1Aujourd’hui le littoral atlantique est concerné comme bien des régions du monde par un phénomène de forte littoralisation. Il se traduit par une augmentation des populations et un développement des activités qui entrainent une pression importante sur les milieux littoraux. La croissance de l’attractivité de ces espaces sensibles, liée en grande partie à la recherche de leurs aménités naturelles, génère cependant de manière pernicieuse des pressions pouvant altérer ces environnements (Al Marzoogi et al., 2014 ; Burak et al., 2004 ; Dachary-Bernard et Lyser, 2016 ; Yi et al., 2018). Ces contradictions s’accompagnent d’une prise de conscience et d’une vigilance sociétale accrue pour les questions d’altération des milieux, en particulier sur les littoraux les plus fréquentés et les plus urbanisés.
2Ce contexte de vigilance par rapport aux risques liés à une dégradation de l’environnement intégré à son cadre de vie, qui apparait dès les années 1970 avec l’émergence de l’écotoxicologie, prend une réelle ampleur au début du 21e siècle autour de questions telles que l’utilisation des pesticides ou l’identification de perturbateurs endocriniens. Il explique l’apparition à l’échelle européenne d’agences sanitaires et l’acceptation sociétale de cadres réglementaires visant à renforcer la sécurité sanitaire (Tabuteau, 2007), même si la crise de la covid-19 a pu radicaliser certaines positions en matière de reconnaissance de l’utilité publique des contrôles.
3Dans ce contexte, à partir de l’interdiction durable de la baignade sur une plage de l’agglomération de La Rochelle (Figure 1) en raison d’un dépassement récurrent des normes sanitaires concernant la qualité des eaux, nous analysons la confrontation d’une population urbaine littorale au problème de contamination de l’environnement d’un espace qu’elle pratique habituellement pour des activités de loisirs. Comment la population perçoit-elle cette altération de la qualité de l’environnement de l’information ? La nature de la contamination et la dimension prévention de la mesure jouent-elles sur sa réception ? Comment la population modifie-t-elle ses pratiques de l’espace littoral en réaction à cette annonce ? Un effet mémoire et l’attachement au lieu entrainent-ils le maintien de certaines pratiques et comment jouent-ils sur la modification de l’image de la plage ?
- 1 Cet article s’inscrit dans le programme de recherche ICOMABIO, mené par l’UMR LIENSs CNRS-La Rochel (...)
4Les attendus généraux de cette recherche, qui adopte une approche de géographie de l'environnement considérant les interactions nature-société, sont centrés sur deux enjeux : la connaissance des pratiques balnéaires et leurs évolutions et une réflexion sur la manière dont la perception de la qualité de l'environnement influence l’attractivité des espaces littoraux. Ils répondent également aux préoccupations des collectivités territoriales de l’agglomération rochelaise qui souhaitent comprendre les conséquences de la fermeture de la plage dans la réorganisation spatiale des pratiques locales1.
5Pour traiter de cette question, nous précisons dans un premier temps les spécificités de cette contamination microbiologique « invisible » d’une nature particulière, puisqu’elle doit parler à la raison alors qu’elle ne parle pas aux sens. Nous abordons ensuite la question de la réponse de la population fréquentant la baie d’Aytré à ces informations. La méthode utilisée pour comprendre comment la population reçoit ces informations et comment elle adapte ses comportements est présentée dans un premier temps. Un profil général de la réception de l’information et de l’adaptation des pratiques suit pour rendre compte de l’homogénéité de la réponse de la population. Enfin, pour affiner l’analyse, l’existence de nuances dans la réponse des usagers en fonction des pratiques effectuées dans l’espace de la plage est interrogée.
6Le terrain d’étude se situe à Aytré, une commune résidentielle de la première couronne de l’agglomération de La Rochelle (Figure 1), composant un ensemble urbain de 174 000 habitants (INSEE, 2019)2. La plage d’Aytré, longue de deux kilomètres, offre un environnement plus sauvage que les autres plages de l’agglomération, car elle est bordée par une dune la séparant d’une zone de marais protégé. Marquée par une absence de zone de bain à marée basse, la fréquentation de cette plage était modeste, même avant l’interdiction de la baignade en 2018. Entre 2010 et 2014, des pics estivaux de fréquentation journalière de 500 et 1250 personnes ont été observés, alors que sur cette même période, l’ensemble des plages de l’agglomération urbaine accueillait, sur les belles journées d’été, entre 20 000 à 30 000 estivants (Vacher, 2015).
Figure 1. La plage d’Aytré, une plage de l’agglomération de la Rochelle
Carte Pascal Brunello, CTIG, La Rochelle Université 2021
7À Aytré, la contamination n’a visuellement rien d’impressionnant puisqu’elle est liée à la présence de bactéries fécales dans les eaux bordant la plage. Son appréhension repose largement sur la confiance que l’usager peut avoir à l’égard du producteur de cette information. De même, l’interdiction de la baignade entrainée par la contamination représente un autre volet dans la réception de l’information qui peut relever de mécanismes d’acceptation différents.
8La contamination fécale dont relève notre cas d’étude est établie par les mesures effectuées dans le cadre de la surveillance des eaux de baignades. En France, elles font l’objet d’un suivi réglementaire pendant la période estivale conformément à la directive européenne (2006/7/CE). Cette directive a été transposée en droit français aux articles D.1332-14 à D.1332-38-1 du Code de la santé publique (CSP) et le suivi des eaux de baignade française est donc assuré sous la responsabilité des agences régionales de santé. Quatre prélèvements d’eau doivent être effectués réglementairement durant la saison estivale sur les plages ouvertes à la baignade. Le classement de la qualité des eaux de baignade (et donc l’éventuelle interdiction de la baignade) est effectué avec l’analyse des mesures des deux paramètres microbiologiques réglementés (Escherichia coli et entérocoques intestinaux) en fin de saison estivale (Direction générale de la Santé, 2021). Sur son site internet, le ministère de la Santé précise que « leur présence dans l'eau indique une contamination d'origine fécale plus ou moins forte en fonction des concentrations relevées. Ces germes microbiens ne constituent pas en eux-mêmes un danger pour les baigneurs aux seuils généralement relevés mais peuvent indiquer, par leur présence, celle simultanée de germes pathogènes » (DGS, 2021). Il s’agit donc bien d’un indicateur de qualité bonne, moyenne ou mauvaise plus que d’une alarme signalant la présence d’agents pathogènes actifs dans l’environnement. Cependant, si la qualité des eaux est signalée comme étant insuffisante durant cinq années consécutives, une interdiction de la baignade est demandée par l’agence régionale de santé car les eaux sont définitivement considérées comme « non conformes » (DGS, 2021).
9La non-conformité de la qualité des eaux reste cependant imperceptible dans la pratique pour les usagers, d’autant plus que des altérations plus spectaculaires comme la présence d’algues, pouvant être présupposées toxiques, ou la transparence ne sont pas retenues pour classer la qualité de l'eau en fin de saison. On peut ainsi parler d’une contamination invisible et inodore. La mairie d’Aytré et le représentant de l’agence régionale de santé relèvent d’ailleurs, lors d’une réunion publique organisée par la mairie concernant l’interdiction de la baignade le 25 juin 2018, qu’aucun signalement de problème de santé à la suite d’une baignade dans la baie n’a été transmis à leurs services.
10L’interdiction de la baignade en 2018 inscrit dans les esprits de la population locale une pollution dont la cause ne peut être que nouvelle : problème avec les systèmes d’épuration des eaux, travaux d’extension du port de plaisance de La Rochelle, et cetera.. Pourtant, ici, plus qu’une nouvelle pollution, il s’agit plutôt d’un nouveau calibrage des seuils réglementaires de la qualité des eaux qui fait basculer la situation des eaux de baignade de « normale » à « anormale ». D’ailleurs, les élus rencontrés au cours des différentes réunions de travail dans le cadre du programme de recherche sont très sensibles au vocabulaire et rejettent le terme de pollution qui implique, selon le langage courant, une dégradation de l’environnement par l’introduction de substances toxiques ou de déchets à la suite d’activités humaines. Ce terme implique donc, selon eux, une dynamique « d’apport » identifiable dans le temps potentiellement lié à un défaut de gestion. Cette dynamique n’étant pas avérée, le terme est rejeté.
11Il est vrai que le phénomène « d’apparition » de la contamination semble clairement établi. Le passage de la directive européenne 76/160/CEE à la directive 2006/7/CE définissant une nouvelle méthode de classement des eaux de baignade (Bedri et al., 2016) a simplifié l’approche en ne prenant en compte plus que deux paramètres microbiologiques (5 étaient en vigueur avec la directive de 1975). Il a en revanche durci les critères définissant la qualité des eaux suffisante. En France, un certain nombre de sites de baignade, dont celui d’Aytré, sont ainsi passés d’un niveau de qualité suffisante à insuffisante par la seule évolution de la réglementation (Duboudin, 2007). Le temps de la mise en application de la nouvelle réglementation a d’ailleurs permis aux gestionnaires de voir arriver la fermeture de la baignade sans pour autant trouver les moyens de faire baisser les taux de contaminants dans la baie. En effet, les analyses effectuées depuis dix ans dans la baie révèlent que les indicateurs d'Escherichia coli et d’entérocoques sont présents sur cette période de manière relativement stable, les plaçant en dessous des seuils réglementaires avant 2006 puis au-dessus avec l’évolution de la réglementation.
12Si la contamination des eaux de baignade ne peut être appréhendée par les sens, l’acceptation de son existence par la population implique une connaissance et une adhésion aux discours portant l’information de cette contamination. La réception de l’information est donc capitale et conditionnée par différents éléments.
13Pour cela, il faut que le discours soit diffusé et que l’information arrive jusqu’aux usagers. La communication par les médias locaux, mais aussi par des affichages publics, est alors incontournable. Cependant, les affichages informant aux entrées de plage de l’interdiction de la baignade ont souvent été intentionnellement arrachés et pas toujours rapidement remplacés, ce qui a pu entrainer durant l’été des déficits d’information sur la fermeture de la baignade chez les visiteurs. La presse locale relaie régulièrement ce sujet, sans véritable mise en perspective. À l’approche de la saison estivale, elle rappelle le problème de la fermeture de la plage « Pollution, la plage est interdite à la baignade. Cela pourrait durer deux ou trois ans. Le point sur ce serpent de mer » (Sud-Ouest, 5 juillet 2018). Au fil de l’eau, différentes hypothèses « expliquant » l’origine de la contamination surgissent. Dès 2016, Sud-Ouest évoque par exemple « le mystère des mouettes … qui pourrait expliquer la pollution de l’eau » (12 août 2016). La presse fait aussi parfois l’écho de l’instrumentalisation du débat dans le contexte politique local. Ainsi « La pollution de la plage enflamme les débats » titrait Sud-Ouest le 15 septembre 2018 quand un conseiller d’opposition soulignait « la durée terriblement longue » des recherches pour trouver les causes de la pollution. Le sujet relayé par l’Agence France-Presse a même le droit à une couverture nationale en mai 2018 (Libération, Match, Le Point, Ouest France, France Info, et cetera) comme le montre ce titre vu sur le site internet du magazine Science et Avenir le 25 mai 2018 « une pollution d'origine inconnue interdit la plage d'Aytré ».
14L’importante participation aux réunions publiques d’information sur l’interdiction de la baignade souligne que globalement les usagers sont inquiets et en recherche d’information. Il est également notable que de multiples explications circulent en lien avec des préoccupations plus ou moins savantes et souvent rapportées à des problématiques proches des personnes les exprimant : des évacuations d’eaux usées douteuses chez des voisins, un envasement suspect noté par un ostréiculteur depuis les travaux du port de plaisance. Comme cela a déjà été observé (Zinn, 2008), les connaissances prises en compte par le public relèvent souvent de l’expérience vécue et mobilisent des informations incomplètes. Le ton des débats relève aussi souvent du mécontentement et d’une méfiance envers les pouvoirs locaux et les discours scientifiques suspectés au mieux d’être hors-sol et au pire de défendre des intérêts obscurs. En matière de contamination de l’environnement, de nombreuses études signalent que le discours des experts et les informations officielles comptent moins que les signes visibles des pollutions (Bickerstaff et Walker, 2001 ; Day, 2006 ; Evrard et al., 2011 ; Wakesfield et al., 2001). Cette situation relève d’ailleurs sans doute d’un contexte global plus que d’une situation locale, puisqu’en 2021, un quart des Français déclarait ne pas avoir confiance dans les scientifiques et plus de la moitié d’entre eux n’avait pas confiance dans les institutions politiques nationales (CEVIPOF, 2021). Si l’on suit l’enquête de Shepherd (2014) qui s’intéresse à la sensibilisation du public et à la réponse aux informations concernant la qualité des eaux de baignade, cette méfiance se retrouve sur les plages du sud de l’Angleterre. L'Agence gouvernementale pour l'environnement britannique (EA) est classée au quatrième rang, parmi les organisations fournissant des informations sur la qualité des eaux de baignade, pour l'exactitude, la fiabilité et l'actualité de ses données.
15Au-delà de la perception de l’existence de la contamination, les usagers sont aussi confrontés à l’interdiction de la baignade entrainée par la non-conformité des eaux aux normes sanitaires en vigueur. Cette interdiction inscrit une rupture dans la pratique des lieux. Elle soulève des problématiques générales comme la question des restrictions d’usages dans des espaces publics, la cohérence de l’articulation d’une interdiction avec les autres usages autorisés et la réception et les représentations associées à une interdiction.
- 3 L’Agence Régionale de Santé, la communauté d’agglomération et la mairie poursuivent le suivi de la (...)
16Si la fermeture des plages a été popularisée dans de nombreux endroits du monde avec les mesures de confinement durant la période de la covid, elle reste néanmoins un phénomène rare. Durant la saison balnéaire 2009 et sur un total de 2005 zones de baignades suivies sur le littoral atlantique européen (Espagne, Portugal, France, Royaume-Uni et Irlande), seuls 23 sites enregistraient des valeurs qui n’étaient pas en conformité avec les normes européennes et pouvaient donc potentiellement être concernés par une interdiction plus ou moins temporaire de la baignade. En 2018, lors de la fermeture de la baignade sur la plage d’Aytré, sur les 180 points de contrôle littoraux de l’agence régionale de santé (ARS) en Nouvelle-Aquitaine, trois présentent des niveaux de qualité insuffisants. Mais la fermeture de plage n’est décrétée que pour les deux sites de la plage d’Aytré (Platin Nord et Platin Sud), pour cause de niveaux insatisfaisants récurrents. Cette interdiction de la baignade a depuis entrainé la disparition de cette plage des sites répertoriés par l’agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine. La plage étant fermée « définitivement », plus aucun suivi sanitaire n’est affiché3. Le drapeau rouge, indiquant que la baignade est interdite, est hissé durant toute la saison estivale et le poste de surveillance de la plage a disparu. Comme l’observent Geffroy et Papinot (2005) dans le cas des interdictions de la pêche à pied en Bretagne, des réactions de rejet passant par une décrédibilisation de l’interdiction sont alors possibles avec revendication d’une expérience des lieux pour justifier un comportement déviant. Le fait que l’interdiction soit issue d’une transposition au droit national d’une directive européenne ne favorise pas une réception simple de l’information ; les institutions européennes étant considérées comme à peine plus dignes de confiance que le gouvernement du pays (CEVIPOF, 2021).
17La cohérence de l’interdiction n’est par ailleurs pas forcément évidente à saisir pour l’ensemble des usagers. L’interdiction de la baignade ne correspond pas à une fermeture de la plage qui reste ouverte de façon logique pour les pratiques de promenade, de bronzage, et cetera, mais aussi de façon plus surprenante pour les sports nautiques (kitesurf, planche à voile), importants dans la baie et particulièrement visibles. Pour l’agence régionale de santé, ces pratiques n’impliquent pas un contact aussi étroit que la baignade avec l’élément marin. Une certaine incompréhension exprimée dans les réunions publiques d’information voire un sentiment d’incohérence peuvent naître de cette situation. C’est en ce sens qu’il nous paraît pertinent de traiter la réception de l’information sur la contamination et sur l’interdiction de la baignade dans le contexte d’Aytré. Elle est abordée dans le sens de la réception sociale dans une optique proche du concept d’acceptation sociale (Almaric, 2015 ; Semmoud, 2008) et du point de vue de la perception de l’information (Krupka, 2005) relevant de différents filtres sensoriels et culturels (Bailly, 1977, 1984), mais aussi des représentations mentales des usagers (Debarbieux, 1998) concernant ces espaces de loisirs et la nature des contaminations.
18Pour traiter de la façon dont la population à Aytré fait face à cette situation de contamination invisible d’un espace dédié aux pratiques de loisir, une enquête a été conduite afin de collecter le matériau de base concernant la réception de cette information par les usagers et l’évolution ou non de leurs pratiques. L’élaboration d’une grille d’analyse a ensuite permis de structurer l’ensemble des éléments de réponse.
19Le choix de l’enquête par questionnaire a été fait pour appréhender la réception et la réaction des individus face à la contamination et à l’interdiction de la baignade de la plage d’Aytré. Ce choix de technique de recueil de données vise à collecter un nombre important de réponses, représentant au mieux la diversité des pratiques de loisirs et des réactions des usagers de la baie et des riverains et permettant un traitement quantitatif de l’information et une analyse statistique des données. Il s’agit d’être en mesure de traiter de la dimension de l’adaptation des pratiques avec une grande ampleur.
- 4 61 répondants n’ont en effet jamais fréquenté la plage et/ou n’ont pas connaissance de sa fermeture (...)
20Le mode de passation de ce questionnaire, initialement prévu in situ avec des enquêteurs pour capter l’ensemble des usagers fréquentant la plage (locaux, excursionnistes et touristes) a dû être réorienté en raison de la crise sanitaire liée au coronavirus. Une enquête en ligne a donc été diffusée par internet, à travers la presse locale et les réseaux sociaux afin de rester dans les temporalités des travaux de l’équipe pluridisciplinaire du programme de recherche. Ce mode opératoire a conduit de fait à un resserrement de la population enquêtée : ainsi tous les répondants retenus côtoient ou ont côtoyé la plage d’Aytré. Elle fait partie de leur environnement local. Si le choix de ce mode d’enquête permet de s’adresser aussi bien aux usagers ayant arrêté de fréquenter la plage à la suite de l’interdiction de la baignade qu’à ceux qui continuent ou qui la fréquentent depuis, il a été cependant plus difficile de capter les visiteurs exceptionnels sur le temps d’une journée. De même, ce choix permet d’intégrer un nombre important de répondants pouvant se projeter dans un avant et un après la fermeture de la baignade. Au final, 1053 questionnaires ont été collectés entre le 19 mai et le 20 septembre 2020, dont 992 ont été pris en compte pour cette étude4. Une stratégie d’échantillonnage non probabiliste a été utilisée, sans définition préalable de population cible, puisque le profil des usagers fréquentant la plage n’a jamais fait l’objet d’études permettant d’en dresser un profil statistiquement représentatif. Certains biais identifiés de cette méthode sont signalés au cours de la présentation des résultats.
21La question de l’origine de la contamination de la baie d’Aytré constitue l’objet central du programme ICOMABIO. Pourtant, cette contamination n’est pas abordée de façon frontale dans la structuration du questionnaire intitulé « Aytré : Perceptions et usages d’une plage fermée à la baignade ». Afin de ne pas influencer les répondants peu ou non informés et d’être véritablement en mesure de cerner le niveau de connaissance de ce problème de qualité des eaux, nous avons fait le choix d’engager le questionnaire avec (a) la mesure d’interdiction de la baignade et d’identifier à quoi cette fermeture était associée pour les enquêtés. Les enquêtés ont ensuite été invités à (b) se positionner sur la qualité des informations dont ils disposent sur ce problème (fiabilité de l’information et des sources), avant d’exprimer (c) leur niveau de connaissance sur la mesure de la qualité des eaux de baignade et de qualifier leur réaction face à ce problème (inquiétude ou non). Ce n’est qu’après un ensemble de questions sur (d) l’évolution des usages et de leur image de la plage à la suite de l’interdiction de la baignade que (e) la question des sources de la contamination est intervenue. Elle est alors abordée à travers le niveau de tolérance face à l’origine (naturelle ou humaine) des deux bactéries responsables de la contamination de cet espace de loisirs. (f) Les informations collectées ont été croisées avec les réponses à une série de questions visant à identifier différents profils d’enquêtés, de façon classique autour du lieu de résidence, de l’âge, du genre, mais aussi en fonction de leur proximité avec le lieu étudié (statut de résident principal ou secondaire, touriste, excursionniste, habitude de fréquentation, attachement) et de leur rapport aux informations (institutionnelles, scientifiques).
22Afin de rendre compte de la réponse de la population enquêté, l’analyse a été organisée autour de trois grandes idées : la contextualisation de la réception et la réaction des répondants ; la réception de la contamination et de l’interdiction ; les réactions à travers la transformation de l’image et des pratiques de loisir (Figure 2). Cette approche permet de construire un profil général d’analyse de la réponse de l’ensemble de la population enquêté, puis dans un deuxième temps d’aborder ses possibles variations.
Figure 2. Collecte et traitement de l’information du programme ICOMABIO
Le Béguec, Petit, Vacher, Agogué, Ndione, ICOMABIO, 2021
23La réception de l’information sur la contamination et de l’interdiction de la baignade est contextualisée tout d’abord à partir de l’attachement à la plage, puis à travers le rapport à la nature et le niveau de confiance dans les informations scientifiques et institutionnelles.
24L’attachement au lieu (Scannell et Gifford, 2010), qui dépend beaucoup de l’expérience du lieu (Tuan, 1977), est un élément clé de lecture. Nous faisons ici l’hypothèse que les répondants attachés à la baie d’Aytré seront d’autant plus enclins à « cohabiter » avec la contamination, à tolérer sa présence. L’attachement peut alors être défini « comme un phénomène complexe qui souligne un lien affectif positif entre des individus et des lieux familiers (lieux de vie, de vacances, de mémoire, de famille) (Altman et Low, 1992). L’aspect affectif se manifeste négativement (tristesse, manque) lorsque le lieu est soudainement dégradé ou indisponible (Mesch et Manor, 1998) » (Sébastien, 2016, p. 24).
25Le rapport à la nature est exploré avec la grille proposée par Le Corre et al. (2018) à partir des travaux de Schulz (2002). Dans ses travaux de psychologie sociale, Schulz développe en effet une intéressante échelle d’inclusion de la nature en soi (Inclusion of Nature in Self) qui permet de se représenter son rapport plus ou moins étroit à l’environnement naturel. Cet indicateur est mobilisé ici pour évaluer la concordance possible entre ce rapport à la nature et la réception de la contamination.
26Le rapport aux informations scientifiques et institutionnelles en général est ensuite évalué en s’appuyant sur la démarche du CEVIPOF (2021) pour comprendre si cette relation à l’information et à ceux qui la produisent peut être discriminante dans la réception de l’information sur la contamination de la baie d’Aytré. Par exemple, une forte méfiance vis-à-vis de ces informations pourrait être liée à une réception particulièrement négative de la contamination et de l’interdiction.
27À Aytré, la problématique de qualité de l’eau est ancienne, mais l’existence d’une contamination officiellement actée par la réglementation est relativement récente. Nous posons donc l’hypothèse que les répondants n’ayant jamais ressenti les effets de cette « mauvaise » qualité des eaux, notamment dans le cadre de leurs pratiques de baignade, doutent plus facilement de l’intérêt de ces informations.
28Pour évaluer la réception de l’information sur la contamination, nous exploitons les points suivants : premièrement, la perception qu’ont les répondants de la qualité de l’information signalant le problème ; deuxièmement, l’inquiétude suscitée ou non par la mauvaise qualité de l’eau ; et enfin son acceptabilité ou non en fonction des différentes origines possibles de la transmission bactérienne (environnementale, animale ou humaine) et de son mode de diffusion (accidentelle, naturelle). L’objectif est ici de comprendre si la recevabilité de la contamination varie en fonction des hypothèses les plus couramment admises de l’origine et de la dynamique de la contamination et, d’autre part, si les causes anthropiques sont plus tolérées par certaines catégories d’usagers de la plage comme les baigneurs ou les promeneurs de chiens.
29La réception de l’interdiction de la baignade est quant à elle examinée à partir de l’avis des enquêtés sur le niveau d’intérêt des normes entrainant l’interdiction de la baignade. Ces derniers pensent-ils que les mesures de la qualité des eaux ayant entrainé la fermeture de la baignade sont inutilement sévères ou au contraire adaptées pour garantir la qualité et la sécurité des eaux de baignade ?
30Notre grille d’analyse aborde ensuite la réaction des enquêtés à travers leurs pratiques et dans leurs perceptions de la plage. Comment les usagers réagissent-ils dans leurs actes et dans leur manière d’envisager l’espace de la plage d’Aytré à la réception de cette information sur la contamination et sur l’interdiction de la baignade ?
31Une première question aborde l’évolution de l’image de la plage à la suite de la fermeture à la baignade. Le but étant de vérifier si la contamination mise à jour par cette fermeture a entrainé une dégradation notable de l’image de la plage.
32L’importance de ceux qui définissent la plage comme un lieu pollué ou contaminé après l’interdiction est ensuite interrogée. L’idée est ici de connaitre les mots sélectionnés par les enquêtés pour « dire » la plage. L’hypothèse est que, selon leurs pratiques, la contamination a une place plus ou moins prépondérante dans les esprits. Les répondants ayant des pratiques au contact de l’eau définissent possiblement moins la plage à travers la contamination.
33Dans un troisième temps, c’est l’évolution des pratiques des enquêtés qui est évaluée avec pour hypothèse qu’un certain nombre de répondants ont arrêté toutes leurs pratiques de la plage en raison de la contamination et de la fermeture à la baignade, y compris celles qui n’ont pas de rapport avec l’eau (promenade, jogging). L’arrêt de toutes pratiques concernent les pratiquants particulièrement inquiets par la mauvaise qualité de l’eau. Il s’agit ensuite d’évaluer la part de ceux ayant arrêté une partie seulement de leurs pratiques, notamment celles en contact avec l’eau. Certaines personnes qui fréquentaient la plage d’Aytré ont en effet choisi de privilégier la fréquentation d’autres plages.
34L’évolution de la place de la plage d’Aytré dans les préférences des usagers avant et après la fermeture de la baignade est ensuite abordée. Le classement est élaboré à travers la notion de présence et de place dans un palmarès des trois plages (proches) les plus fréquentées. Il s’agit d’identifier la part des personnes fréquentant habituellement la plage avant l’interdiction de la baignade qui ont reporté leurs pratiques sur d’autres lieux proches (en général d’autres plages de l’agglomération de La Rochelle) après la fermeture de la baignade. Un accent particulier est notamment mis sur les répondants ayant cessé leurs pratiques de bain.
35Enfin, les deux derniers indicateurs de notre grille d’analyse (Figure 4) se réfèrent à la réaction des usagers face à des propositions d’aménagement de la baignade tenant compte de variations spatio-temporelles de la contamination. Ainsi a été testée auprès des enquêtés l’idée d’une ouverture de la plage dans certains périmètres en cas de contamination d’origine environnementale localisée. Cette hypothèse du programme ICOMABIO avance l’idée que tout ou une partie de la contamination est liée à des bactéries non pathogènes pour l’homme présentes dans l’environnement, mais détectées comme des bactéries fécales dans les analyses sanitaires. A aussi été proposée aux enquêtés l’idée d’une ouverture de la baignade sur certains horaires si l’hypothèse d’une concentration de contaminants liée à la marée était confirmée. Cette deuxième possibilité concerne un phénomène de balayage des fientes de mouettes sur le vaste estran particulièrement plat au moment des marées, entrainant des concentrations temporaires de contaminants « naturels » se diluant rapidement à marée haute.
Figure 3. La plage d’Aytré et son estran vaso-sableux découvrant sur 1,5 km à marée basse
Photo Luc Vacher 15/07/2019
36La réception de l’information sur la contamination des eaux et sur l’interdiction de la baignade par les personnes connaissant et/ou fréquentant la plage d’Aytré s’est avérée plutôt homogène. L’analyse des réponses ne révèle pas de grandes oppositions définissant des profils profondément différents. Aussi, l’idée de définir un profil moyen de réception, dont il sera possible d’analyser les légères variations, fait sens dans cette étude.
37L’analyse de ce profil général aborde dans un premier temps la sensibilité des usagers aux discours « officiels » et scientifiques et leur relation à la plage et à l’environnement de manière plus générale pour contextualiser la réponse des enquêtés à la situation de contamination. Ensuite, la réception de l’information sur la réalité de la contamination est abordée avant de s’intéresser à l’acceptation de l’interdiction de la baignade. La manière dont les usagers ont adapté leurs pratiques à la situation et comment l’image de la plage a évolué constitue le dernier volet structurant ce « profil type ».
38Une hypothèse initiale de l’étude était que de fortes variations existaient en termes de réception de l’information sur la contamination et de l’interdiction de la baignade, et de réaction de la population à ces mesures en fonction du profil des usagers (type de pratiques, sensibilité environnementale, confiance dans les institutions, et cetera). Cette hypothèse n’est que très partiellement vérifiée. En effet, s’il existe des nuances dans la réception de l’information, en particulier en fonction du type de pratique (comme nous le verrons plus loin), la réponse globale de la population enquêté présente une certaine homogénéité de réception et de réaction. Il ne semble pas exister de controverses vraiment fortes entre des groupes d’individus par rapport à la contamination et à l’interdiction. En réalité, cette relative uniformité de la réponse est sans doute révélatrice d’une forme d’homogénéité de la population qui a répondu à l’enquête.
- 5 Les documents de communication invitaient à répondre sur « Votre perception et vos usages de la pla (...)
39Les répondants sont des personnes qui s’intéressent suffisamment à la plage d’Aytré et se sentent suffisamment concernés par l’usage de cette plage pour répondre à une enquête en ligne5. Sans surprise, les répondants sont donc essentiellement des habitants qui résident dans le voisinage direct de la plage qui fait partie de leur offre d’espaces de détente de proximité. Ce sont des résidents principaux pour la grande majorité (91,4 %) dont la moitié vivent dans la commune d’Aytré (55,4 %) et un quart (25,5 %) dans une commune limitrophe (La Rochelle, Périgny, Saint-Rogatien, La Jarne et Angoulins). L’importance des visiteurs (2,1 % de touristes et 3,6 % d’excursionnistes) et même des résidents secondaires (2,8 %) parmi les enquêtés est très faible au regard de la fréquentation de la baie dans une période récente. En 2014, la fréquentation estivale de la plage d’Aytré comportait 60 % de touristes, 10 % d’excursionnistes et 4 % de résidents secondaires (Koehren et al., 2015). La faible part des visiteurs ayant répondu, en partie liée au mode de passation en ligne, est une des limites de cette enquête. Cette faiblesse est cependant à relativiser au regard des questions posées impliquant une connaissance, discrète chez les visiteurs, de la situation avant la fermeture de la baignade. La réponse des habitants est aussi particulièrement intéressante puisqu’il s’agit d’acteurs concernés dans leurs habitudes par la problématique locale de la contamination de la baie, et dont les choix sur la relocalisation des activités ne sont pas forcément aussi simples que pour les visiteurs.
40Le mode de passation de l’enquête via une interface web a aussi joué dans la définition du groupe de répondants. Ainsi les personnes les plus âgées sont particulièrement sous-représentées chez nos répondants si on se réfère à la population communale : 15,45 % des enquêtés ont plus de 60 ans alors qu’ils représentent plus de 31 % dans la population de la commune d’Aytré (INSEE, 2017). Notre groupe de répondants est aussi très féminin (58 % de femmes) ce qui n’est pas forcément étonnant au regard des pratiques de plage. Guyonnard (2017) signale en effet que la plage est un espace très féminin et que cette tendance est classique sur toutes les plages du monde occidental. Elles se sentent donc possiblement plus concernées que les hommes par une enquête portant sur cet espace de pratique. Leur sensibilité élevée à l’environnement est régulièrement signalée dans la littérature (Blocker et Eckberg, 1997 ; Lévy et al., 2014 ; Shahn et Holzer, 1990) et joue aussi sans doute sur ce taux important de réponse.
41L’attachement à la baie d’Aytré est un des éléments qui montre une relative homogénéité de la population : 82,7 % des répondants s’y déclarent attachés (Figure 4). Pour l’illustrer, il est aussi possible d’évoquer la proximité à la nature des répondants (67,5 %) ou encore leur confiance dans les informations reçues. La majeure partie des enquêtés a confiance dans les informations qu’elle reçoit en général. Néanmoins, la part d’enquêtés ayant une faible confiance dans le discours scientifique s’élève tout de même à un répondant sur cinq (20,6 %) et près du double (37,9 %) est méfiant par rapport aux informations issues de sources institutionnelles. Pour la confiance dans les informations fournies par les scientifiques, il est imaginable que la difficulté des scientifiques à déterminer l’origine de la contamination et la multiplication des explications parfois contradictoires participent à la méfiance vis-à-vis du discours scientifique dans le cadre de la baie d’Aytré. Cependant, à l’échelle nationale, la même proportion de « confiants » (78 %) et « méfiants » vis-à-vis des scientifiques ressort (CEVIPOF, 2021), le contexte local ne semble donc pas influer. De même, pour les informations institutionnelles, le contexte que l’on retrouve à un niveau national de manque de confiance dans les institutions politiques à tous les échelons, entre 32 % (municipalité) et 61 % (gouvernement) (CEVIPOF, 2021), semble davantage expliquer les fortes valeurs de l’enquête que le contexte local.
42Les enquêtés présentent ainsi de nombreuses caractéristiques communes, ce qui incite à étudier globalement leur réponse à la situation de contamination. En premier lieu, voyons comment ils reçoivent l’information sur la contamination et la mesure d’interdiction de la baignade qui en découle.
43De manière générale, la contamination est une information prise au sérieux. La plus grande partie des répondants ne remet pas en question l’information sur le problème de qualité des eaux de baignade même si un enquêté sur trois considère cette information comme fantaisiste ou à vérifier (30,3 %). Certains répondants ne comprennent pas que l’eau soit impropre à la baignade à Aytré alors qu’elle est de bonne qualité sur les plages de La Rochelle situées à quelques kilomètres, et nombre d’entre eux soulignent ne ressentir aucun effet négatif malgré des pratiques de bain régulières. D’autres répondants sont aussi surpris qu'une eau impropre à la baignade permette l'exploitation ostréicole (à l’entrée de la baie à environ 1,5 kilomètre de la plage).
44Les enquêtés sont davantage partagés sur le caractère anxiogène de cette mauvaise qualité de l’eau. Près de la moitié d’entre eux (45,3 %) se déclare inquiets au sujet de la situation alors que l’autre moitié (54,7%) considère qu’elle ne représente pas une véritable menace. Pour ces derniers, cela s’explique probablement par l’ancienneté de la problématique de cette mauvaise qualité et l’habitude de vivre avec. À l’inverse, les questions qui restent en suspens au sujet de l’origine de la contamination et le manque de connaissance des enquêtés peuvent faire naître des inquiétudes et des avis divergents.
Figure 4. Réponse de la population enquêtée sur la contamination de la baignade et l’interdiction de la baignade à Aytré en 2020
1053 questionnaires collectés entre le 19 mai et le 20 septembre 2020 – 992 traités. Le Béguec-Petit-Vacher – ICOMABIO 2020
45L’origine précise de la contamination est une question qui demeure encore sans réponses certaines et qui fait débat. Les enquêtés ont donc été amenés à se positionner sur l’acceptabilité ou non de la contamination en fonction de différentes causes établies comme possibles par les microbiologistes du programme. Il est intéressant de constater qu’en fonction des scénarios, les répondants se positionnent différemment. En effet, 90,8 % des répondants considèrent qu’une origine naturelle (faune sauvage, écosystème de la baie) est tolérable, qu’elle peut être supportée. À l’inverse, une contamination d’origine humaine ou assimilée est bien moins tolérée. Une contamination ayant pour origine les animaux de compagnie du fait des déjections canines par exemple est peu tolérable pour les répondants (15,4 % des enquêtés la considèrent comme tolérable). Les rejets sauvages d’eaux usées ou les dysfonctionnements de système d’épuration, quand ils sont assimilés à une pollution permanente, sont aussi très mal acceptés (8,4 % la considèrent tolérable). Une origine accidentelle, provenant des eaux de ruissellement par exemple, est un peu mieux acceptée par les enquêtés (21,4 %).
46Malgré les doutes d’une partie des enquêtés sur l’existence de la contamination et l’absence d’inquiétude pour plus de la moitié d’entre eux, la mesure d’interdiction est globalement acceptée. Néanmoins, une part non négligeable d’entre eux (19,6 %) considère que l’interdiction de la baignade est inutilement sévère. On peut imaginer que les baigneurs qui fréquentent la plage depuis longtemps sans avoir constaté de désagrément en lien avec cette baignade n’adhèrent pas à l’idée d’une nécessaire interdiction.
47Même si les enquêtés ne s’accordent pas tous sur l’existence de la contamination et de l’utilité de l’interdiction, des changements en termes de perception de la plage et de comportements sont notables depuis la fermeture à la baignade. L’analyse de la réaction des usagers de la baie à partir de l’évolution de leur image, de leurs pratiques et de leur fréquentation de la plage depuis la fermeture à la baignade permet d’appréhender ces changements.
48L’existence de contaminants dans la baie avant la fermeture de la baignade étant connue par une partie des usagers, il est possible que l’image de la plage chez les enquêtés, proches de la baie n’ait que peu évolué. Même si l’image positive s’est globalement maintenue pour la plupart des répondants depuis la fermeture à la baignade, près de trois répondants sur dix (29,8 %) déclarent que la fermeture a (plutôt) dégradé l’image qu’ils ont de la plage (Figure 4). Ainsi, le mot « contaminé » est aujourd’hui jugé comme le terme le plus approprié pour décrire la plage pour 14 % des répondants. De même, l’expression de « plage polluée » a été retenue par 13,7 % des enquêtés et « plage interdite » par 9,9 % d’entre eux. C’est donc plus d’un tiers des répondants (37,6 %) qui choisissent un terme péjoratif lié à la contamination pour qualifier la plage. Les termes positifs sont toutefois majoritaires et la plage reste fréquemment définie comme « tranquille » (33,3 %), « grande » (12 %) ou encore « jolie » (8,8 %) rappelant que la proximité au lieu des enquêtés et le lien affectif jouent un rôle important dans le maintien d’une bonne image de la baie malgré la contamination.
49Cette fermeture a également impacté les pratiques de loisir (Figure 5). Avant la fermeture, les principales activités sur la plage d’Aytré étaient : la promenade et le jogging (86,8 %) principalement en dehors de la saison estivale ; la baignade (65,3 %) ou se tremper seulement les pieds (75,2 %) et le repos souvent associé aux pratiques de bronzage (68,8 %). Les jeux de sable avec les enfants étaient aussi courants (44,3 %) comme les sports nautiques (23,1 %). La pêche à pied, moins pratiquée, était quand même l’activité de 17,1 % des pratiquants. Il faut noter que cette activité ne s’organise pas nécessairement à partir de la plage. Elle peut, lors des grandes marées, concerner les parties les plus éloignées de l’estran auxquelles on accède à partir des côtés de la baie.
Figure 5. Les pratiques de loisir sur la plage d’Aytré avant et après la fermeture à la baignade
Enquête ICOMABIO 2020 – 19/05-20/09/2020 - 992 répondants
Sur les 992 répondants 924 avaient des pratiques avant et 925 après, sachant que la différence correspond à un nombre de personnes ayant abandonné toutes pratiques à peu près équivalent au nombre de celles ayant débuté des pratiques à Aytré depuis la fermeture de la baignade.
Figure 6. Après l’interdiction de la baignade en 2018, la plage d’Aytré reste fréquentée
Photo Luc Vacher – 11/08/2018
50Malgré l’interdiction de la baignade en 2018, la pratique du bain n’a pas disparu, même si elle a fortement diminué. Si elle concernait trois répondants sur cinq avant la « fermeture », l’activité ne concerne plus qu’une personne sur cinq après. On continue cependant à se tremper les pieds à Aytré de manière plus notable, puisqu’une personne sur deux déclare continuer de le faire.
51Cette valeur est proche des chiffres de ceux qui fréquentent la plage en s’allongeant sur le sable pour se reposer et bronzer. On peut imaginer que les deux pratiques sont liées. La diminution pour ces pratiques de plage sans bain est cependant notable en particulier pour ceux qui se rafraîchissent les pieds dans l’eau (48,9 % contre 75,2 % avant l’interdiction). Alors que ceux qui viennent pour le repos ou le bronzage représentent aujourd’hui un peu plus d’un usager sur deux (56 % contre 68,8 % avant l’interdiction). La réduction du poids de ceux qui fréquentent la plage avec des enfants ne semble pas plus forte (35% après l’interdiction contre 44 % avant). On aurait pu penser que l’inquiétude pour les enfants aurait chassé de manière plus radicale les parents plus inquiets pour leurs enfants que pour eux-mêmes, cela ne semble pas le cas. Cependant avec seulement un tiers des usagers déclarant aujourd’hui les jeux de sables avec enfants, la plage bascule sans doute en dessous de ce qui est attendu sur les plages de l’agglomération rochelaise où les enquêtes montrent que les enfants sont présents dans 40 à 50 % des cellules de plageurs (Guais et al, 2011 ; Koehren et al, 2015).
52Pour les pratiques de planche aérotractée (kitesurfing), la stabilité peut être trompeuse. En effet, si la baisse du nombre de pratiquants est faible (213 personnes à 207), le nombre de départ (25) a été largement compensé par l’arrivée de nouveaux pratiquants (19). Toutefois, il s’agit peut-être d’un simple renouvellement des pratiquants. Après avoir clarifié le poids des différentes activités sur la plage d’Aytré avant et après l’interdiction de la baignade, il est intéressant de se focaliser sur les évolutions concernant uniquement les usagers qui la pratiquaient avant la fermeture.
Tableau 1. Des pratiquants qui ont souvent arrêté leur pratique avec la fermeture de la baignade
Les pratiques…
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Pratiquants avant la fermeture à la baignade
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… parmi ces pratiquants ceux qui
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continuent la pratique après la fermeture
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ont arrêté la pratique avec la fermeture
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Effectif (% des pratiquants avant)
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Effectif (% des pratiquants avant)
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Pêcher à pied
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158
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79 (50 %)
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79 (50 %)
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Faire du kite ou
de la planche
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213
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188 (88,3 %)
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25 (11,7 %)
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Se baigner
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603
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158 (26,2 %)
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445 (73,8 %)
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Jeux de sable avec les enfants
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409
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297 (72,6 %)
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112 (27,4 %)
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Se reposer ou bronzer
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636
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462 (72,6 %)
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174 (27,4 %)
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Se promener / jogging
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802
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755 (94,1 %)
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47 (5,9 %)
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Enquête ICOMABIO 2020 – 19/05-20/09/2020 - 992 répondants
Sur les 992 répondants 924 avaient des pratiques avant et 925 après, sachant que la différence correspond à un nombre de personnes ayant abandonné toutes pratiques à peu près équivalent au nombre de celles ayant débuté des pratiques à Aytré depuis la fermeture de la baignade.
53Les kitesurfeurs et les promeneurs sont en effet peu nombreux à avoir cessé leur pratique dans la baie depuis l’interdiction de la baignade (respectivement 11,7 % et 5,9 %), sachant que l’abandon n’est pas toujours lié aux conditions sanitaires : déménagement, changement de pratique, et cetera. Cependant, il est clair que pour d’autres pratiques la situation est moins simple : un gros quart (27,4 %) de ceux qui pratiquaient la plage pour le repos, le bronzage et les jeux de plage ont arrêté cette pratique et trois personnes sur quatre (73,8 %) pratiquant le bain ne se baignent plus.
54Il est intéressant de voir que les pêcheurs à pied se sentent moins concernés que les baigneurs, la moitié a arrêté sa pratique dans la baie, mais l’autre continue. Il faut dire que la pratique concerne une zone éloignée de la plage qui se découvre uniquement lors des grandes marées et que les parcs à huîtres proches de ces zones de pêche à pied ne sont pas officiellement concernés par la pollution.
55Si la plupart des usagers n’ont pas abandonné toutes leurs pratiques en lien avec la plage d’Aytré (6,5% des répondants seulement ont arrêté toutes pratiques) avec le maintien de l’activité de promenade, la moitié d’entre eux (51,5 %) a interrompu une partie de ses pratiques à la suite de la fermeture à la baignade. Avant l’interdiction de la baignade, Aytré était pour ceux qui la fréquentaient, une plage centrale dans leurs pratiques. Près des trois quarts (72%) classent Aytré dans les trois plages proches (accessible dans la journée) qu’ils fréquentaient le plus. Aytré était alors la plage la plus fréquentée par les répondants à l’enquête, devant les plages reconnues de Châtelaillon-Plage à 5 kilomètres au sud et celle des Minimes à La Rochelle à 4 kilomètres au nord. Après la fermeture, on observe des phénomènes de report. Ce n’est plus que la moitié des répondants (47,4 %) qui la classe dans leur « top 3 ». La plage de Sablanceaux, à l’entrée de l’île de Ré est celle qui bénéficie le plus du phénomène de report, devant les deux plages les plus proches d’Aytré, Angoulins et Châtelaillon-Plage (Figure 7). Il peut paraître étrange que la plage connaissant l’augmentation la plus notable soit une plage de l’île de Ré, relativement éloignée d’Aytré. Néanmoins, cette plage, accessible en bus urbain, a pu bénéficier du report des Rochelais qui fréquentaient Aytré et pour qui la plage rétaise n’est pas plus éloignée et présente certaines caractéristiques proches en matière d’étendue et de possibilité de trouver des espaces de faible densité d’occupation. De surcroît, des plages plus confidentielles et plus proches, comme celle d’Angoulins ou la plage du Roux situées à moins de deux kilomètres de la plage d’Aytré, et qui restent des plages secondaires (faible étendue, présence de galets ou de platier rocheux), ont aussi vu leur fréquentation augmenter.
Figure 7. Aytré, une plage dont la place change dans les préférences locales
depuis la fermeture de la baignade.
Enquête ICOMABIO 2020 – 19/05-20/09/2020 - 992 répondants
56Si les usagers peuvent déplacer leurs pratiques, la proximité affective et géographique avec le lieu les incite à rester ouverts à une possible cohabitation avec la contamination si celle-ci, en lien avec des causes « naturelles », pouvait être définie dans le temps (marée) ou dans l’espace. Plus de la moitié des répondants se dit (plutôt) prête à se baigner dans une partie de la baie (56,6 %) si la contamination apparaît à un autre endroit précis de la baie. De la même façon, plus de la moitié des répondants se dit (plutôt) prête à se baigner à des heures précises et différentes chaque jour (53,6 %) si l’on est capable de démontrer que la contamination apparaît seulement à des moments précis de la marée, en lien avec le phénomène de balayage des fientes d’oiseaux.
57La réponse de la population est donc globalement homogène. Néanmoins, on note qu’en fonction de leurs pratiques, les usagers réagissent de manière contrastée entre ceux qui continuent leurs pratiques et ceux qui les ont arrêtés ou les ont déplacées sur d’autres plages locales. À la suite de ce constat, trois nuances en matière de réponse à la situation de contamination ont donc été analysées.
58Différents motifs conduisent ou ont conduit la population enquêté à fréquenter la plage d’Aytré : se baigner, se promener ou faire du jogging, se reposer ou bronzer, et cetera. Selon les usagers, les combinaisons de pratiques sont presque infinies. Les trois quarts des kitesurfeurs par exemple sont aussi des promeneurs (143 sur 207). De façon globale, 73,4 % des répondants fréquentant actuellement la plage et 83 % de façon antérieure à 2018 sont des multi-pratiquants. Il n’est à l’évidence pas envisageable d’aborder la réponse des enquêtés en fonction de chacune des combinaisons. Des nuances apparaissent cependant pour certains groupes de pratiques. Ce sont donc seulement les plus significatives qui sont présentées ici. Elles ne constituent pas la réponse des uns s’opposant à la réponse des autres, mais bien des nuances dans la réponse globale vue à travers le prisme d’une pratique ou d’un groupe de pratiques.
59Les pratiques ont été abordées en trois groupes, selon le niveau supposé d’exposition des pratiquants à la contamination. Le premier prend en compte les enquêtés ayant un usage lié à l’eau (baignade, sports nautiques, pêche) ; le second concerne ceux développant des pratiques sur le sable (repos, bronzage, jeux de plage) ; le dernier traite de ceux qui fréquentent la baie pour des pratiques de promenade/jogging. Les variations dans les réponses ont aussi été prises en compte pour les pratiques dont l’évolution depuis la fermeture a été notable et les effectifs statistiquement signifiants.
60La réaction des usagers est assez homogène chez ceux qui maintiennent des pratiques liées à l’eau (bain, sports nautiques, pêche) malgré l’interdiction de la baignade, comme ceux qui ont arrêté ces pratiques. Pour autant, entre ces deux groupes, la réception et les réactions divergent.
61Globalement, les répondants ayant aujourd’hui des pratiques au contact de l’eau rejettent fortement l’idée d’une contamination. En effet, ces usagers doutent beaucoup plus que la moyenne de la fiabilité de l’information sur cette pollution (entre 40,6 % et 57,2 % contre 30,3 % pour l’ensemble). Certains mettent en avant l’absence de symptômes malgré leur pratique régulière de l’eau pour justifier cette position. Il est notable que les individus ayant ces types de pratiques soient relativement peu inquiets et soient un peu plus tolérants sur la diversité des origines de la contamination. Ils sont nombreux à estimer en conséquence que l’interdiction est inutile/trop sévère, et ce beaucoup plus que la moyenne (entre 28,7 % et 48,7 %), d’où des transgressions de l’interdit plus courantes. Néanmoins, parmi ces répondants qui ont des pratiques au contact de l’eau, les kitesurfeurs et véliplanchistes sont plus « modérés » avec une réception plus proche de celle du profil général. Il faut dire qu’ils ne sont pas directement concernés par l’interdiction, ce qui peut expliquer leur position plus nuancée.
Tableau 2. Des nuances dans la réponse des usagers en fonction des pratiques présentes ou passées
Enquête ICOMABIO 2020 – 19/05-20/09/2020 - 992 répondants
62L’image de la plage s’est aussi moins dégradée chez les personnes ayant conservé une pratique liée à l’eau malgré la fermeture à la baignade. Elles gardent une bonne image de la plage d’Aytré, ceci est d’autant plus vrai pour les baigneurs et les kitesurfeurs. En effet, leur représentation s’est moins dégradée et les termes faisant référence à la contamination (polluée, interdite, contaminée) sont moins retenus comme appropriés pour décrire la baie. Seuls 5 baigneurs sur 172 choisissent un de ces termes péjoratifs pour « dire » la plage (soit 2,9 % des répondants de leur catégorie).
63Il est notable aussi de voir qu’une proportion importante de ces répondants pratique la plage « comme avant ». C’est particulièrement vrai pour ceux qui ont continué à se baigner. Ils sont presque absents (5,8%) des enquêtés ayant cessé une partie de leurs pratiques de la baie (Tableau 2). Les kitesurfeurs et véliplanchistes sont eux aussi plus discrets dans cette catégorie (33,2%) qui pourtant compte plus d’une personne sur deux à l’échelle de l’ensemble des enquêtés (51,5%).
64L’attachement pour la plage d’Aytré de ceux qui continuent à avoir des pratiques aquatiques est systématiquement supérieur au profil « général » de l’ensemble des enquêtes. Il est maximal chez les baigneurs actuels avec plus de 95% qui déclarent se sentir attaché. L’expression de cet attachement s’exprime aussi par le fait qu’elle reste parmi les plages « préférées » de ces usagers. L’évolution du classement des plages les plus fréquentées montre que la place de la plage d’Aytré reste forte pour les baigneurs (moins 4,5 points de pourcentage entre avant et après la fermeture de la baignade) et les kitesurfeurs (moins 9,6 points). Enfin, ces pratiquants étant toujours au contact de l’eau malgré la contamination, ils sont, sans surprise, les plus ouverts aux solutions de cohabitation avec la contamination.
65Ceux qui ont arrêté les pratiques au contact de l’eau sont, en toute logique, à la fois plus réceptifs à l’idée de la contamination et plus inquiets. En effet, ces personnes doutent moins de l’information sur la qualité de l’eau (25%) que la moyenne (30,3%). L’écart n’est cependant pas énorme, ce qui peut s’expliquer par une confiance dans les informations issues du monde scientifique ou institutionnel proche de la moyenne. Cette situation est confirmée pour les anciens baigneurs, mais pas pour ceux qui ont arrêté la pêche à pied et qui ont une attitude beaucoup plus méfiante face à l’information « officielle » (Tableau 2). Ces anciens pêcheurs sont aussi les plus inquiets sur la qualité de l’eau (65,8 %), beaucoup plus que la moyenne (45,3%) et même davantage que les anciens baigneurs (57,6 %). Le fait que les pêcheurs soient les plus inquiets peut se comprendre puisque la plupart des produits collectés (crabes, coquillages, et autres) sont consommés par les familles. Mais là encore, il serait intéressant de comprendre pourquoi seuls 25 % de ceux qui continuent à pêcher se déclarent inquiets de la qualité des eaux. L’ancienneté de la pratique et l’expérience sur le long terme de la consommation des produits pêchés peuvent expliquer cette situation. On peut supposer que ceux qui ont arrêté la pêche à pied avaient une pratique plus récente ou plus irrégulière associée à une expérience et un désir différents.
66L’inquiétude qui existe chez ces pratiquants d’avant, notamment les pêcheurs, est associée à une tolérance plus faible que la moyenne envers les diverses sources de contamination (Tableau 2). Les anciens baigneurs pensent quant à eux que l’interdiction est justifiée dans leur très grande majorité (85%).
67Si la perception de la situation de contamination est plutôt négative chez les usagers qui avaient une pratique liée à l’eau, leur réaction est elle aussi marquée. La dégradation de l’image de la plage est ainsi nette chez les anciens baigneurs (39,3 %) ou les anciens pêcheurs à pied (46,8 %). Il est cependant notable, comme nous l’avons déjà signalé, qu’il s’agisse davantage de nuances à une situation moyenne (29,8 % de l’ensemble des répondants ont vu leur image de la plage se dégrader) que de véritables différences de profils. En effet ils restent nombreux à déclarer que leur image de la plage ne s’est pas dégradée malgré l’arrêt de leur pratique. Ils ne sont d’ailleurs que 1 sur 4 à choisir le terme de « contaminée » pour qualifier la plage. Cependant, ils ont presque tous déplacé une partie de leurs pratiques vers d’autres plages et 1 enquêté sur 10 a stoppé l’ensemble de ses pratiques sur la plage d’Aytré.
68La réponse des pratiquants ayant ou ayant eu des pratiques au contact du sable est proche de ceux ayant eu des pratiques aquatiques. Elle reste cependant en général plus mesurée et donc plus proche de la moyenne. Nous avons déjà signalé que la baie d’Aytré, sans possibilité de bain, est moins attractive pour les pratiques de plage, d’autant plus si les usagers s’inquiètent pour leur santé ou celle des enfants jouant dans le sable. Pour 2 répondants sur 3 pratiquant les jeux de sable aujourd’hui, la contamination inquiète pour la santé des enfants, alors qu’ils ne sont qu’un tiers dans l’ensemble des répondants. En effet, sur les plages de l’Atlantique où une partie importante du sable peut être recouverte par l’eau lors des grandes marées, le sable peut être considéré comme porteur de la contamination et présenter un risque sanitaire.
69Cette réponse empreinte d’inquiétude est bien sûr forte chez ceux qui avaient ces pratiques de sable avant la fermeture de la baignade et qui y ont aujourd’hui renoncé. Ils sont plus inquiets et moins tolérants concernant l’origine de la contamination et acceptent mieux l’interdiction. Leur image de la plage est également plus dégradée que la moyenne avec une association plus importante de la plage à la contamination (Tableau 2). Enfin, ces usagers délaissent plus nettement Aytré au profit d’autres plages que les autres. Alors qu’ils étaient 3 sur 4 à répondre qu’Aytré faisait partie des trois plages proches les plus fréquentées avant la fermeture de la baignade, ce que représentait la situation moyenne, ils ne sont plus qu’1 sur 5 à la garder dans leur top 3 des plages les plus fréquentées après. Cette valeur est très basse au regard de l’ensemble des répondants qui sont 1 sur 2 (47,4%) à continuer à déclarer Aytré comme une de leurs trois plages locales les plus fréquentées. On signalera donc que si un quart seulement des pratiquants a arrêté les pratiques de sable à Aytré (Tableau 1), ils sont beaucoup plus nombreux à ne plus fréquenter la plage pour ces pratiques avec la même régularité, privilégiant d’autres plages de manière courante.
70En matière de réception de l’interdiction, un quart de ceux qui fréquentent encore la plage considère qu’elle est inutilement sévère. Quant aux propositions d’aménagement de la baignade dans des zones et horaires précis pour cohabiter avec la contamination, leur réponse est plutôt positive (plus de 60%). Finalement, ces réponses mesurées par rapport aux réponses moyennes soulignent l’absence de controverses, qui pourraient diviser l’opinion, autour de la perception de la contamination et de l’interdiction de la baignade.
71La réponse des enquêtés ayant des pratiques de promenade et de jogging présente certains caractères particuliers pour cette enquête. Cette pratique existe durant toute l’année, et n’est pas directement en contact avec l’eau ou le sable (Figure 8). Les répondants déclarant cette pratique sont aussi très nombreux (819 promeneurs sur 992 répondants), ce qui implique que leur profil est très proche du profil « général ». Toutefois, en observant les usagers ayant la promenade comme seule pratique, ou ceux pratiquant la promenade accompagnée d’un chien, des nuances apparaissent.
72La réponse des promeneurs/joggeurs ayant uniquement conservé cette pratique jusqu’à aujourd’hui est intéressante, tout d’abord parce qu’une grande majorité d’entre eux (66,9 %) avait d’autres pratiques à Aytré avant l’interdiction de la baignade. Ces promeneurs sont les usagers qui acceptent majoritairement la mesure d’interdiction puisqu’ils ont pour la moitié (52 %) arrêté de se baigner et ont même décidé d’arrêter toute autre activité autre que la promenade sur la plage. Ces individus ont confiance en l’information sur la contamination et ils en doutent moins que la moyenne. Leur attachement à la plage d’Aytré moins marqué et une fréquentation moins importante peuvent expliquer une plus grande facilité à délaisser le lieu et à y arrêter certaines pratiques. En effet, pour ces répondants, Aytré n’était déjà pas la plage qu’ils fréquentaient le plus avant la fermeture de la baignade. L’interdiction de la baignade a aussi dégradé leur image de la plage de manière plus forte que la moyenne et ces pratiquants semblent beaucoup moins prêts à cohabiter avec la contamination, comme le montre leur réticence à se baigner dans un endroit précis ou à un moment précis. Cette catégorie d’usagers du bord de mer, puisque nous parlons ici de personnes n’ayant que la pratique de la promenade/jogging à Aytré, se distingue par sa relation différente à la plage, comme si ce mono-usage impliquait une relation moins inconditionnelle au lieu.
Figure 8. La plage d’Aytré pratiquée pour la promenade avec ou sans chien en toutes saisons
Photo Luc Vacher, 2021
73La réponse des promeneurs avec chien est intéressante, puisque les déjections canines ont été pointées du doigt comme un élément d’explication possible de la contamination. De plus, les incivilités de certains maîtres ne respectant pas les interdictions estivales de promenade des chiens sur la plage sont régulièrement signalées et peuvent entrainer des tensions entre usagers. Leur réponse à la situation de contamination est cependant proche du profil général. Pour autant, les promeneurs avec chien doutent un peu plus de l’information sur la contamination et celle-ci les inquiète un peu moins. En revanche, ils se démarquent sans surprise vis-à-vis de leur tolérance à une contamination qui proviendrait des animaux de compagnie (31,6 %), sans que le décalage avec l’acceptation de l’ensemble des répondants (15 %) soit véritablement imposant. Pour les autres causes probables de contamination, les promeneurs avec chien ne sont cependant pas plus tolérants que les autres.
74Pour finir, comme nous l’avons signalé, il s’agit plus de nuances au profil général que de véritables oppositions que nous pouvons observer à travers ces tris des réponses en fonction d’entrées par différentes pratiques. Le fait qu’il n’existe pas de véritable polémique pouvant générer des contrastes forts au niveau de la réponse et que la plupart des pratiquants soient des multi-pratiquants ne permet pas de mettre en valeur des profils contrastés, soulignant peut-être aussi une certaine homogénéité de la population de répondants.
75Notre enquête n’a en effet pas permis d’identifier d’autres critères différenciateurs à propos de la perception de la qualité des eaux. Le sexe ou l’âge ne se sont pas révélés être discriminants, pas plus du point de vue de la réception de l’information, que de l’évolution ou du maintien des pratiques de la plage d’Aytré, contrairement à ce que montre les travaux de Shepherd (2014) qui souligne une diminution de l’importance accordée à la qualité de l’eau de baignade anglaise avec l’augmentation de l’âge.
76L’annonce de l’interdiction de la baignade pour une plage fréquentée de l’agglomération rochelaise génère, au sein de la population enquêté, une réponse assez homogène et peu encline à la controverse. Malgré les limites déjà discutées du matériau collecté en raison du contexte de déploiement de l’enquête, ce cas d’étude contribue à une meilleure compréhension de la manière dont une population urbaine peut faire face à la contamination des eaux dans un environnement littoral fréquenté pour des activités de loisirs. C’est une contribution à la recherche sur les perceptions et attitudes du public concernant les risques sanitaires liés à la baignade dans les eaux côtières. Ces travaux sont en effet relativement peu nombreux en comparaison du nombre d’études portant sur la qualité environnementale des zones littorales (Langford et al., 2000). Jones et al. (2018) soulignent, à propos des États-Unis, que malgré l’importance sociale et économique des plages, il existe une véritable pénurie de données sur la définition de ce qu’est une plage polluée et sur la perception des risques par les usagers.
77L’importance de l’attachement au lieu dans la réception de l’information et dans les réactions des usagers est mise en évidence dans ce travail. La plus grande partie des habitants se déclare attachée au lieu et une proportion importante souligne aussi que leur représentation de la plage n’a pas été dégradée par la mise en lumière de la contamination. Ce phénomène était déjà observé dans les années 1990 sur les plages britanniques à travers l’analyse du rôle des processus identitaires locaux et nationaux dans l’appréciation des lieux (Bonaiuto et al., 1996). Il l’est aussi sur les côtes californiennes. Turbaw et al. (2004) observent, après la fermeture d’une plage à Huntington Beach en raison d'une contamination bactérienne, que la perception du risque des usagers se forme à partir des informations officielles, mais aussi en prenant en compte de manière importante leurs propres expériences du lieu. À partir d’une enquête menée sur des zones de baignade le long du Danube, Milanović Pešić et al. (2020) indiquent quant à eux que le jugement d’une partie de la population locale peut minimiser la menace représentée par une pollution de l’eau si la prise en compte de la contamination est susceptible d’entrainer des conséquences économiques (la fermeture d’un site touristique par exemple). Ces éléments ont été signalés au Royaume-Uni à propos de la position de la population locale face à des risques de pollution industrielle qui sont évalués à partir d’une appréhension large des conséquences (en autres sur l’emploi) de leur prise en compte sur la vie locale (Burningham et Thrush, 2004). Cependant à Aytré, malgré l’attachement signalé par les usagers à cet environnement proche et des réponses soulignant le maintien de la bonne image de la plage, la pratique de la baie d’Aytré est en forte baisse, ce qui met en évidence un décalage entre des réponses marquées par une dimension affective et des actions plus pragmatiques. Déployer d’autres méthodes d’enquête, notamment en conduisant des entretiens avec des usagers de la plage, permettrait de saisir plus en profondeur les processus à l’œuvre entre perceptions et pratiques et de mieux saisir ces écarts.
78Un autre apport de ce travail est d’aborder la question de la perception d’une contamination microbiologique invisible. En effet, l’essentiel des études portant sur la perception par les usagers de l’altération de la qualité des eaux de baignade se base sur des approches qui interrogent la pollution à travers des indicateurs faisant appel aux sens. La présence de déchets flottants ou déposés sur la plage est le déterminant le plus classique comme le montrent Krelling et al. (2017) au Brésil ou Hamel et al. (2021) sur les plages de l’État de Rhode Island, au nord de New-York. Smith (1991) signale que l'évaluation de la qualité des eaux de baignade par les usagers sur les plages états-uniennes de Géorgie est fortement liée à des repères visuels et, en particulier, à la clarté de l'eau. La question de l’odeur, de la couleur ou des débris végétaux dans l’eau est aussi évoquée (Hamel et al., 2021 ; Moser, 1984 ; Wyles et al., 2016).
79En revanche, la problématique de la perception des contaminations bactériennes est moins abordée. Jones et al. (2018) soulignent aussi que les études traitant de la manière dont les baigneurs perçoivent le risque d'agents pathogènes d'origine hydrique sont rares. De plus, les populations considèrent que les principaux contaminants des eaux océaniques proviennent de la pollution industrielle et des déchets alors que les eaux pluviales, les égouts ou la contamination biologique sont moins identifiés comme sources de pollution de l'eau (Pendelton et al., 2001).
80La contamination microbiologique invisible d’origine fécale apparaît, elle aussi, comme plus triviale. Elle est plus proche de nous, puisque tout le monde est concerné par la production du contaminant. C’est peut-être ce qui la rend d’une certaine manière plus acceptable, surtout si elle ne laisse pas de trace visible. Comme on a pu le voir à Aytré, les usagers sont nombreux à accepter la possibilité d’une cohabitation avec la contamination dans le même espace si l’on garantit une mise à distance de leur pratique sur des temps et des espaces définis. Cette cohabitation possible est sans doute révélatrice d’un niveau de confiance satisfaisant dans le suivi sanitaire des eaux de baignade. Pourtant, ce type de contamination pourrait être assimilé à des « dysfonctionnements » et générer des réactions de colère face à la situation. Rien de tel à Aytré, où la réception de l’information sur la contamination reste peu vindicative.
81L’invisibilité de la contamination laisse aussi sans doute la place à une forme d’effet mémoire qui altère la perception du risque. La plage ne pouvant être contaminée puisque rien ne change dans les apparences. Pendelton et al. (2001) évoquent cet effet en sens inverse pour les plages de Los Angeles et du comté d'Orange qui sont perçues comme sales malgré de faibles niveaux de contamination bactérienne qui les placent en deçà des normes sanitaires. Ils notent ainsi que la qualité bactériologique des eaux bordant les plages, ne reposant pas sur des éléments visibles, est souvent mal appréhendée. Elle favorise la persistance des représentations anciennes.
82On soulignera aussi que l’acceptation très majoritaire des mesures de fermeture de la baignade sur la plage d’Aytré est liée à la réorganisation de l’espace de pratique local. La plage continue d’être fréquentée entre autres pour de très populaires promenades. L’interdiction de la baignade n’a pas entrainé une interruption de toutes les pratiques. Le fait que l’on ne puisse plus s’y baigner a même généré chez certains un sentiment de nouvelle légitimité. Les propriétaires de chien qui promènent leurs animaux en dehors des périodes autorisées redoutent moins les réflexions des baigneurs qui ne sont désormais plus dans leur droit pour faire des remarques sur les incivilités. Les kitesurfeurs qui devaient respecter la zone de baignade qui leur était interdite n’ont plus à se préoccuper des autres pratiquants de la mer. Ces observations rappellent la complexité de l’espace de la plage et les cohabitations qui s’organisent dans cet espace récréatif. Elles soulignent aussi le fait que certaines pratiques peuvent aborder la question des contaminations aquatiques avec plus de distance que d’autres comme le montraient Ditton et Goodale (1973) sur les bords du lac Michigan. La réponse circonspecte et sans véhémence des enquêtés est sans doute aussi liée au fait que l’espace local propose des alternatives proches pour les pratiques de baignade. On signalera cependant que certains de ces espaces se sont inventés en grande partie avec le report des pratiques et n’ont pas encore de reconnaissance officielle, comme la plage du Roux : il n’y a pas de poste de secours et de suivi sanitaire et elle ne figure pas dans la liste des plages de l’agglomération. Le fait que l’interdiction de la baignade ne soit pas vraiment contrôlée est aussi un autre élément important dans l’absence de polémique. La presse locale et les réseaux sociaux ne révèlent aucun cas de personnes s’étant fait verbaliser pour baignade illégale. Le débat sur la justesse des sanctions et la justification de l’interdiction n’existe donc pas.