la population actuelle et les équipements existants. En effet, par le faible taux de couverture, les habitants des zones périphériques sont obligés de parcourir de longues distances afin d’avoir accès aux services de base. Pour les services urbains offerts, ils ne sont guère satisfaisants du fait d’une insuffisance de personnel et d’un manque de moyens logistiques performants. Enfin, le statut résidentiel des populations de Ganvié pourrait devenir non sûr compte tenu de l’ensemble des problèmes liés à l’occupation spatiale et la colonisation d’un domaine public naturel, outre les conséquences d’extensions rapides que sont les pollutions générées par l’activité humaine.

62La rétrospective nous indique que par le passé, la cité lacustre de Ganvié était un habitat administré traditionnel auréolaire basé sur les activités de pêche. Mais les évènements tendanciels font que l’habitat est aujourd’hui confronté à une transformation urbaine abrupte et rapide. Cette transformation rapide de la cité lacustre est marquée par la mutation avancée de l’habitat (démographie, occupation spatiale, architecture, économie, et cetera) et la dégradation avancée du cadre environnemental. Les dynamiques en 2016 témoignent donc de la baisse qualitative du niveau de vie général de la population de Ganvié. De plus, les données obtenues induisent l’hypothèse que l’habitat lacustre pourrait évoluer progressivement en un bidonville si l’accroissement démographique progresse en même temps que le substrat écologique se détruit (disparition des ressources halieutiques à cause de la surexploitation humaine, pollution des eaux et des sols hydromorphes par les excréta humains et les déchets plastiques, étalement de la tâche bâtie et comblement du lac à cause des activités humaines, et cetera). Aussi, la transformation en cours vient remettre en cause les déclarations d’authenticité et/ou d’intégrité de Ganvié au niveau du patrimoine mondial :

« […] malgré les modifications et innovations apportées à l’habitat traditionnel par le modernisme […], cet ensemble lacustre et îlots semi-lacustres a gardé ses traits distinctifs. Le temps n’a pas modifié ni altéré de façon significative les attraits de ce terroir lacustre qui date de la fin du XVIIe siècle où les matériaux de construction s’harmonisent avec l’environnement naturel (bois, paille, végétaux et divers) » (UNESCO, 2017, p. 2)

63Les cinq critères définissant un bidonville selon les Nations unies permettent de diagnostiquer des évènements tendanciels qui entrainent des changements accélérés (transformation abrupte de l’environnement écologique du lac, mutation de l’architecture vernaculaire, baisse de la qualité de vie générale, et cetera). Ces évènements tendanciels perturbent l’équilibre sociospatial de la cité. Sur l’échelle de temps allant de 2000 à 2016, la trajectoire de persistance de Ganvié s’éloigne de la borne de la forte durabilité (high sustainability) et se rapproche de la borne de la faible durabilité (low sustainability). Les évènements perturbateurs documentés entre 2000 et 2016 (échelle de temps) à partir des cinq critères d’un bidonville (échelle de persistance) démontrent que la cité lacustre de Ganvié a subi des stress urbains d’origine tendancielle. Néanmoins, la transformation en cours à Ganvié due aux stress urbains offre aussi une opportunité : celle de l’aménagement afin d’améliorer les conditions de vie des populations. Ainsi les évènements perturbateurs favoriseraient le processus de résilience aux échelles des individus, des organisations et des communautés (IOC).

64Les données récoltées dans le cadre de cette recherche permettent de dresser un bilan analytique des évènements perturbateurs et des effets dominos sur le cadre de vie et le cadre d’habitat. Ces expériences étudiées à Ganvié permettent de confirmer en partie notre cadre conceptuel sur la différence possible entre un stress et un choc ainsi que notre proposition sur les échelles diverses et utiles à l’analyse d’un stress urbain. À ce stade de la recherche, nous confirmons que la différence fondamentale entre un stress et un choc réside au niveau de l’échelle à partir de laquelle on observe une perturbation (qu’elle soit d’origine anthropique ou naturelle). Nous confirmons aussi qu’il faut attirer l’attention sur l’origine du stress urbain afin d’avoir une approche méthodologique adaptée. Pour l’instant, nous proposons deux origines potentielles du stress urbain :

  • un stress urbain issu d’une catastrophe naturelle ou anthropique (regard influencé par la littérature sur les risques et catastrophes d’origine humaine ou anthropique) ;

  • un stress urbain issu de tendances lourdes (regard influencé par les littératures sur la résilience systémique et la résilience psychologique).

65L’état des lieux de Ganvié, à partir de données collectées durant la diachronie de 2000 à 2016, nous offre un regard intéressant sur les stress urbains. En effet, le bilan analytique témoigne du désastre lié aux effets dominos des stress urbains que vivent les individus, les organisations et les communautés du milieu construit lacustre. Cela est d’autant plus paradoxal que ce sont ces mêmes IOC qui sont à l’origine de la surexploitation des ressources écologiques, l’extension de l’habitat par colonisation des espaces vierges, la pollution des eaux et la transformation du bassin versant fluvial. Dans le cas de Ganvié, l’accès inapproprié à de l’eau salubre, l’accès inapproprié à l’assainissement et aux infrastructures, le manque de qualité structurelle des logements, la surpopulation et le statut résidentiel non sûr démontrent que les stress urbains peuvent être considérés comme des sources de désastres et de catastrophes au même titre que les chocs. Cependant, ils n’agissent pas de la même façon que les chocs lorsqu’on les observe à l’échelle de persistance, à l’échelle du temps et les actions de gestion des effets dominos liés à l’évènement perturbateur. Cette situation confirme les bonus conceptuels apportés à la pensée de Masten et Garmezy (1985) sur le stress :

  • le stress est relatif ;

  • le stress est dû à la génétique et à l’environnement ;

  • le stress dépend du contexte sociospatiale ;

  • le stress tient compte de la signification que les individus donnent à leur expérience vécue.

Conclusion

66La cité lacustre de Ganvié est un formidable exemple de système socioécologique construit où l’humain tire parti de la complexité d’un lieu pour favoriser son adaptation et sa persistance dans le temps. Les résultats d’analyse des stress urbains nous montrent qu’à Ganvié, on fait face à une transformation abrupte d’un milieu construit. Dans son évolution qualitative face aux stress urbains, la transformation entraine une baisse significative du niveau de vie des communautés résilientes. Cette transformation abrupte est liée aux conséquences successives de plusieurs évènements perturbateurs qui, avec le phénomène urbain, se combinent souvent. Dans le contexte sociospatial de Ganvié, ces évènements entrainent des effets dominos que la planification ou la gestion ne peuvent circonscrire afin d’endiguer les conséquences observées (surpopulation, amenuisement des ressources, dégradation du cadre environnemental, pollution, surexploitation de la faune et de la flore). Nous en concluons que ces évènements perturbateurs témoignent de la présence de stress urbains qui entrainent des mutations aux conséquences désastreuses pour cette communauté résiliente. La compréhension du stress urbain comme source de désastre et de catastrophe passe par la prise en compte : (1) de différentes échelles où se font sentir les conséquences des désastres ; (2) le temps d’exercice des effets domino ; (3) l’intensité des effets domino et (4) la continuité du désastre dans le temps malgré la gestion mise en œuvre pour les infléchir.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Liens entre durabilité, résilience et transformations
Crédits Elmqvist et al., 2019
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-1.png
Fichier image/png, 209k
Titre Photo 1. Une prise de vue d'un secteur de la cité via drone en 2021
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-2.png
Fichier image/png, 1,7M
Titre Figure 2. La division sociospatiale à Ganvié
Crédits Fagla (2017) sur la base du travail de Gnacadja (1983)
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-3.png
Fichier image/png, 541k
Titre Photo 2. Les femmes jouent un rôle clé dans la dynamique socio-économique de la cité
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-4.png
Fichier image/png, 1,6M
Titre Figure 3. Évolution démographique entre 2002 et 2021
Crédits État civil, Mairie de Sô-ava.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-5.png
Fichier image/png, 11k
Titre Figure 4. Évolution des naissances entre 2008 et 2015 à Ganvié
Crédits État civil, Mairie de Sô-ava.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-6.png
Fichier image/png, 8,0k
Titre Figure 5. Structure de répartition des âges de la population de Sô-ava
Crédits RGPH4-2016, résultats définitifs de février 2016
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 40k
Titre Photo 3. De l'eau potable pour la famille
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 74k
Titre Figure 6. Pertes financières liées à l’écart de distribution des AEV entre mai et juillet 2016 sur les AEV de Ganvié 1 et de Ganvié 2
Crédits Fiche récapitulative mensuelle de gestion d’AEV
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-9.png
Fichier image/png, 7,9k
Titre Figure 7. Écart de distribution de l’eau potable entre mai et juillet 2016 sur les AEV de Ganvié 1 et de Ganvié 2
Crédits Fiche récapitulative mensuelle de gestion d’AEV
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-10.png
Fichier image/png, 7,0k
Titre Figure 8. Carte SIG comparant les zones de couverture du système d’adduction en eau potable à la densité résidentielle
Crédits Fagla (2017)
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-11.png
Fichier image/png, 1,4M
Titre Figure 9. Densification progressive et pollution du lac
Crédits Fagla (2017) et Pétrequin (1984)
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-12.png
Fichier image/png, 815k
Titre Photo 4. Installation d'une pêcherie « Acadja » sur le lac Nokoué
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-13.png
Fichier image/png, 1,1M
Titre Photo 5. Vue de dessus d'un Acadja sur le lac Nokoué en 2021
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40001/img-14.png
Fichier image/png, 1,1M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Fèmy A. D. D. Fagla, Alexia Pilon Diabaté et Yona Jébrak, « Considérer les stress urbains comme potentielles sources de désastres et de catastrophes : cas de l’habitat lacustre de Ganvié au Bénin »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], 23-1 | Avril 2023, mis en ligne le 05 avril 2023, consulté le 08 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/40001 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.40001

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Auteurs

Fèmy A. D. D. Fagla

Doctorant en études urbaines à l’École des sciences de la gestion (ESG) - Université du Québec à Montréal (UQAM), Coordonnateur de la recherche sur l’adaptation urbaine auprès du Centre de recherche pour le développement international (CRDI), Montréal, Québec, adresse courriel : fagla.dohny_arnaldo_femy_degnissede@courrier.uqam.ca

Alexia Pilon Diabaté

Doctorante au programme interdisciplinaire en santé et société (DISS) – Université du Québec à Montréal (UQAM), Infirmière Clinicienne, Coordonnatrice des activités auprès du Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté), Montréal, Québec, adresse courriel : pilon.alexia@courrier.uqam.ca

Yona Jébrak

Professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’École des Sciences de la Gestion et titulaire d’un doctorat en études urbaines de l’UQAM, Directrice d’axe de recherche du Réseau inondation intersectoriel du Québec (RIISQ), Chercheure à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain, associée à l’Institut du patrimoine et au Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions, Montréal, Québec, adresse courriel : jebrak.yona@gmail.com

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Droits d’auteur

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