Navigation – Plan du site

AccueilNuméros23-1Typologie des oasis algériennes :...

Typologie des oasis algériennes : pour une meilleure considération de ces espaces fertiles dans un milieu aride. Cas de la palmeraie de Ouargla.

Khaled Amrani

Résumés

Les travaux sur la typologie des oasis à palmiers dattiers sont nombreux. Ils permettent de décrire une situation, de dresser un état des lieux et de classer les différentes palmeraies qui composent l’oasis. Des critères structurels et fonctionnels sont considérés tels que la disponibilité des moyens de production qui orientent les stratégies des producteurs. Plusieurs approches sont adoptées : bioclimatique à l’origine de systèmes d’irrigation caractéristiques, historique qui distingue les palmeraies selon leur âge et des méthodes récentes, dites multidimensionnelles qui croisent plusieurs critères à la fois. Dans notre proposition d’article, nous avons souhaité apporter un nouvel élément : l’objectivation de la typologie de telle sorte à pouvoir participer à la prise de décision. L’élément déclencheur de notre démarche est l’attribution des aides agricoles qui s’opèrent de façon inéquitable entre les anciennes palmeraies et les palmeraies dites modernes. Une grille de classification est proposée dans un but de reconsidération de ces espaces marginalisés. Pour rappel ces « anciens » espaces sont à l’origine de la présence de l’homme dans des endroits hyperarides.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Introduction

2

  • 1 Le terme réservé aux variétés de palmiers est « cultivar ».

3Les oasis du Sahara algérien sont composées d’un ensemble de palmeraies formées par des palmiers dattiers. C’est la seule espèce naturellement adaptée à cet environnement et son climat très hostile. Toutes les autres espèces végétales que l’on retrouve à l’intérieur d’une palmeraie ont été acclimatées grâce au mésoclimat qu’offre la palmeraie. Ces dernières sont dispersées sur une superficie d’environ 2 millions de km² avec des variations géomorphologique, géologique, pédologique et climatique qui impriment une certaine physionomie de la végétation et des modes de conduites culturales. Cette configuration répond aussi à des contraintes environnementales auxquelles les oasiens ont su remédier. Du nord au sud du Sahara algérien, on retrouve ainsi plusieurs traditions culturales. De même, le matériel végétal est très diversifié avec des variétés1 de palmiers adaptées à chaque région. Ces modèles donnent lieu à différents types de palmeraies auxquels nous nous intéressons afin de comprendre les différentes logiques qui sous-tendent les choix des phoeniciculteurs.

4Ces derniers, à l’origine d’un aménagement de l’espace oasien, ne sont pas faits par hasard. Ils traduisent un savoir-faire indéniable qu’il convient de préserver. Cela revient, en tout premier lieu à considérer ces espaces, qu’ils soient anciens ou récents. En effet, l’évolution des palmeraies semble s’opérer à partir de palmeraies anciennes qui se sont modernisées sur des périmètres dits de mise en valeur. Nous souhaitons dresser la typologie de ces deux modèles qui cohabitent et coexistent. Cependant, les palmeraies modernes semblent bénéficier de plus d’attention de la part des pouvoirs publics que la palmeraie ancienne, dépréciée sous prétexte d’obsolescence malgré les savoir-faire et la diversité en son sein, deux éléments salvateurs pour faire face aux méfaits du réchauffement climatique.

5La typologie nous parait, dans ce contexte, fort importante pour savoir comment proposer des méthodes et des programmes d’amélioration qui corroborent avec la réalité évolutive du terrain en milieu oasien qui prend en considération l’ensemble des palmeraies, qu’elles soient anciennes ou modernes. La typologie a pour but la mise en relief des points convergents et divergents d’une exploitation agricole par rapport à une autre, de telle sorte à pouvoir constituer des groupes qui se distinguent entre eux. C’est une modélisation de l’existant qui facilite la représentation de la diversité, car dans une approche territoriale globale, il n’est pas possible de procéder à des études au cas par cas pour chaque exploitation (Belières et al., 2017).

6Selon Jouve (1986), la typologie doit tenir compte du fonctionnement technique et socio-territorial de l’exploitation, en faveur d’une approche pluridisciplinaire plus au moins « systémique » de l’exploitation agricole. Ainsi, plusieurs critères entrent en ligne de compte pour dresser une typologie des exploitations agricoles. Ils dépendent de deux grandes catégories d’informations : les types structurel et fonctionnel composés de critères liés à la superficie des exploitations, les espèces cultivées et les principales contraintes et atouts qui orientent les différentes stratégies adoptées (Ait Hmida, 2003).

7L’approche typologique a certes fait l’objet de nombreuses publications scientifiques en vue de décoder les raisonnements et comportements de l’homme dans son oasis, mais aussi de pouvoir classer les différentes « entités » qui composent le paysage agricole oasien. Dans les zones sahariennes, Toutain et al. (1990) proposent des critères relatifs à l’histoire de l’oasis, l’accès à l’eau et la situation agroclimatique. Ils permettent respectivement, selon leur date de création, de distinguer les palmeraies traditionnelles des palmeraies modernes et d’adopter des modes d’irrigation selon les disponibilités hydriques, impliquant des modes de mise en valeur différents.

8Enfin, il convient de rappeler que le développement agricole ne peut être efficacement perçu que si des connaissances approfondies sur le fonctionnement de l’exploitation sont disponibles. Cela revient à dresser une typologie aussi exhaustive que possible qui servira, par ailleurs, à élaborer des indicateurs de suivi et d’aide à la décision (Cochet et Devienne, 2006). Ainsi, la principale question que nous proposons de discuter dans cet article est la suivante : comment la typologie ici proposée pourrait-elle éclairer et guider les programmes d’accompagnement en faveur du développement ? Qu’apporterait-elle de nouveau par rapport aux typologies réalisées antérieurement ?

9En guise d’un nouvel élément d’analyse, la démarche typologique que nous proposons dans cet article est « objectivée », c’est-à-dire reliée à une thématique précise qui justifie la démarche : un projet de recherche peut donner lieu à une typologie préalable pour mieux appréhender d’éventuelles contraintes telle que les lieux d’interventions pour une efficacité optimum. L’hypothèse que nous mettons en avant est que cette démarche permettrait de capitaliser de façon pragmatique les apports de la typologie. Celle-ci s’inscrit dans une logique d’amélioration des connaissances pour une meilleure considération des espaces oasiens et de ses palmeraies. Le point de départ de notre réflexion est la préexistence des deux types de palmeraies que nous venons d’indiquer : la palmeraie traditionnelle, souvent marginalisée malgré ses atouts, et la palmeraie moderne qui accapare toutes les attentions, notamment les subventions et les aides agricoles, tel que le programme d’initiative local (PIL), car considérée comme une alternative du futur (Amrani et Senoussi, 2016 ; Amrani, 2021).

10Ces poids de mesure discriminants entre les deux types de palmeraies constituent l’axe central de cet article. Le cas de l’oasis de Ouargla est pris comme exemple d’étude. Afin de répondre aux interrogations formulées, nous passons en revue les différents types de palmeraies et leurs caractéristiques de façon à les comparer pour en faire des indicateurs discriminants. Une grille de classification est proposée en guise d’outil pour les futurs travaux de typologie.

Rétrospective des approches typologiques antérieures et contextualisation de la « typologie objectivée »proposée

11À l’échelle mondiale, il existe deux grands types d’agriculture : l’agriculture d’entreprise et les agricultures familiales (Belières et al., 2014). Si la première évoque une sorte d’agriculture « normée » par recours aux intrants chimiques, d’une manière générale, ce n’est pas le cas des agricultures familiales (au pluriel) et de leurs diversités qui témoignent d’une certaine prise en compte des conditions du milieu.

12Cote (1999) dresse une typologie globale des palmeraies selon trois critères : une typologie en fonction des méthodes de mobilisation et de partage de l’eau, une typologie selon le mode de conduite culturale et une dernière typologie axée sur l’organisation de l’espace. Ababsa (1997) s’appuie sur la diversité des paysages pour dresser une typologie oasienne. Il fait état d’oasis de montagne dans les Zibans (Biskra) et les Aures (Khenchela et Batna), des oasis de vallées à Oued Righ (Touggourt), Oued M’ya (Ouargla) Oued M’zab (Ghardaïa) et la Saoura à Béchar, des oasis d’Erg à l’image des Ghout du Souf et des oasis de Dayas (dans les palmeraies situées au sud de l’atlas saharien) (cité par Khene, 2007). Une autre typologie est basée sur les bioclimats à l’image des travaux de Lasram (1990) dans les oasis tunisiennes : des palmeraies continentales sahariennes, des palmeraies d’altitude et des palmeraies côtières que l’on retrouve à Gabes. Une approche basée sur l’histoire est proposée par Sghaeir (1984) ayant trait à l’âge de la palmeraie. Selon ce critère, il distingue des palmeraies dites anciennes et traditionnelles caractérisées par un morcellement des parcelles, un déficit en ressources hydriques et une diversité élevée qui s’opposent aux palmeraies récentes, plutôt modernes et qui adoptent une approche d’agriculture d’entreprise.

  • 2 Les cultures présentes, le taux d’occupation, l’assolement rotation, le produit brut, les charges, (...)

13À partir des années 2000, la typologie intègre des méthodes dites multidimensionnelles qui constituent en réalité les caractéristiques structurelles et fonctionnelles simultanées des différentes exploitations phoenicicoles (Jouve, 1986 ; Sghaeir, 1999 ; Ait Hmida, 2003). Ces méthodes font appel à une combinaison de plusieurs facteurs agronomique, économique, sociologique et des facteurs relatifs au foncier2. Cela permet de passer à une échelle plus grande pour plus de détails et de précisions. Il s’agit de caractériser des systèmes de production (SP) à l’échelle d’une exploitation. La nécessité de répondre à une problématique déterminée justifie ce changement de niveau de lecture. Dans ce contexte, face à une économie de marché assez contraignante, Khene et al. (2012) se posent la question de la résilience des exploitations phoenicicoles en Algérie. Dans la région du M’zab, prise comme étude de cas, ils identifient 7 systèmes productifs : le système marginal, maraicher, intensif, à base de deglet nour (variété de dattes), en polyculture-élevage, en fourrages élevage bovin et en installation. Parmi ceux-ci, le système maraicher semble le mieux intégré aux marchés, donc le plus résilient.

  • 3 Système de partenariat ancestral entre un propriétaire et un paysan qui cultive la terre moyennent (...)

14En réalité, ces méthodes d’approche se valent toutes dès lors qu’elles sont objectivées dans un contexte bien précis. En effet, dans le cadre d’un projet de recherche pour le développement de l’agriculture d’oasis en Tunisie, Battesti (1996) propose une typologie axée sur un état des lieux (chronologique) et un zonage (géographique). Il distingue, ainsi, 7 types d’exploitations correspondant à 7 zones différentes : des systèmes en abandon, en stagnation, en légère progression, en installation, en système khemassa3, en exploitation directe et en système entrepreneurial. Sa proposition de typologie a pour objectif la réalisation d’un référentiel technico-économique, comme préambule à la mise en place d’un projet de recherche régional pragmatique.

  • 4 Une action libellée « activités intellectuelles » nous a particulièrement interpellés au regard de (...)

15Dans notre proposition, la préoccupation qui nous interpelle est l’accès aux aides de l’État, car il est à l’origine de nombreuses situations conflictuelles. À l’origine, un programme d’initiative locale (PIL) lancé en 2013 avait pour ambition un accompagnement des agriculteurs. L’analyse des raisons ayant mené à l’échec de ce programme a orienté nos réflexions et les propos qui en découlent. Le principal résultat répertorié est le décalage existant entre les ambitions affichées et la capacité de réalisation des actions. De plus, le chiffrage des actions dans l’espace n’est pas précis par absence de zonage et c’est justement à ce niveau que se situe la brèche : une action dont le libellé porte sur des généralités ne permet pas d’identifier les priorités dans les différents secteurs, parfois prioritaires, de la palmeraie4 (Amrani et Senoussi, 2016). Boumadda (2012) arrive à une conclusion similaire, mettant en perspective des finances engagées, conséquentes et des résultats mitigés dus à des candidats dont les profils ne correspondent pas. C’est aussi ce que soulignaient Bouammar et Bekhti en 2008. La typologie proposée dans cet article est basée sur une approche « mixte » selon la classification de Bélières et al. (2017). Ce choix nous parait le plus cohérent avec la réalité observée sur le terrain car elle permet de croiser plusieurs critères.

Typologie des palmeraies rencontrées à Ouargla

Terminologie de référence : les composantes de l’agro-écosystème oasien

16Il est tout d’abord important de savoir de quoi l’on parle, car les dénominations sont nombreuses et sèment parfois la confusion dans les propos : jardins oasiens, très petites exploitations, palmeraies traditionnelles ou anciennes, exploitations modernes petites, moyennes ou grandes et cetera. L’idée est de hiérarchiser ces dénominations pour une meilleure identification de l’entité végétale.

17Techniquement, les palmeraies (ensemble de palmiers dattiers) forment ce que l’on dénomme l’agro-écosystème oasien. L’adjectif « oasien » vient du terme « oasis » et c’est Hérodote (484 – 425 avant J.-C.) qui a pour la première fois décrit cette association végétale composée de palmiers dattiers durant son séjour en Égypte dans l’oasis d’El Kharga. Le contraste qu’offre l’oasis avec son eau et sa végétation au milieu d’une étendue aride a suscité la curiosité des explorateurs géographes qui ont adopté ce terme pour décrire toute unité spatiale humide et verte située au milieu d’une étendue désertique. Depuis l’Antiquité, l’oasis a évolué au gré des civilisations. Si elle avait tout d’abord une fonction d’aire de repos lors des traversées transsahariennes des caravanes, elle a ensuite assuré une fonction de gîte pour les nomades sédentarisés tout en continuant à fournir les caravaniers en vivres lors de leurs haltes commerciales. Au fur et à mesure, l’oasis s’est urbanisée. De la tente temporaire précaire à la citadelle, l’oasis est devenue aujourd’hui un ensemble de pôles urbanisés avec une architecture semblable à celle des villes européennes qui côtoie souvent l’ancien bâti des ksour. L’oasis d’aujourd’hui englobe à la fois les palmeraies qui la composent et la ville. L’une dépend de l’autre pour son maintien et sa pérennité.

18La déclinaison « agro-écosystème oasien » intervient pour donner plus de détail sur le rôle de l’homme qui est à l’origine des oasis avec un objectif de production de dattes (agrosystème). Par la même occasion, seul le palmier dattier est capable de résister à la rudesse climatique et de constituer une sorte de canopée dattière favorable au bien être humain (écosystème). La variation de température à l’intérieur de l’oasis oscille entre 3° et 8°Celsius. C’est ce qu’on appelle l’effet mésoclimatique (Toutain, 1979 ; Amrani et al., 2013) ou encore l’effet oasis (Riou, 1990). L’agro-écosystème oasien est composé d’un ensemble de palmeraies et de palmiers dattiers. L’intervention de l’homme a donné naissance à deux grandes catégories : la palmeraie ancienne aussi dite traditionnelle et la palmeraie moderne.

La palmeraie ancienne ou traditionnelle (Type 1)

19Elle est caractérisée par des palmiers hétérogènes en raison de leur hauteur. Cette différence peut être due à l’écart d’âge le plus souvent, mais les conditions pédologiques peuvent aussi influencer cette hauteur (présence d’une dalle de calcaire au niveau des racines qui ralentit la croissance) ainsi que la disposition spatiale entre palmiers dattiers (l’équidistance). Ramenée à l’hectare, la densité est supérieure à 160 palmiers. Elle est composée de plusieurs cultivars de dattiers (souvent supérieur à 3) et son aspect général évoque celui d’une forêt de type futaie. En ce qui concerne la surface, elle n’excède pas les deux hectares et dans la plupart des cas, ce sont les jardins oasiens qui la composent avec une surface inférieure à un hectare. Les jardins oasiens sont des entités assez parcellisées auxquelles sont associés aux palmiers des cultures intercalaires issues de variétés locales. Ces jardins sont l’héritage d’un savoir-faire générationnel en agriculture de subsistance. La diversité y est capitalisée en tant que pratique phoenicicole pour subvenir aux besoins des ménages et témoigne ainsi d’un certain degré de conscience écologique ayant participé à la création de ces écosystèmes. Leur appellation locale prend deux terminologies : El Ghaba, qui veut dire forêt dans la région de Ouargla et Djnane, qui veut dire jardin embelli à Biskra (Figure 1).

20Un élevage y est plus au moins associé, souvent composé de caprins et/ou d’ovins dont les effectifs ne dépassent guère la dizaine de têtes. L’espace intercalaire est occupé par une strate arborée intermédiaire d’arbres fruitiers et de plantes herbacées coexistants avec des cultures légumières et fourragères. Le choix de ces cultures, leurs emplacements et le dimensionnement des parcelles obéissent à un raisonnement empirique qui est fonction des disponibilités des ressources hydriques. C’est ce qui explique la présence de cultures le long des Séguias (rigoles) quand l’eau est déficitaire ou établie sur des planches de 2 à 10 mètres² lorsque la ressource est suffisante.

21Les variétés cultivées sont issues de semences locales produites sur place à partir des récoltes de l’année précédente. Plusieurs études ont mis en évidence l’existence de variétés et d’écotypes rustiques, résultat d’une sélection génétique dite massale à l’image de la luzerne du chott de Ouargla, tolérante à la salinité (Chaabena, 2004; Chaabena et Abdelguerfi, 2007). Ce modèle constitue le premier type de palmeraie régie par des pratiques paysannes. On y rencontre deux systèmes et trois sous-systèmes.

22Le premier sous système d'autosubsistance est conçu pour répondre aux besoins des ménages. La vente intervient de façon secondaire ou occasionnelle. Un potager d’été et d’hiver est installé en intercalaire des dattiers pour subvenir aux besoins alimentaires quotidiens. Des cultures fourragères de type luzerne, choux fourragers et sorgho assurent l’alimentation d’un élevage domestique souvent composé de caprins et d’ovins avec un effectif modeste d’une à cinq têtes. La comptabilité de ce système repose en partie sur la vente des animaux à l’occasion des fêtes de l’Aïd el kébir notamment. C’est ce qui permet l’achat de denrées alimentaires et non alimentaires qui ne peuvent être produites sur place (thé, sucre, huile, textile, soins et fournitures diverses). Historiquement, c’est le système le plus ancien conçu empiriquement par les locaux et leurs savoir-faire. La diversité des palmiers n’est pas le résultat d’une conscience environnementale ou écologique, mais plutôt pour des raisons purement économiques : assurer de quoi se nourrir tout au long de l’année. C’est dans cet esprit que des variétés de dattes précoces, tardives, sèches ou molles sont cultivées.

  • 5 Il s’agit d’un calcul dont le résultat est tributaire de l’eau disponible. En effet, nous avons vu (...)

23Le deuxième sous système de rente correspond à des cultures intercalaires choisies en fonction de la demande des marchés locaux. On peut globalement distinguer trois sous-systèmes. L’agriculteur se spécialise dans la production de luzerne en plus de la phoeniciculture. Certains sont semenciers et produisent leurs propres variétés (écotypes), notamment celles disposant de critères exceptionnels évoqués plus haut. C’est une activité assez lucrative dans la mesure où elle assure jusqu’à 10 coupes par an durant 3 ans après quoi, il est conseillé de changer d’emplacement (Toutain, 1979 ; Toutain et al., 1990). Une botte fournie par 2 mètres² de luzerne vaut environ 30 dinars algériens. Une surface cultivée de 1 hectare fournit 5000 bottes, soit une valeur de 1 500 000 dinars algériens en considérant 10 coupes/an (équivalent 9400 euros par an, ce qui n’est pas négligeable)5.

24Le système sous système dattiers/menthe est choisi parce que la menthe est un produit de très grande consommation dans le Sahara algérien. Elle est utilisée pour aromatiser le thé. Cette boisson a détrôné le café, qui est plutôt consommé dans le nord du pays. Dans la région de Ouargla, les baraques à thé abondent, ce qui accentue la demande sur la culture de menthe indispensable pour la préparation de ce breuvage. La diffusion de sa consommation remonte aux périodes des caravaniers marocains en partance pour la Mecque. Le Sahara Septentrional était traversé d’ouest en est par les chameliers qui avançaient d’étape en étape. Au fur et à mesure, des candidats pour le pèlerinage se joignaient au convoi. Ce côtoiement a permis de diffuser la culture du thé dans le Sahara algérien (Dadene, 2017).

  • 6 La présence de ces sous-systèmes n’est pas une règle « figée » en soi. Les choix et les décisions p (...)

25Enfin, dans le sous système à maraichage spécialisé, les producteurs des spéculations à forte demande sur les marchés locaux. Cette demande émane des habitudes alimentaires des oasiens. Il s’agit du pourpier « Bendrag », du haricot « Tadaloughine », de la citrouille « Kabouya », du melon local « Marhoum », de la salade, des épinards, des betteraves et des radis. Ce sont des cultures faciles à produire et bon marché. Les semences sont produites sur place et réutilisées en toute saison entre octobre et mai grâce au mésoclimat que procurent les palmiers dattiers. Cette sélection traditionnelle a donné naissance à des variétés locales qui sont très peu valorisées, voire menacées de disparition. Fort heureusement, la demande du consommateur local a permis de maintenir le produit sur les marchés6.

Figure 1. Physionomie d’une palmeraie traditionnelle et ses jardins oasiens avec ses palmiers disposés en touffe

Figure 1. Physionomie d’une palmeraie traditionnelle et ses jardins oasiens avec ses palmiers disposés en touffe

Palmeraie du ksar de Ouargla, 2018

La palmeraie moderne (Type2)

26Ce sont des palmeraies de création récentes répondant à des normes établies en rapport avec des modèles productivistes. Ces palmeraies ont été créées par les colons français à des fins de commerce international. Dans ces modèles, les palmiers sont alignés, de même âge dans la plupart des cas et équidistants de 8x8 mètres à 10 x 10 mètres (densité entre 100 et 160 palmiers par hectare). Après l’indépendance de l’Algérie, ce modèle a prospéré. L’espace intercalaire a été occupé par du maraichage de primeur et/ou d’arrière-saison. Piments, poivrons, tomates, haricots et concombres constituent le panel des espèces les plus cultivées. Le maraichage sous serre s’est également développé à la périphérie de la palmeraie. La monoculture dattière de deglet nour sur de grandes surfaces est une caractéristique de ces espaces. La conduite des cultures fait appel à des équipements modernes en termes de machinisme, d’intrants chimiques et d’engrais. Le savoir-faire y est peu présent ; il est remplacé par un savoir technique assez sophistiqué où toutes les technologies nécessaires à la conduite des cultures sont importées. Ce sont par conséquent des espaces vulnérables, car tributaires de moyens étrangers. Les rendements sont d’apparence très satisfaisants, mais pour une durée limitée et au prix d’un préjudice environnemental non négligeable. En cause, les intrants sont appliqués sur des terrains sablonneux très perméables et engendrent par conséquent des risques imminents de pollution diffuse. Ces palmeraies attirent toutes les attentions des institutions et des programmes de développement en termes d’appuis et de subventions accordées. Du fait de cet intérêt, ce système se trouve mieux intégré aux marchés que les palmeraies de Type1 (Figure 2).

27Bien que la diversité soit présente avec des cultures sous abris et d’autres conduites sous rampe pivot, il s’agit d’une diversité plutôt économique. Son inconvénient se manifeste dans leur itinéraire cultural qui se traduit par une dépendance aux intrants. Le matériel biologique est composé de semences améliorées qui nécessitent beaucoup plus de soins. Dans la plupart des cas, il s’agit de semences hybrides tributaires d’intrants agricoles précis, lesquels sont souvent importés. À défaut d’être disponibles, ils sont onéreux et nécessitent une certaine technicité de pointe, donc une main-d’œuvre qualifiée et couteuse quand elle est disponible. Leur surface est supérieure à 20 hectares et peut atteindre des centaines d’hectares car ces palmeraies sont situées dans des périmètres extra-oasiens de mise en valeur (Houichiti et al., 2021). À Ouargla, il existe plusieurs périmètres : KchemErrih, Hassi Lekhfif et le périmètre de Remtha pour ne citer que ces exemples parmi les 120 sites créés (Kateb et Idder, 2017).

  • 7 Le rôle de chaque acteur doit être identifié, mais ce n’est pas l’objet assigné à cet article.

28La palmeraie moderne peut être petite, moyenne ou grande. Les différentes classes que nous proposons résultent d’une observation empirique. Il s’agit de petites exploitations entre 1 et 5 hectares, d’exploitations moyennes entre 5 et 20 hectares et de grandes exploitations au-delà de 20 hectares. Partant de ce postulat et par référence au seul recensement général agricole actuel, qui date de 2003, nous avons établi une cartographie des exploitations. Les résultats sont illustrés dans les Figures 3 et 4, où nous pouvons constater que les petites exploitations sont aussi nombreuses que les grandes exploitations. Leurs contributions au développement et au renforcement de la sécurité alimentaire ne relèvent donc pas de l’utopie. En revanche, cette petite agriculture est composée de nombreux petits propriétaires. Cela peut soit enrichir les propositions ou au contraire compliquer les échanges au regard des différentes stratégies potentielles de chacun7.

Figure 2. Physionomie d’une palmeraie moderne avec ses palmiers alignés

Figure 2. Physionomie d’une palmeraie moderne avec ses palmiers alignés

Palmeraie Hassi Ben Abdellah, Ouargla, 2018.

Figure 3. Classification des exploitations phoenicicoles au Sahara

Figure 3. Classification des exploitations phoenicicoles au Sahara

Réalisation d’après données du MADR, 2003.

Figure 4. Répartition des exploitations phoenicicoles à Ouargla et au Sahara.

Figure 4. Répartition des exploitations phoenicicoles à Ouargla et au Sahara.

MADR, 2003.

La palmeraie hybride (Type3 ou Sous-type 2) ?

29Il s’agit d’un modèle mixte entre la modernité et la paysannerie. Ce système est adapté compte tenu des moyens financiers dont dispose l’agriculteur. La mécanisation et les intrants interviennent modérément selon les capacités financières de l’exploitant. À défaut de finances suffisantes, les tâches inhérentes à la pratique de la phoeniciculture s’opèrent de façon traditionnelle telle la pollinisation, la taille et la récolte. L’alignement des palmiers et leur équidistance (entre 8x8 mètres et 10 x 10 mètres) permettent l’installation de cultures intercalaires de rente. En réalité, c’est une palmeraie qui tend vers la modernisation pour rejoindre le Type 2. La ressemblance est d’ailleurs remarquable que ce soit vis-à-vis de la densité à l’hectare ou encore la taille de la palmeraie, entre 5 et 10 hectares, qui la positionne dans la catégorie d’exploitation (Figure 5).

30Une distinction doit avoir lieu dans le cas où un même propriétaire dispose de deux parcelles mitoyennes, dont l’une traditionnelle et l’autre moderne, selon les critères de différenciation que nous avons mentionnés.

Figure 5. Physionomie d’une palmeraie mixte

Figure 5. Physionomie d’une palmeraie mixte

Palmeraie Mekhadma, Ouargla, 2018.

31Au même titre que la production végétale, la production animale est conduite selon deux modèles : le modèle traditionnel et le modèle concentrationnaire moderne. Le modèle traditionnel rejoint le Type 1 alors que le modèle « élevage concentré » fait partie du Type 2.

  • 8 Terme utilisé pour se démarquer de la fabrication industrialisée.

32Dans ce modèle, l’élevage est intégré en tant que composante essentielle du système de production et concerne les ovins et les caprins. On rencontre cet élevage à Guerrara, dans la région de Ghardaïa (au nord du Sahara algérien), réputée pour la fabrication de fromage local artisanal8. Sur le plan économique, il constitue un appoint financier considérable au moment de l’Aïd el kébir où les prix, compte tenu de la demande, flambent. Sur le plan agronomique, il fournit l’essentiel de la fumure organique utilisée pour la fertilisation de la palmeraie. La taille du cheptel varie de quelques têtes à une douzaine d’individus. Elle est corrélée à la surface de la palmeraie sur laquelle est produit le fourrage qui sert de nourriture : luzerne, chou fourrager, sorgho et avoine.

33Concernant les races, elles sont d’origine locale, réputées rustiques et adaptées. Mais l’introduction de mâles géniteurs favorise à terme une dilution génétique qui altère les critères à l’origine de l’acclimatation des bêtes. Nous prenons le cas des caprins et l’exemple concret de la chèvre de Guerrara à Ghardaïa. L’introduction de la chèvre alpine européenne ciblait l’amélioration de la productivité des cheptels, mais les grandes différences des deux environnements, entre autres, n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés.

34Le modèle concentrationnaire est composé de bovins plutôt laitiers de race Holstein. Les effectifs sont supérieurs à 10 bovins, car l’objectif est de produire du lait. Leur introduction intervient à la suite de la politique de développement mais elle a généré des surcoûts de production pour l’aménagement des étables du fait de l’inadaptation de la race au climat saharien. Les manques de fourrage et de technicité des producteurs ont été des facteurs déterminants, à l’origine de l’effondrement des rendements : jusqu’à 15 litres par jour contre un potentiel de production de 40 litres par jour dans son aire d’origine.

35Ce manque de technicité se traduit par un mauvais rationnement. Les fourrages distribués sont parfois collectés dans les parcours, composés de végétation spontanée, puis complétés de façon aléatoire par le peu de luzerne et d’avoine disponibles pour les bovins. Ce menu médiocre, assez déséquilibré, avec un excès d’aliments concentrés et peu d’aliments verts, affecte de prime abord la santé des animaux (carences alimentaires) et influence tout naturellement la qualité et la quantité du lait produit.

36Selon Senoussi (2006, 2008, 2010), les contraintes d’élevage liées à l’alimentation, le milieu écologique défavorable et les problèmes sanitaires positionnent l’activité comme non- rentable. Ouargla totalisait près de 1300 bovins dont 500 vaches réparties dans 63 exploitations durant les années 2000 (MADR, 2003). En 2017, les effectifs sont estimés à 900 têtes, selon la Direction des services agricoles (2016), ce qui conforte les constats suscités. Il existe des races locales mieux adaptées, mais le manque de travaux génétiques n’a pas permis d’en tirer profit.

37Dans le tableau synoptique (1) qui suit, en guise de synthèse, nous avons mis en relief les points les plus saillants qui permettent une distinction entre les deux types de palmeraies de façon « indéniable ». Prenons l’exemple de l’eau. L’idée reçue est qu’elle est rationnée dans le Type 1, gaspillée dans le Type 2. Cela n’est absolument pas vrai et les deux cas de figure se rencontrent dans les deux types de palmeraies. Ce n’est donc pas un critère objectif sur lequel on pourrait s’appuyer pour faire une analyse SWOT. En revanche, la diversité des cultivars ou le rôle du savoir-faire sont deux éléments que l’on rencontre dans le Type 1 et pas dans le Type 2. La diversité figure d’ailleurs comme indicateur dans la grille que nous proposons dans le tableau 2.

38Notons également que le fil conducteur de cette matrice est la présence/absence de la diversité dans une optique de durabilité. Plus cette dernière est faible, plus la tendance est à la monoculture qui oblige le recours aux intrants pour maintenir un haut niveau de production et assurer des parts économiques durables dans un marché de grande consommation où la concurrence est forte. Or, sur le long terme, cette entreprise et cette façon de faire ne sont pas durables ni du point de vue écologique : pollution des sols, régression des rendements et pour finir, perte des parts de marché.

Tableau 1. Analyse SWOT, Palmeraie traditionnelle versus Palmeraie moderne

FORCES

FAIBLESSES

Type1 (Palmeraies traditionnelles)

Type2 (Palmeraies modernes)

Type1 (Palmeraies traditionnelles)

Type2 (Palmeraies modernes)

- Diversité (du point de vue écologique)*

- Savoir-faire local (socio-territorial)

- Rentabilité (économique)

- Disponibilité de l’eau (socio-territorial)

- Technicité agronomique (socio-territorial)

- Individuellement peu rentable, car surface réduite (économique)

- Manque d’eau (socio-territorial)

-Pénibilité du travail (socio-territorial)

- Utilisation d’intrants chimiques (écologique)

- Coûts d’investissements élevés car grande surface (économique)

OPPORTUNITÉS

MENACES

Type1 (Palmeraies traditionnelles)

Type2 (Palmeraies modernes)

Type1 (Palmeraies traditionnelles)

Type2 (Palmeraies modernes)

-Rentable en coopérative de petits producteurs fédérés (économique)

-Résilience vis-à-vis du changement climatique grâce à la diversité (écologique)

-Une migration vers un format hybride capitalisant les résultats d’analyse des Types 1 et 2

-Érosion génétique (écologique)

-Disparition du savoir-faire et de la diversité (socio-territorial et écologique)

-Risques de pollutions environnementales par les intrants (écologiques)

-Non-rentable sur le long terme à cause de la monoculture, la surproduction et la saturation des marchés car produit standard (économique)

Les mentions entre parenthèses font référence à la dimension : élément d’ordre écologique, économique ou socio-territorial.

Une grille de classification pour « réguler » les aides et les subventions et optimiser « l’équité territoriale »

39Cette grille de lecture restitue le travail de typologie traité dans cet article. Elle reprend les critères déterminants qui permettent la distinction entre les différentes entités phoenicicoles. Cet outil, d’apparence très simple, joue un rôle important dans la prise de décision. La notion d’échelle est prise en compte (la parcelle et/ou l’exploitation au sein d’un territoire). Afin de distinguer les déférentes exploitations entre elles, cinq critères par ordre d’importance sont considérés. Cet ordre est établi selon une logique qui fait référence à la chronologie d’évolution des palmeraies en Algérie depuis l’apparition des palmeraies et leur fonction d’autosubsistance jusqu’aux palmeraies dites modernes. Ce qui est identifié et reconnu comme étant une ancienne palmeraie traditionnelle se caractérise par une hétérogénéité des palmiers qui la constituent (de par leur âge et les variétés qui s’y trouvent). La surface est réduite avec une production plutôt orientée vers l’autoconsommation. Elles se situent à proximité immédiate d’un ksar. L’évolution de ces palmeraies vers une forme dite moderne s’est opérée via des changements dans l’itinéraire cultural. Les palmiers se sont alignés avec moins de diversité et une tendance à la culture monovariétale. Elles sont réfléchies de telle sorte à faciliter la conduite des pratiques phoenicicoles lors de l’utilisation des machines agricoles. De nombreux auteurs s’accordent sur ce schéma d’évolution et c’est ce qui alimente notre réflexion autour de cet outil (Toutain, 1977 ; Battesti, 1998 ; Côte, 2002).

  • 9 Nous n’avons pas pu consulter cette loi coutumière qui constituait une sorte de règle de conduite s (...)

40Ainsi, le premier critère qualitatif est déterminant, car il permet un positionnement : qu’elle soit hétérogène et/ou en touffe et/ou non-alignée, il s’agit forcément du Type1, y compris pour des densités nettement inférieures à 160 palmiers par hectare. Cela peut arriver dans de rares cas telles que les palmeraies dites « Bour» avec des palmiers très épars (densité pouvant descendre jusqu’à 50 palmiers par hectare). Ce cas de figure s’explique par l’histoire. Selon les interviews que nous avons menés à Ouargla, il nous a été expliqué que jadis existait une loi coutumière9stipulant que chaque propriétaire détenteur d’un palmier jouissait d’un certain bornage. L’astuce de l’époque était alors d’espacer les palmiers pour avoir plus de surface (Données enquête personnelle réalisée 2022).

41Il convient cependant de noter que la palmeraie évolue. Les jardins oasiens (Type 1) sont composés de palmiers âgés, voire très âgés. La question de rajeunissement est souvent d’actualité et des aides sont attribuées pour cela avec la plantation de nouveaux rejets. Elle s’opère de façon alignée avec une densité qui positionne l’entité dans la catégorie d’un jardin oasien (par sa petite surface), mais moderne avec une forte tendance à la monovariété et l’alignement des palmiers.

42À l’inverse, l’évolution du foncier dans les petites exploitations suite aux héritages ont, in fine, tendance à se morceler. Selon le nombre d’héritiers, elles peuvent être rétrogradées en jardins oasiens. Par ailleurs, lors de nos enquêtes de terrain, nous avons également constaté la présence de palmeraies inférieures à 1 hectare avec des palmiers jeunes et alignés totalisant une densité de 120 palmiers alors que dans la localité de N’goussa, à 20 kilomètres au Nord de Ouargla, les exploitations se distinguent par un nombre de palmier qui atteint 200 pieds par hectare. Ils sont disposés de façon alignés et homogènes (Amrani, 2021). Afin de tenir compte de ces différents cas de figure, la grille est proposée avec un système de scores dont le total permet de trancher en faveur de l’un des deux types (Tableau 2).

43Enfin, la diversité des systèmes de production que l’on rencontre avec les cultures intercalaires résulte de stratégies adoptées au fil des évolutions des contextes socio-économiques. Ces cultures sont constamment renouvelées, notamment pour le système de rente, et c’est pour cela qu’elles ne figurent pas en tant que critères distinctifs dans notre grille. De même, le système d’autosubsistance d’antan s’est transformé en un système de jardin de loisir et/ou d’appoint pour les familles. Quant à l’élevage, les formes « hybrides » que l’on peut rencontrer entre le système d’élevage concentrationnaire moderne ou traditionnel, composé de bovins et/ou d’ovins, ne permettent pas à l’heure actuelle de faire de la typologie un instrument d’aide à la décision. En effet, comme abordé dans cet article, l’élevage bovin est très couteux au Sahara en raison du climat. Il n’est donc pas durable. En revanche, les petits ruminants de races locales sont beaucoup plus rustiques et adaptés, mais ne sont pas assez considérés : les élevages sont majoritairement encore peu développés et conduits de façon traditionnelle.

Tableau 2. Indications pour une grille de classification des exploitations à l’échelle d’un territoire

Ordre

INDICATEURS

Type 1 : palmeraie traditionnelle

Type 2 : palmeraie moderne

Jardins oasiens

À cocher

Petite exploitation

À cocher

Moyenne

À cocher

Grande

À cocher

1

Disposition des palmiers

Hétérogène (âge), en touffe et non-alignés

Palmiers alignés, homogènes

Palmiers alignés, homogènes

Palmiers alignés, homogènes

2

Diversité des cultivars

Plus de trois cultivars

Moins de trois cultivars

Moins de trois cultivars

Moins de trois cultivars

3

Surface (ha)

Inférieure à 1 ha

Entre 1 et 5 ha

Entre 5 et 20 ha

Supérieure à 20 ha

4

Densité / hectare

Supérieure à 160 palmiers

Inférieure à 160 palmiers

Inférieure à 160 palmiers

Inférieure à 160 palmiers

5

Situation géographique

Palmeraie attenante à un ksar

Attenante à un ksar ou située dans un périmètre de mise en valeur (extra oasien)

Extra oasien

Extra oasien

Score

Le score le plus élevé penchera en faveur du TYPE d’exploitation. Il est important de rappeler que le premier critère est déterminant. C’est lui qui l’emporte sur le reste des critères.

Conclusion

44Les oasis à palmiers dattiers ont fait l’objet de nombreux écrits scientifiques en vue de dresser des typologies, qui pour certaines d’entre elles répondaient à des objectifs liés à des livrables, ou des résultats attendus dans le cadre de projets de coopération par exemple. Cependant, beaucoup de ces travaux ont aussi été réalisés pour simplement caractériser un territoire, adoptant presque systématiquement, pour chaque étude, une nouvelle approche descriptive d’un existant.

45Faisant référence à la géomorphologie, à l’altitude, aux bioclimats et aux techniques culturales, les études typologiques ont contribué à dresser plusieurs profils des palmeraies. Celles relatives aux techniques culturales sont les plus diversifiées, notamment pour les cultures dites saisonnières, car tributaires de stratégies adoptées par l’homme. Elles sont à la fois d’ordre économique, technique et socio-territoriale et ont pour finalité de s’approprier des parts de marché. Cela explique en partie la panoplie des systèmes de production (SP) décrits pour caractériser les palmeraies.

46Sans minimiser l’apport d’informations indéniables que ces études ont permis, nous avons toutefois souhaité « objectiver » la typologie à travers notre article. Pour le cas de Ouargla, prise en guise d’exemple, ce sont les attributions des aides agricoles qui ont fait l’objet d’un programme d’initiative locale (PIL) dont les retombées offraient de réelles possibilités de développement. Faute d’une typologie objectivée, permettant de mieux orienter les enveloppes financières, le programme n’a pas vraiment permis de réelles solutions. Pire, il a généré un sentiment d’injustice sociale, entre les très petits et petits propriétaires de jardins oasiens et de petites exploitations et les investisseurs agricoles, propriétaires de grandes exploitations.

47Il s’agit en quelque sorte de se poser la question de l’intérêt d’une nouvelle typologie et ce qu’elle pourrait apporter de nouveau au regard des études antérieures. Ceci afin d’éviter d’éventuelles confusions, dans l’essence même de cette branche d’études, dont le but est tout de même de faciliter l’analyse d’une réalité complexe.

48Ainsi, à travers cette grille de classification, notre objectif est de mettre en œuvre une approche croisée d’un travail de typologie sans pour autant entrer dans des détails à variables aléatoires. Le cas des systèmes de production qui reposent sur une caractérisation des cultures intercalaires saisonnières n’est pas considéré comme élément distinctif dans notre grille. Leur mise en culture dépend de plusieurs facteurs évolutifs, notamment la disponibilité de la ressource hydrique qui est souvent déterminante pour l’agriculteur. Nous avons considéré la seule culture pérenne la mieux adaptée, le palmier dattier, pour notre grille.

49Pour parer aux différents cas de figure, nous proposons un système de scores dans notre grille. Celle-ci n’est pas parfaite, sujette à des amendements pour en optimiser l’utilisation selon les différents cas de figures rencontrés sur le terrain. Le cas échéant, des remaniements sont possibles à conditions de rester dans une démarche objective et équitable.

50Il convient aussi de noter le caractère nonimmuable de la palmeraie qui rend une typologie globale quasi impossible à établir dans la durée. C’est ce qui expliquerait la profusion d’études typologiques entre autres et notre souhait de lier ce travail à un objet pragmatique pour optimiser l’efficacité de ce type d’études. Dans l’absolu, une réactualisation décennale parait utile ne serait-ce que pour tracer une trajectoire d’évolution.

Haut de page

Bibliographie

Ababsa, S., 1997, L’oasis : une réalité et un concept pour un développement multidimensionnelle durable, Ouargla, Algérie. Polycopié tiré à part, 35p.

Ait Hmida, A., 2003, Systèmes de production et stratégies des agriculteurs dans les oasis de la région d’Errachidia au Maroc, New meddit, 2, pp.37-43.

Amrani, K., 2021, Durabilité des agrosystèmes oasiens : évaluation et perspectives de développement. Cas de la palmeraie de Ouargla (Algérie), Thèse doctorat, Université Grenoble-Alpes, 328 p.

Amrani, K., Senoussi, A., 2016, Autour de la dégradation des systèmes oasiens algériens et de la nécessité d’un développement durable : état des lieux et propositions, Actes 2e workshop international : La durabilité des systèmes de production phoenicicoles en Algérie, Université de Biskra, pp.16-26.

Amrani, K., Toutain, G et Dolle, V., 2013, Le palmier-dattier créateur d’ambiance climatique favorable au bon fonctionnement du complexe agriphoenicicole, Acta Horticulturae, 994, pp. 79-92.

Battesti, V., 1996, Les oasis du Jérid : des révolutions permanentes ? Projet « Recherche pour le développement de l’agriculture d’oasis », 234p.

Battesti, V., 1998, Les relations équivoques, approches circonspectes pour une socio-écologie des oasis sahariennes, Thèse pour obtenir le grade de docteur de l’université paris v, faculté des sciences humaines et sociales, 364p.

Belières, J-F., Bonnal, P., Bosc, P-M., Losch, B., Marzin, J et Sourisseau, J-M., 2014, Les agricultures familiales du monde. Définitions, contributions et politiques publiques, Éditions AFD, collection à savoir, 195 p.

Bélières, J-F., Rasolofo, P., Rivolala, B., Ratovoarinony, R., Ratsaramoarina, O., Rabevohitra, B-N et David-Benz, H., 2017, Élaboration de typologies d’exploitations agricoles au niveau infranational à Madagascar : Lac Alaotra et région du Menabe. Programme (World agricultures watch, protocol FAO/CIRAD) 48 p.

Bouammar, B., Bekhti, B., 2008, Le développement de l’économie agricole oasienne : entre la réhabilitation des anciennes oasis et l’aménagement des nouvelles palmeraies, Revue du chercheur, n° 06, pp. 19- 24.

Boumadda, A., 2012, Essai d’évaluation du programme de la mise en valeur par le biais de la concession : Cas du projet Khechem Errih 2, Revue du chercheurn°10, pp. 10-14.

Chaabena, A., Abdelguerfi, A., 2007, Aperçu sur les cultures fourragères au Sahara septentrional Est, Annales de la Faculté des Sciences et des Sciences de l'Ingénieur, Vol. 1, n° 2/ 2007.

Chaabena, A., 2004, Comportement et caractérisation de quelques variétés de luzerne (Medicago sativa L.) dans la région de Ouargla, Cahiers Agricultures, 13, 27, pp. 1-6.

Cochet, H., Devienne, S., 2006, Fonctionnement et performances économiques des systèmes de production agricole : une démarche à l’échelle régionale, Cahiers Agricultures, 15, 6, pp. 578-583.

Cote, M., 1999, Les oasis sahariennes. Le point sur les recherches géographiques. Actes des 2e journées scientifiques de l’INRAA sur l’agriculture saharienne, Tome 1, pp 45-56.

Côte, M., 2002, Des oasis aux zones de mise en valeur : l'étonnant renouveau de l'agriculture saharienne, dans: Méditerranée, Tome 99, 2002. Le Sahara, cette « autre Méditerranée » [En ligne] URL :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medit_00258296_2002_num_99_3_3253 Dadene, H., 2017, Diagnostic de la palmeraie de Ksar de Ouargla. Groupe de Travail pour le Développement de la Palmeraie de Ouargla (GTDPO), État des lieux, Document de travail non publié, 40p.

Dollé, V., 1990, Élevage intensif en oasis, une composante importante du système de production, Options méditerranéennes, Les systèmes agricoles Oasiens, série A, 11, pp. 196-204.

DSA, 2016, Données statistiques de la (Direction des Services Agricoles de Ouargla, Extrait série B, 92p

Houichiti, R., Bouammar, B et Bissati, S., 2021, Dynamique oasienne et évolution des modes d’exploitation agricole au sud d’Algérie (cas de la région de Ghardaïa), Revue Management et gouvernance, Entreprises-Territoires-Sociétés, Cahiers scientifiques internationaux d’ERECO-PGV, [En ligne] URL : https://www.ereco.eu/wp-content/uploads/2022/05/MG-25.pdf.

Jouve, P., 1986, Quelques principes de construction de typologies d’exploitations agricoles suivant différentes situations agraires, Les Cahiers de la Recherche Développement, 11, pp. 48-56.

Kateb, Z., Idder, M-T., 2017, Les principaux problèmes phytosanitaires au niveau des périmètres de la petite mise en valeur dans la région de Ouargla, Mémoire de Master, Université Ghardaïa, 83 p.

Khene, B., Senoussi, A et Ababsa-Smati, F., 2012, L’agro système oasien : particularités et stratégie d’évolution, cas de la vallée du M’zab (Algérie), Sécheresse, 23, pp 78-85.

Khene, B., 2007, Caractérisation d’un agrosystème oasien : vallée du M’zab et Guerrara (Ghardaïa), Thèse Magistère INA, Alger, 150p.

Lasram, M., 1990, Les systèmes agricoles oasiens dans le Sud la Tunisie, Options Méditerranéennes, série A, n°11, pp. 21-27.

MADR., 2003, Recensement général de l’agriculture 2001, Rapport général, Alger, Minagri, 192p.Riou, C., 1990, Bioclimatologie des oasis, Options Méditerranéennes, série A, n°11, pp.207-220.

Senoussi, A., 2006, L’élevage dans les régions sahariennes, Département des sciences Agronomiques, Faculté des Sciences et Sciences de l’Ingénieur, Université KasdiMerbah – Ouargla. Document multigraphié, 65p.

Senoussi, A., 2008, Caractérisation de l’élevage bovin laitier dans le Sahara : Situation et perspectives de développement. Cas de la région de Guerrara, Colloque international « Développement durable des productions animales : enjeux, évaluation et perspectives », Alger, 20-21 Avril, 4p.

Senoussi, A., 2010, Situation de l’élevage bovin laitier dans la région de Guerrara (Sahara Septentrional Algérien), Livestock Research for Rural Development, 22, 12, [En ligne] URL: http://www.lrrd.org/lrrd22/12/seno22220.htm

Sghaeir, M., 1984, Identification et analyse des systèmes de production agricole dans les oasis de Nefzaoua, Mémoire INAT, 150 p.Sghaeir, M., 1999, Les périmètres irrigués des oasis de Nefzaoua. Etude des principaux types et essai de typologie à l’aide de méthodes multidimensionnelles, Édition Cirad / Gridao / Estacion phoenix, pp.149-161.

Toutain G., 1977, Origine, évolution et crise de l’agriculture saharienne. La vallée du Draa, Thèse Doctorat de troisième cycle, université de Paris Panthéon-Sorbonne, 273p.

Toutain G., 1979, Eléments d’agronomie saharienne. De la recherche au développement, INRA/GRET Paris, 253p.

Toutain, G., Dollé, V., Ferry, M., 1990, Situation des systèmes oasiens en régions chaudes, Options Méditerranéennes, série A, n°11, pp. 7 -18.

Haut de page

Notes

1 Le terme réservé aux variétés de palmiers est « cultivar ».

2 Les cultures présentes, le taux d’occupation, l’assolement rotation, le produit brut, les charges, la nature du foncier (héritage, achat, par exemples), le taux de reprise, et cetera, sont autant de facteurs multidimensionnels qui permettent une classification des palmeraies.

3 Système de partenariat ancestral entre un propriétaire et un paysan qui cultive la terre moyennent le 1/5 de la production en guise de salaire.

4 Une action libellée « activités intellectuelles » nous a particulièrement interpellés au regard de son montant de 3 792 540 dinars algériens (23700 euros). Il n’y a pas plus de précision sur la nature de cette action et sa portée sur le terrain.

5 Il s’agit d’un calcul dont le résultat est tributaire de l’eau disponible. En effet, nous avons vu que le dimensionnement des planches dépendait des volumes d’eau dont dispose l’agriculteur.

6 La présence de ces sous-systèmes n’est pas une règle « figée » en soi. Les choix et les décisions peuvent varier d’une année à l’autre pour la même parcelle pour différentes raisons : économiques, mais aussi sociales, voire personnelles, renouvelant ainsi et presque incessamment de nouveaux sous-systèmes.

7 Le rôle de chaque acteur doit être identifié, mais ce n’est pas l’objet assigné à cet article.

8 Terme utilisé pour se démarquer de la fabrication industrialisée.

9 Nous n’avons pas pu consulter cette loi coutumière qui constituait une sorte de règle de conduite sociétale, régie par le chef du ksar. Aujourd’hui, seuls quelques anciens connaissent l’existence de cette ancienne loi.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1. Physionomie d’une palmeraie traditionnelle et ses jardins oasiens avec ses palmiers disposés en touffe
Légende Palmeraie du ksar de Ouargla, 2018
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40171/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre Figure 2. Physionomie d’une palmeraie moderne avec ses palmiers alignés
Légende Palmeraie Hassi Ben Abdellah, Ouargla, 2018.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40171/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 370k
Titre Figure 3. Classification des exploitations phoenicicoles au Sahara
Crédits Réalisation d’après données du MADR, 2003.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40171/img-3.png
Fichier image/png, 44k
Titre Figure 4. Répartition des exploitations phoenicicoles à Ouargla et au Sahara.
Crédits MADR, 2003.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40171/img-4.png
Fichier image/png, 53k
Titre Figure 5. Physionomie d’une palmeraie mixte
Légende Palmeraie Mekhadma, Ouargla, 2018.
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/40171/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 114k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Khaled Amrani, « Typologie des oasis algériennes : pour une meilleure considération de ces espaces fertiles dans un milieu aride. Cas de la palmeraie de Ouargla. »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], 23-1 | Avril 2023, mis en ligne le 05 avril 2023, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/40171 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.40171

Haut de page

Auteur

Khaled Amrani

Docteur à l’Université de Grenoble, chercheur associé laboratoire Pacte territoires, France, adresse courriel : khaled.amrani@umrpacte.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search